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LA MÉDIATION DANS LA LÉGISLATION SANITAIRE SUISSE ET BELGE

Section 3 : Les problématiques de la médiation en santé 1 L’institutionnalisation de la médiation en santé

2. L’indépendance du médiateur

2.1. Le lien avec les autorités de nomination

L’indépendance du médiateur est un élément indispensable à la bonne marche de la médiation. En Suisse, les cantons de Genève, du Valais et de Vaud ont expressément garanti l’indépendance du médiateur en santé681. Dans les autres cantons (Fribourg, Jura et Berne), la législation reste muette sur ce principe. En Belgique, des conditions pour assurer un exercice indépendant de la médiation ont été édictées aux articles 7 § 1 de l’AR du 1er avril 2003 pour les médiateurs fédéraux et 3 de l’AR du 8 juillet 2003 pour les médiateurs locaux. La condition commune est que les médiateurs ne peuvent pas être sanctionnés pour les actes accomplis dans le cadre de l’exercice correct de leur mission.

Au vu des développements concernant les aspects sociologiques682, notre intérêt va principalement se porter sur les médiateurs locaux belges. Concernant la Suisse, nous souhaitons aborder la situation du canton de Vaud, qui reste une exception quant à l’ampleur du recours à la médiation en santé683. L’utilisation de la médiation dans ce canton n’est pas un hasard. La médiatrice en santé actuelle accorde passablement de temps à l’information et à la promotion de la médiation auprès des personnes intéressées. Elle remarque un certain nombre de réticences à entrer en médiation autant du côté des patients que des professionnels. Ainsi, elle passe une bonne partie de son temps à créer un lien de confiance avec les professionnels. Une situation identique a été remarquée en Belgique autant au niveau des médiatrices fédérales que des médiateurs locaux. La cause de ce manque de confiance n’est pas facilement identifiable, mais il ne vient pas uniquement d’une perception d’absence d’indépendance du médiateur. En effet, les réticences viennent également d’une mauvaise compréhension de la médiation et des possibilités qu’elle offre.

Nous analysons maintenant plus en détail la situation des médiateurs locaux en Belgique. Leur situation est plus délicate en raison de leur statut au sein de l’établissement de soins et de leur absence de formation spécifique en matière de médiation. Ainsi, des conditions supplémentaires ont été insérées à l’article 3 lit. a à c de l’AR du 8 juillet 2003 suite à un avis du 17 mars 2006 de la Commission fédérale684. Il s’agit notamment de règles d’incompatibilités avec la fonction de médiation. Ainsi, au sens de cet article, la fonction de médiation est incompatible avec :

− « une fonction cadre ou de gestion dans un établissement de soins de santé telle que la fonction de directeur, de médecin en chef, de chef du département infirmier ou de président du conseil médical ;

681 Articles 10 Règlement genevois du 22 août 2006 sur la constitution et le fonctionnement de la commission de surveillance des professionnels de la santé (RSG K 3 03.01) ; 43 al. 3 Ordonnance valaisanne du 18 mars 2009 sur l’exercice des professions de la santé et leur surveillance (SGS 811.100) et 15a al. 8 Loi vaudoise du 29 mai 1985 sur la santé publique (RSV 800.01).

682 Voir Titre 1, Chapitre 3.

683 Nous aurions également souhaité analyser la situation dans le canton de Berne, mais au moment de la rédaction, le rapport annuel n’était pas encore disponible.

− l'exercice, à l'hôpital, d'une fonction dans le cadre de laquelle des soins de santé sont dispensés en qualité de praticien professionnel, tel que visé dans la loi relative aux droits du patient ;

− une fonction ou une activité dans une association qui a la défense des intérêts du patient comme objectif. »

Ce même avis a également pointé du doigt les conditions de travail des médiateurs locaux. Pour les améliorer, des exigences ont donc été instaurées à l’article 4 chiffre 4 de l’AR du 8 juillet 2003. Selon cet article, le médiateur doit disposer de locaux propres et de l’environnement administratif et technique nécessaire à l'accomplissement de ses missions, entre autres d’un secrétariat, des moyens de communication et de déplacement, de la documentation et des moyens d'archivage. Cela implique, en particulier, que le médiateur dispose d'un numéro de téléphone et d'une adresse électronique propres et exclusifs, ainsi que d'un répondeur indiquant les heures auxquelles il peut être contacté. En outre, le médiateur doit disposer d'un espace de réception approprié. Ces détails se sont révélés nécessaires au vu de certaines pratiques dans quelques établissements de soins. Par exemple, le patient devait passer par le secrétariat de la direction pour pouvoir prendre rendez-vous avec le médiateur local.

