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Les élus dans les SLA : municipalités, MRC et CRÉ 118

5. LA FONCTION DE LIAISON, LES ACTEURS DES SLA ET L’ACCÈS AUX RESSOURCES EXTERNES 109

5.1.3.   Les élus dans les SLA : municipalités, MRC et CRÉ 118

Traditionnellement, les maires et conseillers des municipalités étaient cantonnés dans la gestion des infrastructures dans le cadre légal de corporations municipales qui sont des créatures de l’État québécois :

« Les responsabilités premières des municipalités c’est la voirie, c’est l’aqueduc, c’est l’égout, c’est l’offre de services de loisirs » (D309). Il y avait même, depuis l’adoption au 19e siècle des premières lois sur les

municipalités, une tradition de se tenir loin des services sociaux et sanitaires (Mayer, 2002). Cette attitude ressurgit dans la réaction de certains élus face aux nouvelles fonctions qui leur échoient : « Les maires se disent il faut faire attention, parce que là le communautaire est en train de nous envahir dans nos propres responsabilités » (D309). Ils manifestent donc une certaine méfiance face à ce qui leur paraît un délestage de la part du gouvernement : « On s’embarque tranquillement dans le communautaire [que], au niveau provincial, ils délaissent. […] Nos coûts augmentent nous autres aussi et la taxation est compliquée » (D309). « La lutte à la pauvreté ou toute la qualité de vie, eux, ce que je constate c’est que ce n’est pas quelque chose dont ils ont l’habitude » (O616). Lorsque la CRÉ a présenté le PAGSIS aux préfets, ils ont manifesté leur réticence à s’investir dans un domaine où ils ne sont pas familiers. S’il n’y avait pas, dans le cadre des programmes publics, une « obligation institutionnelle de ne pas faire abstraction de cette réalité-là » (O513) et, en même temps, des fonds alloués par l’État pour les mettre en œuvre, l’engagement municipal ne serait pas ce qu’il est.

Reste que, en l’espace de quelques décennies, notamment depuis la création des MRC par la loi 125 de 1979, les rôles des élus municipaux se sont transformés : « Le rôle, les responsabilités dans une municipalité régionale de comté ont amené l’élu municipal à élargir sa vision de son territoire, de sa communauté. La participation à une MRC où on discute non plus seulement des fossés, des chemins et de ci ou de ça, où on a une multitude de sujets à embrasser » (O011) provoque une transformation des mentalités : « Les élus municipaux ne sont plus du même type qu’il y a 25, 30 ans. C’est carrément différent. C’est du monde qui ont des niveaux d’éveil social et politique et économique très différents » (O012).

L’État québécois a, depuis 2003, confié aux conférences régionales des élus (CRÉ) la responsabilité de gérer tous ses programmes autres que la santé et les services sociaux, l’éducation et l’emploi. Les CRÉ ont aussi la responsabilité de gestion des ententes spécifiques avec les ministères pour certaines mesures destinées aux collectivités locales. Remplaçant les conseils régionaux de développement qui associaient élus et représentants de la société civile, les CRÉ sont clairement sous le contrôle d’élus locaux. Ils y participent avec le sentiment de légitimité que leur donne leur statut d’élus au suffrage universel, même si les CRÉ sont davantage le relais des programmes de l’État que l’expression démocratique des collectivités. Dans les SLA, les élus ont donc un poids particulier.

La transition vers une nouvelle configuration des responsabilités municipales n’est pas nécessairement facile. D’abord en milieu rural, à moins d’être retraités, les élus sont des personnes en emploi qui se retrouvent « souvent pris dans des agendas épouvantables » (A412). Ensuite un certain nombre affichent un déficit en

termes de formation de base : « Tu regardes autour de la table, il y en avait un sur les huit qui avait des études. Les autres c’étaient des agriculteurs, des entrepreneurs, tous des gens bien positionnés, mais pas d’études. Ça avait pris du temps pour les convaincre qu’on allait travailler sur un premier plan d’action » (A929). Ils partagent aussi la mentalité de leur milieu qui n’est pas celle des intervenants communautaires : « Les maires ont une vision de la pauvreté qui peut être différente de celle du travailleur de rue ou des organismes communautaires » (O410). Enfin, le monde politique étant celui des intérêts et des rapports de forces, les attitudes de compétition se manifestent rapidement : « Moi je suis prêt à travailler avec les autres, mais en autant que ça se fasse chez nous » (A412).

Ils ne sont cependant pas les seuls à avoir des attitudes polarisantes : « Un conseil municipal qui voit un comité de citoyens en train de réfléchir sur des éléments qui lui appartiennent comme responsabilités, des fois ça fonctionne. Les gens comprennent comme il faut le rôle du comité de citoyens, mais ce n’est pas toujours le cas » (A412). Par exemple, un comité de citoyens mal préparé qui veut soumettre un projet, ou bien des citoyens qui doutent a priori de la réceptivité de leurs élus, suscitent eux-mêmes une réaction négative des élus. Il arrive que les élus n’aient guère le gout de collaborer à un projet de citoyens « parce qu’il y a deux ou trois personnes qui n’arrêtent pas de critiquer le conseil municipal dans d’autres circonstances » (A412). Bref, le conseil municipal est une arène politique où les acteurs se trouvent dans des rapports de force que, de part et d’autre, ils peuvent contribuer à rendre tendus.

