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L’IFBHC : la première institution créée pour la réciprocité culturelle entre les deux pays

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 63-68)

Comme nous le verrons plus avant, la nouvelle phase de la politique culturelle internationale française qui se déroula après 1945 doit nécessairement prendre en considération l’idée de réciprocité dans ses échanges culturels. Néanmoins on constate l’existence d’une institution franco-brésilienne fondatrice de ce nouveau besoin bien avant la Seconde Guerre mondiale.

Créé en 1923, à l’initiative de Georges Dumas auprès d’universitaires brésiliens, l’Institut franco-brésilien de Haute culture (IFBHC) à Rio de Janeiro doit servir aux échanges universitaires sur un pied d’égalité entre les deux pays. Le caractère pionnier de cette institution est la raison pour laquelle nous trouvons important de lui dédier un chapitre dans ce travail.

L’IFBHC fait partie d’une vague d’instituts créés par la France à l’étranger à partir de 1920. Au moment de son inauguration, il existe déjà des instituts français d’échanges universitaires à Rome, Londres, Madrid, Constantinople, Prague et Buenos Aires - et probablement d’autres non mentionnés dans la documentation consultée. Il est fondé, ayant comme base, du côté français, l’article 4 du Décret du 31 juillet 1920, relatif à la constitution des universités en France. Ce Décret dispose « qu’il peut être constitué des instituts dans les pays étrangers par les facultés ou universités [françaises] ». Le texte précise que la création des instituts à l’étranger s’opère dans les mêmes conditions que pour les instituts métropolitains, c’est-à-dire qu’elle est proposée par la faculté, décidée par le Conseil de l’université et soumise à l’approbation du ministre de l’Education nationale. Il est prévu également que l’agrément du ministre des Affaires étrangers est nécessaire91. Du côté brésilien, c’est le Décret n° 4 634 du 8 janvier 1923 qui concède à l’Université de Rio de Janeiro l’autorisation et une subvention spéciale, annuelle, fournie par le gouvernement national, pour que soit fondé et maintenu le nouvel institut - qui à l’époque est parfois cité dans la documentation comme Institut franco-brésilien de Haute culture scientifique et littéraire. Les autres sources financières viennent de l’Etat français et de « quelques dons

91 « Note sur le statut des instituts français à l’étranger et sur leurs rapports avec les universités françaises », Paris 13/11/64, c. AJ/16/6945, MEN-CARAN.

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d’origines particulières ». Les négociations entre les universitaires brésiliens et français établissent les conditions d’administration et de fonctionnement d’IFBHC92.

Selon l’article premier du statut d’IFBHC, celui-ci est organisé avec l’appui de l’Université de Paris - avec les mêmes règles que celles établies pour le fonctionnement des instituts français du même type déjà existant à Rome, Londres, Madrid, Constantinople, Prague et Buenos Aires -, qui assure une contribution pécuniaire française jamais inférieure à la participation financière brésilienne. L’article second informe que l’Institut doit être administré gratuitement par les recteurs des Universités de Rio de Janeiro et de Paris, qui doivent eux aussi définir les programmes des cours qui seront donnés. Les recteurs sont assistés par deux professeurs élus par les Conseils de chacune des universités. Georges Dumas devient le secrétaire général de l’IFBHC93.

La fonction centrale d’IFBHC est d’animer et maintenir les échanges intellectuels franco-brésiliens à travers des missions périodiques de professeurs français au Brésil et de professeurs brésiliens à l’Université de Paris. Ces professeurs sont désignés selon une liste organisée annuellement par l’université d’origine et choisis par celle où ils exerceront leurs cours. Les professeurs proposés n’ont pas forcément besoin de faire partie du corps d’enseignants des universités de Paris et Rio de Janeiro. Les recteurs sont responsables de l’information aux professeurs intéressés des cours qui seront proposés. L’information se fait par l’intermédiaire des recteurs de toutes les universités françaises et brésiliennes, ainsi que par les directeurs des instituts et écoles d’enseignement supérieur, par les présidents des institutions scientifiques et culturelles et par des informations publiées dans la presse94.

Les cours, qui doivent être pratiqués par des professeurs de « compétence reconnue » (jugés en principe à partir de leurs titres scientifiques et l’importance de leurs publications), sont réalisés de juillet à novembre dans l’Université carioca et de décembre à mars dans l’Université de Paris, et doivent avoir le caractère de spécialisation, ainsi que se différencier des cours déjà existants dans ces universités. Ces cours, libres et gratuits, excluent tous les sujets déjà vulgarisés et résumés, sauf quand ils présentent des aspects originaux ou quand ils présentent l’objet d’une étude critique qui puisse satisfaire la demande d’originalité. De la même façon sont exclus :

92 IFBHC, Décret n° 4 634, du 8 de janvier de 1923, approuvé par le Conseil Universitaire en séance du 22 septembre 1923 et par le ministère de la Justice et des Affaires intérieures brésiliennes, par avis n° 2 386, du 11 décembre 1923. Rio de Janeiro 1934, c. AJ/16/6946, MAE-CARAN.

93 Idem.

94 Idem.

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« Les thématiques sur les croyances religieuses, tous les sujets qui pourraient causer des préjudices à l’ordre interne, aux relations internationales et aux intérêts des deux pays, ainsi que les questions personnelles et d’intérêt privé »95.

