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Les correspondances d’ecclésiastiques qui évoquent des livres achetés ou lus

CIRCULENT PENDANT ET AU-DELÀ DE LA VIE DES ECCLÉSIASTIQUES

1. Les livres ecclésiastiques circulent du vivant de leur propriétaire

1.3. Les correspondances d’ecclésiastiques qui évoquent des livres achetés ou lus

La correspondance des clercs révèle quelquefois des traces de manipulation de livres en tout genre. L‟étudiant en théologie à Turin, Claude Favre, répétiteur de l‟abbé de Mellarède, qui écrit au révérend Baussand d‟Arenthon plusieurs lettres au cours de l‟année 1724, montre combien les livres sont des objets à part, qui coûtent cher7.

De Turin, le 28 avril 1724, il écrit :

« Vous recevrés par Mr Bornand 21 livres que j’ai retiré de la bible de Duhamel, apres l’avoir promené par plusieurs endroits ; vous marqués a M. Leonard que vous avés laissé ici plusieurs

1 Napoléon LANDAIS, Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires, Paris, Didier, 1844, 2 vol., in-2.

2 Jean-Joseph GAUME, Catéchisme de persévérance, Paris, Gaume, 1838, 8 vol., in-8.

3 Anne FILLON, Louis Simon, étaminier, 1741-1820, dans son village du Haut-Maine au siècle des Lumières, thèse de 3e cycle Jean-Marie. CONSTANT (s.d.r.), 1982, 2 vol., 1984.

4 Daniel ROCHE, Journal de ma vie. Jean-Louis Ménétra, compagnon vitrier au XVIIIe siècle,

Paris, Albin Michel, 1998, 431 p.

5 Natacha COQUERY, Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, CTHS,

2011, 408 p.

6 A.D.H.S. 7 G 372. Livre de raison d‟un chanoine de Notre-Dame de Liesse d‟Annecy (1738), fol. 11, 12.

7 A.D.H.S. 1 J 1737. Correspondance du Rd Baussand. Lettres à Turin des 8 avril, 17 mai et du Betonnet du 24 juin 1724.

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livres, entre autres un corps de droit, vous pouvés vous imaginer que si vous m’aviés donné la commission ou pour les vendre ou pour vous les faire venir je n’aurais pas manqué à vous rendre en cela mes petits services mais vous ne m’avés laissé aucune liste ni aucun ordre pour cela, si j’ay vendu la susdite bible, c’est parce que Mr Lavet a qui vous l’aviés laisser n’aïant pas de quoi vous satisfaire me l’apporta sans me dire ce qu’il en voulait : ainsi, j’ai crû ne la voulant pas garder, que le meilleur etoit de la vendre et vous en faire venir l’argent ».

Le curé Léonard évoqué est un ami du révérend Baussand qui est secrétaire de l‟évêque de Genève-Annecy, Mgr Rossillon de Bernex.

