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La nature juridique de la relation de soins

LA RELATION DE SOINS DANS LA LÉGISLATION SUISSE ET BELGE

1. La nature juridique de la relation de soins

En droit suisse comme en droit belge, la détermination de la nature juridique des relations de soins se révèle complexe et pourtant fondamentale, en cas de litige porté devant un tribunal. De la détermination du rapport juridique va découler non seulement l’application de règles concernant le régime de responsabilité, mais aussi celle des règles de procédure par exemple. En droit suisse comme en droit belge, nous avons le choix entre deux genres de relations : contractuelle ou extracontractuelle.

Cette question préoccupe les tribunaux depuis la fin du XIXe siècle environ. Alors qu’en droit suisse, l’existence d’une relation contractuelle entre le patient et le médecin semble une évidence, le droit belge, fortement influencé par le droit français, privilégie une relation extracontractuelle, basée sur les articles 1382 et 1383 CC belge (obligation quasi- délictuelle), jusque dans les années 1930. Depuis 1936, la Belgique suit le mouvement français et admet également l’existence d’une relation contractuelle entre le patient et le médecin, bien que la jurisprudence n’ait pas toujours été constante389.

En droits suisse et belge, afin de savoir si l’on se trouve devant une situation contractuelle ou extracontractuelle, il convient, dans chaque situation de fait, d’examiner si un contrat entre le patient et le médecin ou l’établissement de soins existe. Si la réponse à cette analyse est négative, on se trouve dans une relation extracontractuelle. Le cas de figure le plus évident réunit les situations où le patient se trouve en relation avec un établissement de soins privé, puisque l’existence d’un contrat est presque toujours démontrable. Par contre, la problématique se complique lorsque l’on se trouve face à un hôpital public, comme nous le verrons plus loin.

Lorsque la relation est considérée comme contractuelle, la Suisse et la Belgique adoptent un système similaire, distinguant le contrat médical (entre le professionnel et le patient) du contrat hospitalier (entre l’établissement de soins et le patient). Par contre, le système de responsabilité civile diffère passablement, notamment par le fait que la Suisse, contrairement à la Belgique, est fortement influencée par la distinction entre le droit public et le droit privé dans ce domaine.

Dans les deux systèmes juridiques, la notion de contrat médical (Arztvertrag ou

Behandlungsvertrag) est principalement utilisée pour les relations avec des professionnels

389 V

exerçant à titre indépendant390. Dans une relation avec un établissement de soins, il existe plusieurs constructions juridiques et les notions utilisées varient d’un pays (et d’une langue) à l’autre, mais recouvrent une même réalité. Nous reprendrons les termes utilisés par la doctrine suisse romande, à savoir le contrat d’hospitalisation « démembré » (gespaltener

Spitalaufnahmevertrag) ou « homogène » (totaler Spitalaufnahmevertrag)391. Dans le cas d’un contrat d’hospitalisation dit « homogène », il n’existe pas de relation directe entre le médecin et le patient. Ainsi, en cas d’action en responsabilité, l’établissement engage sa responsabilité pour la faute des personnes qui y travaillent392. Une partie de la doctrine suisse et belge reconnaît pourtant au patient la possibilité d’attaquer le médecin directement393. Dans le cas d’un contrat d’hospitalisation dit « démembré », le patient est lié par deux contrats, à savoir un contrat avec le médecin (chirurgien ou anesthésiste par exemple) et un contrat avec l’établissement de soins. La détermination des obligations promises par chacun des acteurs (professionnel ou établissement de soins) permettra de savoir qui engage sa responsabilité contractuelle pour les fautes des membres de l’équipe médicale394. Par exemple en Suisse, le patient pourra attaquer le médecin directement au sens des articles 398ss CO pour la violation de ses obligations contractuelles.

Le choix entre un contrat d’hospitalisation homogène ou démembré dépend de la politique de l’hôpital. En pratique, les patients sont rarement informés des liens juridiques entre le personnel médical et l’établissement de soins. Pour remédier à cette lacune, la législation belge a introduit un droit spécifique pour chaque patient de recevoir les informations de l'hôpital concernant la nature des relations juridiques entre l'hôpital et les praticiens professionnels qui y travaillent395. Ce droit s’inscrit dans un système de responsabilité

390 En Suisse : F

ELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 106-108 ; ROGGO (2002),

Aufklärung des Patienten, 29-31 ; En Belgique : VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du

médecin et de l'hôpital, 26-36. 391 En Suisse : B

ONNARD/CIOLA-DUTOIT/SCHORNO (2010), Partage du travail et responsabilités en

clinique privée, 1403 ; FELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 108-112 et ROGGO (2002), Aufklärung des Patienten, 31-34 ; en Belgique : VANSWEEVELT (1996), La

responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 24-26 utilise les notions de contrat-all-in pour le contrat

d’hospitalisation total et de contrat-médecin-out pour le contrat d’hospitalisation séparé.

