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Il apparaît que le système philosophique est contradictoire à un double titre, puisqu'il est censé pallier aux difficultés propres au système ordinaire en s'y substituant mais qu'il se fonde sur lui, de sorte qu'il continue de renfermer les difficultés de ce dernier et qu'il en pose de nouvelles, en plus d'être fondé sur ce qu'il est censé critiqué. De plus, il tombe également sous le coup d’un scepticisme conceptuel.

« Mais, si philosophique que puisse être estimé ce nouveau système, j'affirme qu'il n'est qu'un palliatif et qu'il renferme toutes les difficultés du système ordinaire, augmentées de quelques autres qui lui sont propres ».

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L’erreur commune est la supposition de la continuité des impressions, que la réflexion sur l’impossibilité de leur indépendance devrait ruiner.

« C'est une illusion grossière que de supposer que nos perceptions semblables sont numériquement identiques, et c'est cette illusion qui nous amène à croire que ces perceptions sont ininterrompues et existent encore, même lorsqu'elles ne sont plus présentes aux sens. Voilà pour le système populaire ».

[TNH 1.4.2, § 56, GF, p. 303]

Sa première difficulté spécifique est qu’il est donc en contradiction avec son fondement ou, autrement dit, qu’il est contradictoire :

« Quant au système philosophique, il est sujet aux mêmes difficultés et, de surcroît, il doit supporter l'absurdité de dénoncer et d'établir à la fois la supposition vulgaire. Les philosophes nient que nos perceptions semblables soient identiques et ininterrompues ; et pourtant, ils ont une si grande tendance à les croire telles qu'ils inventent arbitrairement un nouvel ensemble de perceptions, auxquels ils attribuent ces qualités ».

[TNH 1.4.2, § 56, GF, p. 303]

Mais, en sus, il s’accompagne d’une inintelligibilité spécifique. Le système ordinaire est irrationnel mais l’objet dont il suppose l’existence est pleinement intelligible dans la mesure où il ne le distingue pas des perceptions qui constituent le donné perceptif même. A l’inverse, le système philosophique suppose la distinction de l’objet et des perceptions ou bien institue un ensemble de perceptions non perceptibles, ou bien suppose l’existence d’un objet spécifiquement distinct des perceptions – et donc tout à fait inconcevable, comme noté plus haut284.

« J'ai dit un nouvel ensemble de perceptions, car, si nous pouvons supposer d'une

manière générale que des objets soient, par nature, autres qu'exactement identiques aux perceptions, il est cependant impossible que nous le concevions distinctement.

Qu'attendre d'autre, par conséquent, de cette confusion d'opinions extraordinaires et sans fondement, qu'erreur et fausseté ? Et comment pouvons-nous justifier à nos yeux le fait de croire, si peu que ce soit, à de telles opinions ? ».

[TNH 1.4.2, § 56, GF, p. 303 ; nous soulignons]

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En plus de souffrir d’une inintelligibilité qui lui est propre, le réalisme indirect consiste donc en un assemblage de fictions impossibles à justifier, ni par l’expérience, ni par la raison, donc a priori fausses.

La genèse des deux systèmes met en évidence leur non-conformité à la raison, le caractère fictif de leurs objets respectifs et souligne les difficultés propres au système philosophique. Elle en constitue donc, en même temps, une critique qui s’avère produire, contre toute attente, des effets sceptiques sur l’esprit :

« J'ai déclaré, en préambule de cette étude, que nous devions avoir une foi aveugle en nos sens, et que telle serait la conclusion et que telle serait la conclusion que je tirerais finalement de mes raisonnements. Mais, en toute sincérité, je me sens à présent habité d'un sentiment tout à fait contraire et j'incline plus à refuser tout crédit à mes sens, ou plutôt à mon imagination, qu'à leur accorder cette confiance aveugle. Je ne puis concevoir comment des qualités si triviales de la fantaisie, conduites par de si fausses suppositions, peuvent jamais aboutir à un système cohérent et rationnel ».

[TNH 1.4.2, § 56, GF, p. 302]

Cette réflexion génétique sur « le principe de l’existence des corps »285 engendre donc

un doute à l’égard de l’existence de son objet, clairement identifiés à des fictions, dont l’existence, comme telles, est, du point de vue de la raison, impossible à établir et inintelligible. Ce doute, qui résulte naturellement de la réflexion approfondie sur nos facultés, est qualifié d’incurable au sens où il n’y existe aucun remède rationnel.

Doit-on en conclure que les systèmes populaire et philosophique de l’existence extérieure sont, chacun à leur manière, illusoires ? Et est-ce à dire qu’il nous faudrait suspendre tout jugement à l’égard de telles existences ? Ou bien en nier la possibilité ? On attendrait que soit tirée une conclusion ontologique à cet égard, ou bien que soit établie une position épistémologique définie à l’égard de la question. Or Hume se défend aussi bien de soutenir un Pyrrhonisme (ou nécessité épistémique d’une suspension de tout jugement) qu’un idéalisme subjectif. Pour quelles raisons et comment ?

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La réponse a pour élément déterminant l’impossibilité psychologique de maintenir le doute en dépit de la validité des raisons qui y conduisent. Comment comprendre le sens de cette thèse ?

Comment penser une normativité épistémique de cette réponse factuelle psychologique ? N’y a-t-il pas d’alternative à une pure description psychologique de l’alternance entre croyances et doutes ? Y a-t-il là un scandale de la raison ?286 Lequel ?

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Chapitre 6-

LES FORMES DU RÉALISME ET DU SCEPTICISME À L’ÉGARD

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