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2.2 : La médina haute, ville européanisée :

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 84-89)

A cette époque ce sont les ingénieurs du génie militaire qui étaient chargés de l’opération d’aménagement. Ils avaient commencé par occuper les biens et bâtiments propriétés du Bey et de ses hauts fonctionnaires qui avaient quitté la ville juste avant sa prise par l’armée française, ainsi que les biens habous qui se concentraient dans cette partie de la médina. « En Algérie, le démantèlement du habous fut rapide et profond : le Domaine public entre 1830 et 1851 » 65.

Des transformations structurelles et formelles très importantes sont enclenchées pour adapter la ville aux besoins et au mode de vie que véhiculaient ses nouveaux occupants. Ils avaient procédé à la superposition des structures urbaines et architecturales de la ville européenne aux structures de la médina arabo-musulmane qu’ils avaient trouvée. Le résultat est cette très forte déstructuration subie par la ville, sans jamais réussir à l’adapter entièrement, car à un moment donné, lassés ils durent renoncer.

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HARNAY J.P. La vie musulmane en Algérie d’après la jurisprudence de la première moitié du XXe siècle PUF Paris, 1965 P. 143

2.2.1 : Le principe de la superposition 66

La ville européenne s’était tout simplement superposée à la ville algérienne, ce qui avait entraîné sa déstructuration. De là elle prit son aspect hybride. Une commission de nivellement et d’alignement fut nommée en 1850 et se prolongea jusqu’à la fin du siècle. C’est aussi cette partie de la médina qui a connu d’importantes transformations sur toute son étendue. Par cette superposition de la structure urbaine coloniale à la ville algérienne, la communauté européenne s’offrait le cadre et les repères nécessaires qu’elle avait laissé derrière elle : le tracé de voies, l’hôtel de ville, la cathédrale...

Au moment où la voiture faisait son apparition, la médina haute a vu des voies rectilignes tenter de rectifier les tracés tortueux de sa trame viaire pour atteindre autant que possible le schéma en échiquier. Pour assurer l’alignement de part et d’autre des voies, les maisons traditionnelles à cour, étaient remplacées par les immeubles à cour, très répandus en Europe au 19ieme siècle et de petits immeubles de rapport de style néo classique d’un standing plus modeste. Dans certains cas, se sont seulement des façades coloniales qui étaient plaquées par endroit aux constructions traditionnelles. Les rues Larbi ben M’hidi, Didouche Mourad ; Meriem Bouattoura… offrent de nombreux exemples (fig. I-7).

D’autres opérations ponctuelles avaient eu lieu à travers la ville, la mosquée Ahcène Bey attenante au palais d’Ahmed Bey était transformée en cathédrale en 1842, avec clocher, autel…. La wilaya (ex préfecture) était construite sur plusieurs îlots entre 1849 – 54, l’hôtel de ville67 était construit entre 1895 et 1902. Les destructions étaient nombreuses : quand la construction d’un quelconque édifice ou le tracé d’une voie nécessitait la destruction d’une mosquée ou d’un groupes de maisons, ni sa sacralité, ni sa qualité architecturale ni le statut des propriétaires ne plaidaient pour leur maintien.

Les détournements de fonctions furent très nombreux. Certaines maisons avaient été choisies pour leur taille ou leur situation dans la ville pour se voir transformer en écurie pour les chevaux de l’armée française, ou servir de grenier ou toute autre attribution. Les constructions au niveau des portes, furent les plus ciblées par ces transformations et détournements, pour contrôler l’accès des étrangers à la ville et les déplacements de ses habitants.

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De la ville unique à la ville duale, Constantine, au contact de la colonisation G. MESKALIDJI sous la direction F.Z. GUECHI Constantine une ville, des héritages Média-Plus 2004, 135-146

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B. Belabed-sahraoui : Institution coloniale et architecture de pouvoir l’histoire de l’hôtel de ville, sous la direction F.Z. GUECHI Constantine une ville, des héritages Média-Plus 2004, p 180

La procédure était répétée autant de fois qu’il y avait des constructions qui intéressaient l’armée française. Les exemples sont très nombreux : la maison du n° 27 de la rue Desmoyens était affectée à des fins militaires (1870)68, la maison appartenant à Ben Aïssa, le lieutenant de Hadj Ahmed Bey fut convertie en hôpital civil, de même qu’une salle d’asile, un orphelinat et un pensionnat étaient installés dans trois boutiques appartenant aux domaines. Les expropriations ont continué pendant longtemps.

2.2.2 : Le tracé des voies et l’alignement :

En plus de tous ces changements, la ville connut les percées de type « hausmanien ». Dans le but d’améliorer la circulation à l’intérieur de leur ville, les rues Didouche Mourad prolongée par la rue du 19 Juin (ex rue de France) fut ouverte en 1857–61. Elle représentait la limite entre la ville européenne et la ville musulmane. La construction de la gare ferroviaire, avait nécessité l’ouverture de la voie la plus importante de Constantine (10m de large) dans la partie autochtone de la ville, la rue impériale (inaugurée par Napoléon III en 1865) l’actuelle rue Larbi Ben M’hidi (Trik Jdida). Elle devait servir à l’acheminement des céréales et d’autres matières premières qui arrivaient de l’arrière pays par caravanes jusqu’à la halle aux grains en bas du Coudiat (sur l’emplacement de l’actuel garage Citroën), pour être transportées par train vers le port de Skikda puis vers la métropole et les pays d’Europe.

