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L’omniprésence de la théologie morale

bibliothèques moyennes de curés savoyards

MONGEL- LAZ

2. L’omniprésence de la théologie morale

Il existe des ecclésiastiques pourvus de très petites bibliothèques de l‟ordre d‟une dizaine, voire d‟une vingtaine d‟ouvrages. Outre leur faiblesse numérique, ceux-ci sont presque tous tournés vers la théologie. Les livres profanes sont quasi-absents. Ces clercs, administrant des paroisses de petites dimensions et essentiellement rurales, ne possèdent que trois livres de théologie dogmatique au grand maximum. Ce point commun s‟explique par la volonté de n‟acquérir que des livres véritablement utiles à la pastorale, à la pratique au quotidien et non tournés vers une réflexion touchant le dogme, la spéculation théologique au quotidien. Les rares exemplaires relatifs à celle-ci sont peut-être ceux consultés lors du passage au séminaire. Par opposition, ceux qui concernent la théologie morale sont consultables au cours du ministère. Sur un échantillon de vingt-deux ecclésiastiques en comprenant dix-huit du diocèse de Genève-Annecy et cinq de Savoie actuelle, émerge un nombre important d‟auteurs de cette matière théologique parmi les livres religieux et même l‟ensemble des livres en proportion puisque les livres profanes sont peu présents. Comment définir la théologie morale ? La théologie se définit d‟abord comme la connaissance des choses divines en général, ou comme la science des vérités révélées par Dieu. Elle s‟efforce de comprendre le contenu de la foi et d‟expliquer ce qu‟il faut croire au moyen de la raison. Les théologiens ont toujours pensé les rapports entre Dieu et l‟homme selon des systèmes cohérents mais il y en a toujours eu plusieurs, sans que l‟Eglise ne s‟identifie à l‟un d‟eux1. La théologie morale est une branche de la théologie. Elle s‟intéresse principalement au problème de la confession, appelé aussi la pénitence. Le fidèle doit avouer ses péchés au prêtre qui lui accorde le pardon au nom de Dieu et de l‟Église. Cet aveu qui coûte beaucoup au paroissien est associé à trois autres éléments : le regret ou contrition, l‟absolution ou formule de pardon prononcée par le prêtre et la satisfaction ou geste de réparation consistant en prières, restitution. Chaque chrétien, ayant atteint l‟âge de raison, doit confesser ses péchés à son curé au moins une fois chaque année à l‟occasion de Pâques, comme l‟ont prescrit les conciles de Latran en 1215 et surtout celui de Trente. Sacrement de plus en plus individualisé, la confession se pratique aussi majoritairement en secret à l‟abri dans le confessionnal. Administrer la confession est un des aspects essentiels de la formation donnée dans les séminaires aux XVIIe etXVIIIe siècles. Elle fait aussi l‟objet de nombreux rappels à l‟occasion des conférences ecclésiastiques. On y aborde des questions comme : doit-on se confesser à son propre prêtre ou au confesseur que l‟on désire ? Faut-il avouer tous ses pêchés ou seulement les plus importants, et encore comment les distinguer ? Un délai d‟absolution est-il obligatoire ? Ce sacrement très important soulève un grand nombre de difficultés et nécessite des connaissances théoriques que chaque ecclésiastique peut acquérir dans les manuels de théologie morale qui énoncent des réponses aux problèmes de la pratique, permettant de mieux évaluer la gravité des péchés et de discerner entre le bien et le mal lors des actes commis par les fidèles. Ces derniers peuvent être la source de véritables cas de conscience2. Les jésuites sont les spécialistes de la casuistique avant d‟être fortement critiqués au milieu du XVIIe siècle par les jansénistes. Dans le demi-siècle qui suit, une tendance plus rigoriste se manifeste. Pour résoudre l‟angoisse du salut ressentie par les fidèles, les desservants de paroisse utilisent certains ouvrages.

Quels sont les livres que consultent les confesseurs savoyards ? Les livres de théologie morale sont les plus nombreux en proportion parmi ceux des théologiens. Domine par sa présence dans neuf petites bibliothèques l‟auteur Mathieu Beuvelet. Deux titres de théologie morale écrits de sa plume existent. Beuvelet est présent chez Jean-Pierre Bornand, curé de Salins, Jean-Baptiste Mathieux de Saint-Thomas-des-Esserts, Martin Montmaidur de Montgirod, Jean-Claude Léger du Bois, Georges Rat d‟Ayme, Estienne Mucaz de Bozel, Melchior Rémond, prêtre d‟honneur de la Sainte Chapelle de Chambéry, Hyacynthe Didier de Chamoux et Jean-François Chappet de Cernex, près d‟Annecy. Cinq des neuf prêtres possèdent l‟Instruction sur le manuel de Paris : un petit livre in-12 qui connut un grand succès puisque, dès 1661, il était à sa cinquièmeédition. Celui-ci s‟explique par sa forme pédagogique

1Dictionnaire d‟Ancien Régime, Robert MUCHEMBLED (s.d.r.), Armand Colin, Campus, Paris, 2004, p. 270, 298 p.

