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L'année 1983 apparaît ainsi comme doublement positive pour l'AFH : elle a écarté la menace de voir le SIDA perturber la démarche thérapeutique à base de concentrés qu'elle promeut, et elle a enfin réussi à se faire entendre du RTF, ce qui lui permet de rétablir avec lui des rap- ports beaucoup moins conflictuels que depuis 1976, date du lancement de la stratégie agres- sive qui vient d'être couronnée de succès.

Le SIDA demeure cependant une zone d'incertitude majeure pour l'AFH. Les informations alarmistes que peut à tout moment diffuser la grande presse risquent d'inquiéter les hémophi- les et de renforcer les arguments des médecins peu favorables à la prophylaxie ou à un usage intensif des concentrés poolés. La médiatisaton de cette maladie mystérieuse et inquiétante menace de rompre le quasi-monopole qu'elle exerce en matière d'information sur les hémo- philes.

Ces craintes à l'égard de la presse sont d'ailleurs fondées: à l'occasion du scandale de

1'Hévac B, les journaux décrivent abondamment les risques que présentent les plasmas améri-

cains ; certains mentionnent les risques pour les hémophiles, les responsables de la transfu- sion insistent sur la plus grande sécurité du don bénévole français. En août, Le Monde signale qu'un hémophile français est atteint du SIDA.

Cet hémophile est

1

'hémophile B suivi à

1

'hôpital Necker par le Dr Gazengel. Sa contamina- tion est antérieure à 1981, et il n'a utilisé que des PPSB français, à l'exception de deux injec- tions de concentrés Immuno en 1980. Ce cas ne permet pas d'incriminer une source ou l'autre de concentrés, mais pourrait renforcer les inquiétudes sur les concentrés en géné- ral. L'hypothèse émise par l'AFH, selon laquelle il s'agirait d'un hémophile haïtien, serait bien rassurante : ce cas étant rangé dans une catégorie à risque différente permettrait de conti- nuer à dire qu'aucun hémophile français n'est atteint du SIDA31 ...

L'attitude de l'AFH et des médecins français défendant le traitement par les concentrés n'est pas isolée. Ainsi que le note avec satisfaction le Pr Larrieu à l'automne, la Fédération mon- diale a diffusé la motion de l'AFH et affirmé qu'en l'absence de preuve suffisante, le traite- ment des hémophiles devait être poursuivi avec les produits existants.

Cependant, l' AFH et les médecins promoteurs de la prophylaxie se distinguent sur un point: le traitement des jeunes hémophiles. Aux États-Unis, la NHF, très tôt associée au suivi épi- démiologique du CDC, a recommandé en janvier 1983 de ne pas modifier le traitement des hémophiles majeurs mais a préconisé l'emploi des cryoprécipités chez les nouveaux-nés, les

31 Cet épisode peut laisser penser que les médecins traitants n'informent pas toujours parfaitement les respon- sables de l' AFH : le Dr Gazengel était pourtant bien placée pour détromper l' AFH à propos de ce premier cas français, le malade étant son patient ...

enfants de moins de 4 ans et les hémophiles vierges32• En Grande-Bretagne, si le Dr Jones

défend les concentrés et note avec satisfaction que la plupart des centres continuent

à

les em- ployer, il juge cependant raisonnable de traiter les très jeunes hémophiles sévères avec des cryoprécipités. En France, la généralisation de la prophylaxie telle que la recommande l' AFH et la pratiquent les Drs Gazengel et Sultan commence par les très jeunes enfants, à partir de 2 ans33•

LE RÉSEAU TRANSFUSIONNEL: NÉGOCIER AVEC L'AFH UN RYTHME DE

CROISSANCE DE LA PRODUCTION

Un réseau touiours hétérogène sous une pression croissante Les importations, un indicateur stratégique qui passe au rouge

Au début des années 1980, le RTF est clairement sous pression, alors que la situation écono- mique générale de la France, et particulièrement son commerce extérieur, s'aggrave: en 1982, le franc est dévalué de 10%, le déficit commercial atteint 100 GF, ce qui conduit le gouvernement à lancer un plan de reconquête du marché intérieur.

Si,

à

la fm des années 1970, le débat devenait de plus en plus vif entre le RTF et l'AFH, il n'y avait pas encore de traduction très notable de l'incapacité du réseau à satisfaire les hémophi- les : le niveau des importations demeurait relativement faible,

à

10% de la consommation apparente34•

En 1981, cet indicateur passe au rouge: les importations triplent presque,

pour représenter 25% de la consommation apparente. Cette croissance des importations est due à une forte augmentation des prescription de concentrés par les médecins traitants, qui développent le recours à des thérapeutiques plus consommatrices de produits (traitement de Bonn sur des patients

à

inhibiteurs, expériences de prophylaxie).

L'incapacité du RTF désormais manifeste et coûteuse en devises à assurer l'autosuffisance nationale suscite des réactions de plus en plus vives du ministère. Dès sa première participa- tion à la

cers,

le Pr Roux indique que la fin des importations est le problème prioritaire à

résoudre. Lorsque Gamma TS annonce qu'il souhaite importer du plasma antitétanique, le ministère s'y oppose et organise vigoureusement au cours de l'année 1982 des réunions de mobilisation des ETS pour augmenter la collecte de plasma

S'agissant des concentrés, le CNTS se voit confier début 1982 le monopole de leur importa- tion. Afin d'améliorer la coopération des ETS non fractionneurs, le plasma dépourvu de cryo-

32 Ce souci de préserver les jeunes enfants est ancien; certains promoteurs des concentrés, comme le Pr Mannucci, faisaient aussi cette recommandation vis à vis de l'hépatite non-A non-B. Et plusieurs médecins d'hémophiles, y compris un défenseur des concentrés comme le Dr Levine, ont suggéré cette approche au regard du risque de SIDA

33 On notera cependant qu'en juillet, le Pr Carnelli, qui fait l'hypothèse que les hépatites ont un effet sur le statut immunologique des hémophiles, estime qu'il n'y a pas de raison de changer le mode de traitement des jeunes hémophiles sévères. Mais il recommande parallèlement l'emploi de concentrés chauffés.

protéines est enfin inscrit àla liste des produits sanguins et les ETS sont incités à améliorer le volume et la qualité de leurs cryoprécipités. Le CNTS lance en 1982 un important programme de modernisation de ses installations de fractionnement et en restructure l'organisation. Lille augmente sa production, ainsi que, à une moindre échelle, Bordeaux et Strasbourg. Des expé- riences sont tentées pour remplacer, dans le traitement des hémophiles avec inhibiteurs, les produits importés par du PPSB national.

L'air du temps en 1980-1981 est

à

la restructuration du réseau. Cependant, le changement de majorité politique à la mi 1981, puis le départ de Mlle Mamelet fin 1982 de la sous-direction de l'organisation des soins médicaux de la DOS lui donnent un certain répit sur ce front, d'autant plus que Mme Laroque ne reste qu'un an à ce poste.

Une nouvelle source de menace émerge progressivement: celle des biotechnologies, qui connaissent un grand développement. Pour certains produits, et notamment les réactifs, il sera désormais possible de s'affranchir de l'origine humaine des produits; le RTF, qui subit déjà une concurrence illégale de la part de l'industrie privée, sera alors confronté à une concur- rence tout à fait légale.

La sécurité et la qualité des produits: le poids du paradigme

S'agissant de l'agenda plus routinier du réseau, on constate la permanence de certains ré- flexes du RTF : le manque d'intérêt pour les maladies transmissibles par transfusion et pour l'amélioration de la qualité des produits et des procédés dans l'ensemble des ETS composant le réseau.

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