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1.4 : L’espace économique

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 61-68)

A l’époque des Beys la ville de Constantine était restée sur le Rocher, l’espace économique, avec ses corporations de métiers, ses rahbate et souks structurait toute l’activité économique et de la ville. Les bâtisseurs de l’époque, avaient bien profité du site, et l’avaient intelligemment occupé, afin de rentabiliser tous ses attributs et éviter d’exacerber ses handicaps. A cette époque les constructions ne couvraient pas tout le Rocher, une partie de Souika sud était des jardins de la ville. Plus tard, ces jardins avaient servi à couvrir les besoins de l’expansion urbaine de Constantine.

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L’organisation de l’administration du Beylek en annexe I 31

Le passage « Dar el Bey » est toujours là pour rappeler l’existence du siège du gouvernement, avant Salah Bey. 32

Les différentes fonctions in Chroniques des Beys de Constantine Gaïd op. cité p.130 -131 et Le Beylek de Constantine et Hadj Ahmed Bey (1830 -1837) A. TEMIMI P 67-70

Pour bâtir leur ville, ils avaient fait des choix judicieux telles que l’installation des moulins à vent sur la façade Nord Est du Rocher parce que bien exposée aux vents dominants, quant aux 33 tanneries, elles étaient rassemblées sur le chatt (au bord de l’oued pour faciliter l’évacuation des eaux usées sans rien gêner et sans payer les frais supplémentaires de l’évacuation). Les nombreuses places de marchés dans la ville et ses entrées permettaient le commerce et les échanges de marchandises en tous genres. Leur situation au niveau des portes de la ville et sur le parcours soukier sur les voies principales33du centre ville, permettait aux échanges et transactions de se faire, sans vraiment déranger le bon fonctionnement de la ville ni la quiétude de ses habitants (fig. I-3).

1.4.1 : Les corporations de métiers :

Concernant l’espace des souks, les aménageurs avaient choisi de les installer sur la partie centrale du Rocher parce qu’elle avait une pente assez faible par rapport au reste de la ville. Ainsi de nombreuses corporations de métiers étaient regroupées sur la voie principale qui traversait la ville de Bab EL Oued au Sud à Bab El Kantara au Nord. Au moment où le terrain devient presque plat, la voie soukière se dédouble et totalise une vingtaine de corporations34 avec la présence d’un ensemble d’activités urbaines.

Sur cet axe, situé presque au centre géométrique du Rocher, se localise la grande mosquée, élément fondateur de la ville islamique. Autour de la mosquée se localisaient judicieusement, les commerces propres et nobles tels que les bouquinistes, les parchemineurs35, les parfumeurs, les orfèvres, les brodeurs puis à un degré moindre les marchands de tissus, les blaghjias,36 les serradjines37. D’autres activités ne s’organisaient pas en corporations mais elles avaient leurs places dans la structure de la ville.

Plus on s’éloignait de la grande mosquée, le commerce et aussi l’artisanat perdaient leur caractère noble et propre pour se faire remplacer par la fabrication et la vente de produits usuels tels les chberlia38, kharrazines,39 … plus on s’enfonçait dans les souks on trouvait des activités pas très propres mais servant directement aux besoins quotidiens ou domestiques tels

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Les rues principales permettent le croisement de deux chameaux chargés, les ruelles permettent le croisement de trois personnes chargées et les impasses le croisement de deux personnes.

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L. MASSIGNON cité par A. MERAD BOUDIA dans La formation de l’espace social en Algérie pré-coloniale OPU, Alger 1983.

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Papeteries, librairies 36

Fabricants de chaussures pour femmes 37

Fabricants et brodeurs de harnachements des montures (en cuir et brodés de fils d’or) 38

Fabricants de mules pour femmes 39

djazzarines40 kzadria41…, mais en s’éloignant de l’espace central vers la périphérie les activités devenaient encombrantes et leurs nuisances plus importantes. Elles se localisaient ainsi en périphérie ou bien elles se regroupaient dans des foundouks à l’image des vendeurs d’huile … .

Chaque corporation de métier avait son amine42. Il était élu par ses pairs, pour sa droiture et sa compétence dans son métier dans lequel il était reconnu maître par eux. Par cette élection43, il était habilité à procéder aux contrôles afin de veiller sur la qualité et le respect des normes des produits mis en vente (poids, qualité…). Amine el kouachine44 et amine el Fodha45 étaient très importants parce qu’ils veillaient sur la qualité de produits très importants pour tous. La propreté, la qualité et le poids du pain ainsi que la pureté et le poids de l’article en or ou en argent fabriqués par les orfèvres à commencer par les pièces de monnaie.

