• Aucun résultat trouvé

Contrôler les gens de guerre

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 196-200)

En plus de peser sur les sources de financement qui leur permet de limiter le nombre de gens de guerre, les États ligueurs veulent également contrôler le comportement des soldats. Pour cela, ils utilisent la réglementation grâce à leurs ordonnances.

1. Réglementer

Les ordonnances des États de 1591 sont, on a vu, en majorité consacrées aux problèmes liés aux gens de guerre dont la discipline est un des principaux soucis des États ligueurs. En effet, sur soixante-dix-sept articles que compte le cahier, trente-deux concernent l’encadrement des affaires militaires21

. On a pu voir que plusieurs articles portent notamment sur les forteresses ou l’encadrement de la noblesse,22 mais de nombreuses autres questions militaires y sont traitées.

Tout d’abord, de nombreux articles listent des comportements et des actions interdits aux soldats. L’article 20 par exemple interdit à tous les capitaines et autres soldats de troubler et empêcher les receveurs et fermiers dans la perception des revenus provenant des biens saisis23. De même, l’article 23 interdit aux soldats de tourmenter les laboureurs et villageois en demandant rançon ou en volant leurs animaux ou outils de travail24. Les populations rurales ne sont pas les seules que les États veulent protéger des violences des soldats. L’article 25 vise particulièrement à prohiber toutes violences sur les femmes et sur les enfants de moins de 15 ans qu’il est interdit de faire prisonnier, peu importe leur parti. L’article 41 protège plus spécifiquement les personnes et les biens qui appartiennent au premier et second ordre et qui font partie de la Sainte-Union. Celui-ci est d’ailleurs renforcé par l’assemblée en 1592 qui y ajoute que les soldats ne pourront en aucun cas loger dans des maisons d’ecclésiastiques comme les presbytères et ordonne de ne pas profaner les églises, il est notamment interdit d’en faire un corps de garde25

. Les soldats doivent également ne pas abuser de leurs hôtes : il est particulièrement interdit d’exiger plus de vivre que ce que ne peut

21

Ce sont les articles 20, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 33, 34, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 57, 58, 75, 76. Pour la transcription des articles se reporter à l’annexe ?.

22

Articles 28, 29, 30, 31.

23

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 3 verso.

24

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 3 verso.

25

196 en fournir celui-ci26. En conséquence, l’article 42 résume assez bien les interdits qui encadrent l’usage de la violence par les soldats :

« Et a ce que les ecclesiasticques, gentilzhommes, bourgeois marchans et autre puissent exercer chacun sa vacation en seurete sont faictes deffances aux gens de guerre de prendre aucuns prisonniers du party de l’unyon sur peine de la vye soyt en villes soyt aux champs brusler piller et ravaiger leurs maisons et meubles ny d’user a l’endroit des femmes et filles de force et viollance.27 »

Afin que ces articles soient respectés, les États prévoient des poursuites et des peines sévères à l’encontre des contrevenants. Par exemple, les soldats qui ne respecteraient pas l’article 23 encourent la peine de mort et les États en 1592 rappellent la nécessité d’enquêter sur ces exactions à l’encontre des laboureurs28

. Enfin, l’article 45 rappelle de façon claire la volonté des États d’utiliser la justice pour imposer la discipline puisqu’il stipule que « les crimes et delictz que commettent les sorldatz seront severement punyz pour reprimer la license et maintenir la discipline millitaire »29.

De nombreux articles encadrent plus spécifiquement les capitaines. Par exemple, l’article 33 défend à tout capitaine de villes ou de châteaux de prendre le titre de gouverneur et de s’octroyer un certain nombre de pouvoirs. Il est interdit de s’attribuer une juridiction, de faire des ordonnances, de lever des deniers ou d’empêcher le trafic sans commission des États ou du duc de Mercoeur30 (feuillet 4 verso). Pour éviter le cumul des charges, les États imposent par l’article 34 que les capitaines et gentilshommes ne pourront tenir deux charges incompatibles. Un article encadre également les commissions des capitaines de marine31. On a également vu dans un chapitre précédent que les relations entre les capitaines et les villes faisaient l’objet d’une réglementation permettant aux habitants des villes d’être consultés sur des décisions militaires impactant la ville par exemple les travaux de fortifications32. Enfin, il est interdit à tous les capitaines, sur terre ou en mer d’empêcher la liberté du commerce d’une quelconque manière. Il est interdit d’arrêter les marchands et de saisir les marchandises33

. La composition et l’organisation des compagnies font également l’objet de plusieurs articles. Par exemple, les États décident qu’il n’y aura pas de compagnie de gens à cheval

26

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto, article 48.

