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IMPLANTES COCHLEAIRES

II.2.1. Le développement psychomoteur du jeune enfant

Le développement postural et moteur chez le jeune enfant est dépendant de la maturation nerveuse. En effet, la myélinisation des fibres nerveuses s’effectuant du haut du corps vers le bas (du cerveau vers l’extrémité des membres inférieurs) et de l’intérieur du corps vers l’extérieur (des zones proches de la moelle épinière jusqu’au bout des doigts), le bébé acquiert progressivement le contrôle :

1. de son regard, sa tête, son dos et ses membres inférieurs

2. de ses membres supérieurs, lui permettant d’effectuer des gestes de plus en plus fins.

Le tonus des muscles va progressivement évoluer au cours des premiers mois, pour permettre à l’enfant de maintenir sa position assise dans un premier temps, puis d’acquérir la marche en permettant la station debout. Il est donc intimement lié au développement de la motricité globale (regroupant dans notre exposé la posture et la locomotion). Il permet également le développement des conduites de préhension, acte intentionnel très important chez le bébé puisqu’il lui donne la possibilité d’explorer le monde qui l’entoure.

Chaque nouvelle acquisition est un pas de plus vers son autonomie motrice et son autonomie sociale. Le développement moteur participe ainsi au développement global de l’enfant. En effet, toute acquisition de nouvelle possibilité motrice, permet à l’enfant d’explorer différemment son monde environnant, et participe donc à transformer ses schémas cognitifs existants.

II.2.1.1. Développement postural et moteur

L’être humain est un être en mouvement. L’acte moteur sert deux grandes fonctions : - Le transport (pour la locomotion ou le transport d’objet) ;

- La communication verbale et non-verbale (gestes, mimiques, postures, articulation vocale).

Le Tableau 1 ci-dessous récapitule le développement postural et moteur des enfants dits typiques, âgés de 6 à 30 mois (items de posture extraits ou adaptés du Brunet-Lézine Révisé, Josse, 1997) :

Tableau 1

Grandes étapes du développement postural et moteur : repères pour les 30 premiers mois

Statique et Motricité

2 mois

Couché sur le ventre, soulève la tête et les épaules

Retient la tête bien droite quand on exerce une traction sur ses avant- bras

Se retourne du côté sur le dos 4 mois

Maintient sa tête dès 3 mois

Couché sur le ventre, garde les jambes en extension

Couché sur le dos, mouvements dirigés pour se débarrasser de la serviette posée sur sa tête

Tient assis avec un léger soutien 6 mois

Allongé, saisit ses pieds

Supporte une partie de son poids quand il est tracté ou maintenu (assis ou debout)

Couché sur le dos se débarrasse de la serviette posée sur sa tête 8 mois

Efforts de déplacement dès 7 mois

Couché sur le ventre ou assis sans soutien, se débarrasse de la serviette posée sur sa tête

Se retourne du dos sur le ventre

9 mois Mouvements nets de déplacements Se tient debout avec appui

Soutenu sous les bras, fait des mouvements de marche

10 mois Changements de position possibles : de la position couchée à la position assise (seul), de la station assise à la station debout (avec appui)

Placé debout avec appui, lève un pied et le repose

12 mois Passe de la station debout à la station assise sans se laisser tomber Marche avec aide quand on lui tient la main

Tient debout seul quelques secondes sans appui

14 mois Marche seul couramment Monte à quatre pattes un escalier

17 mois Marche à reculons Pousse du pied le ballon

24 mois Court avec des mouvements coordonnés (dès 20 mois) Donne un coup de pied dans le ballon sur ordre

Se tient sur un pied avec aide

Le développement des capacités posturales (e.g. être assis, tenir debout) et motrices (comme la marche par exemple, cf. Adolph, Vereijken, & Shrout, 2003) repose sur des processus complexes :

- La maturation physiologique et cérébrale ;

- La force musculaire et la capacité de coordination de plusieurs groupes musculaires ;

- L’activité de l’enfant (exploration, entraînement).

La maturation physiologique comprend notamment le développement du système vestibulaire, clef de voûte de l’équilibre, puisqu’il est responsable de la stabilisation des yeux, de la tête et du corps (Rajendran & Roy, 2011). De fait, lorsque celui-ci est endommagé, les performances motrices et/ou l’équilibre peuvent être chutés (Crowe & Horak, 1988). Or, un grand nombre d’enfants sourds, implantés ou non, présentent des altérations du système vestibulaire (Cushing, Gordon, Rutka, James, & Papsin, 2013; Cushing, Papsin, Rutka, James, & Gordon, 2008). Il n’est donc pas surprenant que plusieurs études mettent en évidence la présence d’un retard postural et moteur chez les enfants sourds d’âge scolaire (e.g. Crowe & Horak, 1988; Hartman, Houwen, & Visscher, 2011; Rine et al., 2000), ainsi que des troubles de l’équilibre (Cushing et al., 2008; de Sousa, de França Barros, & de Sousa Neto, 2012; Selz, Girardi, Konrad, & Hughes, 1996), différents en fonction de l’étiologie de leur surdité. Les enfants avec une surdité acquise semblent moins bien réussir aux épreuves motrices que les enfants porteurs d’une surdité congénitale (Cushing et al., 2008; Horn, Pisoni, Sanders, & Miyamoto, 2005).

