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L’on peut se demander si la position de Strawson, particulièrement sur la question du scepticisme, est bien différente de celle de Moore. En définissant l’objet de la métaphysique descriptive, Strawson souligne sa proximité avec lui113, il affiche sa

« sympathie » pour la thèse de la hiérarchisation des certitudes114 et critique lui aussi l’intelligibilité de l’idéalisme transcendantal kantien115. Sa propre définition de la perception

comme « conscience immédiate d’objets dans l’espace »116 semble être précisément ce qui est au cœur de la preuve mooréenne.

En quel sens et pour quelle raison alors la « Preuve » de Moore est-elle décrite, dans

Skepticism and Naturalism, comme consistant ou bien à ignorer la signification de la

question sceptique, ou bien à la rejeter dogmatiquement ? Et en quoi, alors, le traitement du scepticisme par Strawson peut-il échapper à cette qualification ? Il faut comprendre à quelle critique de Stroud Strawson se range ici pour mieux évaluer ensuite (chapitre 3) son degré de la proximité avec Moore et l’infléchissement qu’il fait subir à la relation de l’épistémologie et de l’ontologie.

La célèbre « preuve » de Moore s’ouvre sur la dénonciation kantienne de la thèse selon laquelle l’existence du monde extérieur ne peut faire l’objet que d’une foi, et non d’une connaissance. Rejetant la preuve de Kant (sur laquelle nous reviendrons), il entend défendre la possibilité d’en produire une, d’un autre type, incontestable et définitive en dépit de sa trivialité. À la question sceptique de la justification de notre croyance à l’existence des corps, Moore répond simplement ainsi : en levant une main et en disant « voici une main » ; en en

113 AM, 3, p. 46.

114 The Philosophy of P. F. Strawson, P.K. Sen & R. R. Verma (ed.), Indian Council of Philosophical

Research, New Delhi, 1995, p. 425.

115 BS, 4.6, pp. 256-263.

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levant une autre et en disant « en voici une autre ». Si la « preuve » déconcerte, Moore en revendique la parfaite rigueur logique et souligne l’impossibilité d’en produire de meilleures. La rigueur d’une preuve requiert les trois conditions suivantes : l’indépendance de la prémisse et de la conclusion, la vérité de la prémisse et la nécessité de la liaison de la conclusion à cette dernière. Or, premièrement, la conclusion (« il existe en ce moment deux mains humaines ») est beaucoup plus générale que la prémisse (qui consiste à montrer une main, faire un certain geste et dire « voici une main ») et pourrait être vraie même si les prémisses avaient été fausses. Deuxièmement, la vérité des prémisses est présentée comme effectivement connue. Enfin, troisièmement, la conclusion suit nécessairement des prémisses au sens où : « s’il y a à présent une main ici et une autre là, il suit qu’il existe à présent deux mains ». Deux questions liées entre elles peuvent être adressées à la preuve de Moore : en quel sens pouvons-nous prétendre connaître les prémisses en question ? En quel sens les mains sont-elles – ou sont-elles connues comme étant – des objets extérieurs, existant indépendamment de l’expérience qu’on en a ou de l’esprit percevant ?

C’est donc la seconde condition qui pose le plus problème. Moore ne semble, à première vue, n’avoir rien de plus à alléguer en sa faveur que de qualifier sa négation d’absurde :

« Je savais qu’il y avait une main à l’endroit indiqué tout à la fois par un certain geste et en affirmant le mot « ici » […] Il serait complètement absurde d’insinuer que je ne le savais pas, mais que je le croyais simplement, et que peut-être ce n’était pas le cas. Autant dire que je ne sais pas que je suis debout en ce moment même et que je parle – que peut-être après tout je ne suis pas debout, et qu’il n’est pas tout à fait sûr que je sois ! »117.

