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L'hépatite chez l'hémophile: des données finalement rassurantes

À en juger par les publications de médecins d'hémophiles étrangers, les hépatites, y compris l'hépatite non-A non-B, sont désormais considérées comme un effet secondaire très accepta- ble du traitement par les concentrés commerciaux au regard de la transformation de leurs conditions de vie qu'ils ont permise. Cet effet secondaire, considéré comme relativement bé- nin lorsqu'il ne s'agissait que de l'hépatite B, apparaît certes plus inquiétant depuis qu'ont été mises en évidence les hépatites non-A non-B; mais ses manifestations sont discrètes et de nombreuses incertitudes subsistent, notamment sur ses effets à long terme.

Au début des années 1980, les affections hépatiques des hémophiles demeurent peu visibles. En dehors de quelques hépatites non-A non-B aiguës, leurs manifestations sont essentielle- ment

biologiques:

des élévations durables des taux de transaminases11• Certes, lorsqu'elles

sont effectuées, les biopsies montrent que l'absence de symptômes cliniques peut s'accompagner de formes évolutives et donc graves d'hépatites. Mais le prélèvement de tissus comporte un risque non négligeable pour l'hémophile, et n'est donc qu'exceptionnellement effectué. Enfin, élément rassurant, l'hépatite n'apparaît quasiment pas parmi les causes identi- fiées de mortalité des hémophiles suivis.

Parmi les médecins traitants favorables au traitement par les concentrés, le Pr Mannucci est l'un des premiers à s'être inquiété de l'impact de l'hépatite non-A non-B, et il a procédé à des biopsies dont les résultats (hépatites chroniques actives et cirrhoses) lui apparurent pertur- bants en 1978.

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avait cependant jugé à l'époque que l'histoire naturelle de l'hépatite chroni- que active étant inconnue, on ne pouvait exclure une évolution bénigne; il était donc demeuré

11 En l'absence de marqueur spécifique de l'hépatite non-A non-B, l'élévation durable des transaminases est une preuve indirecte d'un dysfonctionnement hépatique, qui sera attribué à l'hépatite non-A non-B lorsque aucun au- tre virus ne peut être impliqué. Ni le niveau de l'élévation des enzymes hépatiques, ni sa durée ne font l'objet d'une standardisation.

favorable à l'emploi des concentrés. Lorsqu'il effectue de nouvelles biopsies quelques années plus tard et constate la résorption ou la stabilisation des lésions, il peut annoncer fm 1982 que le pari alors fait a été validé. L'inquiétude que pouvaient susciter les marqueurs biolo- giques de l'hépatite s'avère non fondée.

Fin 1982, les données publiées les plus récentes montrent que de 30% à 51 % des hémophiles traités avec des concentrés commerciaux et de 2% à 32% de ceux traités avec des produits issus de donneurs bénévoles ont des transaminases durablement perturbées; et les biopsies effectuées laissent penser que de 15% à 20% des patients présentant ces anomalies sont at- teints d'une forme évolutive de l'hépatite. L'opinion de membres réputés de la communauté internationale des médecins d'hémophiles (Dr Aledort, Dr Levine, Pr Mannucci) est que l'hépatite non-A non-B chez l'hémophile est une affection assez générale et relativement bé- nigne, dont les manifestations sont essentiellement biologiques. Non liée au produit employé pour le traitement, elle ne justifie en aucune façon une modification des pratiques thérapeuti- ques modernes permises par les concentrés que les firmes commerciales demeurent les seules à pouvoir fournir en quantité suffisante.

Cette opinion dominante est le résultat d'un processus d'interprétation et de réduction de l'ambiguïté des données observées, dont l'objectif principal est de défendre l'utilisation des concentrés commerciaux.

D'une part, elle clôt le débat plus ou moins explicite pour savoir si

1'hépatite représente un

effet secondaire d'un produit particulier, le concentré commercial issu de pools de donneurs rémunérés, ou du traitement transfusionnel en lui-même, quel que soit le produit et l'origine de la matière première. Les données publiées font généralement apparaître que le risque est plus élevé avec les concentrés qu'avec les autres produits, mais que ces derniers ne sont pas exempts de tous risque, au contraire12• Ce débat est loin d'être anodin: comme le «traitement

transfusionnel » de

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'hémophilie ne saurait être remis en cause,

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est important pour les promoteurs des concentrés de montrer que ces produits ne sont pas plus risqués que les autres, particulièrement si l'on tient compte de la durée ou de l'intensité du traitement.

