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La Chambre des comptes

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 131-136)

Au contraire du Parlement, la Chambre des comptes qui siégeait à Nantes prend le parti de la Ligue. À partir du 20 avril 1589, date à laquelle Henri III transfère la Chambre à Rennes, deux Chambres des comptes concurrentes siègent en Bretagne. La Chambre des comptes de Nantes a connu des difficultés de fonctionnement, notamment en raison du peu de maîtres des finances qui y siégèrent24. Le travail de la Chambre des comptes était notamment de faire enregistrer et appliquer les édits fiscaux, superviser le domaine royal et toutes les levées de taxes dans la province, vérifier les comptes des receveurs et des municipalités, superviser les emprunts et juger les disputes fiscales25. Ces compétences assez larges en matière de finances furent rapidement créatrices de tensions avec les États ligueurs.

1. Les requêtes des États à la Chambre des comptes

Après avoir fait enregistrer le cahier des ordonnances au Parlement, les États demandent également à la Chambre des comptes de procéder à son enregistrement. Une lettre du duc de Mercoeur du 30 avril 1591, pratiquement en tout point similaire à celle adressée au Parlement, demande à la Chambre d’enregistrer les articles établis par les États26. La Chambre rend un arrêt d’enregistrement le 19 juin 159127

. Tout comme le Parlement, elle accepte d’enregistrer les articles, mais seulement jusqu’à l’avènement d’un roi catholique et sans approuver le terme d’ordonnance. De même, elle n’est pas d’accord sur tous les points et inclut dans son arrêt plusieurs modifications et ajouts.

23

CARDOT Charles-Antoine, Le Parlement de la Ligue, op. cit., p. 378.

24

LE PAGE D., « Le personnel de la chambre des comptes … », art. cit., p. 608. 25

TINGLE ELIZABETH C., Authority and society, op. cit., p. 15.

26

ADLA, B 62, Livre des mandements et édits royaux, Folio 271. Lettre du duc de Mercoeur du 30 avril 1591. Dans l’arrêt d’enregistrement du 19 juin, il est fait mention d’une requête présentée par les Etats mais celle-ci n’est pas reproduite.

27

131 Les modifications sont moins nombreuses que pour le Parlement et ne concernent que treize des soixante-dix-sept articles. Ces modifications portent surtout sur des questions de finances ou des points qui touchent aux privilèges de la Chambre. Deux articles semblent particulièrement significatifs. La Chambre aussi est réticente face à la création d’un Conseil d’État et des finances. Sur le quinzième article, l’arrêt stipule « que ceulx dudict conseil ne pouroit entreprendre aucune cognoissance de ce que appartient et est attribue a ladicte chambre par les ecditz, ordonnances et reglemens » et sur le dix-neuvième article « que suivant les ordonnances arrestz et reglemens donnees entre la chambre et les estatz il sera compté desditz deniers et de tous autres en ladite chambre ». Ces deux ajouts de la part de la Chambre montrent bien le besoin de celle-ci de défendre ses prérogatives et compétences. Tout comme le Parlement, sur le fond, la Chambre semble plutôt d’accord avec le ton général du cahier, mais objecte sur tout ce qui pourrait venir empiéter sur ses prérogatives ou porter atteinte à ses privilèges.

La deuxième requête des États à la Chambre des comptes demande l’enregistrement de la pancarte des devoirs. L’arrêt de la Chambre du 22 juin 1591 procède à cet enregistrement28

. La Chambre ne formule aucune opposition sur le principe, ni sur les tarifs et les montants des impôts que contient la pancarte. Il y a en revanche, une opposition sur la méthode pour l’examen des comptes des receveurs. La Chambre demande que soient appliqués les règlements du Conseil du roi, probablement en référence à l’accord de 1585 entre la Chambre des comptes et des États. Elle s’oppose également sur les conditions de prélèvements des taxes. En effet, un article précise que les devoirs de la pancarte seront payés par tous, peu importe leur qualité et condition29. Les clercs, les nobles et les officiers du Parlement ou de la Chambre des comptes y seront donc également soumis sans qu’ils puissent invoquer des privilèges d’exemption. Dans son arrêt, la Chambre des comptes exige donc « que les officiers d’icelle ny pouront estre contrainctz […] d’aultant qu’ilz en ont tousiours este exemptz par previllaiges et examptions particulieres leurs concedees par les ducz et roys. ». Encore une fois, les oppositions de la Chambre ont surtout pour objectif de protéger ses privilèges et ses prérogatives.

28

ADLA, B 62, Livre des mandements et édits royaux, Folio 274.

