Le curé et le souci de transmettre des livres à des collègues ecclésiastiques

Naturellement, un curé sentant la mort venir peut être tenté de faire don de ses livres à celui qui va le remplacer dans la paroisse dans laquelle il achève sa vie et sa carrière. Dans son testament de 1765, le révérend Claude Croset, en poste à Éloise, spécifie qu‟ « il donne et lègue aux Révérends Sieurs Curés ses successeurs toute la bibliothèque et livres avec le redressoir ou le tout est placé »⁴. Ici, on ne sait quel est le nombre et la nature des livres transmis à la différence de ceux du révérend Baptiste Tremey, recteur de Termignon5, qui possédait entre autres les Prones de Girard en quatre volumes6, les Résolutions pastorales de

Mgr l’Evêque de Grenoble7, en fait de Mgr Le Camus, célèbre prélat qui fit appliquer les règles

du concile de Trente en Dauphiné, et enfin la Théologie de Collet⁸, tous donnés au bénéficiaire Pierre-Honoré Vernier. Par contre, les « autres livres de sa bibliothèque » échoient au frère du donateur, Jean-Baptiste, qui est aussi ecclésiastique.

Les legs de livres intra-professionnels se font aussi en faveur de confrères appréciés mais officiant dans une autre paroisse que celle du légataire. Le chanoine, Ambroise Rouch de Saint-Pierre de Genève d‟Annecy, offre les livres de sa bibliothèque au curé de Saint-Eusèbe, le révérend Viollet, en échange de cinquante messes à dire pour le défunt. Aucun livre n‟est donné à un éventuel neveu, oncle, frère. Le reste de ses biens passe entre les mains de sa mère Jacqueline Thérèse, fille de feu son frère Guy. Sa servante n‟est pas oubliée car elle garde l‟usage durant sa vie de deux chambres et d‟une écurie située rue Filaterie à Annecy, avec trois livres d‟argent et une pension annuelle de deux sommées de vin, cinq coupes de froment, un quart de « noïaux »⁹. Ainsi, les livres ne sont pas ventilés n‟importe comment. Au mieux, la servante reçoit des livres de dévotion comme la Pernette Pithon restée longtemps au service du curé Lanche de Saint-Maxime-de-Beaufort alors que celui-ci récompense de quatre chasubles et de tous ses livres les révérends Arnaud Vibert, François Molliet10.

Le ou les bréviaires du défunt font l‟objet d‟un traitement à part dans le sens où ils représentent un témoignage de respect d‟un supérieur. Le chanoine Millieret Étienne de Saint-Jean-de-Maurienne donne à son doyen « quatre petits bréviaires », mais laisse tous ses autres

1 Psaumes de David, Paris, Hélie Josset, 1677, in-8.

2 Cantique des cantiques, Paris, Guillaume Despez, 1694, in 12.

3 A.D.S. 2 C 1811 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1785, fol. 137. Testament du R^d Martin CHARRIERE, recteur de La Thuile, 2 février 1785, no^re Jean-Georges Lachat.

4 A.D.H.S. VI C 184 Tabellion de Chaumont, 1765, vol.1, fol.627. Testament du R^d CROSET, Claude, curé d‟Eloyse, 23 avril 1765, nore Buttin.

5 A.D.S. 2 C 2605 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1770, fol. 61. Testament du R^d TREMEY, Baptiste, recteur de Bonnes Nouvelles de Termignon, 23 janvier 1770, no^re Orcain.

6 Nicolas GIRARD, Les Petits prônes ou Instructions familières, principalement pour les

peuples de la campagne, Lyon, Viret, 1759, 2 vol., in-12.

7 Etienne LE CAMUS, Résolutions pastorales de Mgr l’Evêque et prince de Grenoble,

Grenoble, Petit, 1726, in-4.

8 Pierre COLLET, Traité des devoirs d’un pasteur, qui veut se sauver, en sauvant son peuple. Ouvrage qui peut servir à tous ceux qui sont dans le Saint Ministère, Avignon, Chambeau,

1757,1 vol., in-12.

