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L’exclusion du régime des baux commerciaux en cas de préemption de la commune

156.- Instauré par la loi en faveur des PME n° 2005-882 du 2 août 2005, le droit de

préemption des communes sur les fonds artisanaux ou de commerce et les baux commerciaux est codifié aux articles L., R. et A. 214-1 et suivants du Code de l'urbanisme. Il a été étendu à certains terrains par la loi de modernisation de l'économie n° 2008-776 du 4 août 2008.

157.- On déplorera au passage que le législateur de 2008 n’ait pas pris la peine de modifier

l’article L. 145-2 du Code de commerce afin de viser également les terrains à vocation commerciale.

158.- Quoi qu’il en soit, la particularité de la préemption communale tient avant tout en ce

qu'elle n'a vocation qu'à être transitoire. En effet, selon l’article L. 214-2 du Code de l'urbanisme, la municipalité est chargée de rétrocéder le fonds, le bail ou le terrain à une entreprise immatriculée dans l'année à compter de la prise d'effet de la cession.

159.- Or, la période débutant avec la préemption et s’achevant avec la rétrocession pose

d’innombrables problèmes.

Tout d’abord, aucun texte ne vient définir positivement le régime juridique applicable au bien préempté. La seule certitude est que le statut des baux commerciaux n’est pas applicable. Par ailleurs, durant cette année transitoire, le risque de la dépréciation du bien (fonds, bail ou terrain) est grand, les services municipaux n’étant pas nécessairement les mieux armés pour le

219 Sur la combinaison des art. L. 145-8 et L. 145-17-I, 1°, V. not. Civ. 3e, 14 juin 2006, Bull. civ. III, n° 148 ;

D. 2006. AJ 1817, obs. Rouquet Document 142, précisant que seule l'exploitation effective dans les lieux loués de l'activité autorisée par le bail ou régulièrement modifiée au cours des trois années ayant précédé sa date d'expiration ouvre droit au renouvellement.

220 Civ. 3e, 10 déc. 2008, Bull. civ. III, n° 198 ; D. 2009. AJ 96, obs. Rouquet Document 143 ; AJDI 2009. 450,

note Dumont-Lerfrand ; V. déjà, jugeant que la période d'observation consécutive à l'ouverture de la procédure collective constitue un motif légitime de non-exploitation au regard du refus de renouvellement du bail sans indemnité, mais précisant qu'il n'en est pas de même pour l'inexploitation se poursuivant au-delà de cette période, Civ. 3e, 12 juill. 2000, Bull. civ. III, n° 140.

gérer en « bon père de famille » (entendons par-là, en l’occurrence, en commerçant avisé). Comme a pu le remarquer un auteur221, il aurait certainement été plus opportun d’inverser la règle en prévoyant l’application du statut durant cette période délicate222.

Se serait toutefois alors posée frontalement la question de la compétence « commerciale » de la collectivité ayant préempté.

160.- On mentionnera cette réponse ministérielle qui n’exclut pas d’allonger le délai dans

lequel la rétrocession doit intervenir (qui passerait à deux ans), spécialement « lorsque l'opération s'intègre dans le cadre d'un projet de réaménagement de ZAC ou de création d'un pôle commercial cohérent comprenant la préemption de plusieurs commerces dont il faut réorienter l'activité exercée »223. Subtilement, la réponse de l’administration précise que cette mesure, si elle était prise, devra s'accompagner de « dispositions permettant à la commune d'assurer la prise en charge efficace du fonds de commerce ou du fonds artisanal en attendant la rétrocession ».

161.- Nous avions suggéré à l’époque que ces mesures d’accompagnement pourraient

utilement être prévues y compris durant la première année.

Il nous semble que cette suggestion, qui avait pour elle de respecter l’état du droit positif, manquait d’ambition.

En définitive, seule une (nouvelle) réforme législative serait de nature à gommer toutes les zones d’ombre inhérentes au texte actuel.

