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(a) L’irrationalité de l’existence indépendante des perceptions et la double existence

« Mais lorsque nous comparons les expériences et raisonnons un peu à leur propos, nous nous apercevons rapidement que la doctrine de l'existence indépendante de nos perceptions sensibles est contraire à l'expérience la plus manifeste ».

[TNH 1.2.4, §44, GF, p. 295]

Le réalisme indirect s’établit sur un argument sceptique dirigé à l’encontre du réalisme direct populaire. L’argument, notamment utilisé par Berkeley mettre en évidence l’idéalité des qualités sensibles, n’est autre que celui de la relativité. L’expérience de la relativité ou variabilité des perceptions d’un objet, pourtant supposé identique et pourvu d’une existence continue et indépendante, nous contraint d’admettre une hétérogénéité entre l’objet réel et immédiat de la perception, d’une part, et son objet supposé, d’autre part.

« Si nous pressons d'un doigt sur notre œil, nous percevons immédiatement que tous les objets deviennent doubles et que la moitié d'entre eux sont déplacés de leur position courante et naturelle. Mais comme nous n'attribuons à aucune des ces deux perceptions une existence continue, et comme elles sont toutes les deux de même nature, nous saisissons clairement que toutes nos perceptions dépendent de nos organes et de la disposition de nos nerfs et de nos esprits animaux. Cette opinion est confirmée par l'accroissement apparents des objets suivant leur distance, par les modifications que présentent leurs formes, par les changements de couleurs ou d'autres qualités dues à nos maladies et à nos indispositions, et par une infinité d'autres expériences du même genre,

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qui nous enseignent que nos perceptions sensibles ne possèdent pas une existence distincte ou indépendante ».

[TNH 1.2.4, §45, GF, pp. 295-296]

L'expérience de la diversité des apparences des choses supposées identiques plaide en défaveur de la supposition que nous faisons de leur existence indépendante. Ainsi les philosophes distinguent-ils entre la perception et l'objet.

Cette réflexion sur l’expérience de la relativité ou variabilité de la perception, qui les fait apparaître comme étant nos perceptions, et non des objets distincts de la perception, n’est ni légère ni sans effet sur l’esprit. En dépit de son opposition à l’opinion ordinaire de la confusion des perceptions et des objets, et contrairement aux réflexions sur la fiabilité de la raison – qui produisent un effet sceptique à force de répétition et d’une application soutenue de l’esprit –, cet argument repose sur la considération d’expériences triviales et communes. Il produit une conviction forte dès lors qu’on les prend en considération en s’interrogeant sur la nature de l’objet de la perception. Voilà pourquoi la conviction du caractère dépendant des perceptions par rapport à l’acte perceptif a été adoptée par « tous les philosophes »276

modernes. C’est, par ailleurs, le principe de départ adopté par Hume dans sa distinction des impressions et idées comme types constituant les deux types fondamentaux de perceptions ; principe qui le conduit précisément à considérer toute perception comme singulière et la perception en général comme discontinue.

Cet argument, qui met en évidence la dépendance des perceptions et invite donc à rejeter la croyance en leur existence indépendante, devrait donc également inciter à rejeter celle en l’existence continue. Ce rejet est donc présenté comme rationnel, inféré strictement d’une expérience sensible : « […] un instant de réflexion détruit cette conclusion selon laquelle nos perceptions ont une existence continue, en montrant qu’elles ont une existence dépendante »277 ; la négation de l’existence continue en est la « conséquence naturelle »278.

Mais plutôt que d’adopter cette conclusion – caractérisée, un peu plus loin, comme « propre à quelques sceptiques extravagants »279 – les philosophes en tirent une autre : « […]

276 TNH 1.4.2, § 43, GF, p. 294. 277 TNH 1.4.2, § 50, GF, p. 299. 278 TNH 1.4.2, § 46, GF, p. 296. 279 TNH 1.4.2, § 50, GF, p. 299.

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ils changent leur système et font une distinction entre les perceptions et les objets, les premières étant supposées discontinues, périssables et différentes à chaque apparition, les seconds ininterrompus et dotés d’une existence et d’une identité continues »280.

Telle est le système de la double existence qui pose que « nos perceptions et nos objets sont différents et que seuls nos objets conservent une existence continue »281. Mais cette suggestion, comme on l’a déjà souligné282, ne saurait être le fait de la raison :

« Les seules existences dont nous soyons certains sont les perceptions qui, nous étant immédiatement présentes par la conscience, entraînent notre assentiment le plus fort et constituent le fondement premier de toutes nos conclusions. La seule conclusion que nous puissions tirer de l'existence d'une chose à celle d'une autre passe par la relation de cause à effet, qui montre qu'il existe une connexion entre elles et que l'existence de l'une dépend de l'existence de l'autre. L'idée de cette relation provient de l'expérience passée qui nous montre que deux êtres sont constamment associés l'un à l'autre et sont toujours présents à l'esprit en même temps. Mais comme les seuls êtres qui soient jamais présents à l'esprit sont es perceptions, il s'ensuit que nous pouvons observer une conjonction ou une relation de cause à effet entre différentes perceptions, mais que nous ne pouvons jamais l'observer entre perceptions et objets. Il est donc impossible que nous puissions jamais, à partir des qualités des premières, former des conclusions quant à l'existence des seconds, et satisfaire notre raison sur ce point ».

[TNH 1.4.2, § 47, GF, p. 297]

Comme on en faisait été plus haut, l’idéalisme perceptuel pan-perceptionnisme méthodologique rendent inévitable un scepticisme épistémologique. Pourquoi les philosophes maintiennent-ils l’idée et la croyance en une existence distincte si ce n’est ni en vertu des sens, ni de la raison ? Sur quel fondement la supposition de l’objet distinct des perceptions peut-elle s’établir ?

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