9 A.D.H.S. VI C 170 Tabellion d‟Annecy, 1758, fol. 605. Testament du Rd Ambroise ROUCH, 13 avril 1758, no^re Balleydier.

10 A.D.S. 2 C 1314 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1704, fol.71. Testament du Rd LANCHE, François, prêtre de Saint-Maxime-de-Beaufort, 11 mars 1704, nore Blanc.

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livres à son collègue Joseph Lacherine¹. Le curé Claude Rey en poste dans la petite paroisse de Bassy fait de même en offrant un de ses bréviaires à Monseigneur de Rossillon de Bernex, évêque d‟Annecy, tout en donnant à son collègue Joseph Broisin « son manteau, la meilleure de ses soutanes, tous ses livres, un écu de la derniere marque de France, son prie-Dieu »², soit tous les éléments nécessaires à l‟exercice d‟un ministère. L‟évocation du sort réservé aux livres dans un testament traduit l‟importance qu‟on leur attribue.

Certains ouvrages légués ont une valeur moins commune qu‟un bréviaire. Il y a loin en effet entre l‟octroi à un collègue de « ses livres » comme l‟écrit le chanoine Agnès Emmanuel de Saint-Jean-de-Maurienne³ et le fait de donner « son ouvrage de poesie en dix neuf mains » au révérend Jean-François Arthaud comme le fait le révérend Jean-Baptiste Gravier, lui aussi chanoine de Saint-Jean-de-Maurienne4. Dans ce second cas de figure, transparaît l‟attachement affectif à un ouvrage unique dans sa forme même. Ceci ressort d‟autant plus de l‟acte notarié qu‟aucun autre livre n‟est mentionné. L‟allusion à un simple ouvrage permet ici de savoir que cet homme d‟Église apprécie aussi la littérature française en vers ou en prose, ce qui le distingue de la masse des ecclésiastiques simplement soucieux de théologie ou n‟ayant pas laissé de traces de leurs lectures. Le testament du « théologien » Laurent Bizel, recteur du Saint-Sacrement à Albiez-le-Vieux⁵, fait état du legs au révérend Louis Buisson curé de la même paroisse du Leman, en fait la Theologia moralis6. Il s‟agit là d‟un échange de bons procédés si l‟on peut dire dans un cadre de relations professionnelles7.

Le plus souvent, il est mentionné dans un testament que le défunt a prévu de transmettre à un curé ami l‟ensemble de ses livres sans qu‟il soit indiqué les titres. Mais lorsque le legs évoque un seul livre, le donateur prend soin d‟indiquer le titre et son auteur de façon à l‟extraire de sa bibliothèque sans faire d‟erreur. C‟est aussi la preuve que l‟ouvrage a été sélectionné avec soin et qu‟il existe une certaine connivence ou plus avec le bénéficiaire. Ainsi, le curé de Modane, Pierre Dame⁸, laisse à celui de Fourneaux, village tout proche, les Preclectiones theologicae de

gratia ad usum seminariorum d‟Honoré Tournely9. Le bénéficiaire se nomme Ambroise Denré,

qui doit être son frère ou son neveu et se voit aussi attribuer « une soutane neuve dans un drap de Sedan » qui doit être d‟un bon prix.

Les livres servent parfois à rétribuer l‟ecclésiastique qui va célébrer la messe de sépulture. Le curé de Villarembert en Maurienne prévoit cette disposition dans son testament à la fois car il possède peu de biens et parce qu‟il sait qu‟une rétribution va faire plaisir à un collègue, garant de la préservation d‟un savoir et du souvenir du défunt. C‟est ainsi qu‟il faut comprendre la formule évoquant le « legs au R^d qui assistera à son décès » des Conférences de Luçon¹⁰ et des Règles de la discipline ecclésiastique11. Ce sont des livres propres à satisfaire n‟importe quel homme d‟Église car ils sont toujours utiles puisqu‟ils ont trait à la catéchétique et à la jurisprudence ecclésiastique.

1 A.D.S. 2 C 2491 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1723, vol. 1. Testament du Rd Etienne MILLIERET, chanoine de Saint-Marcel, 10 juin 1723, nore Martin.

