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L’homme naturel : une machine autonome muette ?

1.3. Les cris de la nature : entrée dans le cercle

1.3.2. L’homme naturel : une machine autonome muette ?

Bien que la question de la nécessité du langage ne soit plus directement traitée après que Rousseau demande au lecteur de supposer « cette premiére difficulté vaincue », elle n’est pas complètement abandonnée dans le déploiement de la première aporie qui suit pourtant cette dernière injonction :

Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu’il fallut persuader des hommes assemblés, est le cri de la Nature. Comme ce cri n’étoit arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violens, il n’étoit pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentimens plus modérés. Quand les idées des hommes commencérent à s’étendre et à se multiplier, et qu’il s’établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchérent des signes plus nombreux et un langage plus étendu : Ils multipliérent les inflexions de langage plus étendu : Ils multipliérent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur Nature, sont plus expressifs et dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimoient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l’ouye, par des sons imitatifs : mais comme le geste n’indique guéres que les objets présens, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu’il n’est pas d’un usage universel, puisque l’obscurité, ou l’interposition d’un corps le rendent inutile, et qu’il exige l’attention plûtôt qu’il ne l’excite ; on s’avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propre à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d’un commun consentement, et d’une maniére assés difficile encore à concevoir en elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paroît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole. (Rousseau (1964 [1755]) : 148-149)

La proximité entre ce paragraphe, répété au début de la deuxième partie du second Discours152, avec la théorie de Condillac développée dans l’Essai sur l’origine des

150Cf. supra note 43

151Masters (1968) : 131

152Rousseau (1964 [1755]) : 167

connaissances humaines n’a pas échappé aux critiques153. En effet, Rousseau semble reconnaître que l’élaboration des signes institués est le développement de ce que Condillac considère comme les signes naturels, cris et gestes composant un langage d’action jouant le rôle d’une première institution sur laquelle peuvent se modeler, par analogie, les langues humaines. Il faut toutefois se garder de faire de cet extrait, et de son pendant dans la deuxième partie, une adhésion par trop enthousiaste à la théorie condillacienne154. Non seulement le passage des signes naturels aux signes institués, et plus particulièrement des signes imitatifs aux signes arbitraires, ou artificiels selon que l’on adopte le vocabulaire de l’Essai sur l’origine des connaissances humaines ou celui des œuvres plus tardives155, n’est pas assuré à cause du lien entre le premier et le second versant de la première aporie mettant en jeu le problème du pacte social et de la convention linguistique, mais la nécessité, voire l’actualisation même des cris de la nature est contestée156.

Que la machine ingénieuse puisse émettre des cris ne pose pas particulièrement de problème, en revanche, qu’elle en ressente le besoin est à première vue contestable pour Rousseau. Le but des cris de la nature et les circonstances de leur émission expliquent la prudence du philosophe genevois à leur égard. La machine ingénieuse ne crie que pour appeler, inconsciemment, au secours dans le cas de circonstances qui apparaissent comme étant exceptionnelles. Contrairement aux deux enfants de l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, l’homme naturel rousseauiste a des besoins suffisamment limités et aisément satisfaisables, de par la fertilité naturelle, pour éviter de crier. En outre, l’ajustement possible du comportement humain au niveau individuel, de par la perfectibilité caractérisant l’homme dès l’état de nature, semble étendre l’autonomie à une diversité de circonstances et

153Cf. Condillac (2002 [1746]) : 99-104 ; Starobinski in Rousseau (1964 [1755]) : 1324-1325 ; Id. (1971) : 363 ; Aarsleff (1982) : 156-157

