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La fiscalité urbaine

Dans le document Les États de la Ligue en Bretagne (1591-1594) (Page 189-192)

La gestion de la fiscalité urbaine fait également l’objet d’articles dans le cahier des ordonnances. L’article 59 stipule que désormais aucune ville ne peut instaurer des impôts sur ses habitants sans avoir au préalable reçu l’autorisation des États59

. Les États vont même plus loin avec l’article 69 par lequel ils valident et approuvent les taxes sur les marchandises qui furent faites par les villes pour subvenir aux affaires de la guerre. Mais il est ajouté que le compte de ces taxes en sera rendu dans les villes et communautés devant des juges ordinaires et en présence des députés des États. Enfin, ces levées ne pourront pas être reconduites sans l’autorisation des États ou du duc de Mercoeur60

.

Ces deux articles sont une véritable innovation des États ligueurs en matière de prérogatives fiscales puisque l’assemblée n’avait eu jusque-là aucune compétence ni autorité sur la fiscalité urbaine61. Imposé aux villes d’obtenir l’autorisation de l’assemblée pour lever des taxes et impôts permet aux États de s’immiscer de façon très importante dans les affaires des villes. En effet, autoriser les impôts est un moyen d’influencer la politique d’une ville puisque les États peuvent d’une part juger du bien-fondé des projets urbains qui nécessitent ces impôts. D’autre part, les États donnent également leur accord sur le montant des taxes et impôts qu’une ville va lever et ainsi influencer le budget dont dispose la ville. De plus, les États ont désormais la capacité d’intervenir dans la vérification des comptes des communautés urbaines. L’examen des comptes est un moment important qui permet aux États d’avoir un droit de regard sur toutes les finances des villes et de valider ou non les dépenses et recettes qui furent faites. Il est tout de même important de préciser que par ces articles le duc de Mercoeur se voit attribuer la même capacité à autoriser les levées d’impôts par les villes.

En théorie avec ces deux articles, les États imposent une tutelle de l’assemblée sur la gestion financière des villes. Les États eurent-ils les moyens de faire appliquer et respecter ces innovations ? À première vue, il semble très probable que de telles mesures qui viennent empiéter sur l’autonomie urbaine fassent l’objet d’une opposition farouche des députés du

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ADIV, C 3188, Cahier des Ordonnances, feuillet 7 recto.

60

ADIV, C 3188, Cahier des ordonnances, feuillet 9 recto.

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Ce n’est qu’en 1613 que les Etats obtiennent du roi que l’approbation de l’assemblée soit nécessaire pour les villes pour toutes les levées de taxes et leurs renouvellements. Voir sur le sujet REBILLON A., Les Etats, op. cit., p. 31 et COLLINS J., La Bretagne dans l’Etat royal, op. cit., p. 155-156, pour qui les Etats, surtout les membres de la noblesse, profitent de l’endettement des villes résultants des guerres de la Ligue pour s’immiscer dans les affaires des villes.

189 tiers état62. Or si l’on se base sur ce que nous disent les procès-verbaux et les requêtes des villes, ces deux articles ne furent l’objet d’aucune opposition de la part du tiers état. Pas une seule remontrance, ni plainte sur ce sujet ne sont formulée par les villes.

Le contexte d’élaboration de ces articles explique probablement ce surprenant silence du tiers. En effet, le cahier des ordonnances fut élaboré, par les députés des trois ordres, sur la base des cahiers de remontrances du tiers et de la noblesse63. La capacité des États d’intervenir dans la gestion financière des villes fut donc prise par les États eux-mêmes et non concédée par une autorité supérieure à l’assemblée64. Les députés des villes furent donc pleinement associés à l’élaboration de ces articles. Rappelons également que le troisième ordre y était majoritaire en nombre ce qui leur permettait sans doute de peser par le nombre. À aucun moment, que ce soit lors de l’élaboration ou après l’adoption du cahier, il n’y eut d’opposition formulée par les villes ou leurs députés. Peut-on alors en conclure que les villes elles-mêmes furent en faveur de ces articles ? L’absence des cahiers des remontrances du tiers ou des délibérations de la commission chargée de la rédaction des articles ne permet pas d’apporter une réponse, positive ou négative, à cette question.