Dans le cadre des programmes publics, les intérêts collectifs peuvent être lus différemment par un conseil municipal et par des citoyens. Par exemple, la fluoration de l’eau favorisée par le gouvernement lorsqu’il subventionne l’amélioration des usines de traitement des eaux et par la santé publique qui y voit une façon d’améliorer la santé dentaire, peut être perçue par des citoyens comme une mesure potentiellement nocive. Alors que « le maire dit au conseil municipal on va en profiter, on va tout équiper et on va fluorer l’eau », un groupe de citoyens et citoyennes se présente à l’assemblée pour « dire que ça n’a pas de bon sens », suscitant un débat qui prend plutôt une allure de chicane « dans une petite salle surchauffée » (O825). Élus à un poste de pouvoir, mandatés pour prendre des décisions dans des domaines fortement balisés par les lois et les règles régissant le monde municipal et, pour un certain nombre, habitués à la culture des instances de pouvoir, une bonne partie des maires et conseillers municipaux ne sont pas nécessairement friands de démocratie participative. Ils participent aussi à une culture plus rigide en termes de procédures de décision et sont attachés aux modes de délégation de la démocratie représentative. Les initiatives citoyennes soulèvent « des craintes, à un moment donné : “Ils prennent notre place” ou “C’est nous les élus, c’est nous qui décidons” ou “Les comités locaux de développement ne comprennent pas tout-à-fait le rôle du conseil municipal et ils s’imaginent que tout ce qu’ils vont présenter, le conseil va adhérer à ça” » (A412).

Cette posture conditionne le fonctionnement des MRC et de la CRÉ et explique une part des décisions qui irritent les acteurs du milieu communautaire et même institutionnel, voire des collisions qui surviennent dans une instance comme le conseil d’administration de la CRÉ : « On était dans la gestion de l’argent […] on a apporté des commentaires […] je me suis fait ramasser » (C102). Les élus conservent le pouvoir de décider en dernière instance même après avoir mandaté des comités pour élaborer des propositions : « C’est sûr que nous on a essayé de travailler pour mettre le cadre de gestion à notre goût, si on peut dire. […] Ça a passé par le CA de la CRÉ » (O616) qui a apporté des changements. Pour le comité de travail « Ça a été un peu choquant […] ça refroidit un peu » (O616).

La description des modalités d’application du PAGSIS par la CRÉ est caractéristique de ce mode de gestion. La CRÉ a embauché, pour faire le lien avec le Groupe d’action contre la pauvreté, quelqu’un qui

tient à être présent lors de nos rencontres pour savoir c’est quoi nos réflexions, comment on veut travailler, vers où on s’enligne. […] C’est une personne qui doit couvrir toutes les instances de concertation de la région […] qui va s’occuper de la gestion des sous aussi […] qui signe les chèques pour chacun des projets. […] Il s’est doté d’un comité de validation des projets, qui est une vingtaine de partenaires. (O616)

En plus, « La CRÉ demande aux MRC d’approuver chaque étape qu’ont faite les GRAP locaux » (O616). On peut considérer cette façon de faire comme une forme d’accompagnement fourni aux intervenants locaux : « C’est le fun d’avoir cette possibilité là » (O616) ou bien estimer que « ça devient très gouvernemental comme vocabulaire » et qu’« il y a comme un glissement potentiel par la lourdeur des redditions de comptes, par le vocabulaire employé par la CRÉ et en général par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité qui arrive autour de la table » (O513).

S’ils imposent des contraintes administratives, les élus ne se pressent pas aux instances de concertation auxquelles ils confient la mise en œuvre de programmes : « Au niveau du Groupe d’action contre la pauvreté local, parce que le projet passe par la CRÉ et les MRC, c’est plus facile d’avoir un élu. […] Actuellement l’élu, c’est monsieur le préfet qui n’a pas été là encore. Donc c’est le DG de la MRC qui a pris la place » (O616). Ils sont malgré tout incontournables : « Dans le fond, il faut y aller avec nos élus à la MRC. On ne passe pas à côté parce que dans une étape il va falloir leur déposer notre plan et il va falloir qu’ils mettent un tag “On appuie ce champ d’action-là” » (C102).

Les SLA qui affichent des résultats structurants pour leur territoire, sont ceux où les élus ont accepté de prendre en charge les enjeux d’une démarche de revitalisation ou de développement local. Au niveau de la MRC De la Vallée, au moment de mettre en œuvre le PAGSIS, le préfet a reconnu le Comité qui fonctionne depuis 10 ans : « On ne recommencera pas à mettre en place une nouvelle structure. Vous êtres efficaces, vous avez de belles réalisations, on reconnaît ça » (O513). Dans d’autres cas il a fallu les convaincre d’abord : « Comme pour une bonne partie des élus, c’est l’économie qui va sauver le monde, […] les

canneberges dans le fond des rangs ça ne sauvera pas le monde. […] Finalement ils ont accepté de considérer l’agroalimentaire parce que j’avais entre les mains un portrait intéressant des impacts socioéconomiques de ce secteur-là » (A929).

La fonction de liaison doit servir l’efficacité des SLA en faisant en sorte que les partenaires sachent bien prendre en compte les positions et façons de faire des élus et que, pour leur part, les élus acceptent un certain partage de responsabilités dans l’exercice d’un leadership politique qui leur appartient en propre. Les élus sont déjà engagés dans des démarches de développement social et constituent des partenaires d’autant plus incontournables que l’État leur a reconnu un rôle clé dans l’accès aux ressources des programmes publics. Or les communautés locales ont besoin de ces ressources externes pour réaliser leurs projets.

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