154 Ainsi il nous semble que l’analyse de Aarsleff est incorrecte. Ce dernier argumente, justement, qu’il n’y a pas de contradiction entre la théorie rousseauiste des origines de la première partie et celle de la deuxième partie du second Discours. Pour Aarsleff, bien que la première partie du second Discours désavoue Condillac et que la deuxième partie marque une adhésion à la théorie de l’abbé, la contradiction est évitée car les deux versants de la théorie rousseauistes ne reposent pas sur les mêmes prémisses. Or, pour Aarsleff, la critique émise par Rousseau contre Condillac dans la première partie du second Discours est invalide. Il nous semble plutôt que si la contradiction est évitée entre la première et la seconde partie, c’est avant tout par la continuité de la critique de la théorie de Condillac commençant avec la question de la nécessité du langage, qui, nous le verrons, peut effectivement être résolue au sein de l’état de nature, se déployant avec le problème de la convention et atteignant son paroxysme dans son expression logique à travers l’étude de la relation entre langage et pensée. Cf.

Aarsleff (1982) : 136-137

155Cf. supra note 115

156 Il nous semble donc que le rapport fait par Masters entre l’injonction rousseauiste « Supposons cette premiére difficulté vaincue » et la volonté de Rousseau d’intégrer la possibilité de la famille au sein même de l’état de nature n’est pas exacte. Rousseau arrive bel et bien à résoudre la question de la nécessité, première difficulté concernant le langage, mais il le fait absolument en-dehors de toute base familiale. Cf. Masters (1968) :133-134

conforte l’homme naturel dans son silence. Pourtant, c’est bel et bien la perfectibilité qui rompt de plus en plus le silence du plus pur état de nature. Ainsi, alors que la production du langage naturel survient dans des situations rares au sein de ce que l’on pourrait considérer comme le point zéro de l’évolution de l’état de nature, correspondant au moment d’introduction de l’homme, l’enrayement de cet état initial, dont la machine ingénieuse humaine est une condition nécessaire et peut-être même suffisante157, rend l’émission de cris de détresse plus probable. La plasticité du comportement humain permettant la diversité des histoires individuelles, notamment à travers l’imitation de multiples comportements animaux, conduit à la rencontre de circonstances pourtant exceptionnelles provoquant la production des cris de la nature. En définitive, l’émission des cris de la nature est le produit de la machine ingénieuse humaine particulière : les cris inarticulés relèvent du corps-machine dans le caractère purement physique de leur production, tandis que les circonstances de leur émission sont rencontrées de par la liberté caractérisant l’ingéniosité particulière de la machine humaine.

Alors que l’émission des cris de la nature peut s’expliquer par la prise en considération d’une perfectibilité toujours déjà en acte faisant de l’étude de l’état de nature et de l’homme naturel non plus une simple description, comme le suggère Goldschmidt158, mais une fiction rationnelle, les deux versants de la première aporie, nécessité et pacte social, se rencontrent dès qu’est évoquée la compréhension des cris inarticulés. En d’autres termes, le processus de signification déploie la première aporie des origines du langage à son maximum. En effet, les cris ne gagnent leur statut de signes linguistiques qu’à travers la compréhension de ces derniers par autrui. Bien que la question du pacte social soit convoquée, en dernière instance, par cette intercompréhension, le langage naturel, universel, ne pose pas le problème de la convention linguistique159. Son origine, la production inconsciente de cris inarticulés, garantit l’absence de toute convention. Réactions de la machine ingénieuse, les cris de la nature sont communs à tous les animaux organisés de manière semblable. Or, à l’instar des signes naturels du premier langage d’action condillacien, les cris de la nature surviennent dans les circonstances où l’homme ne peut satisfaire ses besoins individuellement. C’est face à la limitation de son autonomie que la machine ingénieuse humaine s’exprime à travers sa

157 Si, comme l’a montré Beyssade, la pensée du développement de Rousseau nécessite toujours des circonstances, ces dernières ne sont que des causes occasionnelles. Cf. Beyssade (1988) : 205-209

