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Des ecclésiastiques du XIX e siècle ont des qualités intellectuelles reconnues

7.1. Des ecclésiastiques sont précepteurs d'enfants de

familles de notables.

Ceci est une tradition ancienne chez les futurs clercs de Savoie4. Elle permet d‟avoir un traitement tout en continuant à se cultiver, une fois le doctorat de théologie obtenu. Tout naturellement, certains prêtres sont en poste en Piémont puisqu‟ils ont fait leurs dernières années d‟études à Turin. C‟est le cas du révérend Claude-Joseph Croset-Mouchet, docteur en 1830, ordonné prêtre le 22 septembre 1832 à Acqui. Son protecteur, l‟abbé Charvaz, le fait entrer comme précepteur auprès de la famille Crova di Vaglio, de 1830 à 1834. C‟est un poste qui lui permet d‟être en attente d‟une promotion qui consiste à devenir le secrétaire particulier du nouvel évêque de Pignerol, Mgr Charvaz.

Un autre clerc a un destin fort singulier tant ses origines sont populaires et la fonction qu‟il atteint élevée : il s‟agit de Claude-Marie Magnin. Né dans une famille paysanne, il fréquente les collèges de Thônes et de La Roche-sur-Foron avant d‟entrer au grand séminaire de Chambéry où il reçoit l‟enseignement d‟Alexis Billiet à partir de 1819. En 1826, il est ordonné prêtre et devient ensuite vicaire à Alby-sur-Chéran, Orcier et Bonneville. Puis, sa carrière prend une autre tournure car, de 1830 à 1843, il a la fonction de précepteur dans les familles Rora et Alfieri, à Turin. En plus d‟apprendre les usages liés à la fréquentation du beau monde, il a repris ses études pour parvenir à être docteur en droit civil et canonique et en théologie. C‟est le signe de nouvelles ambitions dans la carrière ecclésiastique.

Un autre prêtre présente un profil similaire à celui de Claude-Marie Magnin puisqu‟il est peu fortuné, fréquente le grand séminaire de Chambéry dès 1807 et côtoie des familles nobles en étant précepteur. Cet homme qui réussit par ses talents intellectuels est Louis Rendu. Alors qu‟il enseigne une classe élémentaire à Chambéry, il passe ses vacances chez les nobles de Saint-Bon à La Motte-Servolex, où il rencontre le marquis Costa de Beauregard, qui le charge

1 Alexis BILLIET, Mémoire sur l’instruction primaire dans le Duché de Savoie, Mémoire

Académie Salésienne, 1ère série, XII, 1846, pp. 351-368.

2 Alexis BILLIET, Catéchisme à l’usage des fidèles du diocèse de Chambéry, 1834, manuscrit,

326 p.

3 Alexis BILLIET, Mémoires pour servir l’histoire ecclésiastique du diocèse de Chambéry,

Puthod, Chambéry, 1865.

4 Christian SORREL (s.d.r.), « La Savoie », Dictionnaire religieux dans la France

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de l‟éducation de ses deux fils, en 1812. Ordonné prêtre en 1814, il connaît une progression régulière dans sa carrière jusqu‟à être nommé évêque d‟Annecy par le pape Grégoire XVI, en 1842. Plus âgé de treize ans que le révérend Magnin dont il connaît les talents, il l‟appelle à Annecy en 1842, avant de le faire chanoine en 1843. Ainsi, les relations, la proximité sociale, l‟étude et l‟amitié contribuent à la création de véritables cercles de sociabilité menant au pouvoir et agissant au service de l‟Église de Savoie.

7.2. Un gage de réussite : la fonction de professeur de

séminaire

Les trois clercs précédemment cités ont combiné les fonctions de précepteurs et de professeurs de séminaire. Claude-Joseph Croset-Mouchet et Claude-Marie Magnin enseignent tous deux après avoir été nommés chanoines en 1837 et 1843. L‟un fait apprendre la théologie et occupe la charge d‟économe alors que l‟autre donne des leçons d‟éloquence sacrée et de droit canonique, avant d‟être promu supérieur du grand séminaire d‟Annecy en 1851.

