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Les débuts de 1972 à 1985 : installer une nouvelle institution dans son milieu 71

4.   LA VARIABILITÉ DE LA FONCTION DE LIAISON EN FONCTION DU TEMPS ET DU LIEU 71

4.1.   Les changements de la fonction de liaison dans le temps 71

4.1.1.   Les débuts de 1972 à 1985 : installer une nouvelle institution dans son milieu 71

Au début de l’entrevue de groupe avec des OC retraités, la première réponse à la question d’identifier des pratiques de liaison a été : « La fondation du CLSC » (O011). On pourrait retrouver une telle affirmation dans

la bouche de nombreux OC embauchés au cours de la période de mise en place d’un CLSC. La contribution alors attendue de l’organisation communautaire était de faire en sorte que se construise une relation qui n’avait guère de précédent au Québec entre les besoins particuliers de communautés locales et des services sociaux et de santé. Le déploiement des CLSC a suivi celui des MRC : Québec établissait ainsi un échelon territorial qui allait permettre le développement d’une nouvelle territorialité. Ce niveau d’appartenance n’existait toutefois pas encore et il fallait en établir les diverses dimensions : « À ce moment-là j’étais une chercheure au doctorat et puis j’avais créé des comités d’aménagement pour la MRC. Ce monde-là sont venus frapper à la porte d’un comité d’aménagement que j’avais créé qui s’occupait des infrastructures » (O011). En milieu urbain et métropolitain, les unités territoriales desservies par un CLSC ont été les quartiers et c’est à cette échelle que s’est faite une démarche similaire. L’organisation communautaire a été mise à contribution, souvent dans la toute première équipe de travail, pour enraciner les CLSC dans leur milieu : « Je suis devenue organisatrice communautaire à contrat pour organiser une consultation sur les besoins de la population » (O011). Écouter l’expression des besoins et des attentes des diverses communautés d’un territoire, puis « amener ça au directeur général, au conseil d’administration, à la MRC » ou bien piloter le directeur général sur le terrain de façon que le plan d’organisation de l’établissement permette la meilleure configuration possible des services de première ligne en prévention et promotion de la santé, « c’est une grosse expérience de rôle de passeur » (O011).

Conscients que les populations dont on sollicite l’opinion ont rarement eu la parole dans la définition du réseau de la santé et des services sociaux, des OC ont suscité des démarches qui exposent les directions à une prise de parole directe des citoyens. Dans un CLSC en milieu rural, par exemple, ils ont préparé une opération « grandes oreilles » pour amener les cadres sur le terrain en leur disant que « les gens ne sont pas au courant comment nos programmes fonctionnent et qui fait quoi dans notre boîte » et que cette rencontre serait une occasion de les informer. Dans de « petites rencontres par paroisse » auxquelles participaient la direction générale, les coordonnateurs et le président du conseil d’administration, il y avait une brève période de présentation du CLSC et un important bloc d’expression des attentes locales : « cette opération-là a permis de développer une toile d’araignée assez phénoménale sur le territoire. […] À partir de cette opération de grandes oreilles, il y a des liens qui ont été tissés dans la communauté à travers les différentes instances » (O015). La liaison du CLSC avec le milieu n’a pas seulement comme résultat de fournir des orientations à l’institution, elle permet aussi une prise de parole citoyenne : « Moi je retrouve que le rôle de passeur c’est de faire le lien entre l’institutionnel et le citoyen et en même temps de donner l’opportunité au citoyen de dire à l’institutionnel qu’est-ce qu’il veut » (O015). Ainsi la consultation dans certaines communautés rurales a fait ressortir des problèmes d’accès à l’assurance-chômage et généré un comité revendiquant un nouveau découpage des zones utilisées pour établir l’accès aux prestations de chômage afin qu’elles correspondent

mieux à la réalité des petites collectivités. Les représentations du comité soutenu par l’OC auprès de la commission d’assurance-chômage et du député ont permis de « faire changer le zonage du territoire » (O012). Suite à l’installation du CLSC et à l’ajustement des programmes aux besoins sociocommunautaires, le travail de liaison débouchait sur l’accompagnement d’organismes en place et la création de nouveaux organismes : « Si le groupe n’existait pas, la première démarche consistait à trouver des citoyens que la chose pouvait intéresser […] et accompagner ces citoyens-là » (O015). Ces organismes devaient favoriser la prise en charge par la population des situations qu’elle-même considère comme problématiques. L’accompagnement était donc orienté vers l’action dans leur milieu : « On met les gens devant. On est derrière les gens, mais ils sont devant. On les a préparés à être devant, on les a comme aidés » (O013). Ce travail permet le développement du leadership citoyen, l’empowerment qui vise à « faire évoluer les mentalités et à faire

