• Aucun résultat trouvé

L’ouverture des États

C HAPITRE 3 L E DEROULEMENT DES SESSIONS

A. L’ouverture des États

Traditionnellement, les États de Bretagne étaient réunis en fin d’année, généralement entre octobre et décembre1. Contrairement à la coutume, les États de la Ligue furent, eux, systématiquement réunis au printemps, entre les mois de mars et de mai. L’ouverture des États est un moment particulier, accompagné d’un cérémonial précis. Le moment de l’évocation permet tout particulièrement de comprendre les hiérarchies et les rivalités qui pouvaient exister au sein des États.

1

58

1. Les cérémonies

Les cérémonies d’ouverture commencent avant la première journée d’assemblée des États. L’ensemble de la ville et de ses faubourgs est d’abord averti de l’ouverture par les publications et proclamations faites par le héraut des États et les trompettes de la ville2. Ensuite, un défilé est organisé dans la ville3. L’organisation d’un défilé est attestée par les sources des États ligueurs, mais presque aucune information n’est fournie sur son déroulement ou sur les participants. Ainsi, en 1591 à Nantes, la veille de l’ouverture, eurent lieu une procession puis une messe du Saint-Esprit célébrée au couvent des jacobins. L’on sait seulement que les chantres et chanoines de Saint-Pierre de Nantes y prennent part, étant donné qu’ils s’occupèrent du chant et de la musique4

. Les habitants et les corps de la ville sont donc informés et, pour certains, ils prennent part à ces cérémonies d’ouverture qui se déroulent en partie dans l’espace public.

Le jour de l’ouverture, l’ensemble des députés des trois ordres se réunit dans la salle prévue à cet effet. Est également présent le duc de Mercoeur, accompagné de commissaires qui sont des membres du Parlement, des membres de la Chambre des comptes ou des officiers de finance. Sur les quatre années, il y a peu de changement dans les commissaires. Seulement quatre officiers différents accompagnent le duc lors des ouvertures. Ce sont les présidents au Parlement de Bretagne, Louis de Velly et Pierre Carpentier ; Jean Cousin, le trésorier et receveur général des finances en Bretagne et enfin Georges d’Aradon, conseiller au Parlement de Bretagne5. Il est alors procédé à la lecture de la commission de Mercoeur. Le contenu des commissions est assez semblable sur les quatre années. Elle reste très générale, car le duc n’y exprime aucune demande précise6. En plus des informations factuelles, lieu et date de la réunion des États, il se contente d’expliquer les difficultés à réunir l’assemblée et de rappeler le combat de la Sainte-Union. Ensuite, l’assemblée accepte la proposition du gouverneur qui,

2.

ADIV, C 3204, requête Jean Bonnier. En 1593 les trompettes du duc de Mercœur et du seigneur d’Aradon ainsi que le héraut des Etats, Jean Bonnier, proclament et publient l’ouverture des états dans la ville et les faubourgs de Vannes.

3

. LE PAGE D.,GODIN X.,« Les Etats de Bretagne », op. cit., p. 31.

4.

ADIV, C 3191, Requête des chantres et chanoines de Saint-Pierre de Nantes qui demandent aux Etats des gratifications pour leurs services.

5

. 1591 : Louis de Velly, conseiller du roi et président au Parlement de Bretagne ; Pierre Carpentier, président au Parlement de Bretagne plus les deux maitres des comptes. 1592 : Louis de Velly, conseiller du roi et président au Parlement de Bretagne ; Georges d’Aradon, conseiller au Parlement de Bretagne et Jean Cousin. 1593 : Pierre Carpentier, président au Parlement de Bretagne et Jean Cousin. 1594 : Pierre Carpentier, conseiller du roi et président au Parlement de Bretagne ; maitre Jean Cousin, sieur de la Marrière, conseiller du roi et son trésorier et receveur général en Bretagne.