Cet apparent rejet dogmatique du noyau de la question sceptique peut être atténué par l’analyse des raisons supposées de l’insatisfaction éprouvée en face de la preuve. Considérer la preuve comme insuffisante implique de supposer (1) que les prémisses ne sont pas connues si elles ne sont pas prouvées à leur tour et (2) que si les prémisses ne sont pas prouvées la conclusion ne l’est pas non plus. Or exiger une preuve des prémisses en question revient à exiger une preuve de ce qui ne saurait jamais en recevoir aucune :

« En d’autres termes, ils veulent une preuve de cela même que j’asserte à l’instant en levant les mains et en disant « voici une main et en voici une autre » […] Ce que je n’ai 117 Armengaud, Moore et la genèse de la philosophie analytique, Klincksieck, 1985 ; pp. 191-192.

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certes pas apporté. Du reste, je ne crois pas qu’on puisse le faire : si c’est là ce qu’on entend par preuve de l’existence des choses extérieures, je ne crois pas qu’une preuve quelconque de l’existence des choses extérieures soit possible. […] Il faudrait déjà, comme l’a noté Descartes, prouver que je ne rêve pas. Mais comment ? J’ai sans aucun doute que je ne rêve pas en ce moment. J’ai une évidence conclusive que je suis éveillé :

mais autre chose est de pouvoir le prouver. Je ne pourrais vous communiquer entièrement mon évidence ; ce qui serait le minimum requis pour vous apporter une preuve »118.

Moore revendique donc ici, pour les prémisses de la preuve notamment, le statut de connaissance certaine et non démontrable. Si tel est le cas, l’absence de preuve pour ce qui les concerne ne constitue pas une raison suffisante de motiver le rejet de la preuve. Toute preuve doit achopper sur une connaissance de base sous peine qu’aucune preuve de rien ne soit possible. Or, y a-t-il chose plus évidente que l’existence présente de ces mains dont nous faisons l’expérience perceptive ? La suggestion sceptique du rêve ou de l’illusion généralisée jouit-elle d’une évidence plus grande que celle-ci, ou d’une évidence telle qu’elle rend exigible une démonstration de l’existence des mains ? Il semble a priori moins raisonnable de souscrire à la demande sceptique qu’à l’évidence perceptive de l’existence des mains. De sorte que, relativement à la nécessité de prouver les prémisses, la charge de la preuve est renversée. Partant, l’on peut a fortiori admettre que, les prémisses en question ne requérant pas de preuve, leur simple affirmation suffit à l’établissement de la conclusion qui en découle.

En quel sens les mains sont-elles des objets « extérieurs » ? L’essentiel de l’article est dévolu à opérer une série de clarifications relatives la signification de l’extériorité en cause dans la question de la réalité du monde extérieur. Moore part de la définition kantienne de l’extériorité comme « rencontré dans l’espace » pour la préciser davantage que Kant (qui la confond notamment avec la « présentation dans l’espace ») pour conclure ceci :

« Les choses que j’ai décrites comme « pouvant être rencontrées dans l’espace » présentent la caractéristique suivante : il n’y a rien d’absurde à supposer, touchant l’une quelconque d’entre elles qui est perçue à un moment donné, à la fois 1°) qu’elle aurait pu exister à ce même moment sans être perçue ; 2°) qu’elle aurait pu exister à un autre moment dans être alors perçue ; 3°) que durant tout le temps de son existence, elle n’a pas besoin d’être jamais perçue. Pour employer une expression kantienne, le concept de « chose que l’on peut rencontrer dans l’espace » englobe non seulement les objets de l’expérience actuelle mais aussi les objets de l’expérience possible »119.

118 Armengaud, op. cit., p. 194 ; nous soulignons. 119 Armengaud, op. cit., p. 181.

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Il est donc un sens de l’extériorité tel que des mains sont des choses extérieures et que si on établit qu’il y a « ici » et « là » des mains, alors il existe au moins deux objets extérieurs et tel que, par le même procédé, l’on puisse prouver l’existence d’un très grand nombre de choses dont la totalité constitue le monde extérieur.

