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Des anomalies immunologiques trop générales pour incriminer les concentrés

Au début de l'année 1983, nombre de médecins effectuent des bilans immunologiques de leurs patients. On découvre rapidement que ces anomalies sont fréquentes (entre 45% et 88%), et qu'elles touchent aussi les patients traités avec des cryoprécipités issus de donneurs «locaux» et bénévoles18, aux États-Unis, en Australie, et dans plusieurs pays européens;

elles ne paraissent pas non plus liées à l'intensité du traitement. Les explications avancées pour expliquer ces résultats sont nombreuses ; presque toutes vont à l'encontre de l'hypothèse

de la transmission d'un agent par les concentrés poolés commerciaux. En revanche, les pu- blications de membres du CDC, si elles reconnaissent l'incertitude entourant l'étiologie du SIDA, insistent sur la similarité des données concernant les hémophiles et les homosexuels et la longue période de latence de la maladie, qui ne permet pas de connaître son étendue réelle chez les hémophiles.

Une grande incertitude entoure la signification de ces données, reflet des incertitudes sur le SIDA et son étiologie: on ne sait pas ce qui provoque ces anomalies immunologiques, et on ne connaît pas le lien entre ces anomalies et le SIDA; tout au plus a-t-on observé qu'elles sont présentes chez les malades du SIDA, qui souffrent d'une perte de leur immunité, et chez une forte proportion d'homosexuels, population qui constitue l'essentiel des cas de SIDA. De plus, les bilans lymphocytaires n'ont jamais été faits jusqu'à présent, et on ne dis-

17 Même les auteurs de l'un des articles sur lequel elle s'appuie reconnaissant en mai que leurs résultats ne sont pas la preuve de la plus grande sûreté des cryoprécipités, et des médecins prescrivant des cryoprécipités estiment qu'il est prématuré de modifier le traitement, certains hémophiles traités avec ces produits présentant eux aussi des anomalies lymphocytaires. En fait, on ne trouve aucun article soutenant la position de Desforges.

18 S'agissant de la nature des produits, les articles se contentent en général de mentionner les« cryoprécipités ».Or, cette appellation peut aussi bien recouvrir des cryocollgelés unitaires, issus d'un seul donneur, que des cryolyo-

phÜisés, issus du fractionnement de pools pouvant atteindre plusieurs centaines de donneurs (c'est le cas en Bel-

gique et en France). Aux États-Unis, le fractionnement étant uniquement assuré par les firmes commerciales, les « cryoprécipités »sont a priori des produits congelés, unitaires ou issus de faloles nombres de donneurs.

pose donc pas de référence chez les hémophiles. Quelques auteurs remettent en cause la no- tion même

d'anomalie:

une diminution du ratio T4ffS serait la réponse normale de l'organisme aux injections répétées; les hémophiles étant rarement victimes d'infections, leur immunité

réelle

pourrait ne pas être affectée.

Pour plusieurs médecins, les concentrés commerciaux et le SIDA peuvent difficilement être incriminés dans l'origine des anomalies puisqu'on en constate chez les utilisateurs de cryo- précipités fabriqués dans des pays où le SIDA n'est pas présent (Écosse, Suède, Australie). Du point de vue épidémiologique, même si l'on tient compte d'une grande latence de la ma- ladie depuis l'introduction des concentrés dans les années 1970, on devrait observer beaucoup plus de cas de SIDA aux États-Unis et en RFA, gros consommateurs de concentrés. De plus, les hémophiles ayant reçu des produits d'un même lot que ceux des malades du SIDA demeu- rent bien portants. Levine rappelle que l'introduction des concentrés avait suscité de fortes craintes à propos de l'hépatite, mais que ses travaux ont montré qu'en fait, il n'y avait pas plus de risques que pour les cryoprécipités, sauf pour les hémophiles très peu traités.

Une hypothèse générale est que les injections répétées liées au traitement, d'éventuelles infec- tions par des virus tels que le CMV ou l'EBV ou ceux de 1'hépatite, voire les caractéristiques du processus de production des concentrés sont

à

l'origine d'une diminution de l'immunité cellulaire des hémophiles; ces derniers présentent d'ailleurs souvent des perturbations biolo- giques non spécifiques. En tout état de cause, un autre facteur serait nécessaire pour que cette immunodépression débouche sur un SIDA19.

On ne compte guère que deux publications qui jugent crédible l'hypothèse d'un agent trans- missible : DeShazo & al. font référence au cas du nouveau-né transfusé ; quant à Tsoukas, il estime que pour renforcer cette hypothèse, il faudrait vérifier la situation des utilisateurs de cryoprécipités sur le long terme, puisque ces produits transmettent 1'hépatite. Son raisonne- ment illustre bien le décalage de la recommandation de Desforges par rapport aux médecins d'hémophiles.

Le consensus qui se dégage des discussions autour des données brutes est bien

l'abstention

de toute modification d'envergure de la thérapeutique

des hémophiles, et plus précisé-

ment la poursuite de l'utilisation des concentrés,

sauf peut-être chez les jeunes enfants et les hémophiles vierges. En décembre, l'éditorial de Jones, spécialiste britannique, résume assez bien ce sentiment.

Ce souci de préserver la légitimité des concentrés amène la NHF en mai, l'association britan- nique des hémophiles à l'automne à appeler les hémophiles à ne pas modifier leur traitement en raison de craintes injustifiées sur le SIDA, que renforcent le sensationnalisme de la presse

19 facteur qui ne serait pas présent dans le sang des donneurs bénévoles selon Rickard (1983b), qui a pourtant cons- taté quelques mois auparavant que ces donneurs transmettaient bien l'hépatite non-A non-B, et en tire argument pour réclamer l'importation de concentrés en Australie.

et quelques rappels de produits. fi va même conduire le Dr Aledort à s'opposer, à titre per- sonnel, à ce que la FDA prescrive le retrait systématique de lots de concentrés supposés contaminés par un donneur ayant développé un SIDA.

Le

SIDA,

une

maladie

très rare

provoquée par

une susceptibilité

individuelle

très

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