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tel-00266294, version 1 - 21 Mar 2008

I.2 INDUSTRIES LITHIQUES DE LA VALLÉE DU NIL

I.2.2 L A TRANSITION ESA/MSA

Le seul site dans le nord de la vallée du Nil à présenter une séquence stratigraphique en place

documentant la transition ESA/MSA (Early Stone Age/Middle Stone Age) est le gisement 8-B-11

de l’île de Saï (Province du Nord, Soudan). Ce site couvre un intervalle de temps daté par OSL

(Optically Stimulated Luminescence) entre 220 et 150 Ka (Van Peer et al., 2003). Au

Pléistocène moyen, durant les stades isotopiques 7 et 6, des groupes d’hommes ont donc occupé

cet endroit à plusieurs reprises laissant des artéfacts acheuléens (ESA) et sangoens (MSA) « de

façon interstratifiée » (Van Peer et al., 2003). Cette transition, datée à Saï vers 200 Ka, est

placée en Afrique de l’est avant 285 Ka (Tryon & McBrearty, 2002). Ce décalage suggérerait

que l’apparition du MSA dans le nord de l’Afrique est la conséquence d’un remplacement de

population (Van Peer et al., 2003). Contrairement aux niveaux acheuléens de 8-B-11, ceux du

sangoens traduisent un comportement sophistiqué impliquant des acquisitions technologiques, et peut-être symboliques, nouvelles. En effet, des galets de quartz ont été utilisés pour broyer des végétaux et de l’ocre rouge et jaune a été utilisé pour faire des pigments (Van Peer, 2004a et b). En outre, une grande pierre en grès, qui a peut-être servi de mortier, a été mise au jour (Figure 5). Ces découvertes dans les niveaux sangoens témoignent d’un système d’installation

complexe caractérisé par une spécification fonctionnelle des sites (Van Peer et al., 2003; Van

Peer, 2004b).

Figure 5 : pierre en grès travaillée, découverte dans le niveau Sangoen du site 8-B-11 de l’île de Saï (d’après Van Peer et al., 2003).

Ces vestiges exceptionnels étaient insoupçonnés dans cette région du monde et représentent donc les plus vieux artéfacts de ce type pour toute l’Afrique au dessus de l’équateur (Van Peer

et al., 2003). Cette découverte vient renforcer l’idée d’une grande ancienneté d’un

comportement que certains considèrent comme le résultat d’activités culturelles d’hommes

anatomiquement modernes (Van Peer et al., 2003 ; McBrearty & Brooks, 2000).

I.2.2.1 La calvaria de Singa

Les seuls restes humains retrouvés dans la vallée du Nil au Pléistocène moyen, seraient ceux de Singa (Figure 6).

La calvaria de Singa a été mise

au jour en 1924 par F. Bond sur le bord du Nil Bleu. Des datations

ESR (Electron Spin Resonance) sur

des dents de faune associées ainsi que des datations isotopiques (U-Th) du sédiment contenu dans la

calvaria suggèrent un âge entre 160

– 140 Ka (Spoor et al., 1998). Cette

calvaria a été l’objet de

nombreuses interprétations phylogénétiques allant de «

proto-bushman » à « homme archaïque » (Stringer et al., 1985).

En 1979, Stringer a réalisé une étude comparative des caractères métriques et morphologiques de Singa avec un échantillon de crânes du Pléistocène supérieur et d’hommes modernes d’Afrique. Ses résultats montrent un mélange de caractères dérivés et archaïques chez Singa qui le rapprocherait de spécimens tels que Omo Kibish et Jebel Irhoud. Cependant, Singa présente une forme et des proportions inhabituelles qui ont incité Stringer (1979), et Brothwell (1974) avant lui, à avancer l’hypothèse d’une origine pathologique. Le nettoyage du crâne

Figure 6 : photographie en vue latérale gauche de la

calvaria de Singa.

(Stringer et al., 1985) et l’étude par imagerie médicale (Spoor et al., 1998) ont permis d’apporter plus d’informations à ce sujet.

En effet, l’étude de la calvaria par tomodensitométrie a souligné l’absence du labyrinthe

osseux dans l’os temporal droit ainsi qu’une hauteur disproportionnée du méat acoustique droit. En outre, les premières observations macroscopiques concernant l’épaisseur anormale du diploé des pariétaux et l’expansion du sinus sphénoïdal sont également confirmées par l’imagerie médicale. Une des causes probables sous-jacentes à l’expansion du diploé et à l’ossification du

labyrinthe, est une hémopathie acquise ou héréditaire (Spoor et al., 1998). Compte tenu de ces

nouvelles données en faveur d’une forme pathologique du crâne de Singa, Spoor et al. (1998)

considèrent celui-ci comme un Homo sp. archaïque récent ou comme un Homo sapiens

archaïque.