Nous remarquons que les systèmes de médiation mis en place peuvent avoir une influence non seulement sur l’indépendance elle-même, mais également, et surtout, sur les perceptions positives ou négatives concernant l’indépendance. Un système mal adapté, avec en sus une absence de formation et de reconnaissance d’un titre685, peut gravement perturber l’indépendance du médiateur ainsi que la perception de celle-ci par la population. Les systèmes élaborés dans les cantons romands et en Belgique ne favorisent pas, à notre sens, les perceptions positives concernant l’indépendance du médiateur. L’instauration d’une pratique indépendante devrait éviter de donner l’impression que la tierce personne est l’émanation d’un pouvoir d’une structure telle que l’établissement de soins ou de l’Etat. Les législateurs devraient être plus attentifs à cette problématique. Un aspect dans la situation des médiateurs locaux mérite encore d’être examiné : les règlements d’ordre intérieur.

685 Voir infra pp. 151ss.

2.2. Les règlements d’ordre intérieur

En vertu de l’article 10 de l’AR du 8 juillet 2003, le médiateur local établit le règlement intérieur concernant l’organisation, le fonctionnement et les règles de procédure de sa propre médiation686. Aussi bien les médiatrices fédérales que la Commission fédérale ont constaté des problèmes quant au contenu desdits règlements.

En évaluant la fonction de médiation, la Commission fédérale remarque que les résultats de l’analyse des règlements internes, contenus dans un avis du 12 juin 2009, restent encore préoccupants687. Elle constate que les trois quarts des règlements présentent des contradictions avec les dispositions légales relatives à l’indépendance et à la neutralité des médiateurs locaux et que deux tiers des règlements omettent des éléments qu’elle-même estime essentiels, comme l’accessibilité au médiateur ou le processus de traitement des plaintes. Par exemple, le médiateur local a souvent comme supérieur hiérarchique la direction générale688 ou une obligation de cosignature sur la correspondance. Il existe également encore beaucoup de médiateurs locaux qui font partie de la commission interne de gestion des plaintes, ce qui peut influencer la perception du public concernant leur mission689. Certaines institutions ont tout simplement édicté le règlement sous forme de brochure d’accueil ou autres codes de conduite dans l’institution. Nous citerons l’exemple le plus extrême et le plus frappant, à savoir le remplacement dans certaines institutions du médiateur par un conseil composé en général par des membres de la direction. La fonction de médiation se réduit alors à des tâches de secrétariat690.

Le bureau fédéral de médiation fait le même constat lorsque des plaintes concernant le fonctionnement du médiateur local lui parviennent691. Les reproches portent essentiellement sur le rattachement du médiateur à l’établissement de soins et le ressenti des patients concernant un manque d’indépendance du médiateur local. Malgré les modifications de l’AR du 8 juillet 2003, le bureau fédéral de médiation recommande encore, en 2006 et 2007, un cadre plus précis notamment concernant l’indépendance du médiateur local692. A ce stade, il nous paraît important de souligner que les médiatrices fédérales ont constaté dans leur

686 Pour rappel, l’instauration de la fonction de médiation au sein des hôpitaux se trouve dans la Loi sur les hôpitaux, coordonnée le 7 août 1987 à l’article 70 quater. Ainsi au sens de la terminologie juridique suisse, le règlement d’ordre intérieur serait l’équivalent d’une ordonnance administrative. En effet, le règlement n’instaure pas de droits et des obligations supplémentaires à la loi, mais uniformise la manière dont l’hôpital doit interpréter la législation. A notre sens, il n’existe donc pas de délégation législative à des particuliers. Sur cette problématique voir : Guide de législation accessible à l’adresse suivante : www.ofj.admin.ch > Thèmes > Etat et citoyen > Légistique.

