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Le RTFface au SIDA: des décisions sous contrainte

38 pour ce dernier produit, c'est certes une position éthique qui empêche le Pr Streiff d'immuniser des donneurs ; mais elle ne l'empêche pas de commercialiser des immunoglobulines d'une concentration inférieure à toutes les normes existantes, problème purement «psychologique JI>aux yeux du Pr Ducos.

Le précédent américain: pas de preuves, mais des mesures de prudence ... très prudentes

On a vu que les données scientifiques relatives au risque de transmission par transfusion san- guine (pour les autres receveurs que les hémophiles) sont particulièrement réduites. Fin 1982, le CDC n'a signalé qu'un cas

«possible

», qui fait l'objet d'une publication en avril 1983. Sur les 5 autres cas en cours d'examen annoncés à la réunion qu'il organise le

4

janvier, seul un sera publié, en novembre 1983. Au cours de l'année, l'écart apparaît croissant entre le nombre de cas présentés comme

«associés

à

des transfusions»

par le CDC et le nombre de cas publiés dans la littérature scientifique. Le CDC associe

à

la transfusion tout cas n'entrant pas dans les autres catégories dites « à risque» et ayant subi une transfusion dans les 5 années précédant l'apparition de la maladie. Sur deux des 3 cas publiés dans des revues scientifi- ques39, les auteurs ne savent pas si les donneurs impliqués dans les transfusions ont ultérieu-

rement développé un SIDA.

Au vu de l'étroitesse des bases scientifiques sur lesquelles se fonde le CDC pour insister sur les risques de transmission par le sang et les dérivés sanguins et appeler à des mesures pré- ventives, le système transfusionnel américain ne peut que manifester de fortes réticences : ne vient-il pas, en dépit de données bien plus établies, de refuser de recommander un dépistage systématique des ALT pour diminuer le risque de transmission de l'hépatite non-A non-B? De surcroît, le CDC s'immisce en quelque sorte dans les relations établies entre la FDA, les organismes de transfusion et les industriels du fractionnement, alors que le précédent de la fausse alerte lancée en 1976 ne peut que nuire

à

sa crédibilité du CDC : on peut aisément le soupçonner de dramatiser indûment la situation en matière de transmission par le sang40. Face à l'activisme du CDC, les premières recommandations des organismes de transfusion sont particulièrement prudentes: elles insistent

à

plusieurs reprises sur l'absence de preuve de transmission du SIDA par le sang. De façon peu surprenante, le dépistage de l'anti-HBc, pro- posé par le CDC sur la base de données non publiées, est refusé en raison de son coût et de son impact sur la collecte: on estime que près de 5% des donneurs américains sont porteurs de cet anticorps.

Les modalités de la sélection des donneurs à risque font débat: à l'information préalable du donneur par voie documentaire s'oppose l'interrogatoire direct de ce dernier par l'équipe de

39 deux cas auparavant signalés par le CDC (dont le nourrisson), un cas français.

40 Le CDC a été à l'origine d'un important scandale de santé publique en 1976. Venant d'identifier un nou- veau virus grippal, proche de celui de la grippe espagnole ayant tué 450000 personnes en 1918-1919, et craignant qu'une épidémie tue un million d'Américains, le CDC a fermement recommandé le lancement un programme de vaccination massif de la population. Le président Ford décide de suivre cet avis, et demande au Congrès de consacrer 135 M$ à une campagne de vaccination préventive. En dépit des doutes émis par des scientifiques et des responsables de la santé publique, la campagne est lancée début octobre. Le vaccin s'avère très vite provoquer quelques effets secondaires mortels. En dépit des explications du directeur du CDC selon lequel «parmi les personnes de 70à 74 ans, on doit s'attendre à10à 12 décès pour 100 000 vaccinations»,la campagne est progressivement interrompue. (Dab, 1993)

collecte. Ce dernier imposerait un face à face éventuellement délicat au personnel de la trans- fusion, auquel l'information par voie écrite permet d'échapper. Les organismes de transfusion jugent inappropriées des questions sur les préférences sexuelles des donneurs et conseillent de

s'intéresser aux signes cliniques susceptibles d'être liés au SIDA dans l'interrogatoire du don- neur. Seule la NHF se montre plus résolue: elle appelle les producteurs de concentrés

à

iden- tifier, par des questions directes, les donneurs à risque, et notamment les homosexuels, ce qui suscite des protestations de la communauté homosexuelle. La FDA adopte un compromise: elle recommande que l'information du donneur, préalablement au don, mentionne explicite- ment les catégories à risque.

En France: un état des lieux rassurant, mais une presse alarmiste

Dès le début 1983, la presse évoque l'existence de cas de SIDA transmis par transfusion, dont celui du Français transfusé à Haïti. Elle est bien informée, dispose souvent des dernières don- nées publiées41. Cependant, certaines affirmations sur le risque de transmission par transfu- sion sanguine reprennent les interprétations «alarmistes» du CDC. Ainsi AM Casteret pré- sente-t-elle comme acquises de nombreuses hypothèses non prouvées et encore très largement discutées: transmission par voie sanguine, existence de porteurs sains, longue durée d'incubation.