27

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 5 verso.

28

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 7 recto.

29

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto.

30

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 4 verso.

31

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 5 verso, article 38.

32

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 7 verso, article 58.

33

197 parmi les garnisons34. L’article 44 quant à lui fournit une réglementation sur la composition des compagnies : les compagnies de chevau-légers devaient être composées d’un maximum de cent hommes et d’un minimum de cinquante. Le nombre d’officiers aussi est réglementé avec quatre officiers pour les compagnies de cent hommes et trois pour celles de cinquante. Il est également ordonner par les États que les « compaignies marchans par pays se tiendront serrees pres de leur drapeau et se logeront serrees suivant les ancyenes ordonnances »35 et que les soldats étrangers devaient marcher avec leur capitaine et en aucun cas être sous le commandement d’un capitaine français36

. Enfin, les soldats devaient porter un signe distinctif (une croix) pour montrer leur appartenance à la Sainte-Union37.

Les conditions pour entrer ou quitter l’armée et celles de l’organisation des montres ont également fait l’objet d’une réglementation de la part de l’assemblée. Plusieurs conditions doivent être respectées pour entrer dans l’armée de la Sainte-Union. Ainsi aucun soldat ne pourra entrer en garnison s’il ne prête pas serment à l’édit d’union. De plus, il est impossible de recevoir un soldat venant du camp adverse dans une garnison d’une ville de l’Union. Enfin, tous soldats qui rejoignent le parti adverse encourent la peine de mort (ajout à l’article 40). En plus des articles du serment d’Union, les soldats devaient avoir connaissance et jurer les ordonnances qui devaient leur être lu lors des montres avant le paiement38. Le déroulement des montres est précisé dans les articles 54 et 55. Celles-ci seront faites par des commissaires et contrôleurs assistés d’habitants des villes et communautés où se trouve la garnison. Le contrôleur devait se faire présenter les rolles des montres de l’année précédente et inscrire tous les absents ainsi que la cause de leur absence. Les soldes devaient être payées aux soldats directement par le payeur sans passer par les mains des capitaines39. Cette condition devait probablement avoir pour but d’éviter les abus des capitaines qui ne versaient pas correctement les soldes à leurs hommes. Enfin, les soldats ne peuvent quitter l’armée que lors de la montre, moment où ils peuvent demander leur congé devant les commissaires et contrôleurs. La peine de mort est prévue pour tous ceux qui ne se plieraient pas à cette règle40.

Enfin, un certain nombre de dispositions touchent aux questions des prisonniers et prises de guerre. Les États ont ainsi établi que toutes les prises de guerre, que les prisonniers soient gentilshommes ou capitaines, devaient être présentées au duc de Mercoeur qui décidait

34

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 5 verso, article 43.

35

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto, article 46.

36

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 verso, article 52.

37

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 5 verso.

38

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto, article 47.

39

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 verso, article 54.

40

198 si la prise était bonne ou non. En attendant la décision du duc, les prisonniers étaient emmenés à la ville ou garnison de l’Union la plus proche sans n’être aucunement tourmentés41

. Il est par ailleurs formellement interdit de remettre en liberté un prisonnier de guerre sans en avertir le duc au préalable. À partir de 1593, les États ajoutent que les prisonniers, dans les villes et garnisons, ne peuvent se promener sur les murs, proches des barrières ou des lieux où sont les magasins de munitions de guerre pour des raisons de sécurité42. Des réparations en justice sont autorisées pour tous ceux qui ont été fait prisonnier et dont la prise a été décrétée nulle exceptée pour les hérétiques et leurs alliés43. Enfin, les États prévoient également une réglementation suffisamment souple pour que les rançons puissent être payées. C’est pourquoi en 1592 il est décidé dans l’assemblée que les prisonniers de guerre peuvent vendre leur héritage, où qu’il soit situé, pour payer leur rançon.

