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Le développement des communautés 1986 – 2003 74

4.   LA VARIABILITÉ DE LA FONCTION DE LIAISON EN FONCTION DU TEMPS ET DU LIEU 71

4.1.   Les changements de la fonction de liaison dans le temps 71

4.1.2.   Le développement des communautés 1986 – 2003 74

La période de structuration des CLSC comme établissements du réseau de la santé et des services sociaux a été marquée par l’essor et la reconnaissance de l’action communautaire et de l’économie sociale et par la lutte à la pauvreté. Elle a connu des avancées dans le soutien au développement local et une structuration du réseau de la santé et des services sociaux en fonction des impératifs de la nouvelle gestion publique. Enfin les OC se sont donné une communauté de pratique afin de partager leurs expériences et affirmer leur contribution à l’approche communautaire des CLSC. Lors de l’entrevue de groupe trois exemples d’intervention ont été présentés relativement à la mise en œuvre de politiques publiques caractéristiques de la

période : la mise en place de la politique de santé mentale, un mandat de développement de services de transport adapté et une intervention en développement rural.

Au moment où Québec a fait le choix de désinstitutionnaliser les personnes souffrant de maladies mentales il a fallu créer de toutes pièces des organismes communautaires pour fournir le soutien requis à leur intégration dans les communautés : « La première étape ça a été d’essayer de regrouper […] trouver des parents et puis là rassembler, permettre de verbaliser ce qu’ils vivent […] puis de voir leur capacité de s’organiser » (O011). Une telle approche n’allait pas de soi pour ces personnes. Elles devaient apprendre à composer avec des ressources diverses parce qu’il fallait faire affaire avec toute une gamme de services venant du CLSC et de l’hôpital, en plus de susciter une ouverture de la communauté. Ces démarches engageaient un changement de mentalité face à la maladie mentale : « Finalement la notion de maladie mentale s’élargit pour eux autres, devient quelque chose de moins cul-de-sac, où il y a plus de possibles pour leurs gens et même pour eux autres qui se voyaient vieillir avec ces personnes » (O011). En plus de cette mise en réseau des personnes ayant un problème de santé mentale et de leurs proches, le mandat d’organisation communautaire comportait aussi la mobilisation des ressources institutionnelles dans des modes d’action avec lesquels elles n’étaient pas familières, notamment d’intervenir en concertation : « mettre ensemble les organismes communautaires, la psychiatrie, les CLSC, les ressources de réadaptation autour de ce qu’ils appelaient les comités tripartites » (O011). Cette intervention de liaison a été appliquée à une politique déterminée à l’échelle nationale dont la mise en œuvre reposait sur une approche concertée associant les personnes concernées. La mobilisation ne s’appuyait pas sur un mouvement social, elle mettait l’organisation communautaire au service de la traduction dans la vie collective d’une évolution significative de la conception de la maladie mentale. L’OC estime avoir eu à faire un travail « énorme en terme de rôle de passeur » (O011).

Le mandat d’organisation du transport adapté pour des personnes handicapées représente un défi semblable. Il répond cette fois à des revendications « du regroupement des personnes handicapées » elles-mêmes et correspond au moment où se développait la politique québécoise soutenue par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ). Le mandat impliquait de travailler avec les élus municipaux qui contrôlent les ressources de telles infrastructures, et donc de « trouver les conseillers qui étaient pro transport adapté parce que ça coute des sous à une ville ça le transport adapté » (O013). Il a fallu d’abord établir le profil exact des besoins en dénombrant les personnes handicapées puis faire un travail de sensibilisation auprès des familles « qui ne sont pas habituées de voir sortir leurs personnes handicapées seules » afin qu’elles reconnaissent le besoin d’autonomie qui justifie l’intégration. La seule façon de faire bouger les municipalités était la pression que ces familles pouvaient mettre sur les élus. Le travail de Villes et villages en santé sur les milieux municipaux a fait en sorte que certaines municipalités étaient déjà sensibles à l’enjeu : « dans le courant de Villes et villages en santé, un maire qui était très pro transport adapté […] faisait de l’influence

politique sur les autres maires » (O013). Enfin il fallait embarquer dans la concertation les fonctionnaires du ministère du Transport « pour qu’ils débloquent eux autres là : ‘Ça vaut tu la peine ?’ » (O013). Ce mandat représente un bel exemple de la pertinence de la concertation. Ce nouvel enjeu social met en évidence la difficulté de rendre cohérente l’action de l’État qui soutient par l’OPHQ la revendication des personnes handicapées et questionne par le MTQ les coûts que cela engendre. Une nouvelle responsabilité pour les municipalités sur un terrain social avec lequel elles sont alors moins familières, mais dans un domaine qui relève de leur compétence propre, le transport. Une nouvelle vision de la place des personnes handicapées dans la communauté, que même les familles concernées doivent s’approprier. La fonction de liaison s’exerce ici à la jonction de programmes publics et d’attentes communautaires comme un exercice de négociation et de persuasion des acteurs concernés dans le cadre de démarches collectives impliquant les premiers concernés. Sur le terrain du développement rural, une intervention réalisée avant la Politique nationale de la ruralité visait à « faciliter les rapports entre les gens qui essayent de brasser des choses dans leur petite communauté et ceux qui sont jugés comme ayant plus de pouvoir » (O012). La problématique des services de proximité dans les collectivités en décroissance démographique représente un défi devant lequel les gens éprouvent « une certaine culpabilité » car ils se disent : « C’est notre destin, on reste dans un petit village et on est en haut des montagnes. » (O012). Revendiquer, demander avec « un peu plus de force, de vigueur » exige un changement d’attitude :

Les organismes régionaux – généralement CLD, SADC, MRC, commission scolaire, CÉGEP, etc. – c’était jugé par les gens des petites municipalités éloignées comme du monde inatteignable. Bien, le fait de pouvoir rencontrer ces gens-là autour d’une table où, à chaque rencontre, il y a une thématique différente qui s’aborde, fait en sorte que les gens ont mis des visages sur des noms. Aussi ils ont eu l’occasion d’interpeler. (O012)

La fonction de liaison exercée pour établir des contacts et une certaine familiarisation de gens sans pouvoir avec les ressources de développement, « ça leur a donné l’autorisation intellectuelle de réclamer davantage de services de proximité dans leur environnement » (O012).

La liaison du CLSC avec le milieu à cette seconde période se traduit donc par le soutien à de nouvelles formes d’action concertée sur des enjeux sociocommunautaires larges, toujours avec les mêmes préoccupations de participation de populations généralement exclues du pouvoir. L’ensemble des OC présents à l’entrevue de groupe était d’accord pour reconnaître que leurs interventions sur des enjeux qui débordaient spécifiquement le socio sanitaire, ont bénéficié d’un « support institutionnel qui, je pense règle générale, nous donnait comme une erre d’aller […] on sentait qu’on avait une organisation qui était complice de l’action que l’on faisait » (O012).

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