392 En Suisse: au sens de l’article 101 CO si le médecin est considéré comme un employé de l’hôpital. Voir : ROGGO (2002), Aufklärung des Patienten, 33-34 ; en Belgique : l’établissement de soins engage sa responsabilité contractuelle pour la faute de toutes les personnes qui y travaillent, quel que soit leur statut (employé ou indépendant). Voir VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de

l'hôpital, 431-435. 393

En Suisse : FELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 107 considère que le médecin ne peut être attaqué que sous l’angle de l’art. 41 CO (responsabilité extracontractuelle). En Belgique : le médecin est considéré comme un agent d’exécution (médecin auxiliaire de l’hôpital), sans lien contractuel avec le patient (responsabilité extracontractuelle). Selon VANSWEEVELT (1996), La

responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 437-438 cette possibilité ne pourrait être envisagée que

si la faute du médecin constituait également un délit pénal. 394

En Suisse : BONNARD/CIOLA-DUTOIT/SCHORNO (2010), Partage du travail et responsabilités en

clinique privée ; FELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 107 ; ROGGO (2002),

Aufklärung des Patienten, 33-34 ; En Belgique : VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du

médecin et de l'hôpital, 438-468.

395 Article 17 novies al. 3 Loi sur les hôpitaux, coordonnée le 7 août 1987. Pour les discussions au Parlement voir : Doc. Parl., Chambre, 2006-06, 2594/001, 73. Ce document est accessible sur le site de la Chambre des représentants de Belgique http://www.lachambre.be à l’adresse suivante :

http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/51/2594/51K2594001.pdf (consulté le 30.09.2011). Il n’a par contre pas suscité de discussion au Sénat.

centrale de l’hôpital, décrit à l’article 17 novies al. 4 de ladite loi, en matière de respect des droits du patient396. Cet article rend l’hôpital responsable des manquements commis, en la matière, par les praticiens professionnels qui y travaillent. Selon l’article premier de l’AR du 21 avril 2007397, qui précise cette disposition, le patient a le droit « de recevoir des informations générales et individualisées sur les liens juridiques entre l'hôpital et les praticiens professionnels qui y travaillent ». L’hôpital peut s’exonérer de cette responsabilité d’une manière limitée. L’AR du 21 avril 2007 restreint l’exclusion de la responsabilité centrale aux seules informations générales (catégories de praticiens) et uniquement à l’égard des praticiens professionnels n’ayant pas de liens juridiques avec l’hôpital, comme les indépendants (article 1er § 2 al. 3)398. L’établissement de soins doit cependant communiquer aux patients (et à leurs mandataires) s’il exclut (ou non) sa responsabilité pour cette catégorie de praticiens professionnels et ce avant l’intervention du praticien en question (article 3 al. 1 de l’AR du 21 avril 2007). A la lecture de ces dispositions légales, nous constatons une certaine complexité du système qui nous fait douter d’un réel bénéfice pour les patients399.

Nous abordons maintenant le cas particulier d’une relation avec un établissement de droit public400 ou considéré comme tel401, où le patient se trouve dans un rapport spécial vis-à-vis de l’hôpital (Sonderstatusverhältnis). Une partie de la doctrine belge doute de l’existence d’un contrat en raison de ce rapport spécial. Elle considère plutôt que la relation extracontractuelle est régie par les articles 1383s CC belge, de sorte que le patient est lié avec l’Etat par un acte juridique administratif unilatéral402. La doctrine suisse alémanique, quant à elle, parle de relations institutionnelles (Anstaltsverhältnis)403, par opposition aux

396 Article 17 novies al. 4 Loi sur les hôpitaux, coordonnée le 7 août 1987 : « L'hôpital est responsable des manquements commis par les praticiens professionnels qui y travaillent, en ce qui concerne le respect des droits du patient prévus dans la loi précitée du 22 août 2002 […] ». CALLENS (2003), Chapitre 6 :

La responsabilité "centrale" et quelques nouvelles tendances en matière de responsabilité médicale,

156-162.

397 AR du 21 avril 2007 déterminant le contenu et le mode de transmission des informations visées à l'article 17novies de la loi sur les hôpitaux, coordonnée le 7 août 1987.

398 Article 1 § 2 al. 1 AR du 21 avril 2007 énumère les praticiens professionnels qui peuvent être indépendants. Il s’agit de médecins, infirmiers, accoucheurs, aide-soignant, kinésithérapeutes ou pharmaciens.

399 Du même avis : C

ALLENS (2003), Chapitre 6 : La responsabilité "centrale" et quelques nouvelles

tendances en matière de responsabilité médicale, 162-165.

400 En Suisse, il s’agit principalement des établissements dont une communauté publique est propriétaire, à savoir des hôpitaux publics cantonaux (y compris universitaires), communaux, voire fédéraux (hôpitaux militaires). En Belgique, il s’agit uniquement des établissements propriétés des Centres publics d’aide sociale. Ils sont généralement soumis à des obligations ou des missions légales de protection de l’intérêt public comme la protection de la santé publique ou l’accès aux soins des indigents.