découvrir aussi qui étaient les acteurs influents qui étaient susceptibles de faire avancer les dossiers » (O014). Ces interventions deviennent donc le prolongement normal du travail de liaison et mènent à une autre étape de liaison afin de permettre la participation des populations aux SLA, « de les mettre en rapport avec des structures » (O012). Tout en favorisant que ce soient les citoyennes et citoyens qui mènent l’action, l’OC devait aussi assumer une part de suppléance, notamment au niveau de l’écriture pour quoi les gens sollicitent l’OC : « Il y avait tout un apprentissage de langage à apprendre. […] Toi tu es un fonctionnaire, tu connais les mots. Écris-les donc » (O012).

Ces pratiques prennent rapidement une dimension politique. En plus des services qu’il dispense dans les communautés, le CLSC est aussi une nouvelle institution dans un milieu où sont déjà actives d’autres institutions. Cela implique qu’il a à s’inscrire sur un terrain plus large que celui de la santé. La fonction de liaison c’est aussi « mettre le CLSC en lien avec les autres institutions et puis établir le dialogue du CLSC avec les institutions pour qu’on élargisse notre notion du développement » (O011). L’aventure d’un comité de développement local permet de le confirmer. Formé à l’issue de consultations qui avaient pointé un problème de développement local, et soutenu par « un budget de l’Office de développement de l’Est du Québec » pour stimuler l’engagement des municipalités qui considéraient « que le développement c’était uniquement l’affaire des gens d’affaires », le groupe s’est heurté à ces même élus et gens d’affaires qui « sont allés faire des représentations en haut lieu pour faire en sorte qu’eux autres aient ce budget-là et non pas des petits culs qui géraient à partir d’un comité de citoyens. Et c’est là qu’on a perdu notre financement » (O012). Il a donc fallu un travail soutenu, à l’interne du CLSC comme dans les communautés, pour « que l’on puisse parler de développement social, que l’on puisse parler de développement culturel, qu’ensemble comme territoire, les institutions, le réseau communautaire, les groupes sociaux de base, qu’on en arrive à dire le développement ce n’est plus juste économique » (O011).

La création des MRC et les premières politiques de régionalisation ont été l’occasion d’une redéfinition des territoires d’appartenance. Les OC et les CLSC dont le territoire correspondait très souvent à celui de la MRC, ont joué un rôle de facilitation dans ces processus. Leur contribution a été reconnue entre autres parce que « la ressource organisateur communautaire à ce moment-là était perçue comme une ressource qui avait une vision peut-être un petit peu plus large du territoire de la MRC », mais aussi « qui n’avait rien à perdre, rien à gagner là-dedans, qui était une ressource avec certaines habiletés en animation » (O014). On sollicite donc cette ressource locale afin d’assouplir les procédures associées à la culture municipale dans les démarches de consultation pour l’élaboration des schémas d’aménagement, mais aussi pour favoriser la concertation dans les sommets socioéconomiques locaux ou la participation aux instances du conseil régional de développement.

Au cours de cette première époque des CLSC, apparaissent trois traits de la fonction de liaison qui répondent assez bien au profil de la période :

 D’abord les OC sont des professionnels reconnus par le milieu et conscients du caractère innovateur de l’établissement qui les emploie. Ils jouent un rôle d’intermédiaire entre le milieu et le CLSC pour que l’établissement soit ouvert aux attentes de la population, mais aussi pour qu’il se perçoive comme un partenaire du milieu.

 Ensuite ils soutiennent le développement de nouveaux espaces d’appartenance et l’essor d’organismes communautaires qui permettent aux populations de prendre contact avec le pouvoir.  Enfin ils expriment la préoccupation de donner la parole à des gens qui ont peu d’occasions de le

faire, en les accompagnant et en mettant en œuvre une pédagogie politique afin de former des leaders.

Ces trois traits répondent assez bien aux caractéristiques identifiées au chapitre précédent pour cette période : essor du mouvement communautaire, multiplication des politiques sociales, caractère innovateur des CLSC et présence des OC dont les pratiques s’inspirent de l’animation sociale.

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