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LA RELATION DE SOINS DANS LA LÉGISLATION SUISSE ET BELGE

Section 3 : Quelques droits et devoirs difficiles à mettre en œuvre 1 Introduction

5. Le devoir de diligence

Nous abordons maintenant succinctement le devoir de diligence sous l’angle de la responsabilité civile du professionnel. Il s’agit également d’un aspect délicat de la relation de soins, où les tensions peuvent être vives entre les patients et les professionnels. Les conditions de la responsabilité étant légèrement différentes en droit suisse et belge, nous étudions séparément les deux systèmes en commençant par le droit suisse.

Le devoir de diligence concrétise l’obligation pour le professionnel de la santé de mettre en œuvre tous les moyens adéquats pour la bonne et fidèle exécution du contrat (art. 398 al. 2 CO)585. Le devoir de diligence est défini par l’objet du mandat qui déterminera l’effort à fournir et le but à accomplir par le mandataire586. Il convient pour le professionnel de mettre en œuvre tous les moyens commandés par les règles de l’art, qui se définissent comme les principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens, pour s’efforcer d’aboutir au résultat prévu dans le contrat587. Dans la plupart des cas, le médecin se trouve dans une situation où il dispose d’une certaine marge de manœuvre. En conséquence le médecin ne commet de négligence face à son devoir de diligence que s’il pose un diagnostic ou choisit un traitement qui n’apparaît plus défendable selon l’état général des connaissances de la branche588.

Malgré le renvoi de l’article 398 al. 1 CO aux règles sur la responsabilité du travailleur (art. 321e CO), le Tribunal fédéral a, jusque dans les années 1980, limité la responsabilité du médecin à l’erreur manifeste, au traitement évidemment inapproprié, à la violation claire des règles de l'art ou à l’ignorance des données généralement connues de la science médicale. Le Tribunal fédéral justifie cette restriction pour tempérer la rigueur du principe et tenir compte « des imperfections de la science et de la faillibilité humaine589. » En 1987, un changement de jurisprudence est annoncé dans le sens où le Tribunal fédéral reconnaît que

584 Voir infra pp. 156ss concernant les droits les plus souvent invoqués. 585

Le professionnel est tenu à une obligation de moyen qu’il soit employé de l’Etat ou mandataire du patient. ATF 120 Ib 411, cons. 4a.

586

TF, arrêt du 2 juin 2004 dans la cause 4C.88/2004, cons. 3 ; TERCIER/FAVRE (2009), Les contrats

spéciaux, 768. 587

ATF 130 IV 7, cons. 3.3 ; TF, arrêt du 6 juin 2000 dans la cause 4C.331/1997, cons. 4a. 588 ATF 130 I 337, cons. 5.2 ; ATF 130 IV 7, cons. 3.3 ; ATF 120 Ib 411, cons. 4a. 589 ATF 105 II 284, cons. 1.

cette limitation n’a pas de fondement dans la loi590. La première application de ce changement se fait deux ans plus tard591. Depuis lors, le médecin répond de toute faute, et plus seulement de la faute grave592.

Lorsque la violation du devoir de diligence est invoquée, il convient de déterminer la mesure de la diligence requise593. Cette notion ne peut pas être déterminée dans l’abstrait, mais s’évalue en fonction des critères objectifs et de l’ensemble des circonstances concrètes du cas d’espèce (le temps à disposition, la formation et les capacités, le genre d’intervention, les risques liés à l’intervention, la marge de manœuvre, les moyens disponibles, etc.)594. Cet examen doit se juger au moment de l’action et non pas au moment de l’expertise. Ces principes sont également applicables pour déterminer le devoir de prudence sous l’angle pénal595. Le devoir de diligence s’interprète de la même manière, que le professionnel agisse dans le cadre d’une consultation privée ou d’un établissement de soins public596. La violation du devoir de diligence équivaut à l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat, mais correspond également à la notion d’illicéité (responsabilité délictuelle)597.

En droit belge, les conditions de la responsabilité contractuelle sont la faute, le dommage et un lien de causalité. La faute du professionnel inclut automatiquement une violation de son devoir de diligence et elle se juge par comparaison. Le comportement concret sera confronté à un modèle, calqué sur le modèle du bonus pater familias (le bon père de famille)598. Le modèle du médecin standard est celui d’un médecin normalement diligent de la même catégorie professionnelle. La spécialisation influence donc le modèle du médecin diligent. Pour effectuer la comparaison, ce modèle devra être placé dans les mêmes circonstances que le professionnel mis en cause (temps, lieu, moyens, etc.). Ainsi le comportement concret va être comparé à celui d’une personne de même catégorie professionnelle (généraliste, spécialiste, etc.), placée dans les mêmes circonstances (temps, lieu, moyens, etc.)599.

590 ATF 113 II 429.

591 ATF 115 Ib 175, cons 2b. 592

ATF 120 II 248, cons. 2c ; ATF 120 Ib 411, cons. 4a; ATF 130 IV 7, cons. 3.3 ; ATF 120 II 248, JT 1995 I 559-562, cons. 2 et références citées ; TF, arrêt du 9 janvier 2008 dans la cause 4C.66/2007, cons. 4 ; ATF 133 III 121, cons. 3.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral non publié du 31 mai 1995, cons. 3a. L’évolution a été la même en droit belge : VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et

de l'hôpital, 103-108.

593 TF, arrêt du 9 janvier 2008 dans la cause 4C.66/2007, cons. 4 ; TF, arrêt du 2 juin 2004 dans la cause 4C.88/2004, cons. 3.1 ; ATF 133 III 121, cons. 3.1.