Dans les faits, les villes ne semblent pas avoir eu de mal à se plier à ces nouvelles exigences des États. De 1591 à 1594, les villes font régulièrement des demandes auprès des États afin de recevoir l’autorisation d’établir des taxes et des devoirs sur les marchandises passants dans leurs villes. La plupart du temps, cet argent doit servir à des travaux de fortifications et parfois à des travaux d’aménagements des ports et chaussées. Morlaix, Vannes, Redon, Dinan, Guingamp, Nantes, Carhaix et Quimper adressent toutes des demandes en ce sens lors des États de 159165. Les années suivantes, comptes moins de demandes, mais il y a tout de même Roscoff, Fougères et Quimper qui demandent l’autorisation de mettre en place ou renouveler leur petite pancarte sur les marchandises66

. Sur les quatre années ce sont douze villes dont les requêtes furent traitées dans l’assemblée. Généralement, ces impôts ont pour but de financer des fortifications et les États répondent rarement négativement à ces demandes. Pour autant, les États ne donnent pas systématiquement raison à toutes les demandes des villes. Hennebont en 1593 se voit refuser

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Selon REBILLON A., Les Etats, op. cit., p. 31, en 1613, la mesure fut l’objet d’une vive résistance de la part du tiers état.

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Voir le chapitre 2 sur l’élaboration du cahier des ordonnances.

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En 1613 ce fut le roi qui concéda ce droit aux Etats et non l’assemblée elle-même.

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ADIV, C 3199, Requêtes Morlaix, Vannes, Redon, Dinan 1591 et C3190, Requête Guingamp, Nantes et Quimper 1591.

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190 l’autorisation de poursuivre une levée d’un écu par tonneau de vin67

. Dans de nombreux cas, les villes reçoivent l’autorisation de lever des impôts, mais pour des sommes beaucoup moins importantes que celles qu’elles demandaient. C’est par exemple le cas de Fougères en 1591 qui est autorisée à lever jusqu’à 2000 écus alors que ça demandait portait sur 6000 écus68

. Certaines villes, certains ports et havres ne se plièrent pas à la règle imposée par les États puisque, le 23 avril 1593, ils ordonnent des enquêtes pour faire cesser des pancartes qui ont été instauré sans leur autorisation69.

Notons enfin qu’en 1594 les États renvoient vers le duc de Mercoeur les villes qui souhaitent obtenir l’autorisation de lever des taxes sur les marchandises, mais rappel que les communautés doivent en présenter les comptes aux États70. En ce qui concerne la participation effective des députés des États à la vérification des comptes des villes, les sources sont silencieuses et ne permettent pas de dire si l’assemblée usa réellement de cette prérogative.

Pour conclure, on peut dire que les États eurent une attitude conciliante et favorable aux demandes du clergé. En revanche, leurs relations avec la noblesse furent complexes en raison d’intérêts divergents entre certaines nobles et l’assemblée. Enfin, il apparait que le cas des doléances des villes est beaucoup plus riche et complexe que pour les deux autres ordres. Tout d’abord, on note que ce sont les villes qui se chargent de représenter les difficultés des populations rurales et de les défendre si besoin est. De plus, le traitement des doléances des villes permit aux États d’accroître leurs compétences, notamment fiscales. Les États ligueurs profitèrent du contexte pour s’immiscer beaucoup plus dans les affaires municipales ce qui étonnamment ne semble pas avoir été une source de conflit.

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ADIV, C 3196, PV des Etats 1593, feuillet 32 recto.

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ADIV, C 3190, Requête de Fougères et C 3187, PV, feuillet 12 verso, le 6 avril 1591. Pour 1591 on peut aussi relever le cas de Quimper qui reçoit l’autorisation de lever 1500 écus au lieu des 4000 demandés.

69

ADIV, C 3196, PV 1593, feuillet 18 verso, 23 avril.

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