• Aucun résultat trouvé

Le peu de manuels utilisés par les séminaristes

3 Les mêmes chefs d’établissements ne devraient présenter pour la Théologie que ceux qui, avec ces dispositions, ont fait paraître en philosophie une capacité propre à les

2.7. Le peu de manuels utilisés par les séminaristes

Les futurs prêtres doivent posséder quelques livres à leur entrée au séminaire. Dans le diocèse de Coutances, une liste figure dans le règlement de l‟établissement de 17133. Elle mentionne « un bréviaire du diocèse, une Bible (ou du moins un Nouveau Testament), un catéchisme du Concile de Trente, la Medulla theologica4 d‟Abelly (les deux tomes) pour la theologie scholastique, les deux tomes de Bonal5 pour la théologie morale, et quelque autre livre sur les matières ecclesiastiques pour la lecture spirituelle qui se doit faire tous les jours,

1 Pierre TUCOO-CHALA (s.d.r.), Histoire de Pau, Toulouse, Privat, 1989, 317 p.

2 Michel DERLANGE, « Curés de campagne d‟Ancien Régime. Le cas du diocèse de Vence au XVIIIe siècle », dans Le clergé rural dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des 13e

journées internationales d‟Histoire de l‟Abbaye de Flaran, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1995, pp. 271-278.

3 Gilles BONNENFANT, Les séminaires normands du XVIe siècle au XVIIIe siècle. Fondation. Organisation. Fonctionnement, Paris, Picard, 1915, in-8, 515 p.

4 Louis ABELLY, Medulla theologica, Paris, Josse, 1662, 2 vol., in-12.

32

surtout les Obligations ecclésiastiques1 et un livre pour apprendre le plain-chant ». Ce

règlement précise qu‟aucun livre ne peut être lu au séminaire ni retenu dans une chambre sans la permission des directeurs et du supérieur. Au total, le nombre de volumes se monte à une dizaine. C‟est à la fois peu mais aussi beaucoup en terme de coût pour un homme jeune issu du peuple. À la sortie du séminaire, ces manuels vont constituer la bibliothèque du jeune prêtre qui aura conservé précieusement par ailleurs son cahier de notes, le « compendium », parsemé de formules latines.

En Savoie, ce qui frappe tout au long de la période, c‟est le faible nombre de livres utilisés par les clercs pendant les cours, mis à part ceux qu‟ils peuvent emprunter à la bibliothèque du séminaire. Un aperçu du nombre et des titres des manuels nous est donné par les professions de foi en quelque sorte que Mgr Rendu imposa de faire aux professeurs du séminaire au début du XIXesiècle. Pour le cours d‟Écriture Sainte, le professeur utilise bien sûr la Bible, mais ne fait allusion à aucun autre traité.

Les livres nécessaires à connaître pour le cours de morale effectué par le Révérend Veyrat-Charvillon sont, on s‟en doute, plus nombreux, mais se caractérisent à la fois par l‟ancienneté de leur édition - un livre édité en 1816 pour un enseignement effectué en 1849 Ŕ mais aussi par un souci d‟ouverture. Le professeur présente son enseignement ainsi :

« 1° Je fais étudier la theologie de Bailly2, mais pour compléter, expliquer, corriger son texte je me sers des grands théologiens catholiques, tels que St Ligorio3, St Thomas4, Suarez5, Sanchez6, Mgr Gousset7, M. Carrière8 ; je consulte aussi le « Cursus completus theologiae édité par M. Migne9.

2° Dans chaque traité, mon enseignement est à la fois expositif, apologétique et pratique. 3° Je m‟applique à le rendre complet dans son objectif, solide, clair - mais en même temps je

fais mes efforts pour qu‟il soit substantiel, aussi court, aussi méthodique que possible. 4° Mon enseignement se donne en latin, cependant il m‟arrive quelquefois de parler français.

5° Je m‟applique à ne pas perdre de vue le grand principe de St Augustin : in necesariis, uni- tas ; in dubiis, libertas ; in omnibus, charitas ».

