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La portée et l’efficacité des ordonnances

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 172-176)

C HAPITRE 2 – L’ ACTION LEGISLATIVE ET REGLEMENTAIRE DES

C. La portée et l’efficacité des ordonnances

1. L’enregistrement du cahier

Bien que ces ordonnances n’avaient pas vocation à être permanentes, les États entendaient bien qu’elles soient appliquées et utiles pendant le temps que durerait le conflit. C’est pourquoi, ils envoient une requête au Parlement de Nantes afin qu’il procède à l’enregistrement des articles22. La demande de l’assemblée est accompagnée d’une lettre de

Mercœur, du 18 avril 1591 allant dans le même sens23

. Le 30 avril 1591, le duc fait également la même demande auprès de la Chambre des comptes24. Le Parlement procède à l’enregistrement le 30 avril 159125

et la Chambre des comptes le 19 juin 159126. Les deux cours procèdent donc plutôt rapidement à l’enregistrement, mais ni l’une, ni l’autre ne sont d’accord sur tous les points des articles et leurs arrêts d’enregistrement demandent plusieurs modifications. Elles rappellent aussi la limitation dans le temps de ce texte. De fait, aucune des deux cours n’accepte le terme « d’ordonnance », ce qui tendrait à montrer que le terme revêtait bien un sens réglementaire ou législatif aux yeux du Parlement et de la Chambre des comptes, d’où leur refus, puisqu’accorder ce terme serait reconnaitre une capacité réglementaire aux États.

Les ordonnances des États ne sont donc pas confinées au cadre des États. Le cahier des articles avait vocation à être connu et distribué auprès de l’ensemble des juridictions de la province. C’est ce que stipule l’arrêt du Parlement de 1591 :

« sera le present arrrest avecq lesdicts articles envoye a la dilligence dudit procureur general du roy aux quatres juges presidiaux et aultres royaux de ce ressort pour y estre pareillement leuz, publiez, enregistrez et gardez par lesdits juges et subiectz dudit seigneur roy27 »

Le procureur substitut des États en réalisa des copies qui furent délivrées aux quatre présidiaux ligueurs (Nantes, Vannes, Dinan et Quimper)28. De plus, les États lors de leur session de 1594, décident de faire imprimer les ordonnances afin qu’elles soient connues de

22

ADIV, 1 Ba 11,, feuillet 12 verso. Requête des Etats au Parlement.

23

ADIV, 1 Ba 11, feuillet 12 verso. Lettre du duc de Mercœur au Parlement.

24

ADLA, B 62, Registre des mandements et édits royaux, folio 271 recto.

25

ADIV, 1 Bb 75, feuillet 38-39.

26

ADLA, B 62, folio 274 verso.

27

ADIV, 1 Bb 75, feuillet 39.

28

ADIV, C 3195, Mémoire et état des mises de Jean Bonnet procureur substitut. Demande le remboursement de ses frais pour avoir copié les articles du cahier des Etats. Copies destinées à Mercœur, Parlement, Chambre des comptes, évêque de Cornouaille président des Etats et les quatre présidiaux.

172 tous et garder inviolablement par tous les officiers et juges royaux29. Les États s’étaient donc donné les moyens de donner de la légitimité et de communiquer ses ordonnances à toutes les juridictions de la province. Se pose donc maintenant la question de leur application réelle.

2. L’application des ordonnances

Les États eux-mêmes se réfèrent au cahier des ordonnances pour prendre des décisions. Lors des sessions de 1592 et de 1593, les députés font lecture des articles et prennent des décisions en accord avec ceux-ci. En 1592, conformément à l’article 26 sur les châteaux et places fortes, l’assemblée dresse une liste des places fortes pour en demander la démolition au duc de Mercoeur30. Les articles servent aussi aux de base pour ordonner des enquêtes. Par exemple sur l’article 33 qui interdit notamment aux capitaines de faire des levées sans commission, les États demandent à tous les juges ordinaires de mener des enquêtes sur les capitaines qui contreviennent à cet article31. C’est sur l’article 42, qui interdit de faire usage de violence envers les membres du parti de la Sainte-Union, que le sieur de Plessis-Josso fait une remontrance demandant à ce que le prévôt des maréchaux aille au bout de ses enquêtes et délivre les peines prévues32.

En 1593, un débat est ouvert autour de l’article 17 portant sur la gestion des biens saisis. Sur cette question, le procureur remontre à l’assemblée que des biens de laboureurs innocents ont été saisis sous prétexte qu’ils étaient des hérétiques. Les États décident que l’article ne s’applique pas aux biens des laboureurs et villageois et qu’il est interdit de saisir leurs biens où qu’ils soient situés33

. Autre exemple, le 26 avril 1593, les États refusent à Gabriel de Goulaine l’autorisation de levée des deniers sur ses sujets pour protéger sa maison. Afin de justifier cette décision, ils s’appuient sur l’article 17 du cahier des ordonnances34.

