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CHAPITRE 1 Problématique

1.2 La technologie éducative et les finalités démocratiques de l’éducation

1.2.1 Le développement de la technologie éducative au Québec

C’est le Rapport Parent qui va proposer l'établissement d'un service québécois des techniques audiovisuelles. Au début des années 1960, comme le souligne le rapport, « Les spécialistes sont rares au Québec » (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1964, p. 350). Ce service s’occuperait de la planification, de la recherche, de la documentation, de la coordination de la production, de la distribution et de l’entraînement des maîtres. Ces recommandations ont permis de mettre sur pied le service informatique du ministère de l'Éducation du Québec (SIMEQ) qui, en 1985, deviendra la Société GRICS (Gestion du réseau informatique des commissions scolaires). C’est cependant le dernier point, sur « l’entraînement des maîtres », qui nous intéresse puisque c’est spécifiquement cette recommandation qui va permettre de créer, dans les facultés d’éducation, des cours destinés à ces nouveaux usages.

a) Le développement du domaine

À la lumière des recherches de Luppicini (2007), qui a publié une thèse doctorale sur le développement de la technologie éducative dans les universités canadiennes, comme mentionné précédemment, le Rapport Parent a cerné des lacunes importantes en ce qui concerne la place de la technologie dans les écoles. En conséquence, le Rapport Parent a proposé un changement dans le curriculum et une meilleure formation des maîtres. C’est principalement ce qui a conduit à la création des premiers cours et des premiers diplômes de technologie éducative.

Nous soulignerons l’origine et le développement de trois programmes de technologie éducative issus de l’Université Concordia, de l’Université Laval et de l’Université de Montréal. Nous verrons comment les différentes orientations des programmes ont été amenées à changer.

L’Université Concordia détient le premier département québécois de technologie éducative fondé en 1968 (Luppicini, 2007). L’influence de certains professeurs, notamment les fondateurs, va orienter les bases théoriques d’un programme ambitieux de maîtrise comportant 90 crédits avec des cours d’histoire, de philosophie et de sociologie. Gary Boyd, un des membres fondateurs, a travaillé entre autres sur des sujets liés à la cybernétique et à la systémique. David Mitchell, également un des fondateurs du programme, est spécialisé dans le domaine des sciences behaviorales. Philosophe de l’éducation, Mark Braham s’intéresse aux systèmes philosophiques et à la théorie générale des systèmes. Mais, dans les années 1980, le programme est réorienté vers une approche de type résolution de problème associée aux "human performance technology". Toujours selon Luppicini (2007), à la fin des années 1990, la cybernétique et la philosophie sont abandonnées au profit du design instructionnel et de la résolution de problème. Le recrutement des étudiants se fait maintenant au-delà du domaine de l’éducation « […] there was a growing demand for instructional designers and trainers in business and industry (Bernard & Lundgren-Cayrol, 1991, p. 164) » (Luppicini, 2007, p. 60). Cette réorientation vers le design instructionnel et la résolution de problème concorde également, sans en être la cause, avec une baisse marquée des inscriptions dans les programmes de technologie éducative, des restrictions budgétaires et des départs massifs à la retraite de professeurs qui ne sont pas remplacés.

Le programme de technologie éducative est fondé en 1976 à l’Université Laval. À l’origine, les premiers professeurs, Philippe Marton et Bernard Lachance, étaient de tradition française (École normale supérieure de Saint-Cloud), tandis que ceux qui allaient suivre, comme Robert Brien et Jean-Pierre Fournier, étaient surtout formés en Amérique du Nord et d’influence behaviorale (Florida State University et Université de Montréal). Des années 1980 au début des années 1990, le programme sera réorienté vers des approches issues du traitement de l’information. Des années 1990 à aujourd’hui, le programme sera surtout inspiré par les théories constructivistes de l’apprentissage. Durant les années 1980 et 1990, des efforts sont faits par Fournier, alors directeur des programmes, pour adapter la maîtrise aux besoins de l'industrie et du marché du travail. « My role, as director of programs during eight years, was to adapt the master’s program to the evolution of the labour market. The CIPTE [Comité interinstitutionnel pour le Progrès de la Technologie Éducative] and the ADATE [Association pour le développement et l'application de la technologie en éducation] were the connexions with the labour market » (Fournier cité par Luppicini, 2007, p. 70). C'est avec cet objectif qu’une tentative de professionnalisation du métier sera faite. Cependant, en 1991, l’Office des professions du Québec refusera la proposition. Pour l’Office, il n’était pas possible que la technologie éducative, une spécialité issue de la profession enseignante, soit reconnue comme une profession puisque l’enseignement n’est pas reconnu