2. Les plaintes et poursuites contre les soldats et capitaines

Les États reçoivent très régulièrement des plaintes contre les soldats et les capitaines, mais ils ne sont pas une cour de justice et ne peuvent donc pas enquêter eux-mêmes. Afin de faire respecter leurs ordonnances, ils peuvent en revanche commander aux juridictions compétentes de mener des enquêtes. Plusieurs formes de violences des gens de guerre existent. Ce peut être des violences financières (levée arbitraire d’impôt), des violences physiques (viols, violences contre les personnes, emprisonnement) ou encore des violences matérielles (vols, destruction de biens).

Les violences matérielles du type vols sont souvent perpétrées à l’encontre des marchands. La plainte d’Olivier Melyot, présentée aux États le 28 avril 1593, en est un cas assez classique. En effet, celui s’est fait saisir son vaisseau et ses marchandises par un capitaine qui a jugé, en contravention des ordonnances, de sa seule autorité que c’était une bonne prise alors même que le marchand est un bon catholique qui se réclame de l’Union. En conséquence, les États décident que les prises de marchandises sur terre ou sur mer seront dorénavant jugées par les juges présidiaux ou royaux les plus proches44. De nouveau en 1594, plusieurs marchands qui naviguent à Redon ou Machecoul se plaignent qu’outre des gens qui arment des navires sans autorisation pour s’attaquer aux marchands, des gens de guerre aussi

41

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto, article 49.

42

ADIV, C 3196, PV des Etats, 4 mai 1593.

43

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 6 recto, article 50.

44

199 volent les navires marchands. Encore une fois, les États ordonnent une enquête et rappel que ces pratiques sont interdites45. La guerre de course semble assez couramment pratiquée par les soldats de l’Union. C’est en raison de cette pratique que les États demandent au duc de détruire certaines petites places et maisons fortes. En effet, dans celles-ci « quelques cappitaines qui s’avouent de luy font leur retraite et a ceste occasion le pauvre peuple est ruiné »46.

Les remontrances des députés de Fougères donnent un aperçu de la violence des soldats et de sa généralisation. Les habitants se plaignent d’abord des capitaines en garnison dans la ville qui veulent juger tous les délits en contradiction avec la justice ordinaire, il est donc impossible d’avoir justice. De plus, les capitaines, soldats et gentilshommes font abattre des arbres sans avoir de commission l’autorisant. Ils obligent les habitants à abattre les arbres et à les conduire à leurs frais en ville sinon les font exécuter ou mettre en prison en vertu de vieilles commissions supprimer par les États ou de corvées qui prétendument n’ont pas été faites. En conséquence, les prisons de Fougères sont remplies de ces gens qui y meurent de fatigue ou de mauvais traitements47. De même, le 10 mai 1594, une plainte est présentée émanant de plusieurs villes, dont Morlaix. Dans celle-ci, les communautés se plaignent que les marchands, villageois et laboureurs sont faits prisonniers par les soldats des garnisons ou les sergents pour non-paiement des fouages, deniers subventions et autres lorsqu’ils vont aux foires et marchés. En conséquence, les marchés fonctionnent mal et cela risque d’affamer les villes.

Face à ces exactions et ces infractions à leurs ordonnances et à la discipline militaire, les États ne peuvent pas faire grand-chose en dehors de rappeler que les ordonnances doivent s’appliquer et encourager les juges à mener des enquêtes. Par exemple, en 1592, l’assemblée sur la base de l’article 33, ordonne que des enquêtes soient faites à l’encontre des capitaines qui font des levées de deniers, imposent des corvées et des contributions en foin, avoine ou paille sans autorisation48. Ou encore en 1593 où le procureur demande à ce que les levées de deniers sans commission qui sont faites par les gens de guerre soient vérifiées par le Conseil d’Etat et des finances et que des enquêtes soient menées49

. Dans le cahier des ordonnances et dans l’ensemble de leurs décisions, les États veulent toujours défendre et soutenir le bon fonctionnement de la justice puisque ce sont les juges et officiers des différentes juridictions

45

ADIV, C 3198, PV des Etats, 7 mai 1594.

46

ADIV, C 3193, PV 1592, feuillet 7 verso.

47

ADIV, C 3199, Remontrances Fougères.

48

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 7 verso.

49

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 196-200)