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1.1 : Constantine ville Othomane

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 51-57)

Après la chute du royaume musulman en Andalousie en 1492, les Musulmans et les juifs pourchassés se réfugièrent dans les villes côtières du Maghreb où ils furent poursuivis par la flotte espagnole. Le danger espagnol menaçait toute la côte algérienne, des villes comme Ténès, Cherchell, Mostaganem, Dellys durent payer un tribut à l’Espagne pour échapper aux agressions. Les gouverneurs et notables Algériens firent appel aux frères Barberousse pour venir les aider à défendre leur pays contre les attaques des Espagnols.

«Les frères Barberousse leur firent admettre le principe de la suzeraineté ottomane, l’empire de la porte sublime étant à l’époque le champion de l’islam. Ce fut l’origine de l’État d’El Djazaïr qui plus de trois siècles allait prendre en mains les destinées de l’Algérie. »12

A partir de cette date, l’Algérie faisait partie de l’empire othoman représentant le khalifat islamique. En 1565, le pays fut partagé en trois beylek par Hassan Pacha fils de Khair-eddine : l’Ouest, l’Est et le Titteri. A la tête de chaque beylek, un Bey était nommé par le Dey, lui même nommé par la porte sublime à Istanbul, les Deys et les Beys étaient tous Turcs. Le Dey était installé à Dar essoultan, territoire comprenant Alger et ses environs et les trois Beys étaient installés dans les capitales des beylek : à Constantine, Médéa et Oran.

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M. KADDACHE l’Algérie médiévale SNED Alger 1980 p 153 12

1.1.2 : Constantine capitale du Beylek Est :

Constantine était la capitale du beylek de l’est, était le plus vaste, le plus peuplé et le plus important par rapport aux deux autres13. Il regroupait selon différentes versions, les 2/5ième ou les 2/3 de la population totale de la régence, qui s’élevait selon M. Yacono à 3 millions d’habitants et selon Hamdan Koudja elle s’élevait à 10 millions d’habitants (Le miroir 1833). Constantine s’était superposée à la ville arabe qui l’avait précédée, sur le Rocher, celui qui a vu naître Kirta la Numide. D’ailleurs la plupart des civilisations qui avaient succédé aux Numides, avaient repris l’occupation du Rocher, ce site exceptionnel effaçant ce qui avait précédé.

Pour ses qualités défensives, toute la ville se tenait sur le Rocher, d’une superficie de 42 hectares. Hors du Rocher, il y avaient les écuries du Bey édifiées sur une grande terrasse au bord du Rhumel, à Bardo et des exploitations agricoles occupaient les vastes territoires environnants à Mansourah, Bellevue, Sidi Mabrouk et plus loin encore... Les maisons d’été et les jardins de détente du Bey et de sa cour occupaient les hauteurs boisées de l’actuel village Salah Bey à quelques kilomètres au Nord Est de Constantine sur la route du Hamma. El Ménia et Sidi M’hamed El Ghorab sont d’autres propriétés de détente du Bey sur le même axe que le village Salah Bey. Ils sont actuellement utilisés dans certains rites populaires réservés aux femmes, elles en profitent aussi pour faire des sorties d’agrément surtout au printemps.

Les accès à la ville se faisaient par deux endroits : Bab El Kantara, une porte d’accès au Nord Est à travers le pont d’El Kantara, puis les trois portes du Sud voisines sur la langue de terre qui relie le Rocher aux terrains environnants : Bab El Hamma ou Bab Djdid, Bab El Oued et Bab El Djabia. Profitant d’une topographie assez clémente et de la grande voie qui relie Bab El Kantara à la porte opposée Bab El Oued, ils y avaient installé le quartier des commerces et l’ensemble des activités urbaines. Quant à Souika, la médina basse dont la pente du terrain est assez raide, elle a toujours été destinée à la résidence des enfants du pays.

La Casbah ou citadelle occupait le point culminant du Rocher, elle pouvait surveiller les routes venant du Nord : d’Annaba, Guelma, Skikda. Un mur d’enceinte entourait la ville, dont une partie était restaurée à l’époque byzantine. Elle était détruite par la colonisation française. Non loin de la casbah, s’élevaient le quartier administratif et le quartier résidentiel du Bey et de sa cour. C’est un quartier bien bâti avec des constructions cossues utilisant en plus des matériaux locaux des matériaux nobles parfois ramenés de Tunisie ou d’Italie (pierres, marbre, zellidj, bois travaillé…).

