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I. Les caractéristiques de l’obligation de délivrance

200.- Parmi les obligations essentielles du bailleur, celle de délivrance (C. civ., art. 1719, 1° ;

L. 6 juill. 1989, art. 6) relève d’un statut à part, eu égard, notamment, au caractère d’ordre

public que la jurisprudence reconnaît à cette obligation (supra, note 167).

201.- Il est également intéressant de noter que l’obligation de délivrance est une obligation

continue (elle n’existe pas uniquement lors de la conclusion du bail). Ainsi, quand le bailleur

s’est expressément engagé à garantir la commercialité des lieux, il manque à son obligation de délivrance lorsque, un mois après la prise d'effet du bail, un arrêté municipal impose la fermeture du magasin254.

II. L’étendue de l’obligation de délivrance A. Les vices structurels

202.- Le bailleur ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu,

s'exonérer de la nécessité de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble255. Plus précisément, les juges du droit ont considéré que, en présence d'un vice structurel (d'importantes fissures liées notamment aux mouvements du terrain), aucun transfert de la charge de l'entretien du local n'était envisageable, alors même que l’article 1720 du Code civil (selon lequel le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce) est supplétif.

Cette décision est à rapprocher d’une autre ayant jugé que la clause du bail, mettant à la charge du preneur les grosses réparations, n'exonère pas le bailleur de la réfection totale de la chose louée, dès lors que les travaux nécessaires touchent au gros œuvre et consistent en une modification de la structure de la chose louée256.

B. La prise de bail différée et le non-paiement du locataire

203.- Le juge du droit a, par ailleurs, eu l’occasion de préciser, dans une hypothèse où la prise

d'effet du bail avait été différée et où, compte tenu du non-paiement du locataire, le bailleur avait reloué à un tiers, que le défaut de paiement par le locataire du premier loyer et du dépôt de garantie ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance257.

254 Civ. 3e, 28 nov. 2007, Bull. civ. III, n° 213 ; D. 2008. AJ 85, obs. Rouquet Document 162 ; ibid. 2008. Pan.

1646, obs. Rozès.

255 Civ. 3e, 9 juill. 2008, Bull. civ. III, n° 121 ; R., p. 266 ; D. 2008. AJ 1999, obs. Rouquet Document 146 ; ibid. 2009. Pan. 896, obs. Damas ; AJDI 2008. 841, note Zalewski.

256 Civ. 3e, 28 mai 2008, Bull. civ. III, n° 98 ; D. 2008. AJ 1622, obs. Rouquet Document 163.

257 Civ. 3e, 28 juin 2006, Bull. civ. III, n° 161 ; D. 2007. Pan. 904, obs. Damas ; RTD civ. 2006. 785, obs.

Cette solution mérite approbation puisque, selon la théorie générale des contrats, c'est dès la signature du bail que les parties s'engagent à respecter leurs obligations. De la même manière, le locataire qui, immédiatement après la signature de l'acte, reviendrait sur sa décision, devra respecter le délai de préavis requis (trois mois en principe dans le meilleur des cas, soit sous l'empire de la loi de 1989) et, durant ce laps de temps, s'acquitter de toutes ses obligations. Bien sûr, face à un locataire qui ne paie pas, le bailleur n'est pas démuni, mais il devra d'abord délivrer les lieux avant de tenter d'obtenir gain de cause (à l'amiable ou par le biais d'un recours contentieux).

C. La délivrance retardée ou impossible en raison de l’occupation des locaux 204.- Le bailleur est responsable du retard de quinze jours dans la délivrance du local, alors

même que ce retard est imputable au précédent locataire, qui s'est maintenu dans les lieux à la suite du retard pris par une entreprise dans la construction de son nouveau logement258. Cette solution ne saurait surprendre puisque, assurément, le bailleur doit, à l’égard du nouveau locataire, répondre de son cocontractant sortant.

Cette décision n'est pas sans rappeler la jurisprudence rendue en application de l'article 1725 du Code civil, texte qui dispose que « le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance ». Or, il semble difficile de qualifier le précédent locataire de « tiers » à l'égard du bailleur259.

Enfin, il a été jugé que l'occupation illicite du bien loué par un tiers, qui en empêche sa délivrance au preneur, ne constitue une cause étrangère qui ne peut être imputée au bailleur que si elle revêt les caractères de la force majeure260. On pourra, en l’espèce, être surpris de la qualification de « tiers » retenue, dès lors qu’elle vise à la fois le locataire sortant et le sous- locataire de celui-ci (la sous-location n’avait toutefois vraisemblablement pas été autorisée).

III. L’obligation de délivrance d’un logement décent

205.- Alors que, depuis la loi SRU du 13 décembre 2000, la délivrance du local d’habitation

s’entend celle d’un logement décent au sens du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, applicable tant au bail en général (Code civil, art. 1719, 1°) qu’au bail d’habitation (loi de 1989, art. 6, al. 1er et 2), la jurisprudence a tout d’abord jugé – à propos d’un logement de la catégorie IV de la loi de 1948 – que l'exigence de la délivrance au preneur d'un logement présentant cette caractéristique impose son alimentation en eau courante261.

206.- Par ailleurs, les magistrats de la Cour de cassation ont indiqué que, lorsque le bail

258 Civ. 3e, 19 mai 2004, Bull. civ. III, n° 99 ; D. 2004. IR 1560 ; AJDI 2004. 803, note Rouquet Document 165 ; Loyers et copr. 2004, n° 120, obs. Vial-Pedroletti.