Des restes de faune et des artéfacts ont également été retrouvés dans le site de Singa, et dans celui de Abu Hugar, à 15 km plus au sud. D’après Bate (1951), la faune présente dans les deux sites daterait du début du Pléistocène supérieur. En ce qui concerne les artéfacts, plusieurs

interprétations ont été faites sur leur nature technologique (MSA, Acheuléen…). D’après Van

Peer et al. (2003), il est particulièrement intéressant de noter que dans le petit assemblage de

Abu Hugar, trouvé à proximité du crâne de Singa, sont présents les mêmes types lithiques que dans le Sangoen de Saï.

Même si ces découvertes ne concernent pas la vallée du Nil, rappellons que White et al.

(2003) ont récemment découvert les crânes de Herto Bouri en Ethiopie. Ils sont datés entre 160

et 154 Ka (Isotope Ar/Ar) et associés à une industrie lithique qui contient à la fois des pointes et

des éclats Levallois de type MSA, mais aussi des hachereaux et des bifaces Acheuléen. Cette

industrie est définie comme transitoire entre l’Acheuléen et le MSA. Selon l’article princeps, la

morphologie des crânes de Herto se place entre celle plus primitive des premiers spécimens africains (comme Bodo ou Kabwe) et celle plus dérivée des hommes anatomiquement modernes récents (comme Klasies River Mouth ou Qafzeh). Comme Herto se situe au-delà de la gamme de variations des hommes anatomiquement modernes et qu’il diffère de tous les autres fossiles

connus, White et al. (2003) ont créé une nouvelle sous-espèce : “Homo sapiens idaltu”.

Au vu des ces découvertes, il semble qu’on soit en présence, à la fin du Pléistocène moyen,

d’une population d’Homo sapiens partageant un mélange de traits archaïques et dérivés, et qui

serait associée à des industries de transition ESA/MSA. Ces dernières, étudiées en positions

stratigraphiques à Saï, pourraient être liées à l’apparition d’un comportement différent de celui qui existait auparavant et que certains scientifiques considèrent comme caractérisant

culturellement l’homme anatomiquement moderne (McBrearty & Brooks, 2000, Van Peer et al.,

2003 ;Van Peer, 2004b).

Il nous semble important d’ouvrir ici une parenthèse sur le raccourci dangereux qui vise à assimiler une espèce humaine à une production culturelle. De nombreux travaux ont en effet montré que de telles associations étaient caduques, notamment pour les sites moustériens du Proche-Orient (Vandermeersch, 1969 ; Bar Yosef & Vandermeersch, 1991) et pour la transition entre le Paléolithique moyen et supérieur d’Europe occidentale (Levêque & Vandermeersch, 1980). En outre, le manque de restes humains découverts dans un contexte archéologique clairement établi, durant le Pléistocène moyen et supérieur au nord-est de l’Afrique, ne permet pas d’affirmer l’existence d’un lien entre un comportement moderne déduit surtout à partir d’assemblages lithiques et le fait qu’il ait été réalisé par des hommes anatomiquement modernes. Enfin, il faut préciser ce que certains archéologues entendent par « comportement

moderne». C’est la définition de Van Peer (2004b) qui nous paraît la plus adaptée dans ce cas.

Selon cet auteur, le comportement moderne, s’il signifie une caractéristique partagée par tous

les Homo sapiens, tiendrait plus à la complexité socio-économique émanant d’assemblages

lithiques qu’à la présence d’une série de traits modernes techniques dont la variabilité actuelle est encore très mal connue. Cet aspect socio-économique implique l’existence de structures sociales avec un partage du travail, une spécialisation économique ainsi que la présence de systèmes d’installations diversifiés et bien organisés. Par ailleurs, il doit être établi que de tels comportements ne sont jamais observés au sein d’assemblages lithiques associés à d’autres hominidés.

Actuellement, le manque crucial de données anthropologiques corrélées à des contextes archéologiques précis freine la compréhension de l’évolution de l’homme et de ses productions

culturelles durant le passage ESA et MSA. Cependant, en l’absence de données contraires, nous

acceptons les hypothèses d’associations suggérées dans la littérature (cf. supra) en les auréolant

de ce bémol et de l’hypothèse que Homo sapiens n’est pas forcement synonyme d’homme

anatomiquement moderne.