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1.1.3 : Les gouverneurs de Constantine

La présence turque avait duré un peu plus de trois siècles, de 1528 à 1837. Quarante cinq Beys se sont succédés sur le trône du beylek Est. Il y eut ceux qui régnèrent moins d’un mois et ceux nombreux qui régnèrent pendant des périodes plus ou moins longues. Ils étaient proposés par le Dey d’Alger à la sublime porte à Istanbul pour confirmation. Ils se sont surtout occupés de l’instauration de l’ordre dans le territoire parmi les tribus mécontentes ou refusant de payer les nombreux impôts qui leur étaient imposés.

Certains Beys de Constantine s’étaient occupés de la construction et de l’aménagement du beylek. Ils voulaient, en premier lieu maintenir l’ordre et la paix parmi les nombreuses tribus et aussi assurer leur loyauté envers le pouvoir local et central. Afin d’en maîtriser la gestion, ils s’étaient orientés vers l’amélioration de la vie urbaine et même rurale de leurs administrés. Ainsi, il y avait eu la construction de nombreux équipements publics et des opérations d’embellissement de la capitale du Beylek.

Les plus célèbres parmi les Beys qui se sont succédés à la tête du beylek-est, surtout ceux qui ont eu un impact relativement important sur l’organisation de Constantine. L’histoire retient : Hassen Bey dit Zarg Aïounou (1754-1756)14 et Bey Ahmed El Kolli (1756-1771)15, ces derniers avaient déjà entrepris l’embellissement de la ville et l’organisation de l’administration. Salah Bey (1771-1792) et Hadj Ahmed Bey, le dernier Bey de Constantine avant la colonisation française (1826-1837) sont ceux qui ont le plus marqué de leurs sceaux la ville et la population.

1.1.3.1 : Salah Bey : l’administrateur-constructeur :

Salah Bey Ben Mustafa est né à Smyrne en Turquie. Il a été bien servi par les circonstances puisque ses prédécesseurs avaient entamé d’importantes réformes dans le beylek qu’il avait poursuivies et approfondies. Il fut, l’un des plus remarquables parmi les nombreux Beys qui avaient régné sur Constantine. Son règne s’était étendu entre 1771 et 1792. Cette

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Il était khalifa du Bey Bou Hanek, son beau père, qui avait régné entre 1736- 1754.

«Il fut un bon administrateur. Il réforma toutes les branches de service, il assigna à chaque emploi ses attributions jusqu’alors mal définies. Il rassembla les corps de métiers en corporations ayant chacune à sa tête un amine ou syndic. Il fit établir des règlements stricts fixant les rapports entre propriétaires de terres et leurs métayers ou khammès. Il mit en place des contrôleurs de contributions chargés de surveiller les titulaires de charges tels que les kaïds zraâ, kaïds sauf, kaïds el milh, etc… »

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« Il entreprit plusieurs travaux d’embellissement dans sa capitale et tenta de parfaire les rouages de son administration. Il fit bâtir une caserne pour les janissaires à Rahbet El Djemel15, quelques édifices publics où il installa les services de son administration des finances (contributions) ; il fit procéder à l’assainissement des marais du Hamma où on planta des arbres fruitiers… »

longue période lui avait permis de construire son beylek et sa capitale et d’organiser son administration. Il était connu pour être un bon dirigeant et aussi un bon administrateur.

A son arrivée à la tête du Beylek, Salah Bey s’était prioritairement occupé de ses habitants et de son aménagement. Il engagea la construction de nombreuses mosquées et médersas, dont les professeurs étaient rétribués sur le budget des mosquées et même des bourses étaient attribuées aux étudiants. Les professeurs se chargeaient de l’enseignement de la grammaire, la jurisprudence, l’interprétation du Coran, le dogme de l’unitarisme, des hadiths et d’autres sciences telles les mathématiques, l’astronomie… A cette époque Constantine était un centre de rayonnement scientifique et culturel.

Salah Bey avait construit, parallèlement aux équipements publics, un ensemble faisant partie du pole gouvernemental : Le « palais du gouvernement » la mosquée, la médersa du nom d’El Kettania au nom du marabout Sidi El Kettani, avec le cimetière de la famille beylicale ainsi q’un ensemble résidentiel servant au Bey et à sa cour. Il est situé entre souk el Acer et la casbah. Le palais du Bey était relié à la mosquée par un passage souterrain lui permettant de se déplacer, en temps de troubles, en toute sécurité.