comme tel. Le début des années 90 marque aussi un certain déclin du département de technologie éducative. À son apogée, le département qui comptait près de douze professeurs sera fortement atteint par des départs à la retraite, des coupures gouvernementales ainsi que la fusion du département (Luppicini, 2007).

À l’Université de Montréal, le programme de maîtrise en technologie éducationnelle est créé en 1976. Selon Viens (Luppicini, 2007), l’Université de Montréal offrait un programme très éclectique :

What was unique about the University of Montreal programs was that they were very eclectic, mixed, and had a systemic orientation to technology integration. We had professors with academic backgrounds in cinema, semiotics, linguistics, and communications. Some individuals were working on message design and were more designers than academics with scientific approach. There were also professors with a specific educational technology focus like Doctor Stolovitch from Indiana University and Doctor Perusse (Luppicini, 2007, p. 84‑85).

Des années 1970 aux années 1980, la philosophie du programme incorporait le design instructionnel ainsi que des approches basées sur la technologie de la performance humaine. La systémique7, des années 1990 à

2001, va s’ajouter aux deux approches que sont le design et la technologie de la performance humaine. Pour Viens, ces dernières approches adoptées par le programme confirment que les influences américaines supplantent les influences européennes telles que la sémiotique et le cinéma (Luppicini, 2007). Après les coupures du gouvernement provincial et les départs à la retraite des années 1990, le programme est abandonné en 2001.

Un bilan de ce panorama rapide des universités québécoises qui offraient des programmes de technologie éducative aux cycles supérieurs nous permet de faire trois constats. Le premier constat est en lien avec les difficultés rencontrées par les programmes. Les restrictions budgétaires en éducation et les départs à la retraite ont eu pour résultat une diminution marquée du corps professoral et même de l’abandon du programme pour l’Université de Montréal. Le deuxième constat porte sur l’évolution de la philosophie des programmes. Malgré l’apport de certains courants d’origine européenne comme la sémiotique, c’est surtout ceux provenant des États-Unis qui seront dominants. Le behaviorisme, la cybernétique, le cognitivisme, le design instructionnel, la technologie de la performance humaine et la systémique ne sont que quelques exemples des courants étatsuniens. Le troisième constat est en lien avec les deux premiers. Le constructivisme fait son apparition en technologie éducative au courant des années 1990. Le constructivisme,

7 Pour Durand (2010), la systémique est une méthode qui remet en cause le rationalisme hérité d’Aristote afin de nous

comme nous allons le voir, ouvre de nouvelles perspectives en technologie éducative. Cependant, cet apport théorique coïncide avec une baisse drastique du corps professoral au Québec.

L’arrivée du constructivisme peut sembler aller de soi dans ce court panorama de la technologie éducative au Québec. Cependant, dans un contexte beaucoup plus large va prendre place, au courant des années 1990, une réflexion philosophique sur le domaine de la technologie éducative. De nouvelles théories, en même temps que de nouveaux chercheurs-professeurs, tentent d’enrichir le domaine. Ce qui est surtout remis en cause, ce sont les fondements positivistes de la technologie éducative. En ce sens, nous assisterons à un épisode de la « guerre des paradigmes » (Gage, 1989) en technologie éducative.