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Le choix d’une théorie du changement social 25

1. PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE 9

1.2. Les écrits ayant traité des théories et concepts pertinents à l’étude de la fonction de liaison 14

1.2.4. Le choix d’une théorie du changement social 25

L’organisation communautaire est une intervention orientée sur le changement social et la question générale de recherche porte sur les changements qu’a connus la fonction de liaison. Or peu de travaux empiriques ont traité spécifiquement des changements qu’a connus l’organisation communautaire avec une théorie explicite du changement social. Nous retenons l’étude de Comeau et al. (2008) qui propose d’examiner les mutations

(1984) offre un système d’analyse particulièrement intéressant pour les pratiques d’OC, car elle permet de prendre en compte, dans une perspective spatiotemporelle, à la fois les pratiques individuelles et les structures sociales dans lesquelles elles s’inscrivent et qu’elles contribuent à reproduire. La théorie de la structuration fournit une analyse sociologique permettant de situer les pratiques des intervenants dans un contexte institutionnel et aussi dans une perspective historique. Cette approche théorique offre donc un cadre dans lequel le changement social passe par l’action sociale tout en étant profondément conditionné par les structures sociales. Ce rapport dialectique des pratiques à l’histoire et aux institutions est au cœur de la question de recherche sur la fonction de liaison en organisation communautaire.

1.2.4.1. Une brève présentation de la théorie de la structuration

Récusant le déterminisme des approches structurelles et la possibilité qu’en sciences sociales il soit légitime d’établir des règles du type de celles qui existent en sciences de la nature, la théorie de la structuration aborde les pratiques des acteurs telles qu’elles se déploient dans l’activité quotidienne, manifestant l’intelligence pratique des acteurs et s’inscrivant dans des structures sociales qui constituent le contexte de ces pratiques, et que celles-ci contribuent à produire et reproduire. Les pratiques sont toujours situées dans le temps et l’espace et « reposent sur la capacité de l’individu de "faire une différence" dans une situation donnée ou dans le cours des choses » (Notre traduction de Giddens, 1984 : 15). Elles sont aussi contextualisées puisque les ressources auxquelles elles ont recours ont des « propriétés structurelles de systèmes sociaux, déterminantes et déterminées par l’intelligence pratique des acteurs en interaction » (Notre traduction de Idem).

Dans la théorie de la structuration, la structure désigne « les propriétés structurelles permettant de définir une unité d’espace-temps dans les systèmes sociaux, propriétés qui rendent possible l’existence à travers divers espaces socio-temporels de pratiques sociales reconnues semblables et qui leur confère un caractère systémique » (Notre traduction de Idem : 17). La structure n’est donc pas déterminante comme dans les approches structuralistes ; elle a, à la fois, un caractère donné et une dimension construite : « …la théorie de la structuration est basée sur la proposition que la structure est toujours à la fois favorable et contraignante, en vertu de la relation constitutive de la structure à l’action » (Notre traduction de Idem : 169). L’action est conditionnée par la structure, en même temps que celle-ci est construite par l’action, que ce soit dans le sens d’une pérennisation ou d’une transformation. Certaines propriétés structurelles, du fait qu’elles ont une profondeur historique et contribuent à la pérennité d’ensembles sociaux, constituent des « principes structurels ». Quant aux pratiques qui ont une large extension dans le temps et l’espace, ce sont des institutions (Idem : 17).

« L’une des propositions déterminantes de la théorie de la structuration est la dualité de la structure : les règles et les ressources qui conditionnent la production et le reproduction de l’action sociale, sont en même

temps les moyens de la reproduction du système » (Notre traduction de Idem : 19). La dualité de la structure est une notion clé dans la mesure où elle renvoie au fait que « les propriétés structurelles d’un système social sont à la fois le moyen et le résultat des pratiques qu’elles déterminent de façon continue » (Notre traduction de Idem : 25). La dualité structurelle ouvre un espace à l’historicité des pratiques, à une liaison avec l’action intentionnelle des acteurs aussi bien qu’à leur inscription dans un cadre structurel qui dépasse la volonté des acteurs. Les gens en action sont capables de dire ce qu’ils font car ils en ont conscience (discursive consciousness). Cela ne signifie pas pour autant qu’ils déterminent à leur gré le cours de l’histoire :

« L’histoire de l’humanité est le fruit d’activités intentionnelles, mais n’est pas un projet réfléchi », affirme Giddens (Notre traduction de Idem : 27). La théorie de la structuration récuse en ce sens tout déterminisme évolutionniste qu’il s’exprime dans la notion de progrès héritée des 19e et 20e siècles ou qu’il se présente

comme une téléologie de l’histoire.

Les acteurs ont non seulement un savoir, mais aussi du pouvoir au sens où « le pouvoir ce sont les moyens pour que les choses se fassent » (Notre traduction de Idem : 283). Le savoir n’est pas réservé à ceux dont c’est le métier de savoir : « Il n’y a pas de mécanisme d’organisation sociale ou de reproduction sociale identifié par des analystes sociaux que les acteurs profanes ne puissent aussi connaître et incorporer à leur action » (Notre traduction de Idem : 284).