Le problème apparent de l’ « existence du monde extérieur » vient de ce que certains philosophes entendent opérer une distinction entre ce qui est « rencontré dans l’espace » et ce qui est « extérieur à l’esprit » – Kant, notablement, entendant combiner la réalité empirique des objets et du monde extérieur avec l’idéalité de l’espace et du temps, de sorte qu’on puisse affirmer en même temps qu’il existe des objets extérieurs que nous pouvons rencontrer dans l’espace, et que, comme tels, ils n’existent pas indépendamment de l’esprit. Dès lors, demande Moore, « Une preuve supplémentaire n’est-elle pas requise de ce que tout ce que l’on peut rencontrer dans l’espace doit être extérieur à notre esprit ? »120.

C’est à cette distinction supposée que s’en prend Moore pour établir, en dernière instance, l’équivalence entre « objet qu’on peut rencontrer dans l’espace » et « extérieur à tout esprit » :

« Or, nous avons vu Kant affirmer que les expressions « hors de nous » et « extérieur » sont utilisées en fait en deux sens très différents. Et touchant l’un de ces deux sens, celui qu’il appelle le sens « transcendantal », et qu’il tente d’expliquer en disant qu’alors « extérieur » signifie « existant comme une chose en soi distincte de nous », lui-même soutenait – le fait est notoire – que les choses que l’on peut rencontrer dans l’espace ne sont pas « extérieures » en ce sens. Il y a donc selon Kant un sens de « extérieur » – son sens philosophique habituel – tel que, si extérieur est utilisé en ce sens, alors de la proposition « il existe deux chiens » il ne suit pas qu’il y ait des choses extérieures. Ce qu’est le sens en question je ne crois pas que Kant lui-même ait réussi à l’expliquer clairement ; et je ne vois non plus aucune raison de supposer que des philosophes aient jamais utilisé « extérieur » en un sens tel que dans ce sens-là les choses que l’on peut rencontrer dans l’espace ne sont pas extérieures »121.

Autrement dit, Moore exclut qu’on n’ait jamais voulu dire sérieusement ou pu dire sensément qu’une chose rencontrée dans l’espace pouvait ne pas être extérieure à l’esprit. Car « extérieur à l’esprit » ne peut s’entendre que par contraste avec « interne à l’esprit », qui n’a pas cours dans l’usage courant mais qui, à l’analyse, semble désigner ce qui consiste

120 Armengaud, op. cit. p. 184. 121 Armengaud, op. cit., p. 185.

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à « avoir une expérience ». Or, « [...] selon cet usage philosophique de ‘‘avoir une expérience’’, il serait dit de moi qu’à un moment donné, je ne faisais l’épreuve d’aucune expérience si à ce moment je n’étais ni conscient, ni ne rêvais, ni n’avais de vision, ni rien

d’autre de ce genre »122. En quoi consiste donc la différence entre ce qui est interne à l’esprit

en ce sens (comme des rêves, des post-images ou une douleur) et ce qui est extérieur à l’esprit (comme mon corps) ?

« Cette différence consiste donc simplement en ceci que tandis qu’il y a contradiction à admettre qu’une douleur que je ressens ou une post-image que je vois existent à un moment où je ne fais l’épreuve d’aucune expérience, il n’y a rien de contradictoire à admettre que mon corps existe à un moment où je ne fais l’épreuve d’aucune expérience. Nous pouvons même aller, je crois, jusqu’à affirmer qu’ils n’ont rien voulu dire d’autre par ces expressions déconcertantes et fallacieuses : ‘‘dans l’esprit’’ et ‘‘extérieur à l’esprit’’ »123.

Ainsi, dès lors que nous rencontrons un objet quelconque dans l’espace (des mains, des bulles de savon, des montagnes, etc.), nous sommes convaincus que nous pouvons affirmer sans contradiction qu’il existait avant, qu’il existera après ou qu’il existerait même si nous ne le percevions pas ou ne l’avions jamais perçu. Rien de ce que nous percevons ne serait un objet extérieur si son existence n’était pas logiquement indépendante de la perception que nous en avons.