Plusieurs autres demeures et dépendances étaient construites dans le quartier qu’occupaient les proches parents du Bey et les familles rapprochées de la cour, appelé « Zkak Lablate »16. Après avoir organisé les structures bâties, il s’était occupé de l’organisation de l’administration du beylek et de sa capitale. L’essentiel des équipements administratifs étaient dans la médina haute ainsi que les familles turques et kouloughlies. Elles habitaient la casbah et le quartier Mila S’ghira 17. La médina basse abritait principalement les familles arabes et autochtones.

Sous le règne de Salah Bey, il y avait eu la création de plusieurs espaces de détente et des résidences d’été : Djenane Salah Bey, el Ménia et Sidi M’hamed Laghrab, à la périphérie de la ville et même au-delà. Il avait aussi entreprit les aménagements agricoles à Hamma, l’édification d’une noria et des canaux d’irrigation pour l’amélioration des récoltes afin d’assurer l’approvisionnement de Constantine en produits agricoles frais. Ces travaux d’aménagement s’étendirent jusqu’à la plaine d’Annaba.

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Littéralement : rue de la cour 17

Mila S’ghira littéralement « la petite Mila » ces habitants sont des familles makhzen venues de Mila, ce quartier se situe entre la rue reliant les deux portes bab el Wad et Bab el Kantara et rahbet essouf.

Salah Bey entra en conflit avec de nombreux chefs religieux et chefs de tribus dont il convoitait les terres et les richesses. Un de ces chefs religieux était assez proche du Dey, il l’informa de ses problèmes avec Salah Bey. Le Dey ordonna sa destitution, mais ce dernier n’accepta pas cette décision, il fit exécuter le nouveau Bey qui devait le remplacer. Le Dey nomma Hussein ben Hussein pour remplacer Salah Bey. Prenant les devants, ce dernier fit étrangler Salah Bey et pris sa place; ainsi le règne de Salah Bey prit fin en 1792. Selon certaines croyances populaires, il fut immortalisé par le port du voile noir des femmes du beylek et par la célèbre chanson « Galou laarab galou » qui raconte la fin tragique de Salah Bey.

1.1.3.2 : Hadj Ahmed Bey le stratège militaire :

Après l’exécution de Salah Bey, plusieurs Beys se sont succédés sur le trône du Beylek de l’Est, mais celui qui avait le plus marqué de son empreinte le beylek et la ville de Constantine, fut sans conteste Hadj Ahmed Bey. Il était le seul Bey Kouloughli de père Kouloughli18 qui avait pu se hisser à ce poste. Son règne avait aussi coïncidé avec les expéditions françaises contre Alger puis contre Constantine. Dans les deux situations Ahmed Bey avait prouvé qu’il était un très bon stratège militaire dans son combat contre l’armée française, il avait montré une grande bravoure dans la défense de son pays.

Hadj Ahmed Bey avait accédé au poste de Bey de Constantine en juillet 1826. Il avait entrepris la reconstruction des accords et conventions avec les différentes tribus du beylek, afin de s’assurer leur soutien, surtout celles qui ne lui cachaient pas leur hostilité et refusaient de payer les impôts obligatoires19 devenus trop lourds à supporter. Il élimina tous les impôts prélevés par ses prédécesseurs, lui paraissant inutiles ou injustes et ne laissa que celui de l’achour20 édicté par la chariâa21. Ce qui apporta le calme dans le beylek et lui assura le soutien de tribus longtemps réfractaires. Il entama ensuite la réorganisation administrative du beylek en kalifats et caïdats pour mieux maîtriser la gestion d’un vaste territoire.

« Hadj Ahmed Bey était un homme droit et détestait les injustices commises par les janissaires à l’égard de la population ; il sentait lourdement leur poids, mais il ne pouvait les châtier car, seul le Dey en avait le droit. »22

Malgré, le temps court et perturbé qui avait prévalu durant son règne, Ahmed bey avait réussi à rétablir fermement son pouvoir et à s’allier de nombreuses tribus jusque là

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Guechi F.Z Constantine sous le règne des Othomans Tunis 1996 (thèse en arabe). 19

pour le détail voir A. TEMIMI page 65. 20

Le 1/10è de la récolte des cultures devait aller aux pauvres ou à Beit el mal (le trésor) 21

La loi islamique 22

récalcitrantes23. Il avait associé au pouvoir de nombreuses personnalités issues de tribus et de familles autochtones influentes et renforcé parfois ces relations par les liens du mariage. Avant lui, tous les postes de décision et même certains postes subalternes se trouvaient entre les mains des Turcs, même les Kouloughlis n’étaient pas admis. Ahmed Bey avait fait appel à des personnalités algériennes pour les intégrer dans son gouvernement (diwan).