2 Dictionnaire de la France moderne, J-Y. GRENIER, K. BEGUIN, A. BONZON (s.d.r.), Hachette, Paris, 2003, 303 p., pp. 73-74 et p.51.

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pratique reposant sur des « demandes et réponses familières », particulièrement adaptée aux prêtres puisque le titre se poursuit par « pour servir à ceux qui dans les séminaires se préparent à l‟administration des sacrements »1. Un autre livre à l‟usage des clercs en formation, puis en fonction, est fortement recommandé par les évêques de la seconde moitié du XVIIe siècle : c‟est la Conduite pour les principaux exercices qui se font dans les séminaires

ecclésiastiques2. Les révérends, Jean-Pierre Bornand, curé de Sallin3, et Jean-Baptiste

Mathieux de Saint-Thomas-des-Esserts4 le consultent. Mathieu Beuvelet est un auteur rigoriste qui a été formé au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et qui, ensuite, écrit en faveur des clercs de cette institution. Il rédige également des ouvrages ascétiques comme les

Méditations sur les principales vérités chrétiennes et ecclésiastiques ou La vraie et solide

dévotion5. L‟inventaire des meubles délaissés à la cure de Montgirod mentionne que le

desservant Martin Montmaidur possédait vers 1706 de cet auteur à la fois les Méditations, la solide dévotion, les Exercices qui se font dans les séminaires et le Manuel alors qu‟il n‟avait que vingt-neuf livres6. C‟est dire s‟il affectionne ce théologien comme d‟ailleurs de nombreux ecclésiastiques de toute condition de Savoie. Parmi les grands classiques de la théologie morale, apparaît un auteur plus modéré que Beuvelet qui est souvent cité : Raymond Bonal. Il présente l‟originalité d‟être passé à Annecy rendre visite à sainte Jeanne de Chantal, en 1637. Influencé par la conduite apostolique de saint François de Sales, il veut fonder une communauté de prêtres vivant selon l‟esprit de l‟évêque de Genève. Il y parvient temporairement dans sa ville natale de Villefranche, en Rouergue, avant de diriger le séminaire qui y est fondé et d‟en fonder d‟autres à Toulouse et à Adge. Comme on le voit, il se tourne vers l‟enseignement. La Theologia moralis R. Bonalis7 est possédée par les révérends Martin Montmaidur, Jean-Claude Léger8, Jean-Michel Favre9, son homologue Joseph Favre de Saint-Paul en Tarentaise10, dont les deux tomes sont estimés, en 1753, une livre. Quant au curé de Cernex, près d‟Annecy, le révérend Chappet, il a sans doute perdu ou prêté le premier tome puisque le notaire chargé de l‟inventaire et de l‟estimation n‟en mentionne que le second11. Il s‟agit d‟une traduction latine dont le titre entier illustre parfaitement ce que recherchent les desservants des paroisses savoyardes, c'est-à-dire des bases de théologie permettant de satisfaire les demandes des fidèles : Cours de théologie morale, dans lequel les cas de

conscience sont amplement enseignez et la pratique nécessaire aux pasteurs et à toutes sortes de personnes, tant ecclésiastiques que laïques. Ce livre est possédé par le révérend

1 Mathieu BEUVELET, Instruction sur le manuel par forme de demandes et réponses familières

pour servir à ceux qui dans les séminaires se préparent à l’administration des sacrements,

Paris, Dinouart, 1665, in-12.

2 Mathieu BEUVELET, Conduite pour les exercices principaux qui se font dans les séminaires

ecclésiastiques dressées en faveur des clercs demeurant dans le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Lyon, Hier de la Garde, 1663, in-12.

3 A.D.S. 2 C 1894. Tabellion de Moûtiers, 1735, vol. 1, fol. 853-855. Inventaire de tous les effets et meubles délaissés par Rd Jean-Pierre BORNAND, curé de la paroisse de Salins, 15 juin 1735, nore Joseph Ruffier.