« En d’autres termes, de la proposition : la chose que je perçois est une bulle de savon,

suit la proposition : elle est extérieure à mon esprit. De même, j’implique sans le

moindre doute qu’elle est extérieure à tous les autres esprits : j’implique qu’elle n’appartient pas à un type de choses qui ne peuvent exister qu’à un moment où quelqu’un fait l’épreuve d’une expérience. Je crois donc que de toute proposition de la forme ‘‘c’est une bulle de savon’’ suit effectivement la proposition ‘‘c’est un objet extérieur’’, ‘‘c’est un objet extérieur à nos esprits à tous !’’ »124.

Dans l’ensemble, donc, si les objets rencontrés dans l’espace sont aussi des objets extérieurs aux esprits et si ces objets sont tels – comme ils sont effectivement par distinction des objets dits « internes à l’esprit » – que leur existence est logiquement indépendante de la perception ou expérience que nous en avons ou qu’on peut en avoir, il suffit d’indiquer l’existence de deux objets rencontrés dans l’espace pour établir l’existence d’objets

122 Ibid., op. cit., p. 188. 123 Ibid., op.cit., p. 188. 124 Ibid., p. 190.

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extérieurs et indépendants de l’esprit. Or, nous percevons deux mains, elles appartiennent à la catégorie logique des choses rencontrées dans l’espace, il existe donc au moins deux choses extérieures à l’esprit.

Ainsi donc, si la connaissance de l’existence de ces deux mains comme objets existant dans l’espace indépendamment de l’esprit, jouit d’une évidence incommunicable mais supérieure à toute hypothèse alternative qui conduirait à en exiger une preuve, et si de cette existence suit celle d’un monde extérieur, nous disposons d’une preuve rigoureuse et suffisante de l’existence d’un monde extérieur.

Pourquoi cette preuve échouerait-elle cependant ? Strawson semble d’accord avec Stroud pour dire soit que Moore répond dogmatiquement à la question, soit qu’il l’ignore complètement. D’un côté, en effet, il répond en affirmant savoir avec certitude ce que le sceptique met en question – en disant que certaines choses sont connues sans preuves, comme « voici une main » et « je suis là » – et sans offrir le moindre argument explicite sur ce point. Il se contente de qualifier d’« absurde » l’argument cartésien du rêve125 et d’« obscur » ou d’indéterminé le sens transcendantal de l’extériorité chez Kant et, plus généralement, toute tentative visant à dire que les choses « rencontrées dans l’espace » ne sont pas « extérieures » à l’esprit126.

Mais, interrogé sur sa « Preuve », Moore semble même concéder que si la proposition « il n’existe aucune chose matérielle » signifie l’adoption d’une thèse phénoméniste telle que les montagnes, les corps humains et la lune sont des constructions logiques à partir de

sense data, alors le fait qu’on sache qu’il y a des mains ne prouve pas l’existence de choses

matérielles : « Avec cette signification de ‘‘il n’y a pas de choses matérielles’’, il est alors vraiment impossible de prouver que cette affirmation est fausse de la manière dont je l’ai fait »127 – ce qui revient à concéder l’invulnérabilité du scepticisme en question. En laissant la question de l’analyse de la signification ouverte, et sans exclure la possibilité d’une telle analyse, Moore semble entériner la légitimité du scepticisme en question.

Aussi, en parlant des « objets perçus » ou de l’« expérience » que nous faisons des objets dans l’espace, il assume donc bien de se fonder sur une expérience pour affirmer l’existence d’objets. Or, comme le souligne Strawson, « le problème sceptique à l’égard du

125 Op. cit., p. 192. 126 Op. cit., p. 185.

127 Moore, ‘’A reply to My Critics’’, in The Philosophy of G. E. Moore, P. A. Schlipp (ed.), [1942], Lasalle,

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monde extérieur semble être que l’expérience subjective pourrait logiquement être la même sans que les choses physiques ou matérielles n’existent ». En fait, Moore n’ignore évidemment pas la question et reconnaît128 que sa « preuve » n’y répond pas :

« Je ne vois pas comment l’on peut nier qu’il est logiquement possible que toutes les expériences sensorielles que j’ai en ce moment soient de simples images oniriques. Or, si cela est logiquement possible, et si, de plus, les expériences sensibles que j’ai actuellement sont les seules expériences que j’ai, je ne vois pas comment je pourrais savoir avec certitude que je ne suis pas en train de rêver »129.

