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La rubrique comme organisatrice de l’espace papier ?

ÉTUDE DE CAS

1. La différenciation progressive de la publicité commerciale avec l’annonce de particulier dans la presse

1.2. Emplacements et rubriques : les systèmes rubricaux de la publicité

1.2.2. La rubrique comme organisatrice de l’espace papier ?

Le terme de « rubrique » est partiellement anachronique puisqu’il fait son apparition dans le dictionnaire au début du XIXe siècle119. Pourtant, les imprimeurs en avaient bien conscience puisqu’ils l’utilisaient pour organiser leurs journaux. La « rubrique n’est […] point l’ « article », mais seulement le titre qui le coiffe 120», facilement repérable par sa typographie particulière (italique, gras, police particulière). Une rubrique contient plusieurs annonces. Elle détermine la manière dont on présente les annonces aux lecteurs.

Les journaux s’illustrent par une diversité de rubriques dans lesquelles la publicité commerciale peut s’insérer. Il n’existe pas une rubrique pérenne pour les annonces commerciales.

Chaque journal possède ses propres rubriques mais on peut distinguer deux grands cas de figure121. Les Affiches d’Angers, du Mans, de Saumur et la Feuille commerciale nantaise se caractérisent par une diversité plus importante que les autres journaux du corpus. On remarque également que cette diversité diminue au fur et à mesure que les journaux et leur imprimeur gagnent en expérience. Par exemple, dans les Affiches d’Angers, la publicité commerciale tend à s’implémenter dans la rubrique « avis » puis « avis et demandes ». De manière générale, les rubriques de la publicité sont vagues et ne reflètent pas leurs contenus commerciaux. Au contraire, les autres rubriques d’annonces sont plus claires. Par exemple, l’immobilier se situe dans les « articles à vendre » ou « articles à louer ». Le système rubrical s’organise afin de répondre aux difficultés auxquelles font face les journaux, et aussi pour mieux répondre aux demandes de leurs lecteurs. Les rubriques ont pour objectif de « créer des habitudes de lecture 122». Cette amélioration du système rubrical explique un début de localisation de la publicité dans la dernière page à partir des années 1800 puisque la rubrique des « avis et demandes » se place à la fin des Affiches d’Angers. La Feuille commerciale nantaise suit la même logique.

La publicité commerciale se localise ainsi de plus en plus dans une seule rubrique.

Néanmoins, ce fonctionnement rubrical n’est pas bénéfique à la visibilité de la publicité. En effet, les « Affiches [étant] d’abord et avant tout des feuilles d’annonces 123», elles regroupent des annonces de nature très différente : ventes ou locations de biens immobiliers, offres et demandes

119 FEYEL Gilles, « Aux origines de la « rubrique » dans la presse… », op.cit, p. 100.

120 Ibid.

121 Voir l’annexe n°10.

122 FEYEL Gilles, « Aux origines de la « rubrique » dans la presse… », op.cit, p. 99.

123 FEYEL Gilles, L’annonce et la nouvelle…, op.cit, p. 1129.

d’emploi, ventes de biens mobiliers, ventes après décès124… Le système rubrical permet de répartir efficacement l’ensemble de ce contenu mais la publicité commerciale n’occupe pas une place suffisamment importante. Ce faisant, elle se trouve intégrée dans les rubriques de services où l’on peut trouver des offres et demandes d’emploi, des annonces de ventes de particuliers, des annonces de solidarité… Ce regroupement d’annonces donne à la rubrique une identité plurielle : il s’agit d’un espace où l’on retrouve un pêle-mêle d’annonces. Ainsi, la publicité a une très mauvaise visibilité. Parfois, on trouve même une annonce publicitaire dans une rubrique où elle n’a pas grand-chose à y faire : « Très-belle résine de Bayonne ; vin de Malaga, de Rota et d’Alicante. S’adresser au cit. Testu-Morteau, épicier à Angers 125». Cette annonce fait partie de la rubrique « article à vendre » où l’on peut notamment trouver des ventes après décès et des ventes immobilières et foncières. Plus qu’un manque de visibilité, cela traduit les perceptions contemporaines de l’annonce publicitaire : informer plutôt que convaincre et sa faible légitimité dans la presse.