6

Au contraire les commissions royales portaient généralement une ou plusieurs demandes spécifiques, généralement d’ordre financière voir SEE H., « Les Etats », art. cit., p. 22-23.

59 avec les commissaires, quitte l’assemblée dans la foulée, avant le début des débats. En général, aucune délibération n’a lieu le jour de l’ouverture et le reste de la journée est occupé par l’évocation des députés. Le lendemain, les États peuvent alors commencer à travailler.

2. L’évocation des députés

L’évocation des députés, qui est faite le jour de l’ouverture avant que les délibérations puissent commencer, est un des principaux moments où se jouent les questions de préséance. Les questions de préséances aux États sont encore au XVIe siècle un enjeu très important7, qui peut être générateur de conflits. Ainsi, pour les hommes de cette époque la préséance n’était pas une simple question symbolique, mais au contraire un réel enjeu politique8. La coutume régit les questions de préséance aux États. Il n’y a, en effet, au XVIe siècle, pas réellement de réglementations établies sur ces questions, qui sont donc généralement résolues par le recours à la coutume et à la tradition.

La préséance, qui touche à la position sociale et à l’honneur des individus ou des communautés qu’ils représentent, fait partie du quotidien d’une assemblée rassemblant des députés des trois ordres, venant de toute la province. Les États provinciaux, sont en ce sens, un lieu de représentation. Chacun des ordres tient un rang précis dans l’assemblée. Le clergé est le premier ordre, la noblesse le second et les députés des villes composent le tiers ordre. La place de premier ordre du clergé s’accompagne de contrepartie directe. Ainsi, les États sont toujours présidés par un clerc. Grâce aux procès-verbaux qui contiennent de façon détaillée l’évocation des députés, on peut rechercher les règles de préséance qui étaient observées aux États de la Ligue. Mais plusieurs problèmes peuvent se présenter pour réaliser cette étude. Les changements tous les ans dans la composition de l’assemblée, ou les retards dans l’arrivée des députés, sont des éléments qui peuvent empêcher de tirer des conclusions. Cela est particulièrement vrai pour le clergé, qui est pourtant l’ordre qui semble le plus attaché aux questions de préséances9.

7

.SEE H., « Les Etats », art. cit., p. 13.

8

DELOYE Y., HAROCHE C., IHL O. (dir.), Le protocole, op. cit., p. 21.

9

Dans les procurations du chapitre de Cornouaille du 13 mars 1593 et 28 avril 1594 il est stipulé que leur député doit « illec tenyr le rancq accoustume estre tenu par les autres deputtes dudit chappitre et clerge de Cornouaille » voir ADIV, C 3197 et C 3199.

60 Au sein de l’ordre du clergé, il y a premièrement une hiérarchie entre les évêques, appelés en premier, les abbés qui suivent et les chapitres qui sont évoqués en dernier. Mais il existe aussi une hiérarchie entre évêques et entre chapitres. Pour les évêques, il est difficile de tirer des conclusions sur les règles de préséance qui sont suivies, particulièrement car les évêques présents en personne ne figurent pas toujours dans la liste de l’évocation des députés. Un conflit existe entre les évêques de Cornouaille et de Saint-Malo. En 1592, ce dernier fait une remontrance dans l’assemblée, stipulant que l’évêché de Saint-Malo surpasse celui de Cornouaille10. Il demande que l’assemblée lui reconnaisse le droit de préséance. Celui-ci lui est immédiatement contesté par l’évêque de Cornouaille. Les États préfèrent s’abstenir de prendre une décision et demandent aux deux évêques de préparer des arguments sur leur droit de préséance, qui seront entendus lors de la prochaine réunion des États. Les conflits entre évêques concernent surtout les évêques de Cornouaille et de Saint-Malo qui se disputent également la présidence des États.