Devant l'apparition de la maladie, le réseau transfusionnel français a réagi dès le début de l'année en lançant une étude sur l'impact du SIDA sur la transfusion sanguine. Dans l'attente des résultats de cette étude menée par le Dr Habibi, les représentants du RTF n'évoquent pas le sujet

à

la CCTS.

Les données présentées par le rapport du Dr Habibi sont complètes au regard de l'état des connaissances du moment. En revanche, leur interprétation est rassurante : le cas du Français transfusé

à

Haïti est présenté comme une coïncidence, les donneurs impliqués n'ayant pas de signe clinique de SIDA42. Le nombre de cas de SIDA post-transfusionnel en France est donc ramené

à

0, ce qui conduit

à

conclure que le risque de transmission du SIDA par transfusion en France «ne repose sur aucune donnée tangible».

L'interprétation de ce cas (le second publié dans la presse scientifique) est cruciale moins pour la transfusion française (qui ne peut être impliquée par du sang collecté à Haïti) que pour la transfusion en général. Le cas du nourrisson de San Francisco n'est probant qu'en appa- rence : si un donneur ayant ultérieurement développé un SIDA est impliqué, le bébé a été très

41 Le cas du Français transfusé n'est publié qu'en mai, la presse française en parle fin janvier. Libération relève la forte prévalence des cas de SIDA dans les prisons new-yorkaises, notant de surcroît que le sys- tème de catégorisation adopté par le CDC ne met pas en valeur leur existence. Le quotidien est ainsi plus précis que le BEH français. Enfin, au moins un quotidien national a reçu copie du rapport du Dr Habibi.

42 La transfusion a eu lieu 4 ans avant l'apparition du SIDA chez le receveurs. Les auteurs signalant le cas évoquent une longue durée d'incubation.

massivement transfusé, et l'immunité d'un nouveau-né est encore très fragile. Le Français est un adulte, et n'a subi qu'une transfusion ordinaire. Mais pour considérer que ce cas illustre le risque de transmission du SIDA par voie sanguine, il faut faire l'hypothèse que le SIDA puisse avoir une durée d'incubation de l'ordre de 4 ans, tant chez le receveur que chez les donneurs; c'est à dire adopter une vision très dynamique de cette maladie encore très mysté- neuse.

S'agissant des hémophiles, 6 cas suspects ont été identifiés,

dont certains n'ont été traités

qu'avec des produits français,

ce qui pourrait remettre en cause la conclusion précédente sur l'absence de données relatives à une transmission du SIDA en France. Mais le rapport estime que le lien de leurs symptômes cliniques et biologiques avec le SIDA n'est pas établi. S'agissant des anomalies immunocellulaires que présentent certains hémophiles, le rapport évoque 1'hypothèse des stimulations transfusionnelles répétées.

On peut penser que la classification des cas comme seulement

«suspects»

repose sur une définition bien stricte du

«SIDA authentique»

et sollicite quelque peu les données, particu- lièrement celui de 1'hémophile B, qui sera considéré comme un cas de SIDA dès le mois de juillet. Le rapport adopte là une vision particulièrement statique de la maladie. Mais ce cas est très perturbant pour le RTF, car cet hémophile n'a utilisé, précise le rapport, qu'un produit bien français, le PPSB ; cela met à mal l'argumentaire traditionnel concernant la plus grande sécurité des produits français, et la proposition de réduire les importations de concentrés43•

En tout état de cause, les pressions extérieures obligent le réseau à prendre rapidement posi- tion. La presse met en cause les plasmas américains, qui servent à produire les concentrés importés et le vaccin Hévac B. AM Casteret appelle à l'interruption des importations de concentrés, s'interroge sur l'utilisation des vaccins issus de plasma américains; elle interpelle aussi la SNTS à propos de la sélection des donneurs à risques.

Le RTFface aux cc donneurs à risque » : informer ou interroger?

Anticipant sur les mesures à venir, et s'inspirant des recommandations de la FDA, le CNTS (où travaille le Dr Habibi) met en place un questionnaire direct des donneurs, interrompt les collectes en prison, et demande aux producteurs étrangers de concentrés de garantir qu'ils prennent des précautions. Le questionnaire est envoyé pour information aux instances natio- nales de la transfusion, mais l'arrêt des collectes carcérales, s'il entraîne l'interruption de cel- les de l'Assistance Publique à la Santé, ne fait l'objet d'aucune information de la

cers,

pas plus d'ailleurs que les doutes du

crs

de Versailles.

43 On peut imaginer le soulagement du CNTS lorsqu'une analyse approfondie du cas fait apparaître à l'automne une injection de produits Immuno, ce qui laisse ouverte la possibilité de contamination par ce produit.

S'agissant des mesures de prévention envisageables, le rapport du Dr Habibi est exhaustif:

n

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