4 A.D.S. 2 C 1537. Tabellion de Conflans, 1770, vol. 1, fol. 275. Inventaire des meubles, effets, or, argent, créances, denrées, bestiaux délaissés par feu Rd Jean-Baptiste MATHIEUX, curé de la paroisse de Saint-Thomas-des-Esserts, 17 juillet 1769, nore Brunier.

5 Mathieu BEUVELET, La Vraie et solide dévotion contenant la science du chrétien, Paris, G. Joffre, 1667, in-8.

6 A.D.S. 2 C 1838. Tabellion de Moûtiers, 1706, vol. 1, fol. 429-430, Inventaire des meubles délaissés à la cure de Mongirod par Rd Martin MONTMAIDUR jadis curé dudit Montgirod, 4 mai 1706, nore Joseph Rulliot.

7 BONAL Raymond, Theologia moralis, Toulouse, 1674, vol. 2, in-12.

8 A.D.S. 2 C 1873. Tabellion de Moûtiers 1724, vol. 2, fol. 1019-1022. Inventaire des meubles morts et vifs délaissés dans l‟hoyrie de feu Rd Jean-Claude LEGER pretre et curé de la paroisse du Bois, 21 novembre 1724.

9 A.D.S. 2 C 1896. Tabellion de Moûtiers, 1736, vol. 1, fol. 160-164. Inventaire des meubles du Rd Jean-Michel FAVRE curé de Saint-Paul, 1er février 1736, nore Ferley.

10 A D.S. 2 C 1932. Tabellion de Moûtiers, 1754, vol. 1, fol. 102-103. Inventaire des effets de l‟hoirie du Rd Joseph FAVRE, curé de Saint-Paul, 6 novembre 1753, nore Sylvestre.

11 A.D.H.S. VIC 796. Tabellion de Cruseilles, 1725, vol. 1, fol. 179-181, Estimation des revenus des biens du Rd CHAPPET, curé de Cernex et inventaire de ses effects, 23 novembre 1725, nore J. Challut.

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Hyacinthe Didier de Chamoux sous la forme de deux tomes in quarto, sans que l‟édition soit mentionnée1. Très utilisé dans les séminaires tenus par les sulpiciens, ce livre est un manuel parfaitement adapté aux curés les moins instruits. Un autre théologien, spécialiste dans une première partie de sa vie de la prédication, puis qui se tourne vers la théologie morale, apparaît fréquemment dans les bibliothèques ecclésiastiques : Philippe d‟Outreman. Cinq de ceux ayant une vingtaine d‟ouvrages l‟ont. En plus des révérends Martin Montmaidur, Jean-Michel Favre, Jean-Pierre Bornand, Jean-Claude Léger déjà évoqués, on trouve aussi leur collègue, Melchior Rémond, prêtre d‟honneur de la Sainte Chapelle de Chambéry2, comme utilisateurs du livre qui a fait la célébrité de Philippe d‟Outreman : Le Pédagogue chrétien3. C‟est la simplicité, sa clarté, non sa profondeur spirituelle, qui expliquent qu‟il ait séduit ces prêtres autant que les chrétiens cultivés. Divisé en deux parties, il comporte une importante table permettant de se repérer facilement. L‟objet du livre est d‟enseigner à vivre saintement à l‟abri du péché. Sont distingués les types de péchés : mortel, véniel, de pensée, de volonté, de la langue, des parents et des enfants, les péchés capitaux. En contrepoint figurent les remèdes : la fuite des occasions, l‟exercice de la présence de Dieu, le souvenir de la Passion du Christ, la pensée de la mort, du jugement. Comment faire le bien est abordé à travers les actions à accomplir dans la journée, le nécessaire examen de conscience, la sanctification du dimanche, le sacrement de Pénitence, la participation à la messe et à la communion, le rappel des trois vertus théologales et des sept vertus opposées aux péchés capitaux, la dévotion à Marie. Les exemples à suivre sont tirés des Pères, de la vie des saints ou sont constitués d‟histoires vécues par des chrétiens même contemporains. Le livre est encore réédité en 1645-1646, ayant été divisé en deux gros volumes et s‟intitulant Le nouveau Pédagogue chrétien. Parmi les possesseurs de bibliothèques assez réduites, un certain nombre peut être regroupé en un sous-ensemble ayant comme point commun de rassembler ceux qui se spécialisent en théologie morale en n‟ayant pas moins de six à huit livres de cette discipline, ce qui représente une bonne partie de leurs « bouquins ». Ils possèdent souvent soit Beuvelet, soit Bonal, soit d‟Outreman, voire les trois auteurs comme les révérends Léger et Montmaidur. À ces deux-là, s‟ajoutent leurs collègues Jean-Michel Favre, Didier, Bornand et le curé de la ville d‟Aime, en Tarentaise, Georges Rat4. Parmi les sept livres qui nous intéressent, outre Beuvelet, et les résolutions pastorales du diocèse voisin de Genève, il a Bonacina en deux tomes, soit la