Le cours de morale repose donc sur l‟étude d‟un manuel principal. Même si les autres livres ne viennent qu‟en complément, ils apportent des nuances. Ainsi, le révérend Veyrat-Charvillon apprécie la morale liguorienne et l‟abbé franc-comtois Gousset qui favorise sa diffusion en France, particulièrement dans le Midi10. Le professeur du séminaire sait le triomphe rapide de cette pastorale qui réduit le délai d‟absolution, rapproche le peuple de la confession et de la communion pascale. Il est donc favorable à une morale moins rigoriste. En cela, la Savoie n‟est pas une exception car elle appartient à l‟aire de diffusion privilégiée du liguorisme qui comprend le Dauphiné, la vallée du Rhône jusqu‟à Marseille, la Lozère, le Languedoc. Le révérend Veyrat-Charvillon contribue à faire de la Savoie un relais pour la diffusion des idées liguoriennes et à instruire un clergé plus en adéquation avec une population soucieuse d‟une discipline plus tolérante et d‟une piété plus extériorisée. Pourtant, vers 1835, encore dans les diocèses de Chambéry, de Tarentaise et de Maurienne, « la masse ne se confessait et ne communiait qu‟à Pâques, et bon nombre passaient plusieurs années sans s‟approcher de la

1

Des obligations ecclésiastiques tirées de l’Ecriture Sainte, des conciles, des décrets des papes et sentimens des Pères de l’Eglise par un docteur de théologie, Paris, Muguet, 1672,

in-12.

2 Ludovic BAILLY, Theologia dogmatica et moralis, ad usum seminariorum, Paris, Gauthier, 1826, 7 vol. In-8.

3 Alphonse de LIGUORI, Œuvres complètes, Paris, Vidal, 1834, 38 vol., in-8.

4 Saint THOMAS D‟AQUIN, Summa theologiae, Paris, Lyon, Pillehotte, 1624, 3 vol., in-8..

5 Francesco SUAREZ, Defensio fidei catholicae et apostolicae, Mayence, Lippius, 1619, in-2.

6 Thomas SANCHEZ, Disputationes de S. Matrimonii sacramento, Antwerpiae, Nutius, 1607, 3 t. en 1 vol.

7 Thomas GOUSSET, Théologie dogmatique ou exposition des preuves de la religion

catholique, Paris, Lecoffre, 1857, 2 vol. in-8.

8 Franciscus CARRIERE, Fidei catholicae digestum singula eius dogmata, Lyon, Anisson, 1657, in-2.

9 Jean-Paul MIGNE, Encyclopédie théologique. Dictionnaire de théologie morale, Paris, Ateliers catholiques du Petit-Montrouge, 1845, 5 vol.

10 Jean GUERBER, Le ralliement du clergé français à la morale liguorienne. L’abbé Gousset et ses précurseurs, 1785-1832, Rome, 1973, Analecta Grégoriana, vol. 193, 378 p.

33

Table sainte »1. De même, Mgr Rey, évêque d‟Annecy et prédicateur reconnu pour animer les retraites ecclésiastiques entre 1815 et 1837 dans des diocèses du Midi, cherche au sein de son diocèse à diffuser les idées de Liguori, mais également celles d‟un autre piémontais, Pallavicino, auteur du Prêtre sanctifié2 en 1827, par le biais d‟un clergé mieux formé.

Les matières enseignées dans les séminaires savoyards sont les mêmes en France qu‟ailleurs. L‟enseignement donné n‟est ici en rien original. Au XVIIIe siècle, les Lazaristes de Tréguier en Bretagne, comme ceux d‟Annecy, ont le souci d‟éviter l‟excès de lecture. Même les professeurs doivent se contenter de connaître deux ouvrages importants pour chaque grand courant spirituel ou théologique, suivant en cela les prescriptions du Supérieur général de la Congrégation de la Mission, Jean Bonnet, qui écrit en 1700 :

« le jeune régent doit considérer saint Thomas comme le plus grand théologien et le plus universellement approuvé dans l’Eglise ».

Saint Thomas reste la base de la formation dogmatique, déjà abordée au collège. Au séminaire, on privilégie l‟apprentissage de la pastorale et la formation morale du clergé. Les articles premiers des règlements des deux précédents séminaires sont les mêmes et le rappellent3. À Niort, sous l‟Ancien Régime4, les lazaristes dirigent aussi le grand séminaire. On sait que les clercs étudient la Théologie de Poîtiers5 composée vers 1708 par Mgr de la Poype de Vertrieux, puis dans la seconde moitié du XIXe siècle, la Théologie du Père Collet6 principalement. Dans le diocèse de Nîmes au XVIIe siècle, les Doctrinaires à qui est confiée la direction du séminaire par Mgr Cohon consacrent une heure par jour à une conférence sur l‟Écriture Sainte, deux heures à la théologie qui doit aborder des éléments « ou du traité des sacrements ou de celui des péchés et des vertus ou d‟autres matières que doivent sçavoir les ecclésiastiques et principalement ceux qui doivent avoir charge d‟âmes »7

