• Aucun résultat trouvé

L’industrie lithique de Nazlet Khater 4

III.1. ECHANTILLON DE COMPARAISON ET MÉTHODOLOGIE

III.1.1GROUPES DE COMPARAISON

Le choix des populations de références pour caractériser la morphologie de NK 2 se heurte à un problème majeur : l’absence totale de spécimens modernes complets en Afrique du nord, et plus généralement dans le monde entier, associés au stade isotopique 3. Les restes humains de NK 2 sont isolés chronologiquement et géographiquement de l’ensemble de l’enregistrement fossile au même titre que l’industrie du site minier de Nazlet Khater 4. En outre, la variabilité des hommes modernes de la fin du Paléolithique moyen et du début du Paléolithique supérieur est très mal connue. Enfin, les vestiges humains fragmentaires associés à cette période concernent principalement le crâne et la mandibule. La connaissance de la variabilité morphologique du squelette infra-crânien est, par conséquent, encore plus ténue pour les spécimens pénécontemporains de Nazlet Khater 2.

La sélection des individus et groupes de comparaison a donc été réalisée suivant plusieurs critères afin de caractériser au mieux la variabilité morphologique de NK 2 (Tableau 1). Les groupes préconçus couvrent un intervalle chronologique large et proviennent de zones géographiques étendues.

Tout d’abord le groupe des Homo species (Hsp) est utilisé dans le seul but de témoigner de

la morphologie archaïque de certains ossements infra-crâniens, peu ou pas représentés dans

l’échantillon des Homo sapiens archaïques (Hsa). Les individus composant ce dernier groupe

correspondent dans les grandes lignes à la classification « Late archaic Homo sapiens» de

Braüer et al. (1997). Cet échantillon comprend tous les spécimens africains entre ~ 130 Ka et

300 Ka dont l’attribution phylogénétique est sujette à controverse. Certains de ces fossiles

(Kabwe1, Eyasi) peuvent être considérés comme membres d’une espèce distincte (Homo

rhodesiensis / hedelbergensis), marquant la transition entre Homo erectus et Homo sapiens

(Rightmire, 1998 ; Stringer, 2002), d’autres (comme Jebel Irhoud, Herto, …) possèdent une mosaïque de traits archaïques et dérivés qui les placeraient juste à la frontière des « hommes

anatomiquement modernes » (Hublin, 1991 ; White et al., 2003). Rappelons que l’homme

anatomiquement moderne est défini sur des critères crâniens et mandibulaires à partir de la variabilité actuelle et des référentiels du Paléolithique supérieur européen (Tillier, 2006). En outre, la définition morphométrique proposée par Day & Stringer (1982) suite à la découverte de Omo I, a montré ses limites, notamment sur des populations actuelles (Wolpoff, 1986). Si

cette distinction entre certains Homo sapiens archaïques et les hommes modernes paraît difficile

à fixer, il nous semble encore plus complexe de déterminer une limite « spécifique » entre les différents spécimens fossiles de la fin du Pléistocène moyen en Afrique. La classification utilisée dans ce travail nous semble la plus ouverte possible et repose plutôt sur une subdivision chronologique que taxinomique. Nous n’excluons en outre pas la possibilité que certains spécimens de ce groupe soient affiliés aux hommes anatomiquement modernes si l’on se réfère au travail de Lieberman et al. (2002 ; cf. Chapitre IV).

Ce groupe « Hsa » est divisé en deux sous-ensembles géographiques pour certaines analyses

comparatives. Il s’agit des « HsaAn » pour les individus du nord de l’Afrique et des « HsaAs »

pour les restes sub-sahariens.

Les groupes d’hommes modernes – c’est-à-dire des spécimens attribués aux hommes anatomiquement modernes selon un consensus général, même si celui-ci est parfois remis en

question, comme pour Klasies River Mouth (Frayer et al., 1993 ; Trinkaus, 2005) – ont été

définis en fonction de périodes chronologiques et de zones géographiques larges permettant de créer des échantillons les plus statistiquement significatifs possible.

Le groupe des hommes modernes du Paléolithique moyen (HsPm) se compose des individus

de Qafzeh et Skhul. Cette série constitue la référence la plus complète, en terme de parties squelettiques, d’hommes modernes anciens dont la variabilité diffère partiellement de celle observée actuellement (McCown & Keith, 1939 ; Vandermeersch, 1981). Le pendant africain de

ce dernier groupe est celui des hommes modernes du Middle Stone Age (MSA ; HsMsa). Ces

restes sont malheureusement beaucoup plus fragmentaires et l’association de certains spécimens (Springbok Flats et Loyangalani) avec cette période chronologique est sujette à caution (Tableau 1). Cependant la robustesse de ces deux pièces supposerait un âge avancé (Hughes, 1990 ;

Twiesselman, 1991). Vient ensuite le groupe des hommes modernes de l’Atérien (HsAter). Il

contient seulement trois individus fragmentaires, mais ces derniers pourraient être les plus proches chronologiquement et géographiquement de Nazlet Khater 2. Ils présentent une mosaïque de traits dérivés et archaïques assez inhabituelle en Afrique puisque la mandibule de Témara 1 n’a pas de menton et que le crâne de Dar-es-Soltan 5 possède un torus supra-orbitaire

net (Trinkaus, 2005). Ils sont néanmoins généralement définis comme des hommes modernes (Ferembach, 1986 ; Dutour, 1995a).

