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Bien sûr, il est de bon ton d‟offrir des livres à l‟évêque, preuve de soumission et de respect à l‟égard du supérieur hiérarchique. C‟est ce que n‟oublie pas de faire le chanoine Jean-François Fongelaz d‟Annecy en 1741 qui lui « prie d‟agréer le legs de deux ouvrages de ses livres qu‟il n‟aurait pas dans sa bibliothèque »4. Lorsque le lecteur possède un nombre important d‟ouvrages, il suggère un titre à l‟évêque qui diffère de la Bible communément donnée par les curés les moins cultivés et laisse même le choix à son supérieur de prendre le livre qu‟il lui sied. Ceci apparaît bien dans la formule du testament du chanoine Claude Falquet3 de la cathédrale Saint-Pierre de Genève dans la ville d‟Annecy :

« Je lègue à mon Seigneur l’Evêque et prince de Genève le livre du pere des Champs intitulé heresis janseniana4 ou tel autre qu’il lui plairat choisir entre ceux qui lui plairont dans ma bibliothèque »5.

Parfois, il est plus surprenant de rencontrer la mention suivante :

«Supplie Sa Grandeur Monseigneur l’Evêque et Prince de Genève, d’accepter celui de ses livres qu’il lui plairât, ou la somme seize livres, à son choix »1.

1A.D.H.S. H, dépôt 13, 1 B 91 Archives de l‟Hôpital général. Donations, testaments. Procès-verbal d‟ouverture de l‟inventaire du délaissé du Rd VEUILLAND Pierre-Antoine, recteur de Vieugy, 22 septembre 1862, nore Pierre Duparc.

2 A.D.S. 2 C 247 Tabellion de Chambéry, 1720, vol. 2, fol. 535. Testament solennel de Rd MARTINI Pierre, chanoine en la Sainte Chapelle de Savoie à Chambéry, 24 septembre 1720, nore Perret.

3 A.D.H.S. VI C 180 Tabellion d‟Annecy, 1763, vol. 1, fol. 385. Testament du chanoine FALQUET Claude de la cathédrale Saint-Pierre de Genève d‟Annecy et curé de Mûres, 8 avril 1763 nore Burnod.

4 Etienne-Agard DECHAMPS, Stephani Dechamps de Haeresi janseniana ab apostolica sede

merito proscripta, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1654, in-fol.

5 A.D.H.S. H. dépôt 13, 1 B 38 Testament du Rd Jean-François FONGELAZ, chanoine de la cathédrale Saint-Pierre-de-Genève d‟ Annecy, 28 juillet 1741, nore Tinjod.

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Nul doute que cette proposition laisse entrevoir des livres de grande valeur dans la bibliothèque du chanoine Jean-Baptiste Rouge, lui aussi d‟Annecy, qui est comme il se doit docteur en théologie.

Les ecclésiastiques savoyards lèguent obligatoirement un livre à leur évêque. Certains émettent des clauses particulières qui spécifient le type de livre à prendre comme le fait le révérend Joseph Dufournet2, curé de La-Balme-de-Sillingy, en 1752 :

« Je donne et lègue, et par institution particulière delaisse à Monseigneur l’Illustrissime et Reverendissime Eveque et Prince de Genève qui sera regnant lors de mon deces l’un de mes breviaires ou bien une pistole de Savoie à son choix payable dans l’année de mon décès au moyen duquel legat je le prive et l’exclut de tous mes autres biens ».

Voilà un curé qui fait preuve d‟une générosité bien ordonnée.

Un autre bréviaire est délaissé à l‟évêque d‟Annecy par le chargé d‟âmes de la paroisse de Manigod, le révérend Jean-Louis Chappaz3, en 1753. Mais ce dernier précise qu‟il s‟agit de « son bréviaire de Paris » sans préciser cependant son année d‟édition.