Le temps des institutions et celui de l’ordinaire quotidien « participent à la constitution l’un de l’autre tout comme ils participent à la constitution de l’acteur lui-même » (Notre traduction de Idem : 36). L’historicité est constituée par l’aller-retour entre le quotidien et les propriétés structurelles que la conscience discursive, qu’elle soit profane ou scientifique, permet aux acteurs : « La conscience discursive comporte ces formes de rappel que l’acteur est en mesure d’exprimer verbalement » (Notre traduction de Idem : 49).

Au fil de l’action, c’est plutôt la conscience pratique qui guide l’acteur, sans qu’il soit nécessairement en mesure d’exprimer verbalement la connaissance qui le guide : « La conscience pratique c’est de connaître les règles et les façons de faire dont la vie sociale est constituée au quotidien et reconstituée à travers temps et espace » (Notre traduction de Idem : 90). L’action au jour le jour repose sur l’intériorisation de ces usages que la théorie de la structuration désigne comme le développement de routines (routinization) : « Le concept de développement de routines enraciné dans la conscience pratique est vital pour la théorie de la structuration.

La routine est essentielle à la fois à la continuité de la personne qui agit, se déplaçant sur les sentiers de son activité quotidienne, et aux institutions de la société qui sont des institutions seulement par leur continuelle

reproduction » (Notre traduction de Idem : 60). Ce sont ces routines qui permettent l’institutionnalisation des caractéristiques d’un système social ; elle n’en sont pas moins le fruit d’une constante redéfinition au fil des actions quotidiennes (Idem : 86).

Toute action, peu importe le lieu où elle se déroule et l’échelle territoriale sur laquelle elle se déploie, s’inscrit dans un contexte qui « relie les composantes les plus profondes et les plus précises d’une interaction aux caractéristiques les plus générales de la vie sociale institutionnalisée » (Notre traduction de Idem : 119). On peut identifier cette liaison en étudiant les régions (au sens d’espaces et de moments ou temps) dans lesquelles se déplacent les membres d’une communauté dans leur activité quotidienne : « De tels espaces– temps sont profondément influencés par, en même temps qu’ils les reproduisent, les paramètres institutionnels fondamentaux des systèmes sociaux dans lesquels ils s’inscrivent » (Notre traduction de Idem : 142-143). Bref le changement social est le résultat des actions historiques sur les principes structurels, mais il demeure conditionné par ces principes mêmes.

1.2.4.2. La théorie de la structuration et l’intervention

L’intervention dans les perspectives de la théorie de la structuration est un alliage de routines, alimentées par la conscience pratique des intervenants, et d’activité intentionnelle qu’exprime leur discours. C’est en ce sens qu’on peut décrire l’intervention comme « un art de la conjoncture » (Nélisse, 1997 : 35) :

L’intervention est une action circonstantielle (sic), locale, provisoire ayant pour objet une

situation constante, continue, structurelle. Cette double délimitation (dans le temps et la portée) fait de l’intervention une action une et non reproductible. Elle est donc beaucoup plus un art de la conjoncture (moment de décision dans l’occasion critique, mixte de tactiques et de stratégies ayant pour objet l’incertain et le probable…) qu’une technique productive d’effets reproductibles (un travail de production au sens contemporain des termes). (Idem)

Les sociétés « se démarquent parce que des principes structurels définis contribuent à produire un "regroupement d’institutions" (clustering of institutions) particulièrement repérable dans le temps et l’espace »

(Notre traduction de Giddens, 1984 : 164). L’action s’inscrit dans la société selon le principe de dualité : Les sociétés humaines, ou les systèmes sociaux, n’existeraient tout simplement pas sans l’action des hommes et des femmes. Mais cela ne vient pas du fait que les acteurs créent les systèmes sociaux : ils les reproduisent ou les transforment, refaçonnant ce qui a déjà été fait dans la continuité de la praxis. […] L’étendue de l’espace-temps rend impossible certains

résultats de l’action humaine en même temps qu’il ouvre d’autres possibilités. (Notre traduction de Idem : 171)

La praxis ce sont « les activités pratiques réalisées dans l’ordonnancement de la vie quotidienne » (Notre traduction de Idem : 242). « Les propriétés structurelles (structural properties) d’un système social sont à la

fois favorables et contraignantes » (Notre traduction de Idem : 177). L’intervention en contexte institutionnel est à la fois capable d’intentionnalité et contrainte par les propriétés structurelles de l’institution. Une pratique professionnelle en santé publique, comme l’organisation communautaire en CSSS, est contrainte par le cadre institutionnel tout en ayant la possibilité de se définir comme une activité de changement social à travers des interventions qui contribuent à la transformation des structures.

