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Constantine pré coloniale

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 44-51)

«La ville est objet et sujet. Construite par les hommes, elle est la plate-forme de leurs activités. En même temps, les hommes et les femmes qui façonnent la ville se soumettent à ses lois. Elle détermine une pensée, des comportements et une écologie qui à leur tour participent aux modalités du renouvellement urbain.»1

Aussi loin que remonte l’histoire, quand les peuples anciens de la région2 devaient se choisir un site de sédentarisation, ils exigeaient trois éléments fondamentaux : le site défensif, l’existence de l’eau et des pâturages. Le Rocher de Constantine jouit d’un site hautement défensif et stratégique. Le Rhumel constitue une importante ressource d’eau, une partie du Rocher, les plateaux du Mansourah et Bellevue et même plus loin servaient de pâturage.

Les Numides pour édifier leur capitale, lui avaient choisi un site très difficile d’accès, ils l’appelaient Kirta le «nid d’aigles». Le Rocher se présente comme une presqu’île cernée presque de toute part par de profondes gorges allant jusqu’à 175 mètres au-delà desquelles il y avait de grandes étendues agricoles. Les gorges sont creusées par l’oued Rhumel (ex Ampsaga) (fig n° I-1). Il avait autrefois un fort débit et de nombreux affluents irriguaient un vaste territoire.

Le site défensif, l’eau et les terres agricoles donnèrent à la ville une importance stratégique et économique3, mais si ce n’était le site défensif qui avait son importance à Constantine, El Khroub était beaucoup mieux situé sur le carrefour des voies caravanières nord-sud et est-ouest, à 16 kilomètres au nord-sud-est de constantine. Mais elle était très convoitée par les peuples voisins et a connu de nombreuses conquêtes et le passage plus ou moins long des civilisations : Romaine, Byzantine, Arabe, Othomane et Française. Elles ont plus ou moins marqué l’espace de leur passage.

1

Jean Pierre BARDET, cité par Jean-Luc PINOL la ville des historiens, in La ville et l’urbain l’état des savoirs, sous la direction de Thierry PAQUOT, Michel LUSSAULT et SOPHIE BOBY-GENDROT, p 39-40 Ed L’HARMATTAN 2003.

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Les peuples pratiquant essentiellement l’agriculture et l’élevage, tels les peuples arabes et musulmans.

3

D’après Titus Livius cité par M.E. Hirèche in Développement politique et économique p 159

« C’est ainsi que la Numidie avait acquis sa réputation de « grenier de l’Europe ». A titre d’exemple en 179 AV J.C, Massinissa avait envoyé 11.600 quintaux de blé en Grèce et il avait déjà envoyé en 191 AV J.C, toujours pour la Grèce, 640.000 quintaux de blé, 440 000 quintaux d’orge et 800.000 quintaux de céréales pour l’armée romaine qui était en guerre en Macédoine. Pour les besoins de guerre, Rome avait reçu à plusieurs reprises des éléphants, sans en préciser le nombre quant aux chevaux les quantités sont connues : en 194 AV J.C 200 chevaux, en 191 : 500 chevaux, en 171:1000 chevaux et en 170 : 1200 chevaux. Ils leur envoyaient aussi les animaux sauvages pour les jeux des gladiateurs (lions, léopards, ours …). Pour acheminer ces grandes quantités de céréales et ces animaux vers l’Europe, la Numidie s’était dotée d’une flotte de 100 bâtiments. »

Ces gorges infranchissables, classées site naturel4, ajoutent beauté et magnificence au site nettement individualisé. A l’époque romaine, elles étaient franchies par cinq ponts5 dont ne persiste que le pont d’El Kantara et des vestiges d’un autre pont (le pont d’Anthonin). Ils permettaient les liaisons du Rocher avec son environnement. Kirta était la capitale d’un réseau de villes importantes, du point de vue démographique et fonctionnel. Ces villes assuraient la fixation de la population et la distribution des valeurs urbaines et citadines à travers une structure se rapprochant sensiblement des structures antiques de l’époque : égyptienne, grecque, romaine…

P.A. Février, cité par P.L. Cambuzat 1986 « on expliquerait mal l’ampleur de l’urbanisation durant l’occupation romaine si l’on n’imaginait derrière elle un long passé de sédentarisation et même d’urbanisation »6

Kirta, était une ville importante, étant la capitale de Numidie. Elle abritait une population nombreuse qui pratiquait diverses activités artisanales et manufacturières liées au travail de la terre, très bien maîtrisées par les Numides : tel la fabrication du matériel agricole, le tissage, le travail du bois, du cuir, la ferronnerie, la poterie, les armes, les bijoux... tous ces produits servaient dans les échanges locaux ou avec l’étranger. Les magasins très nombreux dans la ville, s’organisaient le long des voies principales de la ville pour assurer l’approvisionnement de sa population.