Mais alors qu’il est couramment admis que surdité (congénitale et acquise dans les premières années de vie) et retard postural et moteur à long terme peuvent être liés, l’impact de l’implantation cochléaire sur les fonctions vestibulaires et sur le développement moteur n’a été que peu étudié (Gheysen, Loots, & Van Waelvelde, 2008) et les résultats des différentes études existantes semblent encore, à ce jour, contradictoires. Certaines pointent le risque de dommage vestibulaire lors de la chirurgie pouvant notamment entraîner des troubles de l’équilibre chez les enfants (Tien & Linthicum, 2002), tandis que d’autres montrent une amélioration des performances motrices après l’implantation. Les méthodologies d’exploration sont différentes et les capacités posturales et motrices évaluées varient d’une étude à l’autre (Rajendran, Roy, & Jeevanantham, 2012). Sur le plan comportemental les mêmes divergences peuvent être relevées. Si certaines études pointent un retard de développement des capacités motrices complexes et de l’équilibre équivalent entre les enfants sourds porteurs d’un implant cochléaire et les enfants sourds non implantés (Schlumberger, Narbona, & Manrique, 2004), Gheysen et al. (2008), mettent en évidence que les enfants sourds implantés semblent moins performants au test d’équilibre sur un pied que les enfants entendants, conclusion qui n’est pas retrouvée avec la cohorte d’enfants sourds non implantés de leur étude.

Ces conclusions peuvent-être liées, comme on l’a vu précédemment, au développement vestibulaire. Mais elles peuvent être également influencées par d’autres

éléments pouvant retarder le développement des capacités motrices globales chez l’enfant. Son activité elle-même peut-être impactée par la surdité. En effet, les enfants produisent dès la naissance des réactions motrices (de l’activité réflexe aux gestes volontaires) en réponse aux diverses stimulations extérieures. A deux mois et demi ou trois mois par exemple, le nourrisson tourne la tête en réponse à un appel visuel ou sonore sans rotation des épaules (Vasseur, 2000). Dès le plus jeune âge, l’enfant répond aux stimuli auditifs en bougeant les yeux, la tête, voire tout le corps pour tenter de localiser la/les source(s). Certains auteurs suggèrent donc que la surdité congénitale peut, même sans atteinte vestibulaire, être source de retards dans le développement moteur et postural des enfants (Savelsbergh, Netelenbos, & Whiting, 1991), surtout pour les capacités motrices complexes (Schlumberger et al., 2004). Cependant, les rares études évaluant les capacités des enfants sourds en pré-implant ne mettent pas en évidence de retard moteur pour les enfants constituant leurs cohortes (Horn, Pisoni, et al., 2005; Kutz, Wright, Krull, & Manolidis, 2003). Le retard moteur semble donc augmenter avec l’âge des enfants, même lorsqu’ils sont implantés. Par ailleurs, cette observation semble se porter plus spécifiquement sur les capacités de motricité fine. Car lorsque des auteurs dissocient dans leurs conclusions motricité globale et motricité fine (Horn, Pisoni, & Miyamoto, 2006), il apparaît que le développement moteur global semble suivre un cours normal lorsque la surdité est isolée, contrairement au développement des habiletés de motricité fine, inversement corrélé à l’âge chronologique.

II.2.1.2. Développement de la coordination oculo-manuelle La motricité fine correspond aux mouvements fins et précis des mains, des doigts, des pieds et de la bouche (Adolph & Berger, 2005). Ici, nous assimilerons le développement de la motricité fine aux capacités de coordination oculo-manuelle, ces capacités étant celles les plus souvent testées dans les différentes études sur le développement de la motricité fine. Chez le nouveau-né, le développement de la préhension est capital. Dès 4 mois, perception et action sont liées pour atteindre un seul et même but : prendre un objet. La préhension est alors réalisée à pleine main : les enfants touchent et attrapent tout ce qu’ils peuvent, ce qui leur permet de découvrir leur environnement proche. Peu à peu, vers sept mois, on observe une préhension avec participation du pouce, qui se précise un mois plus tard avec l’apparition de l’utilisation de la pince pouce-index. Le ralentissement du geste de l’enfant à l’approche de l’objet et la coordination bi-manuelle se développent quelques mois plus tard, tandis que la coordination œil-main s’affine avec l’entraînement, permettant à l’enfant de gagner en précision dans ses mouvements (Adolph & Berger, 2006). Entre un et deux ans, la motricité des mains et des doigts s’affine, permettant à 98% des enfants de reproduire, à 24 mois, une tour de cinq cubes et à tous les enfants de cette tranche d’âge d’encastrer des formes différentes sur une planchette (Josse, 1997).