Bien-Aimé et Maheu ont vérifié sur le terrain cette marge d’autonomie professionnelle en étudiant les référents professionnels de travailleuses et travailleurs sociaux (Bien-Aimé et Maheu, 1997 ; 1998 ; 1999) : « Les praticiens et praticiennes se réclamant de la notion de profession construite avec du relationnel ont été dans l’ensemble, non les seuls, mais les plus en mesure de s’emparer des médiations institutionnelles présentes dans les établissements pour déployer une intervention novatrice. » (Bien-Aimé et Maheu, 1997 : 130). Ils arrivent à faire en sorte que les « contraintes institutionnelles […] constituent le contexte à l’intérieur duquel les services sont produits » plutôt que la marque d’un pouvoir qu’ils auraient à subir (Idem : 131).

Comprendre les pratiques d’intervenants « implique à tout le moins une référence implicite à la fois à l’activité voulue et réfléchie de personnes en action et à son rapport aux contraintes et occasions favorables du contexte social et physique de cette activité » (Notre traduction de Giddens, 1984 : 179). C’est aussi les inscrire dans un continuum temporel défini : « Toute vie en société est épisodique […]. Définir un aspect de la vie en société comme un épisode c’est le considérer comme une suite d’actes ou d’événements qui ont un début et une fin définis, créant de ce fait une séquence particulière » (Notre traduction de Idem : 244). Une telle séquence peut être de grande envergure lorsque ce sont les institutions qui sont en cause (Idem). Nélisse considère « que tout travail dans l’univers des "services humains" est toujours une action relationnelle qui ne peut être effective et sensée qu’en autant qu’elle se décrit et se qualifie elle-même en se faisant » (Nélisse, 1997 : 19). La théorie de la structuration considère les personnes comme des agents de l’histoire inscrits dans des structures contraignantes, mais aussi capables de les modifier. Elle s’appuie sur des concepts qui mettent en valeur la liberté des personnes : la conscience pratique et l’intelligence pratique des personnes qui agissent. Voici comment Giddens présente l’une et l’autre. La conscience pratique c’est :

Ce que les acteurs savent (croient) des conditions sociales, incluant en particulier les conditions de leur propre action, mais ne peuvent exprimer dans leur discours. (Notre traduction de Idem : 375)

Étudier la conscience pratique signifie explorer ce que les agents savent déjà, mais par définition le clarifier pour eux en l’exprimant en mots, dans le langage scientifique. (Notre traduction de Idem : 328)

Quant à l’intelligence pratique elle désigne :

Tout ce que les acteurs savent (croient) des circonstances de leur action et de celle des autres, à partir de la production et la reproduction de cette action, incluant aussi bien ce qui est tacite que ce qui est un savoir verbalement bien formulé. (Notre traduction de Idem : 375)

Toutes les personnes humaines sont des acteurs intelligents. Cela veut dire que tous les acteurs sociaux en savent beaucoup quant aux conditions et conséquences de leur action au quotidien. Un tel savoir n’est pas formulé de façon à être partagé et il n’est pas non plus lié à leurs activités. L’intelligence pratique inscrite dans la conscience pratique démontre une extraordinaire complexité – une complexité qui demeure souvent complètement inexplorée par les approches sociologiques orthodoxes, particulièrement celles qui sont associées à

l’objectivisme. Les acteurs sont aussi habituellement capables de décrire verbalement ce qu’ils font et les raisons pour lesquelles ils le font. Toutefois, la plus grande part de ces facultés sont ordonnées au cours de l’activité quotidienne. La rationalisation de la conduite se transforme en présentation discursive de ses motifs seulement lorsque les personnes se font demander par les autres pourquoi elles ont agi comme elles l’ont fait. (Notre traduction de Idem : 281)

En citant Ricoeur, Nélisse (1997) souligne ainsi la compétence des intervenants de pouvoir rendre compte de leur pratique dans leur discours,

…le langage ordinaire du dire ou du faire des professionnels. C’est en paraphrasant avec

révérence Ricoeur, ce que les professionnels « disent lorsqu’ils énoncent d’une manière compréhensive pour autrui ce qu’ils font, ce pourquoi ils le font, ce qui les pousse à agir ainsi, comment et avec quels moyens ils le font, ce en vue de quoi ils le font » (Ricoeur, P., 1977, « Le discours de l’action », 1re part. Dans Tiffeneau, Dorian (ss. la direction de). La sémantique de

l’action, Paris : CNRS, p.3-140). (Nélisse, 1997 : 19)

« On peut à proprement parler affirmer que tous les acteurs sociaux sont des théoriciens du social qui modifient leurs théories selon leurs expériences et sont ouverts à l’information à laquelle cela leur donne accès » (Notre traduction de Giddens, 1984 : 335). La recherche apporte une systématisation du savoir qui vient enrichir la pratique : « Les découvertes en sciences sociales, tout intéressantes qu’elles soient, ne peuvent demeurer longtemps des découvertes ; plus elles sont éclairantes, en fait, plus elles ont des chances d’être reprises dans l’action et de devenir de ce fait des principes familiers de vie sociale » (Notre traduction de Idem : 351). En somme, « [c]’est en écoutant et en regardant les professionnels, et eux seuls, que l’on pourra expliquer la nature de leur action. » (Nélisse, 1997 : 25). C’est cette conviction qui est à la base du choix de la méthodologie et des méthodes de cueillette des données pour étudier la fonction de liaison, qui sera présenté dans le prochain chapitre.

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