Certains titres légués à l‟évêque sont précisés lors de l‟écriture du testament, ce qui montre qu‟ils ont une valeur intellectuelle ou vénale certaine. Ainsi, le curé Georges Barut, en poste à Dingy-Saint-Clair4, laisse en 1753 le Catéchisme de Montpellier5 écrit par François-Aimé Pouget sur ordre de Monseigneur Charles-Joachim Colbert. Il s‟agit d‟un ouvrage très pédagogique voulu par l‟évêque « pour être enseigné aux enfans de son diocèse qui sont confirmés ».

Parfois, certains curés délaissent à l‟évêque un livre dont il se doute qu‟il sera apprécié et qui montre également leur inclination spirituelle. En Savoie, l‟influence de Saint François de Sales est considérable comme en attestent les nombreux livres retraçant sa pensée ou sa vie dans les bibliothèques des clercs séculiers. Tout naturellement le curé de Musièges, Claude Chappaz6, laisse à son évêque en 1770 La Vie de Saint François de Sales de Claude Marsollier7. Il s‟agit d‟un grand classique célébrant les vertus de ce grand évangélisateur de la province du Chablais que lègue également le curé de Serrières, François Chapuis8 en 1743, en y ajoutant « son gros bréviaire ».

Un autre curé, celui de Sévrier, le révérend Claude Dunger, en 1734, enjoint ses héritiers de « restituer d‟abord après son décès la Somme de Saint Thomas d‟Aquin12 à Monsieur Dupraz d‟Annecy » en échange de deux Bibles que ce bourgeois détient, prêtées par le prêtre. Ce dernier lègue à l‟évêque son bréviaire et « son defaut aux Rds Seigneurs vicaires généraux de ce diocèse »9.

À l‟attention de son évêque, le chanoine d‟Annecy, Jean-Claude Riondel10, délaisse en 1766 « les ouvrages de Saint Cyprien11 et le portrait en miniature de St François de Sales placé dans son cabinet, le priant de voulloir bien se contenter du dit leg ». Par ailleurs, il lègue à la

1 A.D.H.S. VI C 180 Tabellion d‟Annecy1763, fol. 503. Testament du chanoine Jean-Baptiste ROUGE de la cathédrale Saint-Pierre-de-Genève d‟Annecy et curé d‟Arith-en-Bauges, 3 mai 1763, nore Favre.

2 A.D.H.S. VI C 159 Tabellion d‟Annecy, 1752, fol. 239-240. Testament du Rd Joseph DUFOURNET, curé de La-Balme-de-Sillingy, 26 septembre 1752.

3 A.D.H.S. VI C 160 Tabellion d‟Annecy, 1753, fol. 537-538. Testament du Rd Jean-Louis CHAPPAZ, curé de Manigod, 16 mai 1753, nore Bessonis.

4 A.D.H.S. VI C 160 Tabellion d‟Annecy, 1753, fol. 647-648. Testament du Rd Georges BARUT, curé de Dingy-Saint-Clair, 15 mai 1753, nore Miège.

5 François-Aimé POUGET, Catéchisme de Montpellier, Paris, Nicolas Simart, 1712, in-12.

6 A.D.H.S. VI C 194 Tabellion d‟Annecy, 1770, fol. 777. Testament du Rd Claude CHAPPAZ, curé de Musiège, 17 juin 1770, nore Bessonis.

7 Claude MARSOLLIER, La Vie de Saint François de Sales, Paris, H.-L. Guérin, 1757, in-12.

8 A.D.H.S. VI C 141 Tabellion d‟Annecy, 1743. Testament du Rd François CHAPUIS, curé de Serrières.

9 A.D.H.S. VI C 121 Tabellion d‟Annecy, 1734, fol. 408. Testament du Rd Claude DUNOYER, curé de Sévrier, 28 juillet 1734, nore Lionnaz.

10 A.D.H.S. VI C 186 Tabellion d‟Annecy, 1766, fol. 45. Testament du Rd Jean-Claude RIONDEL, chanoine de la cathédrale de Saint Pierre de Genève, 1672, in-4.

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bibliothèque publique de la ville une collection des conciles de Philippe Labbe1, les œuvres de Saint Bernard2.