687

Avis du 24 avril 2008 relatif à la formation des médiateurs « Droits du patient », 3-4. 688 V

ANORMELINGEN (2008), La médiation des plaintes en milieu hospitalier, 253.

689 Avis du 12 juin 2009 relatif au règlement intérieur de la fonction de médiation dans les hôpitaux, 3-4 et Rapport annuel des activités 2008 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 14.

690 Avis du 12 juin 2009 relatif au règlement intérieur de la fonction de médiation dans les hôpitaux, 3-4. 691 Rapport annuel des activités 2004 du Service de médiation fédéral “Droits du patient”, 41 ; Rapport

annuel des activités 2005 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 30 ; Rapport annuel des activités 2008 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 14. Dans le rapport d’activité 2009, les médiatrices fédérales exposent des recommandations (pratiques) concernant l’indépendance des médiateurs locaux Voir : Rapport annuel des activités 2009 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 71-72.

692 Rapport annuel des activités 2006 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 103 ; Rapport annuel des activités 2007 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 73.

rapport de 2008 qu’une partie des patients, connaissant la répartition des compétences, s’adressait quand même au bureau fédéral de médiation. Ces plaignants n’étaient pas satisfaits de l’intervention du médiateur local ou voulaient avoir un premier contact avec le bureau fédéral pour connaître les possibilités de traitement de leurs plaintes693.

Cette demande de contrôle des patients est légitime dans la mesure où, actuellement, aucune sanction n’est prévue dans la législation en cas de non-respect des conditions fixées dans l’AR du 1er juillet 2003. Ce contrôle reste néanmoins indispensable. Pour tenter de remédier à la situation, la Commission fédérale serait favorable à l’instauration d’un modèle de règlement d’ordre intérieur qu’elle élaborerait en collaboration avec les deux associations francophone et néerlandophone de médiateurs en institutions de soins694. Elle ne résoudrait pourtant pas les problèmes actuels rencontrés par la Commission fédérale dans l’évaluation de la fonction de médiation695. La question à se poser serait de savoir si ce contrôle pourrait être pensé au niveau de la procédure d’approbation des règlements d’ordre intérieur (contrôle du contenu) et du renforcement des compétences de la Commission fédérale, par exemple en instaurant la possibilité d’effectuer des visites d’inspection et un pouvoir de sanction en cas de non-respect des conditions fixées dans l’AR du 1er juillet 2003.

Le contrôle des règlements d’ordre intérieur engendrerait certainement une réaction négative, probablement due à une peur de perte de maîtrise et une crainte de prise de pouvoir sur l’activité de l’institution. Cet exemple démontre la nécessité de ne pas négliger la méfiance des établissements de soins face à un tiers neutre et indépendant ainsi qu’à son activité.

Bien que deux dispositions aient été adoptées sur les conditions que doivent remplir les médiateurs et sur les règles d’incompatibilité avec la fonction de médiation, l’indépendance et la neutralité posent encore toujours problème actuellement. Cette situation est sans doute due en partie au fait que le règlement d’ordre intérieur, que doit rédiger chaque médiateur local, doit être soumis à l’approbation du gestionnaire de l’établissement696. Il arrive par conséquent des situations où le médiateur perd une partie de son indépendance s’il ne peut pas signer ces courriers seuls, mais en cosignature avec le directeur médical ou qu’il doive informer la direction de chaque plainte déposée697. L’approbation du règlement interne des hôpitaux par le gestionnaire est le principal obstacle à l’indépendance du médiateur local. Nous verrons, au paragraphe suivant, que la formation du médiateur joue un grand rôle dans son indépendance.

693 Rapport annuel des activités 2008 du Service de médiation fédéral "Droits du patient", 14. 694

Avis du 22 janvier 2007 relatif à la position du médiateur dans l'hôpital, 12-13.