2 A.E.G. XVIII^e siècle, 2^e série, 3. Testament du Rd Claude REY, curé de Bassy, 11 mars 1720, no^re Jean-Pierre Devillette.

3 A.D.S. 2 C 2601 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne 1768, vol. 1, fol. 424. Testament du RdEMMANUEL, Agnès, chanoine de la cathédrale, 18 novembre 1768, no^re Robert.

4 A.D.S. 2 C 2575 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1759, fol. 194. Testament du Rd Jean-GRAVIER, Baptiste, 27 mars 1759, nore Opinel.

5 A.D.S. 2 C 2465 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1710, fol. 821. Testament du Rd Laurent BIZEL, curé d‟Albiez-le-Vieux, 30 juin 1710, nore Richard.

6 Paul LAYMAN, Theologia moralis, Lyon, de La Garde, 1654, 1 vol., in-2.

7 A.D.S. 2 C 2438 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1699, fol. 163. Testament du Rd Mathieu BATAILLIER, curé de Villarembert, 12 août 1699, no^re Charpin.

8 A.D.S. 2 C 2827 Tabellion de Saint-Michel-de-Maurienne 1770, fol. 2. Testament du Rd Pierre DAME, curé de Modane 15 janvier 1770, no^re Jean-Baptiste Grange.

9 Honoré TOURNELY, Praeclectiones theologicae de gratia ad usum seminarorium, Paris, Jean-Baptiste Garnier, 1727, in-8.

10 Henry de BARILLON, Conférences ecclésiastiques du diocèse de Luçon, Paris, Delazier, 1684-1702, 8 vol., in-12.

11 Charles GUILLARD d‟ARCY, Règles de la discipline ecclésiastique recueillies des conciles,

des synodes de France et de SS. Pères de l’Eglise touchant l’état et les mœurs du clergé,

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Un collègue peut être chargé de veiller à la distribution des livres du défunt. Cette mission est assignée au chanoine Favre Joseph de Saint-Jean-de-Maurienne, chargé de « tous les livres qu‟il remettra aux personnes désignées par le testateur », à savoir le chanoine chantre de la cathédrale Didier Mathieu, en échange de différentes rentes¹. La récompense à percevoir pour le même service consiste en d‟autres objets culturels comme des tableaux qui ont aussi vocation à instruire les fidèles. Le successeur de l‟archiprêtre de Bonneval, Joseph Guiguet, par ailleurs docteur en théologie, reçoit « quatre tableaux qui sont sur son prie-dieu pour les peines de la vente de ses effets », alors que le révérend Carsel Joseph, exécuteur testamentaire, est récompensé de « deux tableaux de St Joseph et St François de Sales » à condition toutefois que le « hiereusalem et les autres images restent où elles sont »2. Tableaux et livres sont parfois considérés comme un moyen de rétribution au prorata de leur valeur vénale, ce qui explique que les titres et leurs auteurs ne soient pas évoqués.

Il faut chercher une ou deux lignes au mieux dans des pages de testaments qui font référence à des ouvrages d‟ecclésiastiques décédés. Ces livres ont le plus souvent alors une fonction de récompense en échange d‟un service post-mortem et une grande valeur affective qui va de pair avec un témoignage d‟amitié.

Souvent les livres légués à un autre ecclésiastique ne sont pas mentionnés. On trouve alors comme dans le testament du révérend Emmanuel, chanoine de Saint-Jean-de-Maurienne, la mention d‟un legs de « ses livres » au révérend Roges3.

Par contre, certains ouvrages cédés sont parfois identifiés comme les quatre bréviaires que reçoit le révérend Tartarat « habitant à Saint-Sigismond », près de Conflans, de la part du curé Jean Molliex de cette même paroisse « pour les services rendus »4.