L’on voit donc ici toute la difficulté130 qu’il y a à exclure la référence à une expérience

subjective comme fond nécessaire mais cependant insuffisant à l’affirmation de l’existence des corps en tant que c’est cette base expérientielle même qui sert de fondement minimal à la formulation de l’hypothèse sceptique. Sans doute la « Preuve » de Moore gagne-t-elle à être lue comme une réponse diagnostique qui met en scène l’absurdité de la demande sceptique131, plutôt que comme une supposée réponse directe trop aisément réductible à une affirmation dogmatique. Mais c’est ainsi qu’elle fut reçue le plus souvent et c’est surtout cette lecture qui – même si elle est impropre – permet le mieux de faire ressortir l’invulnérabilité du doute en pointant l’ancrage expérientiel minimal et inéliminable qui est comme la citadelle du scepticisme.

(b) L’ambiguïté de l’épistémologie naturalisée et la circularité de

l’abduction

L’épistémologie naturalisée et le raisonnement abductif sont les deux autres traitements mentionnés par Strawson au titre des réponses directes au problème sceptique. Les deux mériteraient cependant d’être distinguées dans la mesure où la seconde se présente effectivement (chez Locke ou Russell par exemple) comme une réponse au problème

128 Avec réserve, dans un passage dont il semblerait être insatisfait.

129 Moore, ‘‘On Certainty’’, Philosophical Papers, London, Allen & Unwin, 1959, p. 250.

130 Vraisemblablement regrettée par Moore qui semble qualifier cette concession d’erreur - cf. ‘‘On

Certainty’’, ibid., p. 251.

131 Telle est la lecture de John Greco, ‘‘How to Reid Moore’’, The Philosophical Quarterly, Vol. 52, No. 209

(Oct., 2002), pp. 544-563. Rapprochant Moore de Reid, Greco soutient que le but de la « Preuve » est plutôt de mettre en évidence l’absurdité de la demande sceptique en montrant (1) que l’existence des choses extérieures n’est pas connue par le biais d’une preuve et (2) que ce au nom de quoi le sceptique demande une preuve de l’existence extérieure des objets est moins certain que l’existence des objets eux-mêmes.

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sceptique, alors que la première entend plutôt substituer un programme d’explication au programme philosophique traditionnel de justification susceptible de mener au scepticisme. De quelle insuffisance commune souffriraient-ils cependant, relativement au défi sceptique, insuffisance qui justifierait leur rapprochement du point de vue de Strawson ?

L’épistémologie naturalisée de Quine132 n’est pas un traitement de la question

sceptique posée par l’épistémologie conçue de manière traditionnelle comme entreprise de fondation de la science ; elle est précisément l’abandon de cette dernière, jugée irréalisable, au profit d’une autre conception de l’épistémologie comme recherche d’une explication scientifique – psycho-physiologique – de la genèse de nos théories du monde. L’échec du programme fondationnaliste consistant à vouloir représenter le monde comme une construction logique de données des sens, qui aura occupé l’empirisme de Hume à Russell et Carnap, a conduit Wittgenstein (et d’autres dans son sillage) à renoncer définitivement à toute forme d’épistémologie et à redéfinir la philosophie comme une activité thérapeutique notamment destinée à dissiper « l’illusion qu’il existerait des problèmes épistémologiques »133. Mais, plutôt que de renoncer à l’épistémologie même, Quine propose d’en réinterpréter la tâche depuis l’intérieur de la science des faits – en l’occurrence, la psychologie :

« À cet égard je pense qu’il vaudrait mieux dire que l’épistémologie continue, quoique dans une présentation nouvelle et avec un statut éclairci. L’épistémologie, ou quelque chose de ressemblant s’est simplement conquis droit de cité à titre de chapitre de la psychologie et donc de la science naturelle. Elle étudie un phénomène naturel, à savoir un sujet humain physique. Ce sujet humain est accordé à une certaine entrée que l’on contrôle expérimentalement – à certains patrons d’irradiations qui ont des fréquences

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