L’impact de la surdité sur ces capacités a été peu étudié chez le jeune enfant. Seule une étude, à notre connaissance, a comparé les scores de motricité fine d’enfants sourds âgés de 6 à 51 mois (Mâge=22 ; ET=13,7) à la norme (Horn et al., 2006), à l’aide de l’échelle de motricité issue du Vineland Adaptative Behavioral Scales (Sparrow, Balla, & Cicchetti, 1984).

Ces auteurs mettent en évidence que plus les enfants sont âgés en pré-implant, plus leur retard aux items de motricité fine2 s’accroit. Cette conclusion peut être mise en relation avec les résultats d’études réalisées avec des enfants sourds d’âge scolaire. En effet, si les enfants les plus jeunes semblent ne pas présenter de déficit majeur de motricité fine, les enfants entre 5 et 10 ans obtiennent des scores de coordination et de motricité fine inférieurs à la norme. Les tâches de dextérité manuelle tout comme la réception d’une balle, par exemple, tâches complexes, impliquant la coordination de nombreux mouvements, sont moins bien réussies par les enfants sourds que par leurs pairs normo-entendants (e.g. Hartman et al., 2011; Savelsbergh et al., 1991). Des perturbations sont également observées pour des tâches plus basiques, telles que l’utilisation d’une main pour taper le genou de manière répétitive (Schlumberger et al., 2004) ou la tâche de tapping de la NEPSY (Korkman, Kirk, & Kemp, 1997), consistant à frapper 32 fois le bout de l’index sur la face interne du pouce le plus vite possible (mouvement simple), puis à frapper le pouce aux autres doigts de la même main (mouvement complexe), en respectant la séquence index- auriculaire (Conway et al., 2011). Les enfants sourds, implantés ou non, réalisent les tâches proposées plus lentement que leurs pairs entendants, surtout lorsque la tâche est proposée avec la main non-dominante (situation proposée dans la deuxième étude). Conway et al. (2011) suggèrent alors que les changements hémisphériques résultants de la surdité affecteraient l’organisation des circuits neuronaux dédiés au contrôle de la motricité fine dans l’hémisphère non-dominant.

II.2.1.3. Lien entre motricité et développement du langage Plusieurs études, chez l’enfant entendant, montrent que le développement moteur précoce est un bon prédicteur du développement langagier ultérieur des enfants (e.g. Josse, 1997; Siegel et al., 1982, cités par Horn et al., 2006). Cette association entre langage et capacités motrices a été retrouvée, chez l’enfant implanté, dans quelques études récentes (e.g. Horn, Pisoni, et al., 2005). Cependant, Horn et al. (2005) montrent que tous les aspects langagiers ne sont pas liés aux capacités motrices des enfants en pré-implant. Dans leur étude, les domaines langagiers corrélés aux capacités motrices en pré-implant sont : la reconnaissance de mots prononcés à l’oral, le langage –en réception, comme en production- ainsi que les connaissances lexicales, tous mesurés plus de trois ans après l’implantation. Par ailleurs, leur étude suivante (Horn et al., 2006) précise qu’il en va de même pour les capacités motrices corrélées au langage. Toutes les capacités motrices ne semblent pas liées de la même façon aux habiletés langagières. En effet, dans leur étude, seules les capacités de motricité fine sont corrélées aux capacités langagières orales en production comme en réception. L’étude de Conway et al. (2011), confirme la corrélation entre capacités de motricité fine et langage, mettant en évidence que les résultats à la tâche complexe de tapping, obtenus par les enfants sourds porteurs d’un implant cochléaire de leur cohorte,

2 Exemples d’items du VABS évaluant la motricité fine : prendre de petits objets avec les mains, faire passer un

objet d’une main à l’autre, ouvrir la porte, ouvrir et fermer une paire de ciseaux, couper une feuille de papier avec un ciseau en suivant une ligne…

sont significativement corrélés avec leurs scores langagiers. Ces études suggèrent que les zones cérébrales habituellement dédiées aux habiletés motrices peuvent être également impliquées dans le traitement du langage, théorie soutenue en neurosciences (S. M. Wilson, Saygin, Sereno, & Iacoboni, 2004). Cependant ces études ayant été réalisées sur de petites cohortes, les résultats observés restent préliminaires. Ils constituent néanmoins une base de réflexion pour nos propres observations.

II.2.2. Le développement de la communication et du langage