D'autre part, cette opinion très générale repose sur une homogénéisation des situations et des démarches thérapeutiques, regroupées sous l'appellation générale de «traitement transfusion- nel de l'hémophilie». Or, cette notion est devenue très ambiguë au fur et à mesure de la di- versification des modalités du traitement des hémophiles: traitement d'une hémorragie, cou- verture des opérations chirurgicales et orthopédiques, traitement à la demande (précoce, dès les premiers indices de

1'hémorragie, voire au moindre doute), et enfin traitement préventif

(prophylactique) éliminant toute hémorragie. Ce traitement peut en outre intervenir en milieu

12 En Australie, selon Rickard & al., 1983a, on utilise l'argument du risque hépatique pour justifier le refus

d'importer des concentrés commerciaux. Puisque l'usage des produits issus du sang bénévole entraîne aussi des hépatites non A non B, ce refus ne se justifie pas.

hospitalier, à domicile, sur le lieu de travail ou au cours d'un déplacement. Enfm, on distin- gue différents degrés d'hémophilie, sévère, modérée ou légère; sans compter le cas des por- teurs d'anticoagulants circulants. On peut ainsi différencier plusieurs situations thérapeuti- ques : pour certaines, les impératifs médicaux dominent et peuvent même engager le pronos- tic vital de l'hémophile (hémorragie, notamment chez un porteur d'inhibiteur, opération chi- rurgicale); d'autres résultent davantage du choix de «mode de vie» fait par des hémophiles disposant désormais d'une plus grande latitude de choix (déplacements professionnels, voya- ges d'agrément, pratique du sport) - sous réserve de la disponibilité d'une structure de soins et des produits adaptés à ces choix, qui n'est pas acquise dans de nombreux pays ou dans tou- tes les régions des pays les plus favorisés.

Dans ces conditions, le concentré, s'il est toujours plus pratique13, apparaît cependant plus ou

moins médicalement indispensable. Certains estiment que l'avantage du concentré excède le risque pour les opérations chirurgicales et orthopédiques, ou qu'il est préférable de recourir

à

des produits non poolés, moins risqués, pour les traitements en milieu hospitalier, les hémo- philes légers, les jeunes enfants. D'autres évoquent le traitement

à

domicile, ou de façon en- core plus générale le « mode de vie» des hémophiles.

Toutes ces ambiguïtés sont réduites par les promoteurs des concentrés, qui construisent une équivalence stricte, présenté comme une évidence: c'est le traitement transfusionnel

à base

de concentrés

qui a permis l'augmentation de l'espérance de vie des hémophiles, et cet effet bénéfique dépasse largement

tous

les effets secondaires de ce traitement. Pour les promoteurs de la prophylaxie, ultime étape dans le traitement substitutif, cette équivalence se décline sous une autre forme : le traitement

intensif et pe171Ulnent

de l'hémophile améliore sa qualité de vie et le libère de sa maladie, et seuls les concentrés permettent ce type de traitement.

La perception du risque est suffisamment faible pour qu'aux États-Unis, les recherches sur l'inactivation virale des concentrés ne suscitent guère l'intérêt des conseillers médicaux de la NHF, le Dr Aledort et le Dr Hilgartner: mettre sur le marché un produit à l'efficacité non prouvéel4, mais qui aurait un rendement moindre et serait plus coûteux, leur parait inutile, et

ne ferait que placer les médecins traitants dans l'embarras.

L'année 1983 voit cependant se développer les recherches sur les méthodes d'inactivation virale, alors qu'Hyland lance l'Hémophil T. Les rares résultats publiés le sont présentés sous forme de communication, avec l'emploi du conditionnel quant à l'effet sur l'hépatite non-A

13 du point de vue médical (standardisation, concentration) et matériel (encombrement, stockage, mode et durée d'injection)

14 et dont l'efficacité sera difficile à prouver puisqu'on ne dispose pas de marqueur spécifique de l'hépatite non-A non-B.

non-B, et sans mention d'un quelconque effet sur l'agent supposé du SIDA15. Seuls quelques papiers de médecins d'hémophiles mentionnent les concentrés inactivés: White & Lesesne signalent qu'on a rapporté que les concentrés chauffés réduisaient grandement le risque d'hépatite; Carnelli, très sensible au risque d'hépatite16, les utilise pour 5 enfants; Jones, dans son éditorial de décembre note que l'on a observé des élévations des transaminases après leur utilisation et que leur emploi pourrait doubler le coût du traitement des hémophiles bri- tanniques. La FMH ne mentionne d'ailleurs pas ces produits dans la résolution finale de son congrès.

À

propos du risque que représentent

1

'hépatite pour les hémophiles, deux opinions opposées sont émises fin

1983:

des médecins britanniques estiment qu'il s'agit bien d'un problème surestimé; au contraire, dans une communication, une équipe de Pittsburgh trouve des taux de lésions évolutives et d'aggravation de ces lésions très supérieurs à ceux de Mannucci, et considère que l'hépatite évolutive,

«en plus du SIDA, demeure une menace significative, si

moins dramatique

». Mais cette communication ne fera pas l'objet d'une publication ulté- rieure.

Les concentrés et le SIDA : incertitude scientifique et stratégies rhétoriques de ré- duction de l'ambiguïté

Dès qu'il est informé de l'existence de 3 cas de pneumocystose chez des hémophiles fré- quemment traités avec des concentrés, le CDC évoque l'hypothèse d'une transmission par ces produits. Le programme de surveillance immédiatement mis en place avec la NHF va faire apparaître d'une part de nouveaux cas de SIDA, et d'autre part l'existence d'anomalies im- munocellulaires diverses chez des hémophiles en bonne santé, analogues à celles observées à la fois chez les malades du SIDA et chez des homosexuels en bonne santé. Sur quelques pe- tits échantillons testés, il apparaît qu'elles sont plus fréquentes chez les patients traités avec des concentrés que chez ceux traités avec des cryoprécipités.

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