L’ouverture de la rue nationale pour joindre la gare ferroviaire avait entraîné la destruction d’un grand nombre de maisons et édifices autochtones. Cette voie avait été tracée au cordeau formant un coude au niveau de la Médersa. Aucune concession n’avait été faite devant le statut, la symbolique ou même la qualité architecturale du bâti. La plupart des constructions étaient mutilées par les destructions. Même la grande mosquée de la ville, d’époque hafcide, n’avait pas échappé. Une partie de sa façade et l’entrée principale avaient été détruites pour céder la place au tracé de la rue. Certains îlots traditionnels avaient été enserrés par des immeubles coloniaux de 5 ou 6 niveaux, une façon de cantonner la ville autochtone, la rendre ainsi invisible derrière les hauts immeubles (5 et 6 étages) qui lui faisaient remparts.

Les destructions reconstructions avaient continué selon les besoins de la population européenne qui arrivait en grand nombre, ne laissant pas le temps aux études de se faire, encore moins aux réalisations qui étaient beaucoup trop lentes à son goût. Tout se faisait dans l’urgence

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et sous la pression du besoin. Après saturation de cette partie de la ville, ils avaient entamé la construction des faubourgs, hors du Rocher.

A la longue, toutes ces transformations portées assidûment à la ville dans son ensemble, surtout celles portées au tracé des voies avaient introduit des changements structurels fondamentaux dans la médina haute (fig. I-8). Ces changements se sont prolongés dans la partie de la médina laissée à la population autochtone surtout depuis l’ouverture de la rue nationale (Larbi Ben M’hidi) dans le but de réaliser les jonctions nécessaires entre la ville coloniale et la nouvelle voie devenue structurante de l’espace urbain.

2. 3 : Souika : la médina basse, ville authentique :

Souika et les quelques îlots à l’intérieur du tissu ayant échu dans ce partage, aux Algériens ont conservé leur configuration. Des voies étroites et tortueuses sont encore intactes, les passages couverts spécialement construits ou ceux qui sont nés de la rencontre de deux kbou se faisant face, des élargissements de voies au niveau d’un équipement public (zaouia, fontaine…). Tous ces éléments urbains et architecturaux non seulement permettent les déplacements et les rencontres; mais ils servent à ponctuer l’espace et à mettre les repères dans une ville à l’échelle de l’homme. Cette partie de la ville a conservé son aspect, ses caractéristiques et les pratiques socio spatiales longtemps inchangées.

La ville pré coloniale et sa structure spatiale étaient effacées dans la partie coloniale de la ville, à laquelle ses nouveaux acquéreurs avaient nié toute qualité. Ils lui avaient superposé une structure géométrique où l’angle droit remplaçait le tracé organique et le mètre était l’unité de mesure, il avait remplacé le pas et le bras, à la mesure de l’homme. Ils ont de ce fait participé à l’uniformisation de l’espace urbain et architectural. Toutes ces transformations étaient suivies d’un grand transfert de population algérienne de la ville haute vers Souika et Sidi Jliss…les quartiers autochtones connurent depuis, une très forte densification très préjudiciable aux conditions de vie de la population, à l’état du bâti et à sa longévité.

Les maisons qui n’étaient jusqu’alors occupées que par une famille élargie de propriétaires, se voyaient soumises au partage entre les propriétaires et les familles nouvellement venues de la médina haute. Ces familles délogées étaient obligées de céder leurs maisons dans la médina haute aux Européens, pour venir partager le logement avec les habitants des quartiers réservés aux Algériens. Au début, la famille propriétaire occupait le dernier étage et les locataires étaient répartis, une famille par étage. Les espaces communs conservaient

encore leurs fonctions d’origine mtabkha (cuisine), bit essaboun (buanderie), mesrek (espace de rangement), diwan...

Malgré les nombreuses ethnies qui se partageaient l’espace, la ville imposait à tous, sa logique de ville unitaire et entière. Les changements apportés par la colonisation, avaient touché aussi bien l’espace résidentiel, qui avait été fondamentalement transformé surtout au niveau de la médina haute devenue «européenne» que l’espace économique. Ce dernier avait lui aussi reçu son lot de déstructurations, essentiellement au niveau des portes de la ville. N’avait échappé à la destruction que le tronçon du parcours soukier faisant partie du tissu traditionnel que la population musulmane avait eu en partage (rahbet essouf, djezzarines,R’cif…).

Sortie meurtrie de cette douloureuse épreuve, la médina avait commencé la recomposition de ses morceaux pour se reconstituer une autre unité, avec une nouvelle logique conforme à la nouvelle situation. Elle avait entamé un lent processus de recomposition et d’intégration, dans la médina haute quand un modèle complètement étranger s’était superposé à l’autre pour se juxtaposer ensuite à celui authentique de la médina basse. Ainsi recomposée la médina avait réussi à s’imposer très fortement dans le système urbain.

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 84-89)