259 Rappr., jugeant que les locataires d'autres locaux de l'immeuble appartenant au même bailleur ne sont pas des tiers au sens de l'art. 1725, V. not. Civ. 3e, 4 mars 1987, Bull. civ. III, n° 37 ; Civ. 3e, 16 nov. 1994, Bull. civ.

III, n° 189 ; D. 1994, IR 267.

260 Civ. 3e, 28 sept. 2005, Bull. civ. III, n° 175 ; D. 2005. IR 2480 ; ibid. 2006. Pan. 901, obs. Damas ; AJDI

2005. 901, note Rouquet Document 166.

261 Civ. 3e, 15 déc. 2004, Bull. civ. III, n° 239 ; D. 2005. Pan. 751, obs. Damas ; AJDI 2005. 125, note Rouquet Document 167.

commercial porte à la fois sur des locaux commerciaux et sur des locaux à usage d'habitation principale, le bailleur est tenu de délivrer au preneur un logement décent262.

Dans cet arrêt, le bailleur soutenait, à titre principal, que les dispositions du 1° de l'article 1719 ne s'appliquaient pas à un bail commercial (étaient en cause des éléments d'équipement et de confort visés à l'article 3 du décret de 2002).

En approuvant les juges du fond (« en a exactement déduit ») d'avoir décidé que le bailleur devait se conformer aux normes de décence, la Cour de cassation assigne à ce texte la portée la plus générale qui puisse être263.

Ainsi, même si le concept de mixité est, par principe, étranger au bail commercial264, la présence de locaux d'habitation à côté des locaux commerciaux va néanmoins avoir des incidences sur l'étendue des obligations du bailleur.

207.- On retiendra de plus que le désamiantage incombe au bailleur au titre de son obligation

de délivrance265.

208.- Quant à la sanction du défaut de conformité aux normes de décence, sur le fondement

de l’article 20-1 de la loi de 1989, elle va pouvoir prendre la forme de la mise en conformité des locaux et, dans l’attente de la réalisation des travaux, d’une diminution du loyer.

En revanche, aucune disposition légale n'oblige le bailleur à fournir un autre logement au locataire266.

IV. L’obligation de délivrance et la « clause travaux »

209.- Prévue au a de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la « clause travaux » est

celle en vertu de laquelle les parties peuvent, moyennant une diminution temporaire du loyer, faire supporter au locataire la réalisation de travaux incombant au bailleur.

Par le biais d'une telle stipulation, le bailleur ne peut toutefois s'affranchir de son obligation de délivrance267.

C'est ce que traduit le texte lorsque’il interdit d'englober des travaux destinés à mettre le logement aux normes (normes de confort et d'habitabilité du décret n° 87-149 du 6 mars 1987 hier, et normes de décence instituées par le décret n° 2000-120 du 30 janvier 2002 aujourd'hui). Seuls peuvent donc être visés des travaux d'entretien268.

Cette solution a été réaffirmée début 2010269, dans une espèce – rendue sous l’empire du

262 Civ. 3e, 14 oct. 2009, D. 2009. AJ 2549, obs. Rouquet Document 168 ; Administrer déc. 2009. 32, obs.

Lipman-W. Boccara.

263 Dans le même sens, V. déjà Grenoble, 28 juin 2006, BICC 2007, n° 1217 ; AJDI 2007. 922, obs. Denizot. 264 Soc. 9 nov. 1960, D. 1961. 351 ; Com. 5 mai 1966, Bull. civ. III, n° 230 ; Civ. 3e, 16 avr. 1969, Bull. civ. III,

n° 284 ; 2 mai 2007, Rev. loyers 2007. 400.

265 Civ. 3e, 2 juill. 2003, Bull. civ. III, n° 141 ; AJDI 2003. 751, note Rouquet Document 169 ; Rev. loyers

2003. 501, obs. Quément ; V. aussi Rép. min. n° 6430, JOAN Q, 3 mars 2003, p. 1619 ; AJDI 2003. 421, obs. Rouquet Document 170.

266 Civ. 3e, 15 déc. 2004, Bull. civ. III, n° 239 ; D. 2005. Pan. 751, obs. Damas ; AJDI 2005. 125, note Rouquet Document 167 ; comp. toutefois, condamnant le bailleur à réaliser les travaux de mise en conformité et à reloger

le preneur pendant leur réalisation : Paris, 27 janv. 2005: Loyers et copr. 2005, n° 110, obs. Vial-Pedroletti. 267 Pour une étude d'ensemble, V. Baux d'habitation, Delmas, 6e éd. 2009, nos 1502 s. Document 171.

268 En ce sens, V. not. Paris, 30 avr. 2002, D. 2003. Somm. 802, obs. Gérard et Paris, 10 juin 2004, AJDI 2004. 818.

décret du 6 mars 1987 – où, en contrepartie d'une baisse du prix du bail, il avait été convenu que le locataire remédierait au défaut de cloisonnement de la salle de bains, à l'aide des matériaux fournis par le bailleur. Or, en application de l'article 1er d, du décret de 1987, la pièce d'eau doit constituer une pièce séparée (comp., désormais, l'art. 3, 5, du décret de 2002, prévoyant qu'un logement décent doit inclure « une installation sanitaire intérieure au logement comprenant un W.-C., séparé de la cuisine et de la pièce où sont pris les repas, et un équipement pour la toilette corporelle, comportant une baignoire ou une douche, aménagé de manière à garantir l'intimité personnelle, alimenté en eau chaude et froide et muni d'une évacuation des eaux usées »).