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Communication prélinguistique et rôles interactifs Nous observons dans nos résultats que la communication préverbale des enfants de

IMPLANTES COCHLEAIRES

ADL 12 mois post-activation

II.6.1. Fonctionnement psychologique des enfants de notre cohorte

II.6.1.2. Communication prélinguistique et rôles interactifs Nous observons dans nos résultats que la communication préverbale des enfants de

notre cohorte implantés avant 18 mois n’est pas retardée par rapport à la population d’échantillonnage de l’ECSP, contrairement à celle développée par les enfants les plus âgés de notre cohorte. Néanmoins, tous les enfants voient leurs capacités communicatives augmenter au fil du temps. Ces résultats rejoignent les conclusions de plusieurs études qui montrent que les enfants implantés entrent bien dans la communication (Briec et al., 2012; Le Maner-Idrissi et al., 2010; Le Maner-Idrissi, Pajon, et al., 2008; Tait, De Raeve, et al., 2007). Néanmoins, il nous paraît important d’observer plus précisément le développement des conduites des enfants pour chacune des trois fonctions du développement socio- communicatif évaluées par l’ECSP. Nous discuterons donc ci-dessous les résultats enregistrés pour les échelles d’interaction sociale, d’attention conjointe et de régulation du comportement.

II.6.1.2.1. Développement de l’interaction sociale

Nos résultats mettent en évidence que les capacités d’interaction sociale moyennes des enfants de notre cohorte (âgés de moins de 30 mois lors des passations) sont le plus souvent significativement inférieures à la norme théorique de l’échelle. Cependant, tous les enfants, y compris les plus grands, voient leurs compétences progresser au fil du temps. Seul Timéo semble en difficulté pour répondre aux interactions à T3 et T4 et ne progresse pas en maintien de l’interaction : il se positionne en effet très souvent dans l’opposition lors des évaluations post-activation, et joue beaucoup seul, comportement qui peut être en partie lié aux conduites éducatives.

Lorsque l’on s’intéresse aux rôles interactifs pris par les enfants de notre cohorte, nous pouvons remarquer qu’ils présentent de bonnes capacités moyennes d’initiation de l’interaction, et ce, à tous les temps post-activation. Cette observation rejoint celle de Tait et al. (2007) qui montrent que les enfants de leur cohorte (certes implantés avant 12 mois) présentent un bon niveau d’autonomie dans l’initiation des échanges vocaux et gestuels. S’ils jouent plus souvent seuls en pré-implant (Prezbindowski, Adamson, & Lederberg, 1998), les enfants deviennent ensuite capables de mieux prendre en compte leur partenaire d’interaction et de mieux organiser leurs activités pour que l’adulte interagisse avec eux. L’implant semble donc permettre aux enfants d’être plus actifs dans les interactions (Briec, 2012).

La réponse et le maintien des interactions sont par contre des rôles beaucoup plus complexes pour eux, même après l’implantation. 12 mois après l’activation de leur implant, ils ne réussissent pas à obtenir les items du niveau symbolique (niveau 4) en réponse à l’interaction sociale. L’âge à l’activation est alors inversement corrélé avec les capacités des enfants à ce temps : plus les enfants sont jeunes et ont été implantés tôt, mieux ils répondent à l’interaction sociale à l’oral seul. Cependant, l’usage d’un mode de communication augmentatif permet aux plus grands d’atteindre le même niveau que les autres enfants de notre cohorte. Par ailleurs, si les enfants sont capables de maintenir les interactions en pré- implant, leurs compétences moyennes ont tendance à stagner ensuite jusqu’à 9 mois post- activation, période à laquelle certains enfants rattrapent leur retard dans ce domaine.

Cette différence notable dans les résultats entre les rôles nous amène à questionner le type d’échanges impulsés par les enfants sourds de notre cohorte. D’un point de vue qualitatif, on observe qu’au moins trois enfants sur les sept sont très directifs dans leurs échanges, même après l’implantation. Il pourrait donc être très intéressant d’analyser plus en profondeur le type d’interactions produites par les enfants. Nous observons en effet, que comme les enfants sourds non implantés (Deleau & Le Maner-Idrissi, 2005), certains sont très centrés sur leurs désirs et leurs besoins, sont intolérants à la frustration, et utilisent essentiellement la fonction proto-impérative de la communication. L’objet de leurs initiatives d’interaction est donc plus focalisé sur des demandes à l’adulte. Cet aspect pourra être exploré afin de déterminer si les formes utilisées pour initier les interactions en post-

implant sont liées ou non au développement des réponses et du maintien des interactions ainsi qu’au développement langagier de ces enfants.

