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233.- Les limites au droit d’hébergement reconnu au locataire et l’obligation, pour le locataire

commerçant, d’exploiter son fonds dans les lieux loués retiendront l’attention.

I. Les limites au droit d’hébergement reconnu au locataire

234.- Au titre de la jouissance paisible que le locataire doit à son bailleur sur le fondement,

tant de l’article 1728 du Code civil (droit commun) que de l’article 7 b, de la loi du 6 juillet 1989 (bail d’habitation ou mixte), la question de l’hébergement des tiers a, un temps, occupé les prétoires.

C'est au visa de l'article 8, § 1, de la Conv. EDH (précisant que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance) que, dès 1996, la Cour de cassation a jugé que les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent pas avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches296.

235.- Il reste que la notion d' « hébergement », qui implique que le locataire continue à habiter

les lieux loués297, ne doit pas être confondue avec d'autres notions voisines, telles la sous- location ou la cession. Il a donc été décidé de manière rigoureuse, prêter n'étant pas héberger,

que la stipulation contractuelle interdisant le prêt des lieux à un tiers sans le consentement exprès et par écrit du bailleur était licite au regard de l’article 8 de la Conv. EDH298.

Et les solutions seront assurément les mêmes lorsque le preneur sera un commerçant qui occupera une partie des locaux loués pour son habitation.

II. L’obligation d’exploiter faite au locataire commerçant

236.- Cette obligation est intéressante à observer tant en matière de demande de résiliation

judiciaire qu’en ce qui concerne l’opposabilité de la cession du fonds.

Fin 2009, cette dernière question a permis à la troisième chambre civile de la Cour de cassation de se rallier à la position de ses homologues de la chambre commerciale, selon laquelle il convient d’opérer une distinction entre substance des droits (B) et obligations issues du contrat et prérogatives contractuelles (A).

296 Civ. 3e, 6 mars 1996, Bull. civ. III, n° 60 ; D. 1996. Somm. 379, obs. CRDP Nancy 2 ; ibid. 1997. 167, note

De Lamy ; Administrer nov. 1996. 28, obs. Canu ; RDI 1996. 620, obs. Collart-Dutilleul ; AJPI 1996. 704, note Wertenschlag ; dans le même sens, V. aussi Civ. 3e, 22 mars 2006, Bull. civ. III, n° 73 ; D. 2006. IR 1184 ; AJDI

2006. 637, note Rouquet Document 193.

297 Ou, à tout le moins, qu'il y ait gardé son principal établissement : Paris, 26 sept. 1994, Loyers et copr. 1995, n° 52.

A. Le défaut d’exploitation et la résiliation judiciaire

237.- Alors que, selon le premier alinéa de l’article L. 145-1 du Code de commerce, le statut

des baux commerciaux s’applique aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, au grand étonnement d’une partie de la doctrine, le 10 juin 2009, par deux décisions, la Cour de cassation a jugé que l’obligation d’exploiter n’est requise que lorsque le bail comporte une mention expresse299.

On notera, toutefois, que, si l'article L. 145-1 du Code de commerce se contente d'indiquer que le statut s'applique aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, l'article L. 145-8 est autrement plus exigeant en ce qu'il conditionne le droit à la propriété commerciale du (seul) propriétaire du fonds à une exploitation effective au cours des trois

dernières années300.

238.- On croit pouvoir déduire de la confrontation de ces deux textes que la condition

d'exploitation peut ne pas être respectée tout au long de la relation contractuelle (si l'exigence d'exploitation dans les lieux loués était requise tout au long du bail, le législateur n'aurait pas pris la peine de subordonner le droit au renouvellement à une exploitation durant les trois dernières années du contrat).

Du moins, le non-respect de cette condition est-elle acceptable en cours de bail, pour autant qu'aucune prévision contractuelle n'impose expressément au commerçant une exploitation du fonds de commerce dans les lieux loués.

C'est ce que précisent ces arrêts du 10 juin 2009, refusant par voie de conséquence de prononcer la résiliation judiciaire du bail301.

239.- Ainsi, comme l'a écrit un auteur, « pendant le cours du bail, le locataire n'est tenu que

par les obligations de son contrat, le bailleur ne peut en exiger de lui aucune autre. Le défaut de respect de l'une des conditions d'application du statut en cours de contrat n'est pas une cause de résiliation, si cette même condition n'a pas été érigée en exigence contractuelle »302. Il n’empêche, ces deux décisions feront date car, comme a pu le relever un autre auteur303, « si cette solution est admise de longue date en matière d'immatriculation, où le locataire peut invoquer les règles propres au statut même s'il n'est pas immatriculé, sans encourir le risque de voir son contrat résilié en cours de bail304, la solution est inédite s'agissant de la condition d'exploitation ». Et de s’interroger (avec F. Auque, obs. préc.) sur le bien-fondé de cette identité de traitement (« le défaut d'immatriculation est assurément suffisamment sanctionné

299 En ce sens, V. Civ. 3e, 10 juin 2009, Bull. civ. III, n° 137 ; D. 2009. 2839, note Dumont-Lefrand ; Ann.

loyers 2009. 1063, obs. Cerati-Gauthier; RJDA 2009, n° 705 ; JCP E 2009. 2083, n° 9, obs. Kenfack ; Gaz. Pal. 2009. 2. 3070, note Barbier. - A propos de ces arrêts, V. aussi Brault, Loyers et copr. 2009, Étude n° 9 ; Auque, JCP 2009. 329.