Cette volonté d’informer le lecteur se retrouve particulièrement dans les rubriques classées « autres 126». Ces rubriques ont la particularité de ne contenir qu’une seule annonce. Elles adoptent un titre explicite qui informe déjà sur le contenu : « Cours de langue anglaise », « Code civil », « Équitation », « Gélatine pour clarification des vins », « Bâteaux à vapeurs »… Ces rubriques demeurent rares et sont utilisées pour une annonce précise. Ce faisant, avec leurs titres inhabituels, elles cassent le rythme traditionnel du journal, attirent le regard et suscitent l’attention du lecteur. Étant les seules rubriques avec une spécialisation pour la publicité, elles sont sans conteste le meilleur outil pour donner une visibilité à son annonce dans les Affiches.

Les Affiches et la Feuille commerciale nantaise révèlent une dernière caractéristique dans leur système rubrical. Habituellement, une rubrique se termine avec une ligne de séparation avec la rubrique suivante. Mais certaines annonces n’ont tout simplement pas de rubrique127. Ce cas de figure révèle peut-être un manque de place ou un ajout au dernier moment. S’il reste rare128, les annonces sans rubrique sont plus présentes dans les journaux de huit pages au format « plus souple, moins exigeant 129» et aux rubriques plus diversifiées. Au contraire, les périodiques de quatre pages demandent à l’imprimeur plus de « rigueur, d’exactitude et de compétence 130» et

124 MARTIN Marc, La presse régionale Des Affiches aux grands quotidiens, Fayard, Paris, 2002, pp. 28-29.

125 Affiches d’Angers, 6 janvier 1803.

donc un système rubrical plus complet. Dans tous les cas, ces annonces commerciales passent relativement inaperçues dans le journal.

Tandis que les journaux de huit pages conservent leur diversité rubricale, les formats de quatre pages adoptent une organisation bien différente. Ce second grand cas de figure s’illustre à travers le Journal de Maine-et-Loire, le Lloyd nantais, le Courrier de Saumur et L’écho saumurois.

On constate que la publicité se localise dans une, deux ou trois rubriques en fonction des journaux131. Il y a même des formes de spécialisation d’une rubrique dans le Lloyd nantais avec ses

« avis commerciaux ». Néanmoins, on constate que les rubriques utilisées par la publicité commerciale perdent de leur utilité organisationnelle. En effet, les rubriques aux titres très généraux demeurent. On remarque même l’apparition de rubriques encore plus générales dans les deux journaux saumurois : « Annonces judiciaires, légales et avis divers » et « Annonces, insertions légales et avis divers ». En réalité, ces deux rubriques englobent l’ensemble des annonces publiées dans le journal. Avec la localisation de la publicité dans les deux dernières pages, elles permettent uniquement de marquer la séparation entre la partie rédactionnelle et la partie publicitaire du journal. Cette fonction n’est plus que formelle puisque l’écho saumurois ne prend même plus la peine de rubriquer sa partie publicitaire. Cela explique la surabondance d’annonces sans rubrique dans ce journal. Le Courrier de Saumur opte pour un choix légèrement différent : les annonces anglaises sont placées avant la rubrique d’annonce et sont ainsi « sans rubrique ». La forme de l’annonce a donc une influence sur l’organisation rubricale des journaux.

On retrouve le même schéma dans la presse nationale : Le Constitutionnel est semblable au Lloyd nantais tandis que La Presse rejoint le fonctionnement de l’écho saumurois132. Le journal parisien semble pourtant effectuer un retour en arrière en 1855 avec une réémergence des rubriques pour les annonces.

La rubrique était donc surtout importante dans les Affiches, journaux d’annonces, afin d’organiser des contenus nombreux et similaires. L’influence des nouvelles formes de l’annonce et la professionnalisation de la publicité ont conduit à une adaptation du système rubrical. Ce faisant, deux systèmes rubricaux organisent la publicité de la presse régionale avec des caractéristiques opposées. Celui des Affiches aux rubriques nombreuses, précises et structurées parcourt l’ensemble de la période. Celui des journaux plus modernes émerge à partir des années 1830 et se caractérise par une disparition de la rubrique au profit d’une spécialisation de la publicité dans les deux dernières pages. Ainsi se développe un véritable système publicitaire dans la presse. Il

131 Voir l’annexe n°10.

132 Voir l’annexe n°12.

structure l’apparition des nouvelles formes de l’annonce avec la spécialisation du système rubrical.

L’émergence de ce système publicitaire est une conséquence de la professionnalisation de la publicité.

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