Une nuance cependant peut-être apportée à nos résultats, un facteur intrinsèque à l’épreuve pouvant les impacter, et ainsi participer à expliquer cette différence notable de résultats entre les séries. Certains items d’initiation du niveau le plus élevé évalué par l’échelle (niveau « symbolique ») sont des items non langagiers, contrairement aux items de réponse à l’interaction de niveaux 3,5 (conventionnel verbal) et 4 (symbolique) qui nécessitent la maîtrise en réception ou en production du langage. Il pourrait donc être intéressant d’adapter l’échelle en ajoutant des items n’impliquant pas de langage aux items langagiers des niveaux 3,5 et 4, afin de voir si cette disparité de niveaux dans les rôles communicatifs est effectivement retrouvée chez les enfants implantés.

II.6.1.2.2. Développement de l’attention conjointe

Les capacités moyennes d’attention conjointe des enfants de notre cohorte âgés de moins de 30 mois sont préservées à tous les temps, excepté à 3 mois post-activation, où tous les enfants obtiennent un niveau « conventionnel gestuel », quel que soit leur âge chronologique. Les autres enfants ont été exclus de l’analyse statistique, ne pouvant plus être comparés à la population d’étalonnage puisque celle-ci s’arrête à 30 mois. Néanmoins, il nous parait important de discuter, à chaque temps, des résultats individuels de tous les enfants de notre cohorte.

Evaluation pré-implantation- Tous les enfants (excepté Timéo qui est chuté) répondent à l’attention conjointe avec des comportements de niveau « conventionnel gestuel », attendus entre 7 à 16 mois. Les enfants les plus jeunes de notre cohorte obtiennent donc un niveau de réponse à l’attention conjointe compris dans les variations normales de développement. En revanche, les enfants de notre cohorte âgés de plus de 17 mois présentent des capacités chutées. Ils échouent en effet aux items faisant intervenir du langage en réception comme en production. Ces résultats rejoignent en partie ceux observés par Prezbindowski et al. (1998), qui ont mis en évidence que les capacités d’attention conjointe des enfants sourds de mères entendantes étaient similaires à celles de leurs pairs entendants, jusqu’à 18 voire 22 mois, c’est-à-dire jusqu’au moment de l’explosion lexicale chez les enfants entendants. L’ECSP ne positionnant pas l’entrée dans le niveau « conventionnel verbal » après 18 mois, mais dès 17 mois, cela induit une légère différence dans nos résultats. En effet, Léo, âgé de 17,56 mois, présente un score identique aux enfants âgés de moins de 17 mois. Il est donc ici chuté, ce qui n’aurait pas forcément été le cas dans l’étude de Prezbindowski et al. (1998). Si l’on sait que le langage joue un rôle instrumental dans la mise en place et le maintien de l’attention conjointe (Baldwin, 1995), il reste, avant l’entrée dans le niveau « conventionnel verbal », lié au contexte et semble alors pouvoir être aisément remplacé par des gestes ou d’autres conduites communicatives, ce qui n’entrave pas le développement des épisodes d’attention conjointe. En revanche, après 18 mois, alors que les enfants entendants

commencent à utiliser un langage plus complexe leur permettant d’exprimer des idées plus abstraites, les enfants sourds ont tendance à stagner, ce que nous observons nettement ici. En effet, à cette période, les mots deviennent des supports de l’attention conjointe, en permettant aux partenaires d’interaction d’évoquer des objets absents voire imaginaires (Werner & Kaplan, 1963, cités par Prezbindowski et al., 1998), ou en devenant eux-mêmes l’objet de l’attention partagée (Jones & Adamson, 1987). Le développement de l’attention conjointe (et plus particulièrement de la RAC) des enfants de notre cohorte rencontrés en pré-implant après 17/18 mois, semble donc entravé par leur perte auditive (Deleau & Le Maner-Idrissi, 2005).

Les capacités d’initiation de l’attention conjointe présentées par l’ensemble des enfants de notre cohorte sont, pour leur part, plus déficitaires, puisque les résultats de 5 enfants sur 7 sont chutés. Deux des quatre plus jeunes ont du mal à diriger l’attention conjointe des adultes par un pointage, et les plus âgés restent là encore pénalisés par leur non maîtrise du langage. Nos résultats peuvent être mis en perspective avec ceux de Prezbindowski et al. (1998), puisque les enfants sourds de leur étude passent significativement moins de temps dans des épisodes d’attention conjointe et significativement plus de temps à jouer seuls que leurs pairs entendants.