Plus évasive est la formule utilisée par le révérend Pierre Bouchet, vice-prieur de l‟église Saint Sépulcre d‟Annecy, dans son testament rédigé en 1765 :

« je lègue à mon évêque « un des livres de ma bibliothèque écrit par François de Sales ».

2.2. Des acquéreurs de livres qui sont des laïques parfois

ou des membres de la proche famille

A. Les livres d’ecclésiastiques rendus à la proche

famille

II est tout naturel qu‟un homme, même d‟Église, sentant la mort venir, pense à léguer ses livres à ses parents les plus proches. Le vicaire de Sainte-Foy-en Tarentaise, le révérend Bruny Philibert, laisse ses deux gros bréviaires qui semblent être ses livres les plus précieux puisqu‟ils sont les plus utilisés dans l‟exercice du ministère et les seuls évoqués dans le testament à son frère ecclésiastique comme lui qui se prénomme Benoît3.

Parfois, le curé possède peu de biens, quelques chaises, un peu de linge, du petit bétail, un tonneau de vin de pays, du blé, comme le révérend Paviet Pierre-Louis, curé de La Perrière en Tarentaise, mort le 24 février 1856 à Moûtiers, dont le testament est ouvert le lendemain4. Ce qui ne l‟empêche pas de mentionner à part que la « douzaine de volumes de livres de piété » qu‟il détient sont dévolus « à leur choix » à ses deux frères, Jean-Baptiste et Claude-Antoine. Lors de la rédaction ou de la dictée du testament, il est rare que le clerc prévoyant cite les titres des ouvrages. S‟il prend la peine de le faire, c‟est qu‟il les apprécie tout particulièrement tout comme il veut faire plaisir à leur bénéficiaire. Le révérend Urbain Mermet, prêtre de Saint-Maxime-de-Beaufort5, laisse à son frère Joseph huit cents livres à relever d‟une créance, des meubles, de la vaisselle, du linge, mais aussi la Vie des Saints6, ouvrage d‟histoire ecclésiastique de Adrien Baillet et le Dictionnaire historique7 bien connu de Louis Moreri, qui aborde l‟histoire de la France.

Habituellement, dans un testament, les livres ne sont pas cités et apparaissent des formules vagues telles que « legs à Rd Deschamps Pierre chanoine de Maurienne son oncle : tous ses livres » comme le fait le curé de Saint-Etienne-de-Cuines, Claude Deschamps8. Ici, comme fréquemment, s‟il s‟agit d‟un oncle qui devient l‟heureux bénéficiaire des livres, il est souvent également ecclésiastique. Si le révérend Claude Falquet, curé d‟Hermillon, donne dans son testament douze belles serviettes et « les livres qu‟il voudra » à son oncle curé de Fontcouverte, le révérend Favier Jean-Baptiste, c‟est qu‟il sait qu‟il saura les choisir et les apprécier9.

1 Philippe LABBE, Conciliorum collectio, Paris, Imprimerie royale, 1715.

2 Saint BERNARD, Opera, Paris, Guignard, 1690, in-foglio.

3 A.D.S. 2 C 1762 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1736, vol. 1, fol. 74. Testament du Rd Philibert BRUNY, vicaire de Sainte-Foy, 13 mars 1736, nore Blanc Jean-François.

4 A.D.T. 4 Z 56 Testament du Rd Pierre-Louis PAVICT, curé de La Perrière, 24 février 1856, nore Louis Barral.

5 A.D.S. 2 C 1343 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1733, vol. 1, fol. 86. Testament du Rd Urbain MERMET, 1er avril 1733, nore Blanc.

6 Adrien BAILLET, Vie des Saints : où les points principaux de la vie et de la mort de ceux que

l’Eglise honore d’un culte public se trouvent rangés selon l’ordre des temps, Paris, Nully, 1704,

4 vol., in-2.

7 Louis MORERI, Le grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Amsterdam, Boom, 1694, 2 vol., in-2.

8 A.D.S. 2 C 2447 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1702, vol. 1, fol. 231. Testament du Rd Claude DESCHAMPS, curé de Saint-Etienne-de-Cuines, 14 février 1702, nore Dupré.

