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Développement des aspects structuraux du langage Le langage est un outil d’origine à la fois biologique et social Son acquisition suit les

IMPLANTES COCHLEAIRES

II.2.2. Le développement de la communication et du langage Plusieurs courants théoriques se sont intéressés à l’acquisition du langage et de la

II.2.2.2. Développement des aspects structuraux du langage Le langage est un outil d’origine à la fois biologique et social Son acquisition suit les

mêmes grandes étapes chez tous les enfants quels que soient leur environnement ou leur culture (cf. Tableau 3 ci-après, pour les étapes de développement du langage oral).

II.2.2.2.1. Développement du langage oral

L’expérience du langage oral commence dès le stade fœtal : lors des derniers mois de gestation, le fœtus se développant de manière typique, vit ses premières expériences sonores, son système auditif étant suffisamment développé pour percevoir les stimulations externes et internes (Lecanuet & Schaal, 1996). Comme on l’a vu § II.2.2.1., ces dernières constituent la base des compétences perceptives précoces observées chez les nouveau-nés, et notamment de leurs aptitudes à traiter la parole humaine (Bertoncini & de Boysson-

Bardies, 2000). Sur le versant productif, le nouveau-né exprime essentiellement ses besoins et ses émotions par des cris, des pleurs ou des gazouillis. Petit à petit, ses organes de production de la parole gagnent en maturité, lui permettant de produire des sons plus diversifiés et de plus en plus définis. Vers 6-7 mois, le bébé commence à vocaliser plusieurs syllabes bien définies et un babillage canonique, essentiellement formé de sons propres à sa langue maternelle, se met progressivement en place (de Boysson-Bardies, 1996). Ce babillage canonique se transformera progressivement en des productions approximatives porteuses de sens. L’enfant tâtonne alors jusqu’à obtenir la forme exacte des mots. Ce mécanisme est favorisé par les interprétations de ses productions proposées par l’entourage (essentiellement par sa mère). A la fin de la première année, l’enfant produit ses premiers mots simples (de type consonne-voyelle), vecteurs de ses intentions. Cependant, l’accroissement du vocabulaire est lent et instable. L’enfant peut produire un mot à un moment donné et ne plus le reproduire par la suite, ou encore, produire des mots sous plusieurs formes… Cinq ou six mois seront alors nécessaires à l’enfant pour atteindre le cap fatidique des cinquante mots. A compter de ce stade, soit entre 16 et 20 mois environ, l’accroissement du lexique s’accélère : on parle alors d’explosion lexicale, le vocabulaire s’enrichissant mensuellement d’une centaine de mots minimum. Généralement, les mots utilisés sont des mots de l’environnement familier où les formes nominales dominent (Barrett, 1986). Par ailleurs, on observe dans la production de beaucoup d’enfants des expressions figées, pouvant évoquer des phrases (e.g. [leu] pour « il est où ? »). Cependant, on note une grande variabilité dans la forme et le rythme d’acquisition du lexique en production (Fenson et al., 1994), celle-ci étant influencée par des caractéristiques individuelles et environnementales telles que la personnalité de l’enfant, son milieu culturel, son environnement social, sa place dans la fratrie, son genre etc. … (Florin, 1999). A un âge donné, les enfants peuvent donc avoir des niveaux de développement langagiers très différents, ce qui n’empêche pas par la suite ceux ayant un développement langagier plus tardif d’obtenir le même niveau de langage que les enfants ayant développé leur langage plus tôt. Par ailleurs, tous les enfants présentant un développement typique, possèdent un stock lexical passif (i.e. vocabulaire compris par l’enfant), beaucoup plus large que leur stock lexical actif (e.g. Benedict, 1979; Fenson et al., 2000; Florin, 1999).

Les premières associations de deux mots apparaissent en fonction des enfants, entre 18 et 24 mois : 25% des enfants de 18 mois sont capables de combiner deux unités simples, 57% à 20 mois et 89% à 24 mois (Josse, 1997). Chaque mot est alors riche de sens et les modulations intonatives l’amplifient. C’est le début de l’acquisition de la grammaire. Néanmoins, ce langage reste très lié au contexte. De fait, même si son système phonologique se précise de plus en plus, il reste important de connaître ce contexte et les habitudes verbales de l’enfant pour le comprendre.