En plus du commerce urbain, la ville était, à cette époque, un grand centre économique régional. Elle était spécialisée surtout dans le commerce des étoffes et du cuir que favorisaient les nombreuses tanneries de la ville (33 tanneries) aidées en cela par l’existence de grands parcours sillonnés par des tribus d’éleveurs d’ovins, bovins et caprins. Ce qui avait fourni la laine et le cuir pour donner du travail à plus de 400 cordonniers et de très nombreuses filatures.

Les étoffes et la maroquinerie de Constantine avaient largement dépassé les limites régionales46 pour faire sa réputation. En plus de la vingtaine de corporations de métiers qui se partageaient le parcours soukier du centre ville, d’autres éléments dans la structure économique (foundouks, bazars, caravansérail) renforçaient le rôle de Constantine en tant que centre économique d’importance non seulement régionale et nationale mais même internationale. Ses produits étaient appréciés dans les pays voisins et en Europe.

1.4.2 : Les foundouks :

Une vingtaine de foundouks se répartissait sur l’espace des activités urbaines. Le plus grand nombre se trouvait sur le parcours soukier. Certains foundouks étaient spécialisés, ils abritaient une seule fonction, d’autres assuraient une certaine polyvalence des activités. Ils 40 Bouchers 41 Chaudronniers 42

Amine est un artisan à qui ses pairs reconnaissent la compétence et la droiture pour être responsable de la qualité et du prix.

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L’élection se faisait par la lecture de la Fatiha (1ère sourate du saint Coran), pour officialiser l’élection. 44

Boulangers 45

Les orfèvres 46

avaient pour avantage de permettre les échanges entre maîtres artisans et apprentis, d’éviter les désagréments que provoquaient certaines activités (saleté, bruit…) et de permettre aux étrangers pour passer la nuit (hôtel). Ils ont la même structure que les maisons traditionnelles, ils s’organisent autour d’un patio, sur deux ou trois niveaux. Ces foundouks assuraient diverses fonctions dans la ville dont :

* Ateliers de fabrication : les artisans s’organisaient dans un ou plusieurs foundouks pour y travailler. Ils avaient les boutiques de vente, soit au niveau du souk de la ville, soit ils vendaient aux grossistes au niveau de l’atelier de fabrication même. Ils renforçaient ainsi la base manufacturière de la ville. Ces petites usines de l’ère pré-industrielle adressaient une partie de leur production au marché intérieur et une autre au marché extérieur. D’autres activités tels les serradjines47, les dinandiers, les ferronniers préféraient les foundouks pour soustraire l’espace urbain aux désagréments que leurs activités causaient dans le voisinage (bruit et salissures…).

* Entrepôts : certains foundouks servaient d’entrepôts de marchandises : matières premières, produits artisanaux et manufacturés. C’était l’équivalent de magasins de gros, chez qui s’alimentaient d’autres grossistes, les détaillants et les marchands ambulants.

* École de formation professionnelle : les maîtres artisans dans certaines activités artisanales, accueillaient des apprentis venant de l’extérieur de la ville pour leur apprendre un métier et travailler ensuite chez eux ou à leur propre compte. Ils offraient les chambres du premier étage aux artisans et aux apprentis venus de l’extérieur de la ville, pour y dormir la nuit, la journée ils travaillaient dans les ateliers du rez de chaussée (cordonniers, selliers, tailleurs…). Ils préparaient ainsi la relève dans différents métiers.

* Hôtels : certains foundouks servaient aussi en tant qu’hôtels aux visiteurs et aux personnes (hommes) qui venaient de l’extérieur de la ville pour un quelconque besoin. Ils prenaient les chambres de l’étage pour dormir et les pièces ou box du rez de chaussée étaient réservés à leurs montures. Ils étaient essentiellement destinés aux commerçants qui venaient s’approvisionnaient à Constantine ou vendre leurs marchandises.

Les archives militaires nous ont permis de localiser au moins un caravansérail à l’intérieur de la ville, au sud de la casbah et quatre à l’extérieur, érigés sur les chemins qui liaient Constantine aux autres grandes villes de la région. Ceux de l’extérieur, faisaient office de haltes de repos pour les commerçants venus à Constantine de destinations plus lointaines. Ils permettaient ainsi aux caravanes de s’arrêter pour s’y reposer et procéder aux échanges

47 Selliers

commerciaux, concernant les marchandises qui ne devaient pas accéder à la ville, pour ne pas l’encombrer et perturber sa quiétude.