9 A.D.S. 2 C 2486. Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1720, vol. 2, fol. 625. Testament du Rd Claude FALQUET, curé d‟Hermillon, 7 novembre 1720, nore Villette.

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En général, c‟est le plus ancien qui aide le plus jeune à se constituer une bibliothèque mais il arrive que la mort ne respecte pas la logique des âges de la vie. Bien des fois, le testateur appartient à une famille d‟hommes d‟Église. Son testament nous l‟apprend. Ainsi, le chanoine Mathieu Didier, attaché à la cathédrale de Saint-Jean-de Maurienne, délaisse à son cousin Jean-Pierre Didier « ses livres serviettes et habits noirs » composés de soutanes, justaucorps, preuve qu‟il se destine à la prêtrise comme l‟ont choisi aussi le curé d‟Aigutin s‟appelant Pierre et le chanoine se prénommant Bernard, respectivement oncle et frère de Mathieu1.

Quelquefois, le testateur n‟énonce pas les liens de parenté qui le lie à son bénéficiaire. C‟est ce que fait l‟évêque lui-même Monseigneur Louis Rendu alors à la tête du diocèse d‟Annecy au milieu du XIXe siècle, tant le nom de son proche est connu à cette époque. Il écrit ainsi : « Je

donne à Mr Veuillat Louis les deux vol. sur hautecombe et un petit anneau portant une topaze rouge entourée de diamants. Je donne et lègue a mon parent l‟abbé Guillermain une action sur

la Banque de Savoie, tout le mobilier de la chambre qu‟il habite, une douzaine de serviettes, une douzaine de couteaux de table à choisir, et quatre ouvrages de ma bibliothèque à savoir : Bossuet, l‟université catholique Rurebacher [sic]. Il aura aussi tout ce qui me reste de manuscrits, ainsi que mes décorations »2. Les deux volumes concernant l‟abbaye d‟Hautecombe, au bord du lac du Bourget, sont difficiles à identifier. L‟orthographe du nom de l‟auteur ayant écrit un livre en rapport avec une université catholique est inexact car il s‟agit en fait de Johann Scheffmacher3.

B. Les livres transmis à des neveux étudiants

Les livres légués par un ecclésiastique décédé continuent à être étudiés par des proches, souvent des neveux. La mention du bénéficiaire nous renseigne sur son activité. Ainsi, on apprend que Jean-Antoine Dupré est le frère du curé de Saint-Hélène4, docteur en théologie, qui lui délaisse sa bibliothèque pour l‟encourager certainement dans ses études en cours au collège de Montaigne, à Paris. C‟est la même démarche effectuée par le révérend Louis Freney, curé de Bonvillaret5, à l‟attention de son neveu Pierre Freney « étudiant en Avignon ». Le desservant mentionne aussi le legs de ses manuscrits, ce qui sous-entend qu‟ils seront utiles à son parent.

La sollicitude des clercs séculiers savoyards à l‟égard de leur neveu est remarquable. On repère des curés qui délaissent la totalité de leur bibliothèque ou presque à ce dernier. Ainsi, le révérend Claude Coche, curé de Lenslevillard, lègue à son neveu, curé de Sollières, ses livres et meubles qui se trouvent dans la cure et à son autre neveu, Mathieu, fils de Jean-Baptiste Coche, mille florins « pour finir ses études »6. Quant au curé de Granier, près d‟Aine, il fait hériter de ses livres son neveu « à la réserve du psautier qu‟il laisse à l‟église Saint Maxime de Granier »7. Parfois, le nombre de livres transmis doit être réduit comme le sait le Révérend Jean-Baptiste Doix, prêtre de Saint Maxime, près de Bourg-Saint-Maurice, qui écrit qu‟il donne à « Rd Claude Doix, mon neveu, le peut de livres qui lui appartiennent », ce qui est compensé par le legs d‟une chambre d‟un grenier et d‟« une chasuble rouge, une blanche, et verte avec une croix rouge, une noire avec les voiles, une autre et un surplus à son choix, sa coutelliere

1 A.D.S. 2 C 2256 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1782, vol. 3, fol.187-189. Inventaire après-décès du Rd Jean-Pierre DIDIER, curé de Fontcouverte.