Entre ces restes humains du Pléistocène supérieur et les premiers fossiles épipaléolithiques, il existe un hiatus de près de 20 Ka au nord de l’Afrique. Les fossiles humains les plus proches chronologiquement de NK 2 sont alors les hommes modernes du Paléolithique supérieur

d’Europe (HsPsEu). Le choix des individus s’est principalement focalisé sur la période

gravettienne, riche en squelettes complets. L’équivalent africain de ce groupe est celui des

hommes modernes du « Paléolithique supérieur » d’Afrique sub-saharienne (HsPsAs). Nous

avons préféré cette attribution chronologique à celle du Late Stone Age (LSA) étant donné la

composition de cet échantillon. Il comprend, outre des spécimens LSA bien datés, des individus

dont l’appartenance au MSA a été remise en question par plusieurs auteurs (Klein, 1970 ;

Rightmire, 1978).

Au Paléolithique final et à l’Epipaléolithique, les restes humains d’Afrique du nord et du Proche-Orient sont beaucoup plus nombreux. Nous les avons regroupés en deux échantillons

distincts : les hommes modernes de l’Epipaléolithique du nord de l’Afrique (EpipalAn) et du

Proche-Orient (EpipalPo).

Contrairement aux groupes précédents, ceux-ci sont composés principalement de populations et de quelques individus isolés. Sous le groupe « EpipalAn », nous avons rassemblé tous les échantillons datés entre 20 et 5 Ka en Afrique du nord. Cette association comprend des groupes assez divers qui ont été classés par différents auteurs (Briggs, 1955 ; Camps, 1969 ; Chamla, 1968a & 1975) selon des critères typologiques ou culturels. Si la série de Columnata semble se différencier légèrement du reste par sa gracilité (Camps, 1974 ; Chamla, 1970), la similitude morphologique des individus associés à l’Ibéromaurusien (hommes de Mechta-Afalou) et au Capsien (Protoméditerranéens) a conduit certains auteurs à proposer le terme de « Mechtoïde » pour désigner ces populations robustes d’hommes modernes du nord de l’Afrique (Anderson, 1968 ; Thoma, 1978). En outre, selon Shepard & Lubell (1990), il existerait une continuité culturelle entre l’Ibéromaurusien et le Capsien de sorte que les distinctions entre les différents types humains ne seraient en fait que le résultat de la variabilité morphologique au sein d’un même groupe (Dutour, 1995a ; Devriendt & Dutour, 2005). En outre, les affinités morphologiques entre les populations épipaléolithiques de la vallée du Nil et les ibéromaurusiens ont été mises en évidence par plusieurs travaux (Anderson, 1968 ; Greene & Armelagos, 1972 ; Angel & Kelley, 1986). Enfin, la population de Hassi el-Abiod, bien que plus récente, présente également de fortes ressemblances avec les séries ibéromaurusiennes et

regroupement de ces populations au sein d’un même groupe. Cependant, l’homogénéité de ce dernier a été systématiquement testée lors des analyses statistiques comparatives (Paragraphe III.1.2). Lorsque les sous-ensembles du groupe des « EpipalAn » montraient des différences significatives, nous les avons traités séparément. Les deux principaux sous-ensembles sont celui

des Epipaléolithiques nubiens (EpipalNub), comprenant tous les fossiles de la vallée du Nil, et

celui des individus Epipaléolithiques d’Afrique du nord-ouest (EpipalAno). Dans d’autres cas

encore, chaque population est identifiée (Afalou, Columnata (Column), Hassi el-Abiod

(HassiAb), Jebel Sahaba (JS), Medjez, Taforalt et Wadi Halfa (WH)).

Les populations de Jebel Sahaba et Wadi Halfa constituent le référentiel le plus proche géographiquement et chronologiquement de Nazlet Khater 2. Nous avons donc étudié les originaux de ces deux séries en utilisant les mêmes critères métriques et morphologiques que pour NK 2.

Les groupes des Epipaléolithiques du Proche-Orient se composent également de populations associées, ici, au Natoufien (Bocquentin, 2003) et de certains spécimens plus anciens rapportés au Kébarien, comme par exemple Ohalo II et Ein Gev 1.

Le groupe suivant (MesoAs) comprend des fossiles Africains sub-sahariens datés du

Mésolithique. Rightmire (1975) a montré la proximité morphométrique de ces individus avec les populations actuelles de la vallée du Nil.

Enfin, le groupe des membres de la lignée Néandertalienne (Neand) a été introduit en tant

qu’extra-groupe pour relativiser les différences ou ressemblances observées entre NK 2 et ces différents échantillons d’hommes modernes du Pléistocène moyen et supérieur. Il nous paraissait en effet intéressant de disposer d’un référentiel non moderne riche en restes crâniens et infra-crâniens pour caractériser la variabilité morphométrique de NK 2. La plupart des autapomorphies néandertaliennes se situent au niveau du crâne et de la mandibule. Cependant, comme l’a souligné Trinkaus (2006c), les autapomorphies des hommes modernes sont plus nombreuses et notamment au niveau du squelette infra-crânien. L’identification de possibles traits plésiomorphiques sur les restes infra-crâniens de NK 2, ne peut donc se faire sans l’introduction de ce groupe fossile, dont les ossements post-céphaliques sont beaucoup plus

nombreux que ceux des Homo sapiens archaïques.

Restes introduits dans l’analyse comparative