Kirta, de par son importance dans la hiérarchie de l’armature urbaine de l’époque, elle abritait de nombreuses activités administratives et tertiaires tels traducteurs, conseillers, intendants, écrivains, inspecteurs de police, médecins, des hommes et des femmes de religion… Leur existence dans la ville renseigne sur son statut et le niveau d’évolution et d’organisation sociale et administrative dont jouissaient les populations et les villes numides.

Lors de la restauration du palais d’Ahmed Bey en 1989, des vestiges probables d’un temple d’époque Numide avaient été découverts sous le palais au centre du Rocher.

En 1935, lors de l’aménagement de la place de la Brèche « les terrassiers mirent au jour un chapiteau corinthien surmontant une colonne de marbre dressée à l’angle intérieur de deux murs. Il était en parfait état et portait, sur les deux faces du contrefort, deux inscriptions latines ; dans l’une figurait le nom du gouverneur de Numidie Flavius Avianus Caecilius, l’autre affirmait que la construction braverait l’éternité. Le champs de fouilles fut élargi et, selon le rapport de la société d’archéologie, il s’agissait du coin d’un grand vestibule de plus de deux cents mètres carrés et dix mètres de hauteur environ, devant

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Classées en Janvier 1928. 5

Michèle Biesse EICHELBRENNER M Constantine, la conquête et le temps des pionniers- à compte d’auteur 1985 6P.L. Cambuzat l’évolution des cités du Tell en Ifrikiya du VII° au XI° siècle OPU Alger 1986 p 152

donner accès à d’autres salles enfouies sous la Brèche (…) une porte donnant à l’intérieur du marché permettait d’accéder. »7

Après la troisième guerre punique, Kirta était occupée par les Romains. Elle devenait Cirta, capitale de la confédération cirtéenne (Ruzikada, Chullu et Milev)8. Comme tous les occupants qui les ont précédés, les Romains avaient mis leur empreinte à toutes les villes dont Constantine. Parfois, certaines villes avaient complètement disparu pendant la guerre pour être remplacées par des villes typiquement romaines. Cirta était la grande ville de sa région, de grandes villes la secondaient dans la province : (Setifis, Tamugadi, Lambèze, Calama, Thevest, Tagast, Saldae, Milev…)9 et bien d’autres qui sont pour la plupart aujourd’hui des villes importantes dans l’armature urbaine régionale.

De par les nombreux temples, thermes, le forum et le théâtre qu’elle renfermait, nous notons l’importance de la ville. Le tracé des voies et des places est sensiblement le même que celui repris par la ville othomane, de même que pour certains monuments dont le forum devenu la place du Bey10… Les arcades romaines, près de la gare routière de l’Est, sont ce qui reste d’un aqueduc romain qui ramenait l’eau de Fesguia à 50 kilomètres au sud de Constantine. Il devait atteindre les citernes de la casbah et six autres de grande capacité près de Bab El Oued (place du 1er novembre). L’existence de plusieurs citernes de grande capacité s’explique par l’importance de la population de l’époque et les nombreux thermes répartis à travers la ville.

Les citernes de Bab el Oued étaient découvertes fortuitement lors de la construction du passage souterrain de la place du 1er novembre, près du marché Boumezzou en 1980. Elles étaient laissées en place, avec une petite ouverture réalisée dans le mur pour permettre au public de voir cette partie des vestiges des temps anciens. Aujourd’hui les étagères d’une « parfumerie » bloquent cette ouverture. A l’intérieur du marché couvert Boumezzou on trouve encore la porte de la ville : Bab el Wad (ex porte Valée) à quelques mètres en dessous du niveau de la place.

7

Michèle Biesse EICHELBRENNER M Constantine, la conquête et le temps des pionniers- à compte d’auteur 1985 p.141-142

8

Voir l’article de Youcef Aibèche De Cirta à Constantine l’héritage antique in CONSTANTINE ville des héritages , sous le directon de F.Z Guechi Média-plus 2003 pp 15-30

9

Sont respectivement (Sétif, Timgad, Lambèse, Guelma, Tébessa, Souk Ahras, Bejaia, Mila…d’importantes villes de l’armature urbaine de la région est du pays

10

« Le chemin des touristes » est un sentier long de plus de deux kilomètres et demi, accroché aux parois du ravin, passant d'une rive à l'autre et joignant, par des prouesses techniques les différentes curiosités du site (naturelles : grottes, voûtes et cascades et construits : les bains de César, situés après la passerelle Mellah Slimane (ex Perrégaux) dominant le gouffre. Ils sont alimentés par une cascade et des eaux thermales. En continuant sur la rive droite on arrive au hammam de Salah Bey alimenté par des sources chaudes. Le Bey y descendait régulièrement en empruntant un escalier taillé dans la roche dont on peut encore voir les traces en dessous de la medersa. »

Inauguré en 1895, il est l'oeuvre de l'ingénieur-constructeur Frédéric REMES dont il porte encore le nom « Rimis ». Il y a encore quelques années, ce chemin jalonné de toutes ces curiosités était le lieu de villégiature et de détente privilégié des familles constantinoises. Dès le retour des premiers rayons de soleil, elles empruntaient ce sentier, accompagnées des enfants pour fêter spécialement le premier jour de printemps ou « la fête du printemps ». Aujourd’hui, il est inaccessible, il attend toujours sa réhabilitation.