En ce qui concerne le maintien de l’attention conjointe, on observe que tous les enfants de notre cohorte restent à un niveau complexe (excepté pour Nadia, la plus âgée, qui ne maintient jamais l’interaction). Ils ne réussissent pas à maintenir l’attention sur un objet ou une situation au cours d’une série de trois échanges successifs en utilisant le pointage en réception ou en production. Cela peut être lié aux comportements maternels : il a en effet été montré que les enfants sourds nés de mères entendantes ont des interactions plus courtes que celles retrouvées dans des dyades mère sourde-enfant sourd ou mère entendante-enfant entendant (Quittner et al., 2004; Tasker et al., 2010). Les mères entendantes d’enfants sourds auraient en effet plus de difficultés à réengager l’attention de l’enfant dans une activité commune lorsque celui-ci décroche (P. E. Spencer et al., 1992). Par ailleurs, il a été montré que les enfants sourds, même à un jeune âge, présentaient d’importantes difficultés d’attention soutenue (Barker et al., 2009). Le maintien de l’attention conjointe semble donc être impacté doublement par la surdité.

Trois mois post-activation- Dans les premiers mois après l’activation, nous observons que les capacités de réponse et d’initiation de l’attention conjointe présentées par les enfants de notre cohorte stagnent. Leurs résultats moyens globaux deviennent donc significativement inférieurs à la norme, comme ce qui est observé pour les enfants sourds après 18 à 22 mois (Prezbindowski et al., 1998). En revanche, leurs compétences de maintien de l’attention conjointe progressent significativement. Nous pensons donc que le fait de commencer à détecter les sons de l’environnement et à percevoir la voix de l’adulte va permettre aux enfants de porter une attention plus importante aux différentes composantes de

l’interaction que sont le partenaire d’interaction et l’objet de l’attention partagée (Tait, De Raeve, et al., 2007). Des modifications dans les échanges interpersonnels entre les partenaires familiers d’interaction et l’enfant peuvent également apparaître. En effet, dès lors qu’ils savent que leur enfant peut les entendre, les parents entendants adapteront leurs sollicitations, en cherchant davantage à entrer dans des échanges complexes avec celui-ci, ce qui sera d’ailleurs favorisé par ses réponses croissantes aux stimulations auditives (Tasker et al., 2010). De fait, même si les enfants de notre cohorte n’entrent pas dans un niveau « conventionnel verbal » puisque le niveau implique forcément la maîtrise de mots (pas de prise en compte dans l’ECSP de l’initiation de l’attention conjointe uniquement à l’aide de gestes conventionnels par exemple), ils assoient et stabilisent toutes leurs compétences à un niveau conventionnel gestuel.

A partir de six mois post-activation- Leurs capacités d’attention conjointe progressent dans l’ensemble. Si cela n’est pas observé pour tous les enfants, nous pouvons néanmoins noter que le niveau global d’attention conjointe moyen pour tous les enfants redevient non significativement différent de la norme et progresse ensuite à 9 et 12 mois post-activation. Une amélioration notable du niveau d’initiation et de réponse à l’attention conjointe est d’ailleurs retrouvée entre 9 et 12 mois post-activation dans nos résultats. L’accès aux stimulations sonores grâce à l’implant faciliterait ainsi la mise en œuvre des épisodes d’attention conjointe (Tait, 1993). Il permettrait donc aux enfants de ne pas stagner au niveau « conventionnel gestuel », comme ce qui est observé chez les enfants sourds après 22 mois dans l’étude de Prezbindowski et al. (1998).

II.6.1.2.3. Développement de la régulation du comportement Les capacités de l’enfant à changer son comportement face à son interlocuteur ou à influencer celui d’autrui ont également été évaluées. Ces capacités sont en effet essentielles pour un bon déroulement des interactions. Nous n’avons pas trouvé d’études distinguant spécifiquement cette compétence dans le développement précoce des enfants. En revanche, plusieurs études montrent que les enfants sourds de parents entendants d’âge scolaire présentent plus souvent des troubles du comportement que les enfants entendants de parents entendants (Mitchel & Quittner, 1996). Cette observation a également été répliquée avec des enfants d’âge pré-scolaire (Barker et al., 2009). Si nos résultats ne permettent pas de pointer distinctement ces troubles du comportement chez les enfants sourds de notre cohorte lors du bilan pré-implantation, ils montrent néanmoins qu’ils ont plus de difficultés à répondre à la régulation du comportement imposée par l’adulte, qu’à l’initier. Les enfants semblent donc plus centrés sur leurs propres comportements que sur ce qui est demandé par l’adulte. Cependant, on observe une progression de leurs capacités en post-implantation. Ainsi, l’arrivée d’un input auditif, via l’implant, paraît bénéfique pour le développement de la régulation du comportement. Notre étude restant préliminaire au vu du faible nombre de sujets inclus et de la grande variabilité de leurs résultats (surtout en pré-implant), il pourra être intéressant de mener une étude de plus grande envergure, pour voir si les problèmes

de comportement observés chez les enfants sourds et peu expliqués à l’heure actuelle, peuvent être mis en lien avec leurs capacités de réponse à la régulation du comportement dans la première année de vie.