2 A.D.H.S. Testament de Mgr Louis RENDU, évêque d‟Annecy, 20 novembre 1858 et 25 octobre 1859, nore Masson.

3 Johann Jakob SCHEFFMACHER, Lettres d’un docteur allemand de l’Université catholique de Strasbourg à un gentilhomme protestant sur les six obstacles au salut qui se rencontrent dans la religion luthérienne, Strasbourg, Le Rouxin, 1730, in-8.

4 A.D.S. 2 C 2126 Tabellion d‟Aiguebelle, 1732, fol.527. Testament du Rd Pierre DUPRE, curé de Saint-Hélène, 10 octobre 1732, nore Catin.

5 A.D.S. 2 C 2151 Tabellion d‟Aiguebelle, 1753, fol. 141. Testament du Rd Louis FRENEY, curé de Bonvillaret, 20 janvier 1753, nore Hector Feige.

6 A.D.S. 2 C 2321 Tabellion de Termignon, 1699, fol. 38. Testament de Rd Claude COCHE, curé de Lenslevillard, 11 août 1699, nore Demaison.

7 A.D.S. 2 C 1632 Tabellion d‟Aine, 1718, fol. 45. Testament de Rd Pierre GACHET, curé de Granier, 3 février 1708, nore Monart Blanc J. Antoine.

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composée du couteau manche argent, culliere et fourchette d‟argent »1. Les curés savoyards sont très soucieux de la préservation de la totalité de leur bibliothèque si possible en la donnant à un proche membre de l‟Église. Si le bénéficiaire refuse le legs, d‟autres sont

parfois

envisagés. Par exemple, le révérend Alexis Jorcin, recteur à Lenslebourg, prévoit de donner tous ses livres à son frère Jacques, chanoine de la cathédrale de Moûtiers. Mais si ce dernier refuse, alors ses neveux, les révérends Jean-Baptiste, François et Joseph, fils de Jacques Molin de Lenslebourg, se les partageront2.

Rares sont les titres spécifiés sur un testament et destinés à un neveu. Le révérend Jean-Antoine Floret, chapelain de Bessans, fait figure d‟exception en laissant à Jean-Pierre Grosset, son neveu, trois livres identifiés3 : Disputatiorum theologiae scholasticae de Georges de Rhodes4, Incognitus in psalmos de Michel Ayguani5 et L’Univers en abrégé de Jean-François

Pomey6.

L‟étude des testaments de clercs séculiers savoyards présente aussi l‟intérêt d‟appréhender les villes dans lesquelles étudient les neveux des donateurs. Certains sont étudiants dans le duché comme le sieur Maurice Crosset au collège de La Roche, recevant tous les livres à l‟exception du bréviaire du curé de Quintal, Joseph Pasquier, près d‟Annecy, en 17427. Déjà en 1715, le révérend François Michel, prêtre d‟Arêches, dans le Beaufortin, laisse à ses deux neveux Jean-Baptiste Michel et Félix Rosset qui étudient à Grenoble « une douzaine de serviettes, deux draps, quatre assiettes et un plat d‟étain, ses habits et livres »8.

Au hasard des testaments, se découvre la profession des bénéficiaires de legs. Tous les livres du chanoine de Moûtiers, Pierre Mouthon, sont destinés en 1706 à son neveu, « Spectacle Pierre Mouthon, avocat au Sénat de la ville de Thonon en Chablais »9. Le curé a donc jugé que certains de ses livres seraient bien utiles à ce jeune homme à la situation déjà bien établie. C‟est que ce curé doit avoir beaucoup de centres d‟intérêt dont l‟étude du droit et ne s‟intéresse pas seulement qu‟à la théologie.