Le plan du chemin des touristes D'après un plan d'Alphonse Marion (image 1)

Constantine conserve beaucoup de traces de monuments et constructions de l’époque romaine (fig. I-2) ; même des vestiges antérieurs à cette époque dont l’essentiel n’est pas encore mis à jour. Toute cette riche histoire donne à Constantine, malgré les destructions reconstructions qu’elle avait subies, une valeur historique qui doit inciter archéologues et historiens surtout à s’y intéresser. La plupart des maisons de la médina avaient réutilisé, pour leur édification à l’époque othomane ou plus tard, les grandes pierres taillées récupérées des constructions antérieures. Elles sont visibles encore aujourd’hui au niveau des soubassements des constructions.

Des auteurs de l’époque romaine font la description d’une ville très importante, dépassant un peu les limites du Rocher. Ils parlent aussi d’un forum avec ses équipements en lieu et place du palais Ahmed Bey. Le théâtre de la ville occupait le terrain en amphithéâtre faisant face à Souika, à hauteur de la passerelle Mellah Slimane, à El Kantara. La médina basse dont la pente du terrain est assez raide, était toujours destinée à la résidence de la population autochtone. Etant des constructions populaires, peu solides, elles n’ont pas bien résisté à l’usure du temps et des usages, mais Souika reste toujours plus authentique que le reste de la ville qui a subi d’importantes transformations.

Constantine fut détruite par les Vandales puis reconstruite par les Arabes qui sont venus au 7eme siècle pour l’islamisation de l’Afrique. Ils en avaient fait une place forte pour avancer vers l’intérieur du pays. Ils s’étaient dotés de grandes cités qui sont entrées dans l’histoire de l’Ifrkiya : Kayrawan, Carthage, Tunis, Monastir dans l’actuel Tunisie et Tubna, Laribus, Constantine, Mila, Massila, …dans la partie nord est de l’Algérie actuelle. Les dynasties autochtones avaient elles aussi donné des villes importantes dont Tubna et Belezma dans les Aurès, le Zab.... la plupart de ces cités sont aujourd’hui de grandes villes, portant chacune une histoire millénaire.

Les villes fondées ou islamisées, reçurent toutes, les éléments structurants de la nouvelle religion, à commencer par la grande mosquée, mahkama, secondairement dar el Imara ou palais du gouvernement. Ces équipements essayaient d’occuper une place centrale dans la structure de la ville, pour assurer aussi le contrôle et l’équité des transactions. Dar essikka, l’équivalent de la banque centrale, n’existait que si la ville était assez importante pour frapper sa propre monnaie. Cette importante structure s’installait aussi au centre ville, elle cherchait le voisinage de la grande mosquée pour s’assurer le contrôle de la qualité et du poids de l’or ou de l’argent utilisé dans la production des pièces de monnaie.

« L’aspect de Constantine a été modifié par l’islamisation. Constantine a été l’une des villes principales de l’État hafcide et a rivalisé avec Bougie pour la prédominance dans l’Algérie occidentale. La casbah était Construite à l’époque almohade, fut restaurée à deux reprises sous les Hafcides. (…) A l’extérieur de la ville, les princes hafcides avaient leur parc de plaisance (ryad), il y avait même un hippodrome officiel. La masse de la population était essentiellement berbère, et la ville se partageait en quartiers ou çoffs inféodés à des familles puissantes appartenant à une vieille et riche bourgeoisie. »11

Ainsi de Kirta, Cirta puis finalement Constantine ou Qacentina, cette ville nous offre ce qu’elle a pu conserver de ses différentes périodes historiques. Car, chaque nouvel occupant de la ville procède presque systématiquement à la destruction de ce qui le précède. Ainsi, les nombreuses constructions-déstructions-reconstructions n’ont pas laissé grand-chose de ce qui pourrait rappeler les civilisations qui les avaient produites. Le peu qui a échappé à ces destructions permet de plonger dans les profondeurs de l’histoire de Constantine. De toutes ces civilisations passées, les seules qui ont vraiment laissé des traces importantes et continuent encore à infléchir le développement de Constantine et son fonctionnement ou plus exactement, sont à l’origine de ses dysfonctionnements restent les périodes othomane et française.

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 44-51)