Voir :VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 43-46. 401 R

OGGO (2002), Aufklärung des Patienten, 34-37; FELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum

Patienten, 108. Il s’agit des établissements subventionnés par l’Etat (établissements reconnus d’utilité

publique). Pour être reconnus d’intérêt public, les établissements doivent remplir un certain nombre de conditions fixées par le droit cantonal relatif à la planification hospitalière notamment. Par exemple dans le canton de Vaud, les conditions sont fixées à l’article 4 de la loi sur la sur la planification et le financement des établissements sanitaires d'intérêt public (LPFES), RSV 810.01.

402 V

ANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 23 et 43-50. 403 F

ELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 108 ; GÄCHTER/VOLLENWEIDER

relations contractuelles de droit privé (privatrechtliches Vertragsverhältnis). Les relations entre patients et médecins (ainsi que, selon les circonstances, entre l’hôpital et le personnel hospitalier) sont régies par la loi404.

Une évolution doctrinale s’est produite qui avance que le patient et l’hôpital public peuvent passer un contrat de droit administratif (verwaltungsrechlicher Vertrag). Ce type de contrat comprend toutes les prestations de soins et d’hébergement dispensées par le personnel de l’hôpital. L’explication de cette évolution tient au fait que le patient doit donner son consentement libre et éclairé405. Cependant, comme nous l’avons déjà relevé, l’usage du contrat de droit administratif est accepté plus largement par la doctrine suisse romande. En Suisse alémanique, son usage n’est autorisé qu’à condition qu’il s’agisse du moyen le plus adéquat pour l’Etat d’atteindre le but de la loi406. En Suisse romande, la doctrine laisse plus de liberté à l’Etat dans le choix de la qualification des relations juridiques avec ses administrés. Dans les cantons ayant instauré une loi régissant les relations juridiques entre les patients et les hôpitaux, tel le canton de Zurich, l’emploi du contrat de droit administratif ne se justifie plus. Dans les cantons suisses romands, la loi parfois plus lacunaire, notamment concernant les devoirs des patients, laisse une place à l’utilisation de ce type de contrat. Dans les relations avec un établissement de droit public, l’existence de deux contrats distincts, l’un avec l’établissement de soins (contrat de droit administratif) et l’autre avec le professionnel (contrat de droit privé) reste possible, notamment pour l’activité des médecins chefs407.

Le Tribunal fédéral n’ayant pas considéré l’activité des hôpitaux comme l’exercice d’une industrie (art. 61 al. 2 CO), les cantons sont dès lors libres de déroger aux règles du CO s’agissant de la responsabilité des agents publics408. En vertu de l’article 61 al. 1 CO, les cantons peuvent donc édicter une réglementation uniforme, soumettant le régime de responsabilité civile de l’ensemble du personnel des établissements de soins publics, exclusivement au droit public. L’application du droit privé dépendra donc de l’usage que le canton aura fait de la réserve de l’article 61 al. 1 CO. Ainsi, si un canton a usé de cette possibilité, l’activité privée du médecin-chef dans un établissement de soins public, situé dans ce canton, sera aussi soumise aux règles de droit public409. Le Tribunal fédéral se montre plutôt favorable à une réglementation globale concernant le régime de responsabilité dans le cadre des hôpitaux, car il estime qu’une telle réglementation est dans l’intérêt du patient410.

Pour résumer, la première question à résoudre est de savoir si le patient et le professionnel (médecin, équipe médicale, établissement) sont liés par un contrat ou non. Si oui, il convient

404 Par exemple, le canton de Zurich a adopté une loi sur les patients (Patientinnen- und Patientengesetz vom 5. April 2004, ZH-Lex 813.13) qui régit les relations entre les patients et les établissements publics de soins du canton.

405 F

ELLMANN (2007), Arzt und das Rechtsverhältnis zum Patienten, 160. 406 G

ÄCHTER/VOLLENWEIDER (2010), Gesundheitsrecht, 122. 407

GÄCHTER/VOLLENWEIDER (2010), Gesundheitsrecht, 122-123. 408 ATF 111 II 149.

409 ATF 117 Ib 197 ; ATF 118 II 213 ; ATF 122 III 101 et TF, arrêt du 1er juillet 2002 dans la cause 4C.97/2002 , cons. 2.1.

de déterminer, en deuxième lieu, avec qui le patient a contracté. Plusieurs possibilités existent à savoir avec le médecin (contrat de soins), avec l’établissement (contrat d’hospitalisation homogène ou contrat de droit administratif) ou avec l’établissement et le médecin (contrat d’hospitalisation démembré). Le statut de l’établissement joue un rôle dans la détermination des règles applicables. Pour un établissement régi par les règles de droit public, il pourra s’agir soit de la loi, soit d’un contrat de droit administratif en Suisse, et d’une relation extracontractuelle en Belgique.

Maintenant que nous avons brossé un tableau des relations qui peuvent naître entre un patient, un médecin et/ou un hôpital, la question qui se pose est de savoir quelle est la nature de l’obligation du professionnel de la santé et/ou de l’établissement de soins. La réponse à cette question permet de qualifier juridiquement le contrat.