29

AUDREN DE KERDREL Vincent, « Documents relatifs à l'histoire de la Ligue en Bretagne », Bulletin et

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2. Le conflit entre la Chambre et les États

Les deux arrêts de la Chambre, sur requêtes des États, montrent qu’il existait des discordes entre les deux institutions. Il existe en effet un conflit ancien entre la Chambre et l’assemblée, sur les conditions pour l’examen des comptes que ce soit pour ceux du trésorier des États, que pour ceux des receveurs. Dans ce conflit, il y avait bien entendu des enjeux d’autorité et de compétence, mais aussi un enjeu financier sur l’attribution des reliquats des comptes. Au milieu du XVIe siècle, les États se heurtent aux prétentions de la Chambre des comptes qui prétend avoir le droit de vérifier les comptes du trésorier des États. Mais le roi, par les lettres de Moulins du 24 mars 1566, décide que les comptes seront vérifiés conjointement par le général du pays et par les États. Une nouvelle ordonnance en 1568, rééditée en 1572, donne satisfaction aux États. La Chambre des comptes n’abandonne pas et elle obtient, le 5 août 1581, la vérification des comptes des États. Les lettres patentes du 3 février 1582 enlèvent définitivement aux États la connaissance des comptes du trésorier30.

Après des négociations, en 1585, un accord est trouvé entre les États et la Chambre des comptes. Selon ce règlement, les États disposent en toute autonomie des 8800 livres et la Chambre ne peut en faire l’examen. Si le roi octroie d’autres deniers à l’assemblée, les conditions seront les mêmes. Pour tous les autres comptes, l’examen doit se faire à la Chambre, au grand bureau où seront présents le trésorier et le procureur des États, les juges du bureau et trois députés des États avec voix délibératives. Il semble qu’en réalité le trésorier présentait d’abord ses comptes devant les États avant d’en faire le compte à la Chambre31

. Enfin, les reliquats des comptes sont attribués aux États32.

Le conflit entre les deux corps est rouvert durant la guerre de la Ligue. Lors de la session des États de 1591, il n’est à aucun moment fait question des modalités de compte du trésorier. C’est surtout à partir de 1592 que les États semblent vouloir revenir sur l’accord de 1585. Cette année-là, le procureur fait une remontrance sur l’article 64 du cahier des ordonnances qui reprenait les principales dispositions du règlement de 158533. Les États, sur le sujet de l’examen des comptes, décident d’exclure la Chambre des comptes de l’examen des comptes du trésorier et des receveurs. Les receveurs sont donc déchargés de compter leur

30

SEE H., « Les Etats », art. cit., p. 390.

31

REBILLON A., Les Etats, op. cit., p. 163. 32

ADIV, C 3744, Copie du règlement du 5 octobre 1585.

33

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 8 recto : « Les deniers qui seront par cy apres levez seront emploiez et distribuez par ordonnance de monseigneur suivant l’advis prins par les estatz en ceste assemblee et destination desdictz deniers et a cette fin lesdictz deniers mis entre les mains du tresorier desdictz estatz pour en tenir compte d’an en an en la chambre des comptes presans les deputtez desdictz estatz. ».

133 recette et dépense devant la Chambre. L’examen doit désormais se faire seulement avec le trésorier des États et des députés de chaque ordre. En ce qui concerne le trésorier des États, il est décidé « contera aux estatz seullement par devant des commissaires qui seront depputez a ceste fin »34.

Le 21 avril 1593, les États réaffirment leur contrôle sur l’examen des comptes de leur trésorier. Malgré l’ordonnance de la Chambre des comptes, le trésorier fera compter devant les députés commis à cette fin, et il lui est défendu de le faire ailleurs. Si la Chambre des comptes appelle Jean Loriot à venir à la Chambre des comptes, les États supplieront Mercœur de les aider à faire respecter leurs privilèges et décisions35. Dans un mémoire qu’il présente aux États en 1594, Jean Loriot demande qu’il soit réaffirmé et arrêté que le trésorier des États présentera ses comptes devant l’assemblée et pas ailleurs. Il demande aussi que le procureur des États prenne sa défense et celle de ses subalternes si quelqu’un exige qu’il compte devant la Chambre des comptes même après l’avènement d’un roi catholique, lequel sera supplié par les États de valider les comptes et d’ordonner à la Chambre des comptes que les arrêts émis relatifs à ces comptes soient rayés36.

Si le trésorier juge nécessaire de faire, encore une fois, réaffirmer par les États les modalités d’examen de ses comptes, c’est sans doute en raison de l’opposition de la Chambre des comptes qui n’accepte pas que les États n’appliquent pas le règlement de 1585. L’audition des comptes du trésorier des États est un des litiges qui opposent directement les États et la Chambre. Le 2 mai 1594, le procureur présente la nécessité de faire l’examen des comptes de Jean Loriot37. Celui-ci dit avoir dressé ses comptes, mais qu’il n’a pas pu les présenter aux commissaires. En effet, la Chambre des comptes a fait plusieurs ordonnances et injonctions lui ordonnant de faire vérifier ses comptes devant ses officiers et elle l’a condamné à plusieurs amendes, car il ne l’a pas fait. Elle a même ordonné que la saisie soit apposée sur ses biens. Jean Loriot présente finalement ses comptes devant les commissaires des États en août 1594 et la Chambre des comptes n’est pas associée à cet examen38

.