. Il s‟agit ici d‟aspects évoqués par le jésuite Tolet8, dont le livre doit être possédé par les séminaristes. En Normandie9, ils étudient, d‟après le règlement du séminaire de Rouen en 1731, le Manuel de Tournely10 principalement et la Theologia speculativa et dogmatica11 du père Antoine, publiée en 1723, s‟intéressant davantage aux questions morales. Le faible nombre d‟ouvrages contribue à faciliter l‟uniformisation de la formation intellectuelle des ordinands, ce dont se réjouissent les professeurs eudistes :

« Par ce moyen tous les prêtres des diocèses de Rouen sont formés et remplis des mêmes sentiments et ont un corps de Théologie qu’ils peuvent consulter sans difficulté »12.

1 Germain PONT, Vie de l’abbé J. M. Favre, fondateur des missions de Savoie, Moûtiers, C.

Ducrey, 1865, p. 28, in-8.

2 Carlo Emanuele PALLA VICINO, Le Prêtre sanctifié par la juste, charitable et discrète

administration du sacrement de la pénitence, Avignon, Seguin aîné, 1827, in-12.

3 Georges MINOIS, Un échec de la Réforme catholique en Basse Bretagne : le Trégor du XVIe

au XVIIIe siècle, Rennes, Université Rennes 2, 1984, 2 vol., vol.1, p. 485.

4 Marie-Louise FRACARD, La fin de l’Ancien Régime à Niort : essai de sociologie religieuse,

Paris, Desclée de Brouver, Paris, 1956, 335 p., p. 91.

5 Jean-Claude de LA POYPE de VERTRIEU et Jean-Joseph SALTON, Compendiosae

institutiones theologicae ad usum seminarii Pictaviensis, Poitiers, Faulcon, 1709, 5 vol., in-12.

6 Pierre COLLET, Institutiones theologicae, Paris, Mazières et Garnier, 1745, 5 vol., in-12.

7 Robert SAUZET, Contre-réforme et réforme catholique en Bas-Languedoc. Le diocèse de

Nîmes au XVIIe siècle, Louvain, Nawelaerts, 1979, 528 p.

8 François TOLET, L’instruction des prestres, qui contient sommairement tous les cas de conscience, Lyon, Chard, 1628.

9 Philippe GOUJARD, Un catholicisme bien tempéré. La vie religieuse dans les paroisses

rurales de Normandie (1680-1789), Paris, Ed. du Comité des travaux historiques et

scientifiques, 1996, 477 p., p. 203.

10 Honoré TOURNELY, Tractatus de universa theologia et morali, Paris, Mazières et Garnier, 1734, 6 vol., in-8.

11 Paul-Gabriel ANTOINE, Theologia universa speculativa et dogmatica, Paris, Bordelet, 1732-1742, 10 vol., in-12.

34

De manière moins fréquente, sont utilisés aussi L’Introductio ad sacram scripturam et

Compendium Historiae ecclesiasticae1ainsi qu‟une Methode courte et facile pour discerner la

véritable religion chrétienne2, imprimée à Paris en 1725. Ces livres sont remplacés à partir de

1770 par un manuel reprenant le cours complet de théologie3 enseigné par les professeurs Baston et Tuvache de Vertville au séminaire. Intitulé Théologie de Rouen, ce traité en dix volumes sert alors de support à la formation des clercs. Déjà, à partir de 1731, le règlement prescrit aux étudiants de ne plus rédiger des cahiers, c'est-à-dire de ne plus copier sous la dictée des professeurs mais de compléter par des notes les cours imprimés qu‟on met à leur disposition. Ce procédé coupe court à la diffusion du jansénisme puisque le cours ne souffre pas d‟une quelconque interprétation. L‟abbé Baston réprouve, comme son maître saint Vincent de Paul, l‟usage de la dictée :

« On perdait un temps considérable : on écrivait incorrectement ; manquait-on une classe ou arrivait-on en retard, autant de lacunes que souvent on ne se donnait pas la peine de remplir. Le cours fini, on ne regardait plus les écritures informes, faites à la hâte, à contrecoeur, avec l’onglée aux doigts. Voulait-on chercher une question, on ne savait-où la prendre, le manuscrit n’ayant pas de table et les pages n’étant pas numérotées. Ces inconvénients étaient graves »4.