Puis, entre 2 et 3 ans, l’enfant entre progressivement dans la morphosyntaxe. La phrase à trois éléments apparaît en moyenne entre 20 et 30 mois (Josse, 1997), et évolue

chaque jour un peu plus. Comme pour les mots, l’enfant procède par tâtonnements, essais- erreurs, généralisations, déductions, afin d’accéder à la forme correcte. Vers trois ans, l’enfant est alors capable, en général, de produire la grande majorité des structures morphosyntaxiques de base appartenant à sa langue maternelle (Le Normand, 2005). Il a donc développé un langage efficace, lui permettant de se faire comprendre. Néanmoins, comme pour le développement lexical, chaque enfant entre dans les acquisitions morphosyntaxiques à son rythme. C’est pourquoi une grande hétérogénéité des niveaux de langage est souvent observée dans les classes de petite section de maternelle (Sauvage, 2005).

Tableau 3

Grandes étapes de l’acquisition du langage oral : repères pour les 3 premières années

Âge indicatifs Production Comportements langagiers observés Réception/Compréhension

Période fœtale

Sensibilité aux stimulations

auditives dès la 25ème semaine;

Achèvement de la maturation de la cochlée au cours du dernier mois de gestation : sensibilité aux bruits physiologiques émanant de la mère, aux bruits environnementaux (musique, parole);

Capacité de discrimination des

séquences sonores dès la 35ème

semaine.

Nouveau-né Cris, pleurs, gazouillis, vocalisations réflexes, sourires, regards Reconnaît les voix de ses parents

2-3 mois Sourires intentionnels et apparition de sons signifiants : rires, pleurs, gémissements,

gazouillis 4-7 mois

Jeux vocaux variés

Début du babil : sons produits proches des voyelles et sons consonantiques produits à l’arrière de la gorge

Tourne la tête pour regarder l’adulte qui lui parle

Commence à s’intéresser aux bruits extérieurs

Réagit à l’appel de son prénom 8-10 mois

Babillage canonique : vocalise des syllabes bien définies et commence à en dupliquer certaines (« papa, dada, baba, mama »)

Compréhension de quelques mots, dont le « non » aux alentours de 9 mois

10-12 mois

Diversification du babillage Proto-mots (premières productions signifiantes)

Apparition du pointage distal; Fait « non » de la tête, « au revoir » avec la main…

Compréhension de plus de 25 mots, ainsi que de phrases simples et familières

12 mois

Premiers mots bien distincts en associant essentiellement une consonne à une voyelle: une dizaine de mots sont produits

(essentiellement des noms)

Compréhension de beaucoup d’énoncés en relation avec ses activités quotidiennes

15-18 mois Holophrases (mot unique pour toute une phrase), et accroissement lexical jusqu’à 50

mots

Comprend environ dix fois plus de mots qu’ils n’en produit.

Lexique en réception varié : parties du corps, vêtements, objets courants

18 mois Explosion lexicale

20 mois

Combinaisons de deux mots (« papa pati », « boum biberon »…), liées au contexte; Les principales catégories lexicales sont en place

24 mois Stock lexical de plus de 300 mots Production de phrases de trois mots, entrée

dans la morphosyntaxe

36 mois Stock lexical d’environ 1000 mots Apparition du « je » Comprend environ cinq fois plus de mots qu’il n’en produit

Sources : Bloom, (1993); de Boysson-Bardies, (1996); Florin, (1999); Josse, (1997); Kail et Fayol (2000) ;

Cependant, pour que toutes ces acquisitions orales puissent se mettre en place normalement, il est nécessaire que l’enfant soit exposé précocement au langage verbal. Lorsque ce n’est pas le cas, un décalage important dans les acquisitions peut en résulter. Chez les enfants sourds profonds, des différences peuvent être observées dès les premiers mois. En effet, si leurs premières vocalisations ne sont pas retardées temporellement, et sont proches dans leur forme de celles produites par leurs pairs entendants, certaines différences qualitatives ont néanmoins été soulevées, comme notamment la présence, dès 4 mois, d’un nombre plus important de séquences glottales3 dans leurs émissions vocales (Oller & Bull, 1984, cités par Oller, 2006). Cette observation est la première atypie observée dans le développement du langage oral de ces enfants (pour une revue, cf. Oller, 2006). Puis, à partir de six mois, des différences plus marquées apparaissent (Hage, 2006). Alors que le babillage canonique se met en place chez les enfants entendants entre 6 et 10 mois, et est alors considéré comme un précurseur du développement du langage oral, il n’est observé qu’à partir du onzième mois (intervalle : de 11 à 25 mois) chez les 9 enfants sourds de l’étude d’Oller et Eilers (1988), et à partir de 18 mois chez les enfants sourds profonds de l’étude de Koopmans-van Beinum, Clement, et Van den Dikkenberg-Pot (2001, cités par Schauwers et al., 2004). Par ailleurs, un babillage « marginal » peut-être encore observé longtemps après l’apparition du babillage canonique chez l’enfant sourd (Oller, 2006).