Il nous semblerait, en effet, judicieux de conférer à la commune, non pas un droit de préemption, mais une prérogative portant sur le choix de la destination qu’entend donner le cessionnaire au fonds, au bail ou au terrain cédé.

Ainsi, disparaîtrait cette période intermédiaire de tous les dangers, la municipalité se réservant la possibilité d’imposer, à travers ce que l’on pourrait nommer son pouvoir de « police de la destination commerciale » qu’un commerce de bouche reste un commerce de bouche ou qu’un marchand de chaussures ne soit pas remplacé par un établissement bancaire ou une agence immobilière.

Ce schéma, toutefois, nécessiterait certainement d’encadrer, du moins dans les centres-villes potentiellement concernés par un plan de sauvegarde, la liberté des cocontractants en matière de destination des locaux : la clause « tous commerces » n’aurait alors, vraisemblablement, plus droit de cité.

DEUXIÈME PARTIE

221 Blatter, Interrogations autour du nouveau droit de préemption, AJDI 2005. 705.

222 Blatter, AJDI 2008. 88 et 649 ; V. aussi Monéger, JCP E 2006. 1802, n° 2 et son commentaire in Code des baux Dalloz, éd. 2010, ss. art. L. 145-2.

L’OPPOSITION, SUR UN MEME LOCAL,

ENTRE DROIT DE PROPRIÉTÉ ET DROITS LOCATIFS

162.- Cette opposition tire sa source première de l’affirmation, par l’article 544 du Code civil,

du caractère absolu du droit de propriété (« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue […] »), caractère absolu immédiatement démenti par la suite du même texte (« […] pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »)224.

163.- On ajoutera que, en droit positif, les prérogatives du propriétaire doivent

s’accommoder :

– d’une part, de l’avènement récent, de la notion de droit au logement : en germe dans les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, il a été consacré par l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989, mis en œuvre par la loi « Besson » du 31 mai 1990 et qualifié par le Conseil constitutionnel d’« objectif de valeur constitutionnelle »225, comme d’ailleurs le droit à un logement « décent »226227,

– et d’autre part, des prérogatives exorbitantes que confère au preneur le statut des baux commerciaux, à savoir la propriété commerciale (dont il a été question aux nos 120 et suivants).

164.- Dans les développements qui suivent, sont distinguées l’application des statuts, les

obligations du bailleur, les obligations du locataire et la fin de la relation contractuelle.

224 Jugeant que le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle, V. Civ. 1re, 4 janv.

1995, Bull. civ. I, n° 4 ; D. 1995, Somm. 328. obs. Grimaldi ; V. aussi Cons. const. 16 janv 1982, D. 1983. 169, note Hamon.

225 Cons. const., n° 98-403 DC du 29 juill. 1998, JO 31 juill. ; D. 1999. 269, note Sabete ; ibid. 2000. Somm. 61, obs. Trémeau. Il convient toutefois de remarquer que, dans cette décision, le Conseil constitutionnel visait, non pas le droit au logement en tant que tel, mais, déjà, le droit au logement décent.

226 Cons. const., n° 98-403 DC du 29 juill. 1998, préc. ; Cons. const., n° 94-359 DC du 19 janv. 1995, JO 21 janv. ; D. 1997. Somm. 137, obs. Gaïa.

227 Sur la délicate pesée qu’il convient de réaliser entre droit de propriété et droit au logement, V. Monéger, Loyers et copr. 2010, Repère n° 4 ; estimant que la prééminence du droit de propriété, objectif de valeur constitutionnelle, perdure sur le droit au logement décent, « simple » objectif de valeur constitutionnelle, V. Damas, AJDI 2010, à paraître, sa note ss. Civ. 3e, 20 janv. 2010 ; sur cette question, V. aussi Albigès, Le droit

au logement, in Liberté et droits fondamentaux, par Cabrillac, Frison-Roche et Revet, Dalloz, éd. 2009, Prépa CRFPA.