L’examen des comptes de Jacques Marquez, sieur de la Branchoire, est un autre des exemples où la contestation de la Chambre est visible. Jacques Marquez, bourgeois et marchand de Nantes39, fut receveur des devoirs de la pancarte de l’année 1591-1592 pour

34

ADIV, C 3193, PV des Etats 159, feuillet 10 verso et 11 recto. 24 mars 1592.

35

ADIV, C 3196, PV des Etats 1593, feuillet 14, 21 avril. Rappeler encore le 24 avril.

36

ADIV, C 3200, Mémoire du trésorier des Etats 1594.

37

ADIV, C 3198, PV des Etats 1594, feuillet 6, 2 mai.

38

ADIV, C 3200, Examen des comptes du trésorier, août 1594.

39

134 l’évêché de Nantes. Le 15 janvier 1593 se réunit la commission, composée de députés des États, devant laquelle il doit présenter son compte avec les papiers de sa recette40. Jacques Marquez y comparait en personne et remontre qu’il a été appelé devant la Chambre des comptes pour rendre compte de sa gestion suivant un arrêt de la Chambre du 15 juin 159241. Celui-ci ne voulait pas s’y présenter, car c’était faire préjudice des États, mais s’il ne présentait pas son compte ses garants et acquis lui seraient retenus. En conséquence, il demande que soit repoussée son audition jusqu’à ce que soit passé le différend entre les États et la Chambre des comptes. Il est alors arrêté de remettre l’audition à plus tard.

L’année suivante, l’assemblée est amenée à se prononcer sur la question des comptes de Jacques Marquez qui n’est toujours pas réglée42

. Contre les décisions des États, celui-ci a fait compter sa charge devant la Chambre des comptes et a donc contrevenu à leurs ordonnances. S’il ne compte pas devant l’assemblée, il risque jusqu’à 200 écus d’amende. Le procureur de Marquez, pour le défendre, explique que celui-ci fut contraint de compter en la Chambre des comptes, après trois ordonnances de cette dernière et la presque saisie de ses biens, afin d’éviter des saisies et amendes. Il fut également contraint de laisser toutes les justifications de son compte à la Chambre et de payer un reliquat de 500 écus. La Chambre n’avait donc pas renoncé à faire valoir ses prérogatives. Elle avait, il semblerait, un pouvoir de contrainte plus grand que celui des États, car face à la menace de sanctions de la Chambre, Jacques Marquez céda. L’assemblée refuse de laisser l’affaire là et Jacques Marquez doit tout de même présenter ses comptes devant les États. De plus, ils demandent le soutien de Mercoeur afin de récupérer les papiers du receveur, ainsi que les reliquats qui y furent versés et auraient dû leur revenir.

Avec ces deux exemples, on voit clairement qu’il y avait une violente opposition entre la Chambre des comptes et les États. Au vu de l’article 64 du cahier de 1591, il semble que les États ne souhaitaient pas revenir sur le règlement de 1585. Mais plusieurs autres articles ne prévoient pas de participation de la Chambre à l’audition de certains comptes. C’est le cas de l’article 69 sur l’examen des comptes des villes qui est du ressort des juges ordinaires43

et des États ou encore de l’article 21 qui stipule que le rabais des fermes dépassant 100 écus seront traités par le duc de Mercoeur et le Conseil d’État et des finances44. Rien n’indique un conflit

40

ADIV, C 3195, PV commission présentation des comptes de Jacques Marquez, 15 janvier 1593.

41

ADLA, B 601, Registre des audiences de la Chambre des comptes, en juin 1592 conflit entre la Chambre et Jacques Marquez.

42

ADIV, C 3198, PV des Etats, feuillet 12-13, 5 mai 1594.

43

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 8 verso.

44

135 des États avec la Chambre en 1591, pourtant dès 1592, l’assemblée prend des décisions excluant complètement la Chambre de l’audition des comptes des receveurs et du trésorier des États. Est-ce que les conditions et ajouts faits par la Chambre lors de l’enregistrement du cahier ont pu amener les États à modifier leurs positions ? Il est vrai que pour tous les articles qui concernent les finances, la Chambre revendique un rôle et cherche à s’imposer parfois au détriment des États45. Il semble que les intérêts des États et de la Chambre étaient concurrents. Il est possible que les États aient cherché à reprendre leur totale autonomie financière qu’ils avaient perdue lors du règlement de 1585. Sur les quatre années, les États ne renvoient qu’une seule affaire devant la Chambre des comptes46 ce qui pourrait être un autre indicateur des tensions entre les deux corps.

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 131-136)