L’émergence d’un babillage chez des enfants implantés a été étudiée depuis les années 2000. Si les études incluant des enfants implantés entre 18 et 20 mois observent une apparition du babillage canonique en moyenne 6 mois après l’implantation (Ertmer & Mellon, 2001; Moore & Bass-Ringdahl, 2002, in Ertmer & Jung, 2011), d’autres incluant des enfants implantés plus tôt, montrent que les progrès post-implantation sont encore plus rapides. En effet, les auteurs tendent à montrer que le babillage canonique chez des enfants activés entre 6 et 21 mois apparaitrait entre 1 et 4 mois après l’activation de leur implant (Gillis, Schauwers, & Govaerts, 2002, cités par Ertmer, Young & Nathani, 2007; Schauwers et al., 2004). Cela dit, Ertmer, Young et Nathani (2007, cités par Ertmer et al., 2011) montrent que les niveaux de développement des vocalisations sont différents en fonction des enfants en pré-implant, et que le temps d’expérience auditive nécessaire avec l’implant cochléaire varie également d’un enfant à l’autre. Néanmoins, les progrès effectués par les enfants implantés semblent plus rapides que ceux effectués par les enfants normo-entendants au même âge d’expérience auditive (Ertmer & Jung, 2011). Par ailleurs, contrairement aux enfants sourds profonds non implantés, leurs vocalisations pré-vocaliques semblent décroître rapidement après l’implantation. Elles atteignent 70% des productions à 3 mois post-activation et 40% des productions après 1 an d’expérience auditive avec l’implant, alors que les enfants entendants, vocalisent toujours beaucoup (M=80%) à un an d’âge auditif (donc également d’âge chronologique). Ces études soulignent donc qu’une implantation précoce est favorable au développement des productions vocales des enfants.

Le développement lexical des enfants implantés commence pour sa part au cours de la première année d’expérience avec l’implant (Briec, 2012; Cochard et al., 2004; Le Maner- Idrissi, Pajon, et al., 2008; Le Maner-Idrissi et al., 2009). Nous pouvons ici noter que, si l’entrée dans le lexique est de fait plus tardive chez les enfants implantés que chez leurs pairs normo-entendants, la durée d’expérience auditive avec l’implant nécessaire aux enfants pour produire leurs premiers mots est similaire à l’âge chronologique d’apparition du lexique chez les enfants entendants. Afin de mieux comprendre les processus d’acquisition du lexique de production des enfants porteurs d’un implant cochléaire, Le Normand (2005) a réalisé une étude longitudinale incluant 50 enfants implantés entre 21 et 48 mois et plus. Elle met en évidence que leur augmentation lexicale est beaucoup plus lente que celle observée chez les entendants, mais qu’elle est régulière et significative entre 12 et 24 mois et entre 24 et 36 mois après l’implantation. Cette évolution lexicale semble se stabiliser après 48 mois d’expérience auditive. Elle note alors que l’acquisition des mots grammaticaux est plus complexe pour les enfants implantés que pour les enfants entendants. Cependant, pour ces acquisitions comme pour l’ensemble des acquisitions lexicales la variabilité interindividuelle est grande : alors que quelques mots familiers sont produits et compris dès six mois par certains enfants, d’autres présentent un retard de production très important (e.g. Le Normand, 2005; Svirsky et al., 2000; Tomblin et al., 2005). L’âge à l’implantation semble être un facteur majeur dans le développement langagier dès cette période : en effet, si la production de mots s’accroit au cours du temps pour tous les enfants (Briec, 2012), l’âge aux stimulations auditives initiales expliquerait 14,6% de la variance observée dans l’augmentation des capacités langagières en expression des enfants (Tomblin et al., 2005). Ces auteurs suggèrent que la croissance du lexique en production des enfants implantés à 12 mois serait meilleure que celle des enfants implantés à 15 mois, elle-même meilleure que celle des enfants implantés à 18 mois. Cependant, ils observent chez tous les enfants un déclin relatif des quotients langagiers obtenus au cours des deux premières années post-activation, accentué lors de la première année pour les enfants implantés tardivement. En effet, contrairement à ce que montrent Svirsky et al. (2000) pour qui les enfants sont déjà en retard par rapport à la norme lors du bilan pré- implant, les enfants de leur cohorte présentaient, lors de l’évaluation péri-implantation, un quotient de développement langagier moyen placé dans des variations normales de développement (même s’ils se plaçaient dans la partie inférieure de l’intervalle). Or, 12 mois après l’implantation, leur quotient de développement langagier moyen était inférieur à celui obtenu en péri-implant, et ceci de manière significative pour les enfants activés entre 21 et 48 mois. La trajectoire attendue de développement langagier est donc altérée. Tomblin et al. (2005) suggèrent que ce déclin pourrait être lié au temps de transition nécessaire pour que le cerveau s’acclimate à cette nouvelle stimulation électrique, et que l’enfant s’adapte aux changements environnementaux liés à l’implantation (imprégnation sensorielle et linguistique, adaptation des attitudes parentales et du mode de communication employé, …).