300 Sur la distinction entre le champ d'application du statut et les conditions du droit au renouvellement, V. Boccara, JCP 1979. I. 2932.

301 V. nos obs. ss. ces décisions, D. 2009. AJ 1692, Document 195. 302 Blatter, Droit des baux commerciaux, Le Moniteur, 4e éd., 2006, n° 114.

303 M.-P. Dumont-Lefrand, dans sa note préc. de ces deux arrêts.

par la perte de la propriété commerciale […]. En revanche, l'on peut douter de cette efficacité en matière de défaut d'exploitation. D'autant plus qu'en pratique cela conduira le bailleur à devoir attendre la fin du bail pour pouvoir refuser le renouvellement. Or la justification de la solution qui aurait pu résider dans la volonté de sauvegarder l'entreprise du preneur ne saurait être invoquée ici puisque le fonds n'est plus exploité. Reste alors l'hypothèse de la cession du droit au bail en même temps que le résidu de fonds. Toutefois, paralyser les intérêts du bailleur au motif que l'on peut encore transférer un fonds d'une valeur très amoindrie n'est pas une explication satisfaisante. Gare, d'ailleurs, à la cession de bail déguisée ! »).

B. Le défaut d’exploitation et l’inopposabilité de la cession du fonds de commerce

240.- On mentionnera cet arrêt du 9 décembre 2009 ayant censuré une cour d’appel pour avoir

refusé de déclarer une cession de fonds de commerce inopposable pour cause de non- exploitation du fonds en raison de la mauvaise foi du bailleur, aux motifs que si la règle, selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi, permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, ni à s'affranchir des dispositions impératives du statut des baux commerciaux305.

Ainsi, les magistrats de la troisième chambre civile se rallient-ils à la distinction opérée, d'abord par une partie de la doctrine306, puis par la chambre commerciale307, entre les prérogatives contractuelles, accessoires au droit de créance (telles la mise en œuvre de la clause résolutoire du bail ou sa résiliation judiciaire), qui doivent être nécessairement revendiquées de bonne foi, conformément à l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, et la substance même des droits et obligations issus du contrat, laquelle ne saurait être remise en cause, ainsi qu'il est dit à l'alinéa 1er du même texte.

En d'autres termes, « le créancier, même de mauvaise foi, reste créancier »308.

La Cour ajoute que la censure est, au cas présent, d'autant plus justifiée, qu'il s'agissait, de la part du preneur et de ses ayants droit, d'une tentative de s'affranchir des dispositions impératives du statut des baux commerciaux, en l'occurrence, l'obligation d'exploiter le fonds de commerce dans les lieux loués.

III. L’obligation de respecter la clause de non-concurrence insérée au bail

240 bis. – Il incombera au preneur de respecter une clause de non-concurrence insérée au bail

(sur cette question, V. aussi n° 216). La question s’est posée en jurisprudence de savoir sur

305 Civ. 3e, 9 déc. 2009, D. 2010. AJ 87, obs. Rouquet Document 196 ; ibid. 2010. Jur. 476, note Billemont ; ibid. 2010. Chron. C. cass. 1103, obs. Monge ; Defrénois 2010. 593, note Ruet ; Rev. loyers 2010. 60, obs.

Vaissié.

306 V. not., faisant le départ entre force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, Ancel, RTD civ. 1999. 771 ; V. aussi Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, Essai d'une théorie, LGDJ, 2000.

307 Com. 10 juill. 2007, Bull. civ. IV, n° 188 ; R., p. 436 ; D. 2007. 2839, note Stoffel-Munck et note Gautier ;

ibid. 2007. AJ 1955, obs. Delpech ; ibid. 2007. Chron. C. cass. 2764, spéc. 2769, obs. Salomon ; ibid. 2007. Pan.

2966, spéc. 2972, obs. Fauvarque-Cosson. 308 Rapport C. cass. 2007, p. 436.

quel fondement un autre locataire lésé en raison de la violation de la clause pouvait agir contre le fauteur de troubles.

En jugeant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage309, la troisième chambre civile de la Cour de cassation reprend une position bien arrêtée depuis 2006310.

Cette solution peut susciter certaines réserves, notamment au nom de l’effet relatif des contrats et parce qu’elle revient à mieux traiter le tiers au contrat que le contractant lui-même qui, seul, pourrait notamment se voir opposer une clause limitative de responsabilité.

De lege ferenda, ainsi que le prônait l’avant-projet de réforme du droit des obligations

présenté par M. Catala, la solution pourrait consister à soumettre le tiers victime qui se place sur le terrain de la faute du contractant à l’entier régime de la responsabilité contractuelle (comp. : l’art.138 du projet de réforme du droit des obligations émanant de la Chancellerie, disposant que « le contrat est opposable aux parties par les tiers qui peuvent invoquer à leur profit la situation juridique ainsi créée notamment pour rapporter la preuve d’un fait ou encore rechercher la responsabilité d’une partie »).