La plupart des professeurs de théologie des grands séminaires de Savoie sont docteurs en théologie de l‟Université de Turin, comme Antoine Martinet, en charge de l‟enseignement de la théologie dogmatique au grand séminaire de Moûtiers de 1826 à 1840, auteur par ailleurs des

Institutiones theologicae ad usum seminariorum1en 1859 et d‟une Theologia moralis2 en 1867.

Un autre exemple peut être évoqué avec la carrière originale de Louis Rendu dans l‟enseignement car ses talents l‟amènent d‟abord à enseigner des matières profanes comme la littérature et les sciences. Il le fait au collège royal de Chambéry. Il est aussi capable d‟écrire des ouvrages pédagogiques, issus d‟une réflexion sur ses pratiques face à ses élèves : l‟Abrégé des règles de la versification française3 en 1818 et un traité de physique en 1823. Partageant le même goût pour les sciences, son collègue François-Marie Chamousset enseigne les mathématiques, la physique et la chimie au grand séminaire de Chambéry. Certains ecclésiastiques parviennent à occuper des fonctions professorales prestigieuses dans les grands séminaires, sans être titulaires d‟un doctorat d‟une université. Ils doivent leur nomination surtout à leurs compétences scientifiques et pédagogiques, mais aussi à leurs relations avec l‟évêque ou son proche entourage. Ceci peut les amener même à diriger le clergé du diocèse. Deux exemples attestent de ce cas de figure. Ainsi, Jean-François Marcellin Turinaz fit des études au grand séminaire de Chambéry avant de poursuivre dans le même établissement en tant que professeur, d‟en devenir même le supérieur en 1825. Cette carrière professorale permet sa nomination en tant qu‟évêque de Tarentaise par le roi Charles-Albert, en 1838. Fréquentant le même établissement, mais plus tard, Michel Rosset y enseigne la philosophie (1838), le dogme (1767) et la théologie morale (1873). Autre point commun entre les deux hommes : le premier pousse la candidature du second comme évêque de Maurienne en 1876, après la destitution de Mgr Vibert.

7.3. Certains ecclésiastiques sont des savants.

L‟Église de la première moitié du XIXe siècle comprend de nombreux intellectuels de valeur qui s‟intéressent en particulier à l‟histoire. Cette passion peut amener à se servir de l‟histoire comme d‟un instrument de défense de l‟Église. Pas de surprise à constater que cette science permet de lutter en Savoie contre le protestantisme tant Genève est proche. Au sommet du clergé, l‟évêque d‟Annecy, Mgr Claude-Marie Magnin écrit des libelles polémiques : « La papauté considérée dans son origine, dans son développement au Moyen Age et dans son état actuel ou réponses aux obligations de M. Merle d‟Aubigné » dans son Histoire de la

Réformation au XVIe siècle et l‟écrit de M. Bost intitulé Appel à la conscience de tous les

1 Antoine MARTINET, Institutiones theologicae ad usum seminariorum, Paris, Lecoffre, 1859, 4 vol., in-8.

2 Idem, Theologia moralis, Paris, Palmé, 1867, 4 vol., in-8.

3 Louis RENDU, Abrégé des règles de la versification française, Chambéry, Puthod, 1818, in-16.

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catholiques romains paru en 18411. Il rédige encore en 1844 l‟Histoire de l’établissement de la

Réforme à Genève2. Marqué par les répercussions de la Révolution en Savoie, il demande aux

curés un travail de recherche sur les souvenirs religieux de cet épisode en vue d‟écrire une synthèse, jamais éditée. Quelques articles paraissent après sa mort dans le journal « Le Petit Savoisien », comme « La guerre de Thônes d‟après les documents les plus authentiques »3. Ainsi, sa démarche d‟historien s‟apparente à celle d‟un chercheur travaillant sur les sources écrites et les témoignages oraux, ce qui est novateur.