158Goldschmidt (1974) : 400-401

159 C’est pourquoi nous n’avons pas mentionné, en haut à gauche de la fig. 1, la convention à côté de la nécessité. Toutefois, il est important de faire garder en tête cet ajout, surgissant au moment du passage des signes imitatifs aux signes arbitraires, marquant le lien avec les considérations logiques de la seconde aporie, et plus précisément avec l’élaboration des signes institués, représentée par le terme "acquisition" dans notre schéma.

composante la plus matérielle. Le cri inarticulé est un appel à l’aide. Certes involontaire, ce dernier correspond à une réaction face à l’inadéquation entre autonomie et amour de soi. Ce cri de rassemblement porte en soi une menace pour la stabilité, pour la redondance de l’état de nature. Il est le lieu potentiel du dérangement du système naturel par l’homme en tant qu’espèce historique. Il représente la possibilité d’une accélération de l’histoire, d’un réel commencement de la phylogénie culturelle humaine. Pour ce faire, il faut que l’appel à l’aide soit entendu, que le cri devienne véritablement signe, qu’un langage naturel soit inconsciemment institué.

Pour que les cris inarticulés permettent d’obtenir « du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violens », il faut que ces derniers poussent une ou plusieurs machines ingénieuses semblables à l’action. Or il est tout à fait insatisfaisant de faire des cris autant de stimuli suffisants à conduire à l’action altruiste. Un tel comportement contredirait la définition de l’animal, autonome et dirigé par l’amour de soi. La pitié, dans son acception naturelle et pré-raisonnable n’est pas source d’action mais au contraire d’inaction, de limitation de l’amour de soi garantissant la plus grande autonomie possible des machines ingénieuses. Pourtant, c’est bel et bien la pitié, transformée et plus tout à fait naturelle, qui permet la compréhension des cris de la nature et donc leur transformation en signes. En d’autres termes, l’institution, nous choisissons ce terme à dessein, des signes naturels se fait à travers une pitié plus tout à fait naturelle et pas encore sociale, morale. En effet, les spécialistes de Rousseau s’accordent à reconnaître qu’il y a deux forme de la pitié lorsqu’est considérée l’ensemble de ses œuvres : la pitié naturelle, et donc principielle, du second Discours, qui n’est que répugnance à voir souffrir autrui et qui éloigne les hommes plus qu’elle ne les rapproche, et la pitié sociale de l’Emile et de l’Essai sur l’origine des langues, issue de la réflexion et de l’imagination. Toutefois, la question de la continuité ou non de ces deux formes de pitié a été à la source d’un long débat. Ainsi, à la reconnaissance de la discontinuité défendue notamment par Starobinski, s’opposent les interprétations radicalement continuistes de Derrida et Goldschmidt, ce dernier se basant sur les analyses de Porset et Masters160. Très récemment, Charrak a apporté une nouvelle contribution, presque

160Derrida, tout comme Masters et Goldschmidt, accuse Starobinski d’avoir postulé, sur la base de la théorie de la pitié, que l’Essai sur l’origine des langues est antérieur au second Discours qui représenterait la théorie définitive de la pitié comprise en tant que principielle. Starobinski a lui-même récusé cette interprétation. De plus, Derrida affirme que Rousseau n’évolue pas réellement sur la question de la pitié. Goldschmidt, quant à lui, reconnaît avec Masters que la pitié naturelle, bien qu’étant un principe définissant l’homme naturel et d’ailleurs l’animal en général, n’est pas nécessairement ressentie par l’homme dans l’état de nature. En revanche, il ne semble pas que Masters postule, à l’instar de Goldschmidt, une réelle continuité entre la théorie de la pitié du second Discours et celle de l’Essai sur l’origine des langues et de l’Emile basée sur une évolution interne entre première et deuxième partie du second Discours, entre pitié naturelle participant à l’immuabilité de l’état de

indirecte, au débat en partant de la lecture rétrograde des œuvres de Rousseau, préconisée d’ailleurs par ce dernier par l’affirmation que l’Emile est l’ouvrage où les véritables principes ont été exposés161. Selon Charrak, la lecture de l’Emile révèle un seul principe, l’amour de soi qui ne doit pas être compris, pour faire apparaître son caractère génératif, comme simple conservation de soi et duquel résulte la pitié, toujours déjà morale puisqu’inscrite dans la relation à autrui162. La pitié naturelle du second Discours, présentée comme principielle, ne serait donc qu’un effet rhétorique annonçant le développement de la morale par la relation à autrui163.