1.4.3 : Les souks et rahba :

Les souks et rahbas ou places de marché sont les éléments à partir desquels nous pouvons analyser l’importance économique d’une ville. Les échanges de niveau régional se faisaient au souk d’El Khroub et des places de marché au niveau des portes de la ville. A l’intérieur du tissu urbain, des souks ponctuaient l’espace et donnaient une certaine aisance aux échanges : La ville était dotée de nombreuses places de marché spécialisées (Rahbet lejmel, Rahbet ezzra’a, Rahbet essouf) les deux premières rahba se situaient au niveau des portes de la ville respectivement bab el Djabia et bab el Wad, la troisième était située au centre ville.

* Rahbet essouf est la seule place de marché d’une certaine importance située à l’intérieur du tissu urbain. Elle se situe sur l’axe soukier. Elle existe toujours, mais ne sert plus à la laine. Le dernier magasin s’est spécialisé depuis quelques années dans la vente de la mousse qui remplace progressivement la laine et dans certains produits traditionnels (matelas, couvre matelas, oreillers…).

* Rahbet ezzra’a se localisait au niveau de Bab el Oued. Comme son nom l’indique, elle servait aux échanges des céréales. Elle s’étendait de l’actuelle place du 1er Novembre (ex place de la brèche) à la place des martyrs dans laquelle aboutissait la voie caravanière l’ex route de Tunis l’actuelle rue Abane Ramadane (Coudiat) où il y avait une importante halle aux céréales et de nombreux entrepôts. Elle porte de part et d’autres de nombreux commerces de luxe, aux rez de chaussées, les logements et hôtels aux étages supérieurs.

* Rahbet ledjmel : la place des chameaux, se localise à l’entrée de Bab el Djabia, un peu plus au sud de Bab el wad. Elle pouvait recevoir des chargements de marchandises à dos de chameaux de toutes les régions d’Algérie et de nombreux autres pays. Elle se situe dans l’espace traditionnel de la ville autochtone. Elle sert aujourd’hui aux étalages et aux marchands ambulants (habillement, chaussure, électroménager…).

* Bab El Kantara, même bab el Kantara avait une place de marché à l’entrée de la ville par le pont. Elle accueillait les produits de tout l’Est algérien et de la Tunisie. Aujourd’hui, elle sert de station de taxi qu’encadrent de nombreux magasins de luxe situés sur le Rocher.

* Souk El Acer : est un marché de fruits et légumes. Il débute la matinée, mais à l’heure de la prière du Acer, de l’après midi, les prix baissent beaucoup et deviennent plus intéressants pour les petites bourses. Ce souk se tient toujours au même endroit sur la place faisant face l’ensemble édilitaire d’El Kattania. Il a été structuré et ses étalages construits, il y a de cela quelques années.

* Souk el djemaa : marché hebdomadaire de fruits et légumes, il se tenait tous les vendredis, pas loin de souk el acer. A l’époque coloniale le lycée franco-musulman avait été érigé sur cette place de marché, c’est l’actuel lycée Rédha Houhou.

* Souk El Khalk, c’était un bazar où se vendait toutes sorte de marchandises destinées aux petites bourses.

* Souk Leghzel, marché de la laine filée était principalement investi par les femmes, elles y vendaient la laine qu’elles filaient. Ce marché complétait les cinq repères fixes48 qui structuraient la ville islamique (d’après L. Massignon). Ce souk se tenait non loin de la mosquée souk leghzel, la mosquée du bey. La rue de France ayant partagé la ville entre les deux communautés, avait séparé la place du souk de la mosquée. La mosquée, devenue cathédrale était passée dans la ville coloniale (la ville haute) et le souk était resté dans la ville autochtone.

* Bazar lekbir, bazar s’ghir: sont deux marchés de surface relativement importante où se vendaient divers produits. Ils se situaient à l’extrémité nord du parcours soukier.

* Souika ou petit souk est un ensemble de petits commerces le long de l’unique rue transversale qui partage la médina basse en deux (l’actuelle rue Mellah Slimane). Les commerces quotidiens sont ainsi rapprochés de l’espace résidentiel.

Ces nombreux équipements commerciaux sont rassemblés sur un espace relativement restreint, ils avaient fait de Constantine le centre économique le plus important de toute la région Est pendant des siècles, ce qui avait renforcé sa position en tant que capitale régionale. Ainsi l’organisation de l’espace économique très riche et variée par les corporations de métiers, foundouks, rahbas et souks… donne à la ville plusieurs choix pour mieux fonctionner avec la souplesse et la subtilité des usages dont elle avait besoin à cette époque. Beaucoup de leçons sont encore valables aujourd’hui où les différents exemples peuvent servir de références.

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MASSIGNON L. Les cinq repères de la ville arabe sont la medersa-université, la kaïssaria (halle aux étoffes), dar essikka, les moulins à grains et à huiles et les fours à briques et à plâtre, ces deux derniers se situaient à l’extérieur de la ville.

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 61-68)