695 Voir supra pp. 133s concernant les compétences de la Commission fédérale et les difficultés constatées. 696 Article 10 AR du 8 juillet 2003.

697 Analyse des rapports annuels des médiateurs "Droits du patient" 2006, 15-16 ; Avis du 12 juin 2009 relatif au règlement intérieur de la fonction de médiation dans les hôpitaux, 3-4.

2.3. La double fonction

Cette problématique est surtout vraie pour les médiateurs locaux belges, mais également pour les médiateurs nommés au sein des membres de la commission de surveillance en Suisse comme dans le canton de Fribourg698.

En général, les médiateurs locaux travaillent sous contrat de travail et ont donc le statut d’employé de l’hôpital699. Nombre d’entre eux travaillaient déjà dans l’établissement de soins en tant qu’infirmier ou responsable de la qualité des soins par exemple, et n’ont fait que changer de fonction. Selon le rapport du Service public fédéral, près de la moitié d’entre eux travaillent à temps partiel et parfois même en continuant d’exercer leur activité d’alors au sein de l’établissement700. Cette situation n’est pas sans créer des problèmes au niveau de l’indépendance. La problématique du temps partiel n’est pas à négliger, car elle engendre, selon les circonstances, des conflits d’intérêts difficilement gérables par le médiateur local. Cet obstacle pourrait être dépassé en prévoyant légalement la nomination d’un médiateur remplaçant, mais cela n’a pas été prévu. L’AMIS tente de mettre en place un système de remplacement entre collègues, mais des problèmes pratiques s’avèrent difficiles à surmonter (le remplaçant connaît mal l’organisation de l’établissement et les personnes clés, les outils informatiques internes qui sont à sa disposition, la légitimité du remplaçant n’est pas la même que celle du médiateur nommé, etc.)701.

Cette ambiguïté sur le statut du médiateur local suscite la méfiance des deux parties envers la médiation. Les uns remettent en question l’indépendance du médiateur lorsqu’ils apprennent que ce dernier est salarié de l’établissement de soins. Les autres adoptent une attitude défensive lorsque le médiateur n’a pas travaillé auparavant dans l’établissement de soins ou cumule deux fonctions. Ces suspicions sont nourries par un manque d’information du public cible sur les rôles de chacun et les limites de la médiation, mais également par une lacune dans la formation des médiateurs.

La problématique de la double fonction du médiateur local avec une autre fonction (souvent médicale et au sein du même établissement de soins) est de deux ordres. Premièrement, l’autre fonction peut être un rempart à la résolution de certains conflits, car le médiateur local pourrait être confronté à des situations délicates. Par exemple, il pourrait devoir gérer un conflit dans lequel un de ses confrères est impliqué, mais avec lequel il a également des relations professionnelles dans le traitement du plaignant. Comme la plupart des établissements de soins n’ont pas de véritables remplaçants, la situation est problématique. Deuxièmement, les médiateurs locaux cumulant les fonctions se trouvent souvent confrontés à un manque de temps pour se former ou privilégient la formation de leur seconde activité au détriment de la formation en médiation. Cette situation fragilise leur fonction. La

698 Article 17 al. 3 Loi fribourgeoise du 16 novembre 1999 sur la santé (BDLF 821.0.1).

699 Analyse des rapports annuels des médiateurs "Droits du patient" 2006, 8 (le rapport dénombre 137 médiateurs travaillant dans les hôpitaux généraux, et sept médiateurs seulement travaillant comme indépendant). Accessible sur le site du Service public fédéral Santé publique, sécurité de la chaîne alimentaire et de l’environnement https://portal.health.fgov.be à l’adresse suivante

http://www.health.belgium.be/eportal/Healthcare/Consultativebodies/Commissions/Patientsrights/Analy sisannualreportslocalombu/index.htm (consulté le 30.09.2011).

700 Analyse des rapports annuels des médiateurs "Droits du patient" 2006, 8. L’analyse en 2007 ne portait pas sur ces questions et un suivi de la situation ne peut dès lors pas être fait.

problématique de l’indépendance est à mettre en relation avec la formation du médiateur, ce que nous abordons maintenant.