Sa droiture et l’équité de ses relations avec la population autochtone, lui valurent l’estime de la population ce qui encouragea les notables à écrire à Husseïn Pâshâ :

« …depuis l’époque de Sâlih Bey, nous étions considérés comme inexistants jusqu’à la désignation de Hâdj ‘Ahmed : celui-ci a pacifié la province et a donné l’espoir aux désespérés ; alors nous nous sommes préoccupés de construire des maisons, de faire jaillir l’eau et de cultiver nos terres…, tout cela ne nous a été possible que grâce à Dieu et à votre sage choix en la personne de Hâdj ‘Ahmed Bey, que Dieu vous récompense » 24

1.1.4 : Les déplacements du centre ville :

Pendant son règne de vingt ans, Salah Bey avait profité pour édifier son pôle gouvernemental près de souk el acer. « Sans avoir un plan préétabli, mais il avait une idée claire de l’opération à entreprendre puisqu’elle s’était étalée sur plusieurs années, au cours desquelles il avait procédé à l’achat de maisons de boutiques et de terrains non encore construits, il avait aussi procédé à des échanges de battisses avec des habitants du quartier, pour avoir une superficie plus grande en prévision du projet qu’il préparait » 25.

A côté de ce pôle, il avait construit de nombreuses boutiques et un foundouk regroupant 77 boutiques et deux écuries, il en avait fait des habous pour que leurs revenus servent à l’entretien de la mosquée et du mausolée de Sidi El kettani. La façade principale de la maison du Bey donne sur la place du marché Souk El Acer. Elle garde encore aujourd’hui l’emplacement du sundjac26 et le balcon sur lequel se tenait Salah Bey pour s’adresser, pendant les grandes occasions, à la population qui se regroupait sous sa fenêtre sur la place. Un nouveau centre ville excentré, loin des portes et près de la casbah était ainsi réalisé.

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TEMIMI A. Le Beylek de Constantine et Hadj Ahmed Bey (1830-1837) publications de la revue d’Histoire Maghrébines vol. 1 Tunis 1978, pp. 65-66

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A.O.M, série H. lettre écrite en arabe adressée à Hussein Dey d’Alger, citée par TEMIMI A. p. 62 25

Constantine: ville et société, la première moitié du 13eme siècle de l’hégire- de la fin du 18eme siècle à la moitié du 19eme, thèse d’état de F.Z. Guechi soutenue en 1998 /1419 Tunis (en langue arabe).

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Hadj Ahmed Bey avait accédé au pouvoir en 1826, il n’avait pas eu réellement le temps de s’occuper de la construction ou de l’embellissement de tout le Beylek, la population s’en était chargée en ce qui la concernait. Les mauvaises conditions et la tension dans les relations avec la France, surtout après l’occupation d’Alger puis Annaba, avaient incité Ahmed Bey à revoir les fortifications de sa capitale et certains postes avancés.

Il avait quand même choisit de recentrer le centre ville. Il y avait construit son palais, l’actuel kasr el Bey qui fut achevé en 1829, avec une grande place publique, sur le terrain qu’occupait généralement une population flottante de Kabyles, lors de troubles armés et qui habitaient habituellement le village hors des remparts. Il avait aussi procédé à la restauration de la mosquée souk leghzel ou Hassan Pacha attenante au palais. L’ensemble est prolongé par le groupement d’équipements de Dar el Bey dont un passage couvert indique toujours l’emplacement, il se prolonge par le quartier des souks.

Hadj Ahmed Bey avait ainsi repris une position beaucoup plus centrale que celle prise par le centre réalisé par Salah Bey. Il s’était rapproché de la grande mosquée d’époque Hafcide qui se situe presque au milieu du parcours soukier représentant le centre-ville de l’ancienne Constantine. Ces déplacements de centre dans la médina ont donné une valeur certaine à tous ces endroits, c’est éventuellement une des raisons qui maintiennent le centre de Constantine au niveau de la médina malgré tous les problèmes d’inaccessibilité et d’exiguïté et de délabrement.

Dans le document Urbanisme et planification urbaine (Page 51-57)