Theologia moralis5 de cet auteur érudit et réputé, dont le livre est l‟objet de dix-sept autres

éditions, entre 1624 et 1754. Il est souvent présent dans les bibliothèques. Celui qui est, par ailleurs, un des seuls curés urbains de l‟ensemble consulte La Science universelle de la chaire de Jean Richard, un auteur laïc qui composa de nombreux sermons6. On ne sait si le curé possède les six volumes de l‟ouvrage qui correspond en fait à un dictionnaire des principaux sujets de morale illustrés de remarques des meilleurs prédicateurs français et étrangers. Sans surprise se trouvent dans la bibliothèque les Résolutions pastorales sûrement de François de Sales et les Sermons de Jean-Louis Fromentières7. Ceci est très intéressant car cela laisse percevoir les stratégies de lectures et d‟acquisition de livres de cet ecclésiastique et de bien d‟autres de ses collègues : un auteur apprécié met sur la piste de références livresques complémentaires. L‟attirance pour une spécialité de la théologie se manifeste aussi par le nombre de tomes qu‟un lecteur possède. Au tout début de l„inventaire après-décès, les sept tomes de Jacques Dumets apparaissent8. Le propriétaire a insisté pour acheter la série complète, preuve peut-être d‟une sensibilité rigoriste, puisque l‟auteur a professé la théologie

1 A.D.S. 2 C 2136. Tabellion d‟Aiguebelle, 1739, vol. 1, fol. 576-579. Inventaire des meubles, papiers et effets délaissés par feu Rd Hyacinthe DIDIER, curé de Chamoux, à la réquisition des honorables Joseph et Maurice Didier ses frères de Saint-Michel en Maurienne, 29 décembre 1739, nore Hector Feige.

2 A.D.S. 2 C 234. Tabellion de Chambéry, 1714, vol. 1, fol 952-955. Inventaire des effets délaissés par Rd Melchior RÉMOND, prêtre d‟honneur de la Sainte Chapelle de Chambéry, 23 mars 1714, nore Deperse.

3 Philippe d‟OUTREMAN, Le Pédagogue chrétien, Mons, 1625.

4 A.D.S. 2 C 1884 Tabellion de Moûtiers, 1730, vol. 1, fol. 459-460. Testament du Rd Georges RAT, curé de la ville d‟Ayme. 28 avril 1730, nore Mugnier.

5 Martin BONACINA, Theologia moralis, 2 vol., in-fol., Lyon, 1624.

6 Jean RICHARD, La Science universelle de la chaire, Paris, L. Guérin, in-8.

7 Jean-Louis FROMENTIÈRES, Sermons, Paris, P. Le Petit, 1684, 6 vol., in-12, Paris.

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morale au séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, au début du XVIIe siècle. Il est apprécié par d‟autres révérends n‟ayant que quelques livres comme Baptiste Mathieux, Jean-Michel Favre, Georges Rat et Blaise Delacroix curé de Saint-Romain, paroisse proche de Bonneville1.

Certainement à cause du manque d‟argent et donc de la nécessité de choisir peu de manuels de théologie morale, certains auteurs pourtant réputés sont peu présents dans ces bibliothèques ayant un but essentiellement pratique. Ainsi, Louis Abelly n‟apparaît que sur les rayonnages des révérends Mathieux et Graffion2. Le premier a deux tomes de la Medula

theologica alors que le curé de Pussy en Tarentaise n‟a qu‟ « un tome d‟Abely ». Ce théologien

a été formé sous l‟influence de saint François de Sales et il a peut-être connu personnellement celui-ci car il évoque dans la préface d‟un de ses livres des « obligations très étroites et très particulières qui le tiennent indispensablement lié à sa vénération et à son service ». Les deux curés semblent posséder d‟ailleurs ces deux auteurs proches, si l‟on admet que les deux tomes de résolutions pastorales peuvent bien être l‟œuvre de saint François de Sales dans l‟inventaire du révérend Mathieux. Abelly fréquente également saint Vincent de Paul qui dirige la conférence de Saint-Lazare, à l‟origine de la rénovation du clergé de France du XVIIe siècle. Il obtient un privilège général pour se consacrer à l‟écriture et, en 1650-1651, la Médulla