Pour évoquer le révérend Germain Pont, on peut d‟abord citer les nombreux ouvrages qu‟il consacre à sa terre d‟origine : la Tarentaise. Il rend compte des Passages d’Annibal par les

Alpes grecques4en 1863, s‟intéresse aux Origines du patois de la Tarentaise5 en 1872, décrit

La Tarentaise historique, monumentale, orographique et pittoresque6 en 1876, son œuvre

majeure. Néanmoins, ses centres d‟intérêt sont multiples comme en attestent certains titres défendant les libertés de l‟Église catholique, en France avec De l’antagonisme de l’Eglise et de

l’État en 18467, ou en général dans De la politique moderne8 qui affirme que la religion

catholique seule établit les peuples « libres et indépendants ». Il reste connu encore pour être le premier biographe de l‟abbé Jean-Marie Favre, fondateur de missions en Savoie au début du XIXe siècle : Vie de l’abbé Joseph-Marie Favre, fondateur des missions de Savoie, publiée en

18659. Naturellement, il écrit des ouvrages théologiques se rapportant à l‟Histoire dogmatique

de la confession (1851), intitulés Voyages aux bords des enfers (1852), ou Une voix

souterraine (1854) avec la volonté de transmettre la parole de Dieu comme il l‟avait fait à ses

débuts en étant professeur de rhétorique au collège de Conflans, près d‟Albertville.

Comme cet ecclésiastique, son collègue le révérend Laurent Morand s‟intéresse à l‟histoire locale et rédige des ouvrages au gré des différentes paroisses qu‟il administre. Il est natif des Bauges, puisque né à Lescheraines en 1830 et y retourne en étant nommé curé de Sainte Reine en 1865, puis d‟École en 1867. On l‟imagine alors sillonner le massif pour mieux connaître sa géographie, sa population, s‟intéresser à l‟histoire de ses différentes communes, aux ressources de ce pays, prendre connaissance de sources historiques encore disponibles. Tout le fruit de ses recherches est conservé, pendant plus de vingt ans, jusqu‟à la publication d‟une synthèse intitulée Les Bauges, Histoire et documents en trois volumes, publiée entre 1889 et 189110. Le titre témoigne d‟ailleurs de son travail d‟historien soucieux d‟écrire en utilisant les sources, donc d‟avoir une démarche scientifique. À cette époque, il est titulaire depuis 1877 de la cure du faubourg populaire de Saint-Pierre-de-Maché à Chambéry, mais doit faire face « aux outrages des méchants et aux injures de l‟ingratitude ». Pour se réconforter de ces tracasseries quotidiennes, Il reprend ses notes et étudie. Ainsi, sa carrière en deux temps s‟avère être un atout.

1 Claude-Marie MAGNIN, La Papauté considérée dans son origine, dans son développement

au Moyen-Age et dans son état actuel, Paris, Gaume, 1841, in-8.

2 Idem, Histoire de l’établissement de la Réforme à Genève, Paris, Migne, 1844, in-8.

3 Idem, « La guerre de Thônes d‟après les documents les plus authentiques », Annecy, Abry, 1879, in-16, 58 p., dans Le Petit savoisien.

4 Germain PONT, Passages d’Annibal par les Alpes grecques, Chambéry, Pouchet, 1863, in-8.

5 Idem, Origine des patois de la Tarentaise, Paris, Maisonneuve, 1872, in-8.

6 Idem, La Tarentaise historique, monumentale, orographique et pittoresque, Moûtiers, Cane, 1876, 1 vol.

7 Idem, De l’antagonisme de l’Eglise et de l’Etat, Paris, Waton, 1846, in-8.

8 Idem, De la politique moderne, Alençon, Thomas, 1872, 2 vol., in-8.

9 Idem, Vie de l’abbé Jean-Marie Favre, Moûtiers, Ducrey, 1865, in-8.

10 Alexis BILLIET, Mémoire sur l’instruction primaire dans le duché de Savoie, Chambéry,

Puthod, 1845, in-8.

Idem, Catéchisme à l’usage des fidèles du diocèse de Chambéry, Saint-Jean-de-Maurienne,

Buisson, 1834, in-12.

Idem, Mémoires pour servir l’histoire ecclésiastique du diocèse de Chambéry, Chambéry,

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TROISIÈME PARTIE _