Le processus de signification conduisant à l’élaboration des signes naturels donne un nouvel éclairage sur les liens et les différences entre pitié naturelle du second Discours et pitié sociale de l’Essai sur l’origine des langues et de l’Emile. En tant que frein à l’amour de soi, la pitié naturelle, permettant à l’espèce de se perpétuer en évitant la confrontation systématique, est inadéquate pour expliquer non pas la compréhension des cris inarticulés mais l’action suivant cette dernière. En effet, les animaux, tels les corneilles et les singes, animaux grégaires évoqués par Rousseau164, possèdent un langage naturel rudimentaire. L’on peut dès lors extrapoler que la pitié sociale n’est pas nécessaire à la compréhension instinctive des cris inarticulés. Les signes naturels sont dans ce cas le résultat d’un processus de signification instinctif. L’unité de l’espèce, c’est-à-dire le fait que chaque individu la composant est exactement similaire à ses autres membres, permet une immédiateté dans la compréhension des cris, résultat du fonctionnement d’un corps-machine commun à tous. Les animaux grégaires, agissant de concert, doivent être considérés comme un organisme total dont les membres sont autant de parties nécessairement reliées entre elles. Les actions communes ne sont que l’expression de cette unité de l’organisme au niveau de l’espèce ou de la communauté représentant un individu au sein du système naturel.

L’homme ne peut être considéré comme un animal grégaire, d’autant plus si la perfectibilité est considérée comme toujours déjà en acte dès l’état de nature. Un individu ne peut être substitué à un autre, l’homme, libre et dépourvu d’instinct, ayant une existence propre dès ses premières actions. L’espèce humaine, nous l’avons souligné, est l’espèce

nature et pitié sociale toujours déjà morale et susceptible de rentrer dans le récit. La considération de la pitié naturelle en tant que principe est une nouvelle fois la marque, pour Masters, du caractère scientifique de l’hypothèse de l’état de nature compatible avec différentes réalisations des principes. Cf. Starobinski in Rousseau (1964 [1755]) : 1330 ; Id. in Rousseau (1995 [1781]) : CCII-CCIII ; Derrida (1967) : 272 ; Masters (1968) : 37-53, 136-146 ; Goldschmidt (1974) : 337-341

161Rousseau (1959 [1777]) : 933

162Charrak (2013) : 30-55

163Charrak (2013) : 34-35

164Rousseau (1964 [1755]) : 167

historique. Dès l’état de nature, la somme des histoires individuelles constituent l’histoire de l’espèce. L’action des hommes entre eux ne peut dès lors être rapportée à un caractère organique des associations humaines. La particularité de la machine ingénieuse humaine ne disqualifie pas le caractère universel des cris inarticulés émis par le corps-machine. En revanche, leur compréhension ne peut totalement s’expliquer par immédiateté instinctive. A l’instar de l’animal condillacien, de la statue du Traité des sensations ou encore des deux enfants de l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, l’homme naturel rousseauiste doit, pour comprendre les cris de la nature et leur conférer le statut de signe, avoir lui-même connu des circonstances semblables représentant les limites de l’autonome et conduisant à l’émission de tels cris inarticulés. L’institution, au sens d’élaboration inconsciente, des signes naturels requiert dès lors un processus d’identification particulier à l’homme se reflétant dans ce qui doit être considéré comme une pitié plus tout à fait naturelle mais pas encore sociale, une pitié de « l’homme de l’homme »165 naturel.