Un peu plus d‟un mois plus tard, le 17 mai 1724, au détour d‟une lettre, il parle de « Mr Lavet [qui] trouve que votre bible a eté vendüe a un prix asses raisonnable, vous n‟avés qu‟a prendre 21 livres que Mr Leonard vous contera. Il a encor un abregé des conciles qui est a vous qu‟il vous païera quant il retournera en Savoye ». Les livres évoqués avaient été emmenés par l‟étudiant Albert Baussand, né à Aviernoz, qui reçut le dimissoire le 15 décembre 1719 alors qu‟il était à Turin, précepteur chez le comte de Mellarède, ministre du roi1. Doué pour les études, Baussand parvient à obtenir un doctorat en théologie et en droit civil et canonique de l‟Université de la ville dans laquelle de nombreux étudiants savoyards en théologie viennent chercher leurs grades. Il est issu du peuple puisque son père est cordonnier. Cette origine modeste ne l‟empêche de faire des études, certainement grâce à l‟existence de la Bourse des pauvres clercs du diocèse. Cet homme d‟érudition présente même la particularité d‟être nommé curé archiprêtre d‟Arenthon alors qu‟il est toujours étudiant, le 30 juin 1722, certainement en raison de ses talents en droit civil et canonique, mais aussi de ses relations. Cependant, s‟il échappe à son destin, certainement de paysan ou d‟artisan par le biais de l‟éducation, l‟entrée du chapitre de la collégiale d‟Annecy lui est fermée. Vraisemblablement, lors de la transmission de la charge de précepteur des enfants de cette haute personnalité qu‟est le comte de Mellarède, certains livres peuvent avoir été oubliés dans la capitale du duché et le successeur en hérite involontairement. Sa conscience lui dicte alors de s‟enquérir auprès de leur propriétaire de l‟usage qu‟il doit en faire. Il est à noter que chacun des livres évoqués dans ces deux lettres correspond assez curieusement à une des spécialités qu‟étudie le jeune Baussand. Les livres indiquent donc les types d‟études poursuivies. Par ailleurs, le prix de la Bible est conséquent, signe d‟un homme qui aime les beaux livres et peut se les offrir. Le curé Baussand fait penser par certains côtés au paysan champenois Valentin Jamerey-Duval2. Ce dernier réussit une carrière exceptionnelle en apprenant à lire grâce à l‟aide de bergers dans les petits livres de la Bibliothèque bleue de Troyes, pourtant seulement à l‟âge de quinze ans, puis en étudiant des ouvrages d‟histoire, de géographie et d‟astronomie auprès des frères du prieuré de Deneuvre, près de Lunéville. Par la suite, il est remarqué par le duc Léopold de Lorraine, devient diplômé de l‟Université de Pont-à-Mousson en 1720, puis professeur d‟histoire et d‟antiquités de l‟académie de Lunéville. Il se rend à Florence auprès de la future impératrice Marie-Thérèse de Habsbourg qu‟il rejoint à Vienne en 1743, pour diriger la bibliothèque impériale. En conclusion, cet homme connaît un destin extraordinaire qui le mène à côtoyer des puissants de son époque, chose que le révérend Baussand ne peut faire, d‟où son repli sur sa paroisse d‟Arenthon, où il est craint de ses fidèles, réédifie le presbytère et le clocher, fait construire une chapelle, dispose de revenus importants issus des terres attenantes à son bénéfice curial.

Sont ici en présence deux individus, Baussand et Favre, qui sont amis des livres car Claude Favre marque dans une lettre rédigée du Betonnet le 24 juin 1724 :

« J’irai peut-être à Genève faire une emplaite de quelques livres, et en passant je vous irai rendre mes devoirs, et visiter votre cure ».

1 REBORD, Charles et GAVARD, Adrien, Dictionnaire du clergé séculier et régulier du diocèse

de Genève-Annecy de 1535 à nos jours, 2 t. en 1 vol., Bourg, Dureuil et Annecy, Imprimerie

commerciale, 1920, 803 p., p. 45.

2 Valentin JAMEREY-DUVAL, Mémoires. Enfance et éducation d’un paysan au XVIIIe siècle.

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Par cette visite, le jeune Claude Favre fait coup double. S‟arrêter à Arenthon est pratique puisque cette paroisse est une étape de la route Annecy-Genève et c‟est aussi le moyen de rendre ses hommages à un confrère qui est reconnu comme un jurisconsulte distingué du diocèse de Genève-Annecy. Ceci ne peut être que positif pour plus tard, un appui dans la perspective d‟obtenir un poste intéressant, tant la course aux bénéfices est une affaire surtout de relations. Cette simple phrase prouve aussi combien Claude Favre semble un habitué de la ville de Genève et de ses imprimeurs libraires réputés.