À Rouen, comme souvent ailleurs, la théologie morale est essentielle, c‟est pourquoi les cours sont quotidiens, contrairement à ceux de théologie dogmatique. Il s‟agit d‟inculquer au futur prêtre une discipline morale des vertus qui doivent primer sur ses capacités intellectuelles. Au lendemain de la Révolution, à Rouen, l‟archevêque Cambacérès entreprit de restaurer l‟ancien séminaire de Saint-Niçoise pour former à nouveau des clercs. Dans le règlement établi en 1803, il est prévu pour les trois cents élèves qu‟ils suivront chaque jour un cours de théologie dogmatique ou une leçon relative aux maximes de l‟Église gallicane. Un autre cours s‟intéresse soit à la théologie morale, soit à l‟histoire de l‟Église. On enseigne aussi chaque semaine l‟Écriture sainte et le dimanche, l‟éloquence sacrée. On apprend également le plain-chant et la répétition des cérémonies5. Cet évêque, comme beaucoup de ses collègues français devant remplacer les prêtres âgés qui ont survécu à l‟épisode révolutionnaire et en former de nouveaux, davantage issus de catégories sociales modestes, propose une formation très peu novatrice, que l‟on croirait aisément inspirée des préceptes tridentins. Cette formation traditionnelle n‟est pas du goût de certains prélats en avance sur leur temps tel Mgr de la Tour d‟Auvergne, évêque d‟Arras de 1802 à 1851, qui juge « ce cours d‟éducation trop lent au gré de la jeunesse et toujours trop abrégé pour le bien de la société et pour l‟avantage de la société » et souhaite que les prêtres s‟intéressent aux sciences profanes sous peine de « subir le reproche d‟ignorance de la part d‟un monde où l‟on n‟estime que ce qui est sensible »6. Se pose ici la question de savoir si la culture donnée aux séminaristes est adaptée ou en décalage avec les centres d‟intérêt de la société. Ce débat est d‟autant plus crucial qu‟est formée au séminaire une génération de prêtres en poste pour environ cinquante ans. Félicité de Lamennais et son frère Jean-Marie posèrent de manière retentissante le problème de la formation intellectuelle et spirituelle du clergé. Dans le cadre du petit séminaire de Saint-Méen en Bretagne, ils souhaitent relever le niveau des études en accroissant la difficulté des sujets traités et en multipliant les matières abordées telles la philosophie, la littérature, les mathématiques. Félicité de Lamennais écrit en 1808 ses Réflexions sur l’état de l’Eglise pour

dénoncer les pesanteurs de l‟enseignement donné dans les séminaires et prôner un apostolat

1 Bernard LAMY, Introducio ad sacram scripturam et compendium historiae ecclesiasticae, Alençon, Malasse, 1748, in-12.

2 Jean LOMBARD, Méthode courte et facile pour discerner la véritable religion chrétienne

d’avec les fausses, Paris, Berton, 1725, in-12.

3 Guillaume BASTON, Louis-Théopompe TUVACHE de VERTVILLE, Lectiones theologicae ad

usum Diocesis Rotomagensis, Rouen, Le Boucher, 1781, in-12.

4 Julien LOTH, Mémoires de l’abbé Baston, chanoine de Rouen (1741-1825), Paris, Picard,

1899, t.1, p. 110.

5 Charles LE DRE, Le Cardinal Cambacérès archevêque de Rouen (1802-1818). La

réorganisation d’un diocèse français au lendemain de la Révolution, Paris, Plon, [s.d.], 536 p.

6 Georges LACROIX, Un cardinal de l’Eglise d’Arras : Charles de la Tour d’Auvergne. 49 ans d’épiscopat concordataire, Lens, Imprimerie de la Centrale, 1965, in-4, 398 p.

35

intellectuel1. En Savoie, la formation reçue demeure médiocre et sortent des séminaires « des prêtres plus pratiques que théoriques, plus moralisants que théologiens, proches certes de leurs paroissiens, mais fort peu à même de réfléchir sur leur époque, ses besoins et ses problèmes »2.