On sait également que le révérend Christophe Rosset reçoit du curé d‟Orelle, Georges Riondet⁵, les Sermons de monsieur de Fromentière⁶ par un testament du 10 septembre 1744. Un des collègues du défunt, le révérend Sébastien Bonivard, curé de Saint-André, qualifié de « son bon ami » reçoit « le grotesque tableau en peinture de Rome ». De plus, le notaire a dû être en partie dédommagé de ses écritures par l‟octroi d‟un grand miroir, du tableau de la Sainte Vierge, d‟une table de noyer, d‟un autre tableau du cabinet et d‟un livre de médecine de Madame Fouquet⁷.

On peut parfois déduire l‟auteur d‟un livre cédé. C‟est le cas pour la Théologie pastorale de

Mgr l’Evêque de Grenoble8, léguée par le révérend Baptiste Tremey⁹, recteur de bonnes

Nouvelles de Termignon à son collègue Pierre-Honoré Vernier. À coup sûr, l‟ouvrage est celui du célèbre Mgr Etienne Le Lamens, dit « le cardinal des montagnes », infatigable prélât parcourant son diocèse au XVIIe siècle. Le bénéficiaire obtient encore une théologie dont les titres exacts et les auteurs ne sont pas précisés. Les autres livres de la bibliothèque deviennent la propriété du frère du donateur qui est aussi ecclésiastique.

En 1733, le prêtre de Saint-Maxime, près de Bourg-Saint-Maurice, laisse à son frère Joseph huit cent livres à récupérer sur une créance, des meubles, de la vaisselle, du linge et deux livres¹⁰. Le premier est La Vie des Saints de Jean Croiset¹ et le second Le Dictionnaire

1 A.D.S. 2 C 2508 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne 1729, fol. 1089. Testament du chanoine Mathieu DIDIER, 21 octobre 1729, no^re Anselme.

2 A.D.S. 2 C 1341 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1731, fol. 305. Testament du Rd Joseph GUIGUET, curé de Bonneval, 29 septembre 1731, no^re Vionnet.

3 A.D.S. 2 C 2601 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1768, fol. 424. Testament du Rd Agnès EMMANUEL, chanoine de Saint-Jean-de-Maurienne, 18 novembre 1768, no^re Robert.

4 A.D.S. 2 C 1490 Tabellion de Conflans, 1742, fol. 744. Testament du Rd Jean MOLLIEX, curé de Saint-Sigismond, 12 décembre 1742, no^re Levret.

5 A.D.S. 2C 2801 Tabellion de Saint-Michel-de-Maurienne, 1744, fol. 467. Testament du Rd Georges RIONDET, curé d‟Orelle, 10 septembre 1744, nore Claude Frenoz.

6 Jean-Louis de FROMENTIERE, Sermons, Paris, Pierre Le Petit, 1684, in-12.

7 Madame FOUQUET, Recueil de remèdes approuvez par toutes sortes de maladies internes et

externes inventoriées et difficiles à guérir, recueillis par les ordres charitables, Lyon, 1668,

Estienne Michallet, in-12.

8 François GENET, Théologie morale dite de Grenoble, imprimée sur ordre de Mgr Etienne LE CAMUS, Paris, André Pralard, 1676, in-12.

9 A.D.S. 2 C 2605 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1770, fol. 61. Testament du Rd Baptiste TREMEY, recteur de Bonnes Nouvelles de Termignon, 23 janvier 1770, no^re Orcain.

10 A.D.S. 2 C 1343 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1733, fol. 86. Testament du Rd Urbain MERMET, prêtre de Saint-Maxime, 1^er avril 1733, no^re Jean-François Blanc.

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historique de Moreri². Le nom du bénéficiaire est précédé de la mention « Discret » qui semble

anodine mais révèle que ce frère est aussi un membre de l‟Église même si son titre et son poste ne sont pas précisés.

Lorsqu‟il y a peu de titres d‟ouvrages légués, le notaire prend la peine de les relever comme dans le testament du curé de Villarembert, le révérend Jean-Baptiste Taravel³, qui délaisse en 1739 à son frère Pierre, également curé, ses deux bréviaires, les Conférences de Luçon4, les

Résolutions pastorales du diocèse de Genève5 et les Prônes de Joly6. On ne sait où sont

passés les autres livres du défunt, peut-être ont-ils été donnés au chapitre cathédral du diocèse de Maurienne.