C. Les livres récupérés par des bourgeois

Il suffit d‟observer les gens évoqués dans le testament d‟un ecclésiastique pour avoir une idée non seulement de ses relations, de ses amitiés mais encore de ceux qui sont susceptibles de recevoir ses livres. Le cercle des témoins présents dans le bureau du notaire ou qui assistent à l‟inventaire dans la maison du défunt se compose de plusieurs catégories de personnes. Lors du testament du chanoine Benoît Guigoz de Saint-Jean-de-Maurienne, fait par le notaire Borrelly le 4 décembre 1721, assistent des confrères hommes d‟Église10. Le chanoine Pierre Mollaret côtoie le révérend Louis Frenay, prêtre bénéficier de la cathédrale. Un autre ecclésiastique est cité dans le document : il s‟agit du révérend François Lavy, qui est professeur de philosophie dans le collège local. Le chanoine Guigoz connaissait du « beau monde » de la ville, puisqu‟assistent aussi à l‟ouverture du testament des fonctionnaires de l‟administration royale comme Spectacle Jean-Baptiste Gallice, procureur fiscal en la province et Sieur Ignace Martin, commis principal dans les fermes du roi. Il y a aussi des gens de justice

1 A.D.S. 2 C 1341 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1731, fol. 15. Testament du Rd Jean-Baptiste DOIX, prêtre de Saint-Maxime, 14 février 1731, nore Chevallier Joly.

2 A.D.S. 2 C 2409 Tabellion de Termignon, 1781, fol. 322. Testament de Rd Alexis JORCIN, recteur de Lenslebourg, 12 juillet 1781, nore Riset Benoît Augustin.

3 A.D.S. 2 C 2342 Tabellion de Termignon, 1719, fol. 384. Testament du Rd Jean-Antoine FLORET, chapelain de Bessans, 2 décembre 1719, nore Grossy.

4 Georges de RHODES, Disputationum theologiae scholasticae, Lyon, Hugueton et Barbier, 1671, in-8.

5 Michel AYGUANI, Commentaria in psalmos davidicos, Venise, Giovanni Gerigli, 1603, in-8.

6 Jean-François POMEY, L’univers en abrégé, Lyon, A. Molin, 1667, in-12.

7 A.D.H.S. VI C 639 Tabellion d‟Annecy, 1742. Testament du Rd Joseph PASQUIER, 12 novembre 1742, nore Cattin Benoît.

8 A.D.S. 2 C 1325 Tabellion de Bourg-Saint-Maurice, 1715, fol. 69. Testament du RdFrançois MICHEL, prêtre résidant d‟Arêches, 9 novembre 1715, nore Cornu.

9 A.D.H.S. 2 C 1838 Tabellion de Moûtiers, 1706, fol. 307. Testament du Rd Pierre MOUTHON, chanoine de Moûtiers, 15 mars 1706, nore Marboz.

10 A.D.S. 2 C 2488 Tabellion de Saint-Jean-de-Maurienne, 1721, vol. 2, fol. 456. Testament du Rd Benoît GUIGUOZ chanoine de la cathédrale, 4 décembre 1721, nore Borrelly.

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comme les deux procureurs et juges de Maurienne dénommés Jean-Pierre Martin et Jacques Anselme. S‟y ajoute l‟apothicaire Claude Opinel. Ainsi, les acheteurs potentiels de livres sont des clercs, des laïques proches par leur niveau social et culturel élevé, des priseurs parfois qui accourent pour faire de bons achats lors d‟une vente aux enchères, d‟éventuels créanciers ou même des débiteurs, accompagnés de voisins, de domestiques qui constituent une foule de badauds, incapables d‟acheter le moindre ouvrage. La mort d‟un chanoine, événement cité, est prétexte à la dispersion d‟une partie de la bibliothèque du défunt. Les livres distribués ne sont pas toujours mentionnés cependant.

Quelles peuvent être les autres motivations qui prévalent à la distribution des livres du défunt ? L‟observation de certains termes, de certains adjectifs, est éclairante. Par exemple, le révérend Jean-Baptiste Duret, qualifié de « son tres cher et honoré bon frère et amy », reçoit deux ouvrages qu‟il ne possède pas ainsi qu‟un service en argent en témoignages d‟amitié.