594 Voir les arrêts mentionnés à la note 592. En droit belge, ces critères sont utilisés pour démontrer l’existence d’une faute, voir le paragraphe suivant.

595 ATF 130 IV 7, cons. 3.3 qui précise également que la prudence requise s’apprécie également au regard de règles édictées par des associations privées ou semi-privées dans ces circonstances particulières (exemple : règles de prévention des accidents et sécurité).

596

En droit suisse : TF, arrêt du 26 août 2003 dans la cause 4P.110/2003, cons. 4 ; RVJ 2007 150, cons. 28 ; en droit belge : VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 86. 597

En droit suisse : ATF 133 III 121, cons. 3.1 ; TF, arrêt du 26 août 2003 dans la cause 4P.110/2003, cons. 2.1 ; TF, arrêt du 6 juin 2000 dans la cause 4C.331/1997, cons. 4a ; en droit belge : VANSWEEVELT

(1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 108.

598 Arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 26 juin 2009 dans la causeC.07.0548.F/1, cons. 5.2.3 ; VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 87-88.

599 V

ANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 87-102 ; LELEU/GENICOT

Une violation du devoir de diligence peut se concrétiser de plusieurs manières600. Comme casuistique, nous pouvons donner quelques exemples de violation : manquement dans les mesures de surveillance d’un patient atteint d’une maladie psychique qui s’est jeté du premier étage601, usage d’une trop grande force dans la manipulation d’un cathéter lors d’une opération cardiaque602, mauvais positionnement d’une aiguille lors d’une thermocoagulation qui a engendré des lésions neurologiques603, manque d’attention lors d’une manipulation connue pour être particulièrement délicate lors d’une opération au genou604, méconnaissance d’un défaut d’une prothèse605, mauvaise manipulation d’un endoscope606.

Entre la violation crasse du devoir de diligence et un acte correctement accompli, il existe toute une zone grise où les actes ne peuvent engager une responsabilité (l’aléa thérapeutique notamment). Les patients, bien qu’ils soient atteints dans leur intégrité physique, ne peuvent pas demander réparation, faute de preuve de la violation du devoir de diligence entre autres. La Belgique, contrairement à la Suisse, a instauré, dans une loi du 31 mars 2010, le Fonds des accidents médicaux pour indemniser des dommages résultant de soins de santé607. Ainsi, les patients remplissant les conditions des articles 4 et 5 de ladite loi, pourront déposer une demande au Fonds, même pour des accidents médicaux sans responsabilité. Cette loi donne un nouvel espoir aux patients victimes d’accidents médicaux et une chance pour les autorités judiciaires de voir les demandes en justice diminuer. Pourtant, il existera toujours une catégorie de patient qui ne pourra pas bénéficier de ce fonds, ne remplissant pas les conditions d’indemnisation608.

Devenir bénéficiaire d’une somme d’argent suite à un aléa thérapeutique aux conséquences graves représente déjà un pas vers la reconnaissance d’une souffrance. Cependant, la reconnaissance de la souffrance peut prendre d’autres formes, comme une demande de dialogue et d’écoute, qui peut s’ajouter à une demande pécuniaire, mais qui bien souvent, la remplace609. Nous sommes dès lors convaincus que le recours à ce fonds devrait intervenir après avoir tenté une (re)construction du dialogue par un moyen d’action tel que la médiation

600 Pour une vision plus globale voir en droit suisse : L

ANDOLT (2009), Medizinalhaftung. Aktuelle

Rechtsprechung zu ausgewählten Problembereichen der Arzthaftung, 341-344; en droit belge :

VANSWEEVELT (1996), La responsabilité civile du médecin et de l'hôpital, 121-300. 601 TF, arrêt du 13 juin 2000 dans la cause 4C.53/2000.

602 TF, arrêt du 6 juin 2000 dans la cause 4C.331/1997. 603 RVJ 2007 150.

604

Arrêt du Tribunal cantonal du canton du Valais du 18 janvier 1999. 605 ZWR 2009 167.

606 TF, arrêt du 23 novembre 2004 dans la cause 4C.378/1999.

607 Une première loi avait été mise en vigueur (la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé), mais elle a subi passablement de critiques. Voir notamment : FAGNART (2008), La réparation des dommages résultant de soins de santé. Belles idées et vilaine loi, 407-425 ; DE CALLATAŸ (2008), Halte au Fonds, 499-509 ; VERHAEGEN (2008), La gestion des plaintes

de patients auprès des services de médiation, 293-296. La Loi du 31 mars 2010 est venue l’abroger pour

tenter de corriger les erreurs soulevées dans les critiques.

608 Une des conditions est relative au dommage, évalué de différente manière par loi (article 5 Loi du 31 mars 2010 . Par exemple, selon le chiffre 1 dudit article, le patient doit avoir subi une invalidité permanente supérieure ou égale à 25 %.

609 Voir : R

(ou un de ces dérivés). Ce recours ne devrait pas être obligatoire, mais devrait être promu et facilité par les personnes intervenant dans ces processus d’indemnisation, par exemple sous forme d’information.

Nous passons maintenant à l’examen des différentes voies mises en place par les législations belge et suisse pour faire respecter des droits du patient : les commissions de surveillance des professionnels de la santé et l’autorité de conciliation (en Suisse) et la Commission fédérale « Droits des patients » (en Belgique). Le fonctionnement et le but de ces moyens sont fortement inspirés par celui des autorités judiciaires, mais comme nous le verrons, le législateur y a trouvé une porte d’entrée pour légiférer sur la médiation.

Section 4 : Les diverses voies ouvertes au patient pour faire respecter ses