Mais plusieurs exemples peuvent être trouvés du manque d’efficacité des ordonnances des États. Les instructions que reçoivent les députés de Quimper en 1594 en sont un premier exemple. En effet, ceux-ci doivent, « en premier lieu supplie son altesse d’apposer son auctoriitte pour l’execution de son ordonnance et ce que a este cy devant arreste soubz son

29

ADIV, C 3198, PV des Etats 1594, feuillet 32 recto.

30

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 7 verso.

31

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 7 verso.

32

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 9 verso.

33

ADIV, C 3196, PV des Etats, feuillet 5 verso, 13 avril 1593.

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173 autoritte par les precedants estatz »35, exprimant par-là la difficulté à les faire appliquer. De nombreuses requêtes ou remontrances des communautés à l’assemblée montrent que malgré ces ordonnances, les violences des capitaines et des soldats n’ont jamais cessé. Les habitants de Fougères, en 1594, se plaignent ainsi que les ordonnances des États ne sont pas observées et sont méprisées par ceux qui en ont la force36. Les habitants demandent donc que les États avisent pour qu’elles soient appliquées. Dans cette remontrance, les habitants de Fougères se plaignent notamment du mauvais fonctionnement de la justice et des gouverneurs qui ne respectent pas les juridictions ordinaires. Dans cette même remontrance, on peut voir que l’article 37, qui interdit les coupes de bois sans commission, n’est pas respecté par les capitaines de Fougères, puisque les soldats et les gentilshommes réfugiés dans la ville coupent du bois sans aucune autorisation.

En 1592, les États doivent réitérer auprès du gouverneur leur demande de démantèlement des places fortes inutiles et donc d’appliquer l’article 2637

. Autre exemple, le 13 avril 1593 est remontré que les articles 23 et 24 ne sont pas respectés, qu’il existe encore des levés de deniers sur les laboureurs pour le paiement des gens de guerre qui sont faites sans commissions. Les États décident donc d’en parler à Mercœur et d’ordonner des enquêtes38. De même, les articles 73 et 75 qui promulguent la liberté du commerce et condamnent toutes attaques des soldats contre les marchands ne sont pas respectés. Entre autres, le 28 avril 1593, l’assemblée reçoit une plainte d’un marchand catholique de la Sainte-Union dont le vaisseau et les marchandises ont été saisis par le capitaine d’un vaisseau de guerre39

. De même, en 1594, le procureur présente plusieurs plaintes de marchands qui se sont fait voler leurs marchandises aux havres et ports de Redon et de Machecoul40.

Les exemples pourraient être multipliés, mais dans l’ensemble, tous les ans, les États doivent ordonner des enquêtes contre les exactions des soldats, les abus d’autorité des capitaines ou les levées de deniers sans commission. Cette répétition et ce besoin de rappeler chaque année les mêmes ordonnances, montre le manque d’efficacité de celles-ci qui ne parviennent pas à supprimer les difficultés qui accompagnent le contexte de guerre.

35

ADIV, C 3199, Remontrance Quimper.

36

ADIV, C 3199, Mémoire et remontrances de Fougères.

37

ADIV, C 3193, PV des Etats de 1592, feuillet 7 recto.

38

ADIV, C 3196, PV des Etats de 1593, feuillet 6 recto.

39

ADIV, C 3196, PV 1593, feuillet 33 recto, 28 avril 1593.

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174 Les articles du cahier des États semblent donc bien correspondre à la définition des ordonnances présentées en introduction. En effet, pour le processus d’élaboration, les États ont bien travaillé à partir des mémoires présentés par les députés des trois ordres de la province. Sur le contenu, le cahier traite bien des questions de justice et de finance. En revanche, il est difficile de dire qu’il possède bien un caractère général. Il est vrai que les articles traitent de sujets variés sur de nombreux aspects de l’organisation de la province. Mais ces articles n’ont vocation à s’appliquer que dans un contexte particulier et pour un temps limité, ce qui va à l’encontre de la définition d’une ordonnance.

Pour autant, il semble bien que pour les États ce cahier eût un caractère législatif, ou au moins réglementaire. La volonté des États de faire enregistrer le texte au Parlement et à la Chambre des comptes en est une preuve. Le refus des deux cours souveraines de valider le terme « d’ordonnance » montre bien que le terme n’est pas anecdotique et porte un sens fort. Il y a donc bien, avec ce texte, une évolution des compétences des États qui se donnent, avec le concours du duc de Mercœur, la capacité à rédiger des règlements. Pour autant le texte des États répond seulement à des besoins conjoncturels pour la durée de la guerre et attendant l’arrivée d’un roi catholique41. De plus malgré une volonté de ramener l’ordre dans la

province les ordonnances des États ont eu une efficacité relative.

41

CARDOT CHARLES-ANTOINE, Le Parlement de la Ligue, op. cit., p. 381. Pour l’auteur ce texte ressemble aux ordonnances de réformation du XVIe siècle et dit que « il ne se distingue de celle-ci que par les conditions de sa promulgation – le pouvoir royal n’intervient évidemment pas – et par son champ d’application, limité, bien entendu, à la Bretagne. ».

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