On voit dans ces exigences les bases institutionnalisées qui montrent le souci dans le choix des professeurs pour travailler des deux côtés de l’Atlantique. Les intellectuels et scientifiques choisis pour donner les cours doivent avant tout ne jamais exprimer de critiques envers le gouvernement et la société des deux pays. Cette condition reste une constante de la politique culturelle internationale française pendant la période ici analysée. Elle nous autorise alors à affirmer que les critères de compétence intellectuelle et scientifique, même s’ils sont jugés comme importants, n’ont qu’une importance secondaire devant des éléments qui de quelque manière pourraient gêner les intérêts des deux nations. On verra plus avant que ce même souci se retrouve sur tous les éléments de la culture française transférés au Brésil.

Au moins jusqu’à 1934, les désignations des professeurs pour l’IFBHC sont faites par l’influence directe du secrétaire général de l’institution - malgré le statut de l’IFBHC qui, comme nous venons de le voir plus haut, disent que les professeurs doivent être désignés par leur université d’origine et choisis par celle où ils donneront leurs cours. Georges Dumas, dont les choix ont été toujours inspirés - selon lui-même - des « intérêts généraux de l’image de la culture française », a son pouvoir parfois perçu comme « excessif » à l’intérieur de l’IFBHC. Préoccupé alors par l’« excessif » pouvoir du secrétaire général, la direction du Service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE) communique au recteur de l’Université de Paris le besoin de changements. Elle rappelle « l’attention sur l’intérêt qui s’attacherait à ce que les professeurs français chargés de mission auprès de l’Université de Rio de Janeiro au titre de l’IFBHC fussent désignés dorénavant par une Commission régulièrement établie »96. Cette Commission, qui pourtant existe déjà dans le premier statut d’IFBHC, apparemment fonctionne moins en pratique qu’en théorie.

En fait, la documentation des années trente indique d’intenses mobilisations en fonction du besoin de changements dans l’organisation de l’IFBHC. En 1936, le professeur Henri Hauser, envoyé en mission au Brésil pour réaliser des cours à l’IFBHC, communique au recteur de l’Université de Paris la nécessité d’augmenter l’effort à travers des échanges entre les universitaires des deux pays. Pour lui, « s’il était raisonnable d’économiser l’envoi

95 Idem.

96 Lettre du SOFE - Direction des Affaires politiques et commerciales - MAE au recteur de l’Université de Paris, Paris 21/11/34, c. AJ/16/6946, MAE-CARAN.

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de conférenciers spéciaux et d’utiliser nos moyens de bord, il ne faut pas se dissimuler qu’il y a maintenant à Rio de Janeiro d’autres instituts analogues [au IFBHC], germano-brésilien, italo-brésilien, belge-brésilien, etc. ». Il demande outre l’augmentation des subventions pour la réception des intellectuels brésiliens à l’Université de Paris, l’intensification de la publicité en faveur de l’IFBHC97.

En effet, la documentation nous montre que malgré l’idée de réciprocité dans la fondation de l’IFBHC, il y a une évidente prédominance des choix français. Du côté brésilien, on perçoit plutôt une certaine passivité. Cela peut-être à cause du manque de pratique des institutions brésiliennes dans la politique culturelle internationale, de la déficience en ressources financières et/ou de personnel, d’une conscience provincialiste, donc d’infériorité, ce qui laisse la possibilité aux Français de s’imposer plus facilement, ou simplement en raison de l’absence d’une vision, de la part du gouvernement, de l’importance de la politique culturelle internationale. Toutefois, ce qui est clair, c’est que la concurrence entre les grandes puissances dans les années trente pousse la France à se montrer plus humble, à vouloir faire plus de concessions au travers de l’augmentation des ressources réservées au recrutement d’intellectuels brésiliens et à « réduire » un peu, en se faisant plus discréte, le poids de sa présence - par exemple en diminuant le pouvoir d’un Georges Dumas - dans des décisions internes d’IFBHC.

On est dans la décennie du développement des propagandes et politiques culturelles des puissances comme l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis, entre autres. C’est le signe des temps, la France n’a plus la même facilité qu’auparavant pour s’imposer au Brésil. Toutefois, on verra plus avant, des changements dans l’organisation de l’IFBHC auront lieu seulement après la guerre.

Pendant la guerre, la France compte déjà des instituts pour les échanges universitaires dans les principales capitales de l’Amérique latine : Buenos Aires, Montevideo, Assomption, Mexique et Lima. Au Brésil, outre l’IFBHC, il y a été inauguré l’Institut de Haute culture franco-paulista (IHCFP) à São Paulo. Ce dernier doit fonctionner dans les mêmes conditions que celui de Rio de Janeiro, « puisque son statut est le même ». L’idée, principalement pour faire des économies, est d’obtenir que les mêmes professeurs et chercheurs appelés à l’IFBHC

97 Lettre du professeur Henri Hauser au recteur de l’Université de Paris, RJ 07/08/36, c. AJ/16/6946, MEN-CARAN.

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à Rio de Janeiro soient invités à l’Institut de São Paulo. Pour cela, il faut que les intervenants français sachent être « souples et composer à l’amiable avec le particularisme paulista »98.

Enfin, il faut signaler que c’est dans le même esprit de réciprocité, et la suite de la pression que cette réciprocité exerce déjà à la veille de la Seconde Guerre mondiale, qu’est née, par l’initiative de l’IFBHC et du GUGEF, et avec la contribution du Portugal, une chaire d’études portugaises et brésiliennes à la Sorbonne99.

98 « Rapport de la Mission Pasteur Vallery-Radot, janvier à août 1945 », Paris 1945, c. AJ 16/6960, MEN-CARAN.

99 Bulletin n° 1 du GUGEF, « Le cinquantenaire du GUGEF pour les Relations avec l’Amérique latine », Paris, année scolaire 1957/1958, c. AJ 16/6960, MEN-CARAN.

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Chapitre 5

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