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L’organisation de la politique culturelle internationale française et sa répercussion au Brésil

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 58-63)

La « propagande culturelle française » proprement dite, naît en 1883 avec la création de l’Alliance française85. Deux ans après sa création, elle a déjà installé sa première association à Rio de Janeiro86 ; ce qui montre les facilités d’accueil au Brésil de tout ce qui provient de France.

Les premiers efforts d’une politique culturelle française débutent en 1910 avec la création du Bureau des Ecoles et des Œuvres françaises à l’Etranger (BEOFE), « mettant ainsi fin à la phase où les initiatives privées ou semi privées [congrégations religieuses, AFAA, Alliance française, etc.] dominent »87. Durant la Première Guerre mondiale, on passe d’actions culturelles sporadiques à une phase de vraie politique culturelle, qui se concrétise définitivement avec la création, en 1920, au sein du MAE, du Service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE).

A partir de cet instant, la France peut compter avec un groupe d’intellectuels qui dirige le SOFE, ayant à sa tête Jean Giraudoux et des conseillers qui constituèrent le Groupement des universités et grandes écoles de France (GUGEF). Dans le SOFE, on compte des spécialistes pour les diverses régions du monde. Le groupe responsable de définir les directives de la politique culturelle à implanter en Amérique latine réunit des personnalités comme Georges Dumas, Paul Rivet, Ernest Martinenche…

85 Le concept de « propagande culturelle française », ici, doit être perçu comme un intermédiaire entre les concepts d’« action culturelle » et de « politique culturelle » ; ces deux derniers ayant déjà été expliqués dans l’Intro²duction. A la différence de l’action culturelle, la propagande culturelle française se caractérise par son intention d’utiliser une image positive de la culture du pays pour développer une demande des produits fabriqués en France. Elle est donc directement liée au développement industriel, et est typique du capitalisme, chose qui n’est pas nécessairement caractéristique de l’action culturelle, qui peut être identifiée à différentes époques et motivée par toutes sortes d’intérêts (religieux, simples voyages, missions caritatives, etc.). D’un autre côté, elle est aussi, comme l’action culturelle, une initiative privée. Et c’est exactement sur ce point que la propagande culturelle diffère de la politique culturelle, qui est un apanage d’Etat.

L’Alliance française est créée pour diffuser la langue française à l’étranger et, à travers cette diffusion, augmenter l’intérêt pour la France, donc pour tout ce qu’elle produit.

86 Alain Marquer, Alliances 2000, Paris, Imprimé Déjà, 2000, p. 67.

87 Hugo Rogélio Suppo, « Le Brésil pour la France », p. 127, in Denis Rolland (coord.), Le Brésil et le Monde. Pour une histoire des relations internationales des puissances émergentes, Paris, L'Harmattan, 1998.

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L’idée centrale définie par ce groupe est de créer des relations d’amitié avec les élites de l’Amérique latine et à partir de celles-ci de développer ses intérêts. Des intérêts qui donnent priorité à l’affirmation et à l’expansion du français comme seconde langue officielle dans la région ; une des conditions sine qua non pour l’élargissement d’un marché consommateur de produits français, y compris de produits culturels, sans parler de la constitution d’une élite qui puisse appuyer politiquement la France en cas de nécessité88.

En ce sens, les arguments d’Albert Salon perdent de leur crédibilité, au moins en ce qui concerne la politique culturelle de la France pendant le XXe siècle. Pour cet auteur, l’action culturelle française a été :

« Le fruit d’hommes, le fruit du dévouement, du sacrifice, de l’engagement personnel de nombreux hommes, et non le résultat d’une entreprise méthodique d’un pouvoir central, machiavélique et planificateur »89.

Si l’argument tient bon pour la phase antérieure, il perd sa validité à partir des années 1920, quand la politique culturelle française s’organise comme le ferait le Prince de Machiavel.

Le MAE essaie alors de manipuler pratiquement toutes les institutions représentatives de la France à l’étranger, y compris les institutions privées, que ce soient des congrégations religieuses, des lycées, des collèges, des professeurs universitaires détachés, des expositions, des tournées théâtrales…

C’est à partir de cette matrice théorique que l’universitaire Georges Dumas va développer au Brésil les bases pour l’application et la fortification de la politique culturelle française dans le pays. De 1920 à 1938 il effectue 17 missions en Amérique latine, où il créa plusieurs institutions. Je ne cite ici que celles créées au Brésil : en 1921 est créée la Société des Lycées franco-brésiliens à São Paulo (Lycée Pasteur) et deux années plus tard est fondé à Rio de Janeiro l’Institut franco-brésilien de Haute culture (IFBHC) ; à partir de 1934 est organisée la première des 5 missions destinées à l’Université de São Paulo (USP) et, postérieurement, 3 missions destinées à l’Université du District Fédéral, puis 2 missions destinées à l’Université du Brésil et, enfin, 2 missions destinées à l’Université de Porto Alegre. C’est le même Georges Dumas qui continue d’être le pivot de la politique culturelle française au Brésil jusqu’en 1939, année où il assume le poste de chef de la Section de l’Amérique latine au Commissariat général à l’Information. A partir de là,

88 Idem, p. 128.

89 Albert Salon, L’action culturelle de la France dans le Monde, thèse de doctorat en Lettres, Paris 1, Sorbonne, 1981, p. 224.