Pour les chapitres, en revanche, l’on dispose de plus d’informations. Un certain ordre de préséance se dégage avec en premier le chapitre de Nantes, suivit de Dol et Saint-Malo, Vannes et Quimper, Saint-Brieuc, Saint-Pol-de-Léon puis enfin Tréguier. Cet ordre de préséance que l’on observe ne convient pas à tous les concernés. En 1591, c’est Thomas Faverel, chanoine de Dol et procureur de l’évêque de Dol, qui s’y oppose. Le héraut des États, qui s’apprête à évoquer les députés de l’église de Nantes, est interrompu par celui-ci qui affirme que le premier rang aux États revient au clergé de Dol. Les députés du clergé de Nantes, bien évidemment, contestent cette prééminence revendiquée par Thomas Faverel. Les États, qui ne veulent pas retarder l’avancée du travail de l’assemblée, décident que l’ordre d’appel dans l’assemblée « ne prejudicera aux preeminances et prerogatives des autres evesques, chapitres, villes et communaultez dudit pais ny aux droictz des ungs et des autres »11. Cette décision de 1591 n’empêche pas d’autres conflits de préséance de faire surface. En 1592, c’est le clergé de Saint-Malo qui par son député, le chanoine Pierre Rihouet, demande que sa place dans l’assemblée soit respectée. Il demande que l’assemblée reconnaisse que le chapitre de Saint-Malo doit être évoqué en quatrième place ou, au moins, que son opposition soit notée12. En 1594, c’est de nouveau entre le chapitre de Nantes et le chapitre de Dol que s’exprime un désaccord. Cette fois le héraut des États commence par appeler le chapitre de Dol en premier, ce à quoi s’oppose Salomon Herbamez, chanoine de Nantes et archidiacre de la Mée. Il remontre à l’assemblée que le chapitre de Nantes précède

10

ADIV, C 3193, PV des Etats 1592, feuillet 1 verso et feuillet 2 recto.

11

ADIV, C 3187, PV des Etats 1591, feuillet 2 recto.

12

61 celui de Dol, sur quoi les États lui donnent raison, puisqu’ensuite le héraut procède d’abord à l’évocation de Nantes13

.

Le clergé semble donc particulièrement attaché aux questions de préséance. Pour les deux autres ordres, un ordre de préséance semble avoir été suivi sans que celui-ci soit source de conflit ou de réclamations particulières, que ce soit pour la noblesse ou le tiers état. Pour la noblesse, l’ordre d’évocation est assez simple, puisque les nobles sont évoqués en fonction de leur niveau de noblesse. En observant les titres et les avants noms, on voit clairement que les « hault et puissant seigneur », membres de la haute noblesse sont évoqués en premier. Ensuite, viennent les nobles de noblesse moins élevée qui sont qualifiés de « messire », pour finir avec le degré de noblesse le moins élevé, avec ceux qui ne disposent pas d’avant nom et qui sont seulement « escuyer ».

Dans le cas du tiers état, un ordre d’évocation des députés des villes est clairement identifiable. Ainsi, dans l’évocation partielle de la composition de l’assemblée qui figure après la commission du duc de Mercoeur, les villes sont évoquées comme suit : Nantes, Vannes, Dinan, Quimper et ensuite Fougères ou Morlaix qui se partagent la cinquième et sixième place. Les autres villes n’y sont jamais citées. Le même ordre est suivi par le héraut lorsqu’il passe à l’évocation des députés. Après la sixième place, il est difficile de trouver réellement un ordre. Les changements sont très nombreux en fonction des retards ou des modifications dans les villes qui députent. Il est clair que la préséance est accordée aux quatre villes présidiales, Dinan remplaçant Rennes. Le premier rang est clairement accordé à la ville de Nantes. Étant donné la supériorité numérique des députés de Vannes et la tenue de l’assemblée dans la ville, on aurait pu penser que celle-ci aurait pu contester ce rang à Nantes. Il semble au contraire qu’en l’absence de Rennes, la ville de Nantes peut s’imposer comme la principale ville aux États, sans que ce rang lui soit contesté.