De la pitié naturelle, répugnance à voir souffrir autrui et frein à l’amour de soi, l’homme naturel conserve le côté immédiat, viscéral, de l’identification à autrui :

[L]a commiseration sera d’autant plus énergique l’animal Spectateur s’identifiera plus intimement avec l’animal souffrant : Or il est évident que cette identification a dû être infiniment plus étroite dans l’état de Nature que dans l’état de raisonnement. C’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la réflexion qui le fortifie ; C’est elle qui replie l’homme sur lui-même ; c’est elle qui le sépare de tout ce que le gêne et l’afflige : C’est la Philosophie qui l’isole ; c’est par elle qu’il dit en secret, à l’aspect d’un homme souffrant, peris si tu veux, je suis en sûreté. (Rousseau (1964 [1755]) : 155-156)

Le caractère pré-raisonnable de la pitié naturelle est ce qui garantit l’immédiateté de l’identification. Dépourvue de réflexion, la machine ingénieuse, bien qu’autonome, ne se replie pas volontairement sur elle-même puisqu’elle ne saurait être sujette à l’amour-propre issu de la comparaison. C’est donc à travers une communauté du sentir que se fonde l’identification aux autres machines ingénieuses. Une telle identification reflète l’unité du système naturel, les relations entre les animaux grégaires étant un cas d’unité particulière dans l’unité générale de la nature. Alors que la pitié naturelle, conformément à l’idéal d’autonomie de fonctionnement des machines ingénieuses garantissant le caractère immuable de l’état de nature, est source d’inaction, elle peut néanmoins conduire à l’action à travers ce sentiment d’unité reliant les composantes du système naturel. Ainsi, la pitié naturelle « porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir »166. La pitié naturelle revêt le rôle de

165Starobinski (1971) : 344

166Rousseau (1964 [1755]) : 156

« voix de la nature »167 dirigeant les actions des machines ingénieuses dans une relation subtile avec le principe d’amour de soi.

L’homme naturel semble alors bien loin de la pitié sociale telle que décrite dans l’Essai sur l’origine des langues :

Les affections sociales ne se dévelopent en nous qu’avec nos lumières. La pitié, bien que naturelle au cœur de l’homme resteroit éternellement inactive sans l’imagination qui la met en jeu. Comment nous laissons-nous émouvoir à la pitié ? En nous transportant hors de nous-mêmes ; en nous identifiant avec l’être souffrant. Nous ne souffrons qu’autant que nous jugeons qu’il souffre ; ce n’est pas dans nous, c’est dans lui que nous souffrons.

Qu’on songe combien ce transport suppose de connoissances acquises ! Comment imaginerois-je des maux dont je n’ai nulle idée ? comment souffrirois-je en voyant souffrir un autre si je ne sais pas même qu’il souffre, si j’ignore ce qu’il y a de commun entre lui et moi ? Celui qui n’a jamais réfléchi ne peut être ni clement ni juste ni pitoyable : il ne peut pas non plus être méchant et vindicatif. Celui qui n’imagine rien ne sent que lui-même ; il est seul au milieu du genre humain. (Rousseau (1995 [1781]) : 395-396)

Incapable de comparer, dépourvu de réflexion, l’homme naturel est renvoyé à une amoralité en adéquation avec l’idéal d’autonomie de la machine ingénieuse. Pourtant, la liberté définissant l’homme et la perfectibilité toujours déjà en acte conduisent l’homme naturel à une identification à autrui distincte de celle impliquée par la pitié naturelle et proche de ce que

Incapable de comparer, dépourvu de réflexion, l’homme naturel est renvoyé à une amoralité en adéquation avec l’idéal d’autonomie de la machine ingénieuse. Pourtant, la liberté définissant l’homme et la perfectibilité toujours déjà en acte conduisent l’homme naturel à une identification à autrui distincte de celle impliquée par la pitié naturelle et proche de ce que