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« L’universitaire s’occuperait des questions de la propagande sud-américaine d’ordre plus général : la question du livre français, de la radio et des conférences radiophoniques, de l’enseignement du français dans les établissements religieux ainsi que de la recherche des forces françaises pour faire face à la propagande allemande »90.

Depuis la première mission universitaire en 1934 et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique culturelle de la France vers le Brésil est exercée fondamentalement à travers des universitaires. Ces intellectuels, conscients ou non de leur fonction de divulgateurs de la France, sont envoyés au Brésil pour influencer la formation de l’élite du pays en accord avec la pensée, la technique, bref la culture française.

Liste des universitaires détachés au Brésil par le GUGEF entre 1934 et 1944 (USP : Université de São Paulo ; UDF : Université du Distrito Federal (Rio de Janeiro) ; UB :

Université du Brasil (Rio de Janeiro) ; UPA : Université de Porto Alegre)

Nom Discipline Dates au Brésil Université

Arbousse Bastide Sociologie et Politique 1934-1945 USP

Michel Berveiller Latin-Grec 1934-1939 USP

Etienne Borne Philosophie 1934-1935 USP

Emile Coornaert Histoire de la Civilisation

1934-1935 (et 1949 comme professeur visiteur)

USP

Pierre Deffontaines Géographie physique et humaine

1934-1935 et 1936-1939 USP et UDF

Robert Garric Lettres 1934-1935 et 1936- ? USP et UDF

Fernand Braudel Histoire de la Civilisation

1935-1938 (et 1948 comme professeur visiteur)

USP

Pierre Hourcade Lettres 1935-1937 USP

Claude Lévi-Strauss Ethnologie 1935-1938 USP

(Dina Lévi-Strauss) (Ethnologie) (1935-1938, Dép. de Cult.) SP Jean Maugüé Philosophie, Histoire de 1934-1935 et 1939-1944 USP

90 Hugo Rogélio Suppo, « Le Brésil pour la France », p. 130, in Denis Rolland (coord.), Le Brésil et le Monde. Pour une histoire des relations internationales des puissances émergentes, Paris, L'Harmattan, 1998.

61 la Philosophie et

Psychologie

Pierre Monbeig Géographie physique et humaine

1935-1946 USP

François Perroux Economie politique, Finances et Histoire des Doctrines économiques

1936-1937 USP

Eugène Abertini Histoire 1936-1939 UDF

Edouard Bourciez Lettres 1936-1939 UDF

M. Bréhier Philosophie 1936-1939 UDF

Henri Hauser Histoire 1936-1939 UDF

Gaston Leduc Economie 1936-1939 UDF

Jacques Perret Latin-Grec 1936-1939 UDF

Etienne Souriau Philosophie 1936-1939 UDF

Henri Tronchon Lettres 1936-1937 UDF

Philippe Arbos Géographie 1937-1939 UDF

Alfred Bonzon Lettres 1937-1945 USP

Maurice Byé Economie 1937 et 1939-1945 UPA et UB

M. Cherel Lettres 1937-1945 UDF

René Courtin Economie 1937-1938 USP

Jacques Lambert Sociologie 1937-1938 et 1939-1945 UPA et UB

Georges Millardet Latin-Grec 1937 UDF

Roger Bastide Sociologie 1938-1954 USP

Pierre Frommont Economie 1938-1939 USP

Jean Gagé Histoire de la Civilisation

1938-1945 USP

Paul Hugon Economie 1938-1972 USP

M. Bon Histoire 1939-1945 UB

André Gibert Géographie 1939-1945 UB

André Gros Economie 1939-1945 UB

André Ombredanne Psychologie 1939-1945 UB

Henri Poirier Philosophie 1939-1945 UB

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Fortunat Strowski Lettres 1939 UB

Tableau élaboré à partir des listes conçues par Jean-Paul Lefebvre, « Les professeurs français des missions universitaires au Brésil (1934-1944) », in Cahiers du Brésil Contemporain, n° 12, Paris, 1990 (les parenthèses pour Dina Lévi-Strauss sont de Jean-Paul Lefebvre) ; et Fernanda Massi, « Franceses e Norte-Americanos nas Ciências Sociais Brasileiras 1930-1960 », p. 458 et 459, in Sérgio Miceli, História das Ciências Sociais no Brasil, vol. 1, São Paulo, Vértice / Editora Revista dos Tribunais : IDESP, 1989.

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Chapitre 4

L’IFBHC : la première institution créée pour la réciprocité culturelle entre

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