theologica est publiée, puis rapidement adoptée dans plusieurs diocèses comme manuel pour

les ordinands ou les séminaristes3. Elle est réimprimée plusieurs fois, tout comme la Couronne

de l’année chrétienne, un recueil de méditations. Dans ces deux ouvrages, l‟auteur s‟affirme à

la fois comme un antijanséniste et un ultramontain déclaré. Il est lu par les ecclésiastiques français pendant près de deux cents ans, ce qui s‟explique par la simplicité avec laquelle il écrit, même si sa pensée est parfois confuse. Après avoir été évêque de Rodez, il rédige une

Vie du vénérable serviteur de Dieu, Vincent de Paul, du moins en partie seulement, ce que les

jansénistes ne manquèrent pas de lui reprocher. En évoquant à nouveau le révérend Didier, un tour d‟horizon d‟autres penseurs s‟intéressant à la théologie morale peut être mené. Il lit par exemple tout comme le révérend Chappet de Cernex certaines œuvres d‟Antoine Godeau, comme les Homélies sur les dimanches et fêtes de l’année4 et le Tableau de la pénitence5. Celui qui fut avocat au Parlement de Paris, membre de l‟Académie française, avant de se convertir sincèrement vers la trentaine, ce qui lui valut d‟être nommé évêque de Grasse par Richelieu en 1636, puis évêque de Vence par un autre cardinal, Mazarin, en 1653, connaît un grand succès en littérature et en théologie. Il s‟intéresse à la poésie, l‟histoire, l‟éloquence, la pastorale, l‟épopée. Écrivain réputé de son temps, il est souvent dans les bibliothèques. D‟autant qu‟il est admirateur de saint François de Sales, ce qui lui fait écrire au pape pour la canonisation du saint. Ami des Arnauld lorsqu‟il est à Paris, il leur reste fidèle malgré la crise janséniste tout en signant le « Formulaire ». Les homélies renvoient à l‟image d‟un Godeau passant pour un grand évêque réformateur du XVIIe siècle, mettant en pratique les décrets du Concile de Trente, parcourant son diocèse pour combattre l‟ignorance religieuse et pour rappeler à ses prêtres leurs devoirs envers Dieu et leurs ouailles. Lors des conférences ecclésiastiques qu‟il préside, il les incite à prêcher sans relâche par des homélies dont il fera faire un recueil « pour servir aux curez ». Naturellement, il se préoccupe de la pénitence. Il n‟est pas surprenant que les Tableaux de la pénitence soient ici présents tant ils ont été réédités de multiples fois en divers formats. Ils servent à exhorter le lecteur à la pénitence, sans concession, puisque Godeau dénonce la casuistique, dans laquelle excellent les jésuites. Ainsi, le révérend Didier possède de cet auteur à la fois un livre de pastorale et un livre de morale, les deux domaines privilégiés par ce grand spirituel, même s‟il ne consulte pas un ouvrage imprimé en 1709 à Paris, soit bien après la mort de l‟évêque qui s‟est produite en 1672

1 A.D.H.S. VI C 1335 Tabellion de Bonneville, 1728, fol. 511-517. Inventaire et description des effects délaissés en l‟hoirie du Rd Blaise DELACROIX, curé de Saint-Romain, 30 octobre 1728, greffier Bastian.

2 A.D.S. 2 C 1924 Tabellion de Moûtiers, 1750, vol. 1, fol. 323-325. Inventaire des meubles et effects de l‟hoirie de feu Rd Humbert GRAFFION, curé de Pussy, 4 février 1750, nore Sylvestre.

3 Louis ABELLY, Medulla theologica, Paris, 1650, 2 vol., in-12.

4 Antoine GODEAU, Homélies sur les dimanches et festes de l’année pour servir aux curez,

Paris, 1681, 2 vol.

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qui résume sa pensée : la Morale chrestienne pour l’instruction des curez et des prêtres du

diocèse de Vence1.

Si l‟on sait que le révérend Didier apprécie la théologie morale, il est difficile de dire s‟il préfère des auteurs de tendance janséniste ou modérée. La position ambiguë d‟un auteur comme Antoine Godeau illustre bien le problème. D‟autres théologiens connus du révérend Didier s‟opposent de même. La Morale chrétienne rapportée aux instructions que Jésus-Christ nous a

données dans l’oraison dominicale2 est mentionnée sous la forme d‟un volume in quarto de