Cependant même si la vitesse de développement langagier décline avec le délai post- implantation (Briec, 2012), les courbes d’évolution observées chez les enfants s’améliorent nettement après 3 ou 4 ans d’implantation (Le Normand, 2005). Par ailleurs, les étapes du développement lexical et morphosyntaxique observées chez les enfants implantés sont similaires à celle des enfants entendants, même s’ils semblent posséder « une organisation singulière pour les composantes de la grammaire » (Le Normand, 2005, p.28). Les enfants implantés produisent en effet d’abord des mots isolés, avant d’effectuer des associations deux mots, puis des phrases (Chin & Pisoni, 2000, cités par Le Maner-Idrissi et al., 2009). On peut se demander s’il en est de même pour l’acquisition des langues signées, comme la Langue des Signes Française, point qui sera abordé dans le paragraphe suivant.

II.2.2.2.2. Langue orale/Langue des signes : un développement identique ?

Les enfants, exposés à une langue signée depuis la naissance de manière suffisamment importante (enfants sourds ou entendants nés de parents sourds), semblent acquérir cette langue selon les mêmes étapes et aux mêmes âges que les enfants développant leur communication en langue orale (Blondel, 2005). En effet, si certains auteurs ont défendu l’idée que les premiers signes étaient produits de manière plus précoce chez les enfants sourds signants que les premiers mots chez les enfants implantés (Bonvillian, Orlansky, & Novak, 1983, 1985; Newport & Meier, 1985, cités par Lepot- Froment, 2000), d’autres études (e.g. Caselli & Voltera, 1990, cités par Lepot-Froment, 2000; Petitto & Marentette, 1991) montrent que les premiers signes isolés apparaitraient autour de 10-12 mois. Avant, une communication prélinguistique gestuelle est en place (babillage gestuel), au même titre que la communication prélinguistique vocale chez les enfants entendants. L’âge d’un an constituerait donc un âge charnière pour tous les enfants quel que soit leur mode de communication, correspondant au passage du prélinguistique au linguistique (Blondel, 2005; Lepot-Froment, 2000).

Les premières combinaisons de deux signes seraient retrouvées ensuite, entre 18 et 24 mois. Alors que les enfants entendants peuvent combiner un geste conventionnel et un mot, ou deux mots, les enfants sourds signants sont les seuls à associer deux gestes symboliques (Caselli & Voltera, 1990, cités par Lepot-Froment, 2000). Ils peuvent alors exprimer des relations sémantiques au même âge que le font les enfants entendants.

Si ces étapes sont retrouvées dans les modalités orales et gestuelles, lorsqu’elles sont acquises comme langue première, nous pouvons nous demander ce qu’il en est des enfants évoluant avec un mode de communication bimodal.

II.2.2.3. Le langage en interaction : aspects pragmatiques du