Le curé Baussand possède une bibliothèque fournie qu‟il complète régulièrement par l‟achat de livres comme en attestent des mentions faites dans son livre de raison. Par exemples, il se procure au mois d‟avril 1754 « un bréviaire, Les Pensées de Bourdaloue1 et un dictionnaire géographique pour 21 livres »2. Une autre fois, le 2 octobre 1758, à Annecy, il se procure un bréviaire chez le libraire Burdet et deux autres livres, ce qui lui coûte 20 livres. Il fait rarement le voyage pour rien ou se les fait parvenir car il prend soin de passer commande par écrit auprès des libraires. Voici ce que l‟un, nommé Jean Etienne Saillet d‟Annecy, écrit :

« J’ay recus la chere vôtre du 3è courant et je vous envoy les 9 vol. des essais de la morale que j’ay confronté avec bien d’autres meme ceux de mes confreres, et ou il y avait 10 vol. il y en avait deux des memes sujet et ils contiennent tout ce que vous me marqué, et si vous souhaité la Science de la chaire 3 il coutent une livre de plus, ma tante vous offre ses tres humbles respect etant avec tout les respects et consideration possible. Annecy, ce 5 decembre 1741 »4.

On a ici la preuve que Baussand commande des livres parce qu‟il sait à l‟avance que leur contenu peut l‟intéresser, ayant été mis au courant par des confrères ou des critiques dans des publications. Il est féru de théologie morale car la Science de la chaire s‟intitule aussi

Dictionnaire moral écrit par Jean Richard. S‟il se tient informé des livres nouveaux, il cherche

aussi à les obtenir au meilleur prix. Pour cela, il dispose à Lyon d‟un ami chargé de lui procurer des livres dont il dresse la liste en 1724. Mais ce dernier lui répond en août qu‟il n‟a malheureusement pas pu trouver et acheter les livres auprès des marchands car « la dernière diminution des prix que l‟on attend chaque jour les intimide ». Ce conseiller, qui semble être un véritable spécialiste, lui suggère de patienter quelque temps car « si vous attendiés encore 2 à 3 mois, la valeur de l‟argent étant fixé, la valeur des marchandises se fixerait de même, et que surement vous les auriés à meilleur prix5 ».

Ceux-ci sont aussi connus du curé d‟Areine qui correspond avec un dénommé Dherens qui est receveur de la douane de Chêne, un des points de passage avec Genève. Dans un papier dont l‟entête est Compte de crédit et depense pour le Reverend Sieur Curé d’Arenthon, scavoir

1744 faite par le Sr Dherens, Baussand écrit :

« Doit au Sieur Dherens du 24 may 1744 pour les gazettes et mercures de 1744, 7 livres 8 sols et pour acquit de doüane des livres imprimés venus de Lyon signés Vichard, 2 livres, 2 sols et 2 deniers ».

Les titres des ouvrages ne sont pas mentionnés. Lyon est le second centre intellectuel et d‟imprimerie du royaume de France et un des centres majeurs de diffusion de livres vers la Savoie. Le curé paye la somme en nature, en coupes de diverses céréales comprenant du froment, des rittes et des pesettes. Ceci s‟explique par le fait qu‟il est à la tête d‟une grosse exploitation agricole dans la plaine de la Roche-sur-Foron. En quelque sorte, Dherens lui sert

1 Louis BOURDALOUE, Pensées sur divers sujets de religion et de morale, Paris, Cailleau, 1735, 3 vol., in-8

2 A.D.H.S. 43 J 1721. Papiers du Rd Baussand.

3 Jean RICHARD, La science de la chaire ou dictionnaire moral, Paris, Guérin, 1700, 2 vol., in-8.

4 A.D.H.S. 43 J 1739. Correspondance du Rd Baussand.

5 A.D.H.S. 1 J 1737. Correspondance du Rd Baussand avec le receveur de la douane de Chêne, Dherens (1738-1752).

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d‟intermédiaire en ce qui concerne les journaux tout du moins puisqu‟il fait figurer dans une lettre postée d‟Annemasse le 7 mars 1746 :

« Si vous souhaiter les gasettes pr 4 livres 10 sols je vous les ferai parvenir regullierement ».

Ainsi, ce curé se tient informé des nouvelles qui concernent les affaires politiques, religieuses, littéraires de France et d‟Europe.

1.4. Le curé Baussand prête des livres à des collègues