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Effet réversif de l’évolution vs. Désélection de la sélection naturelle

Linguistique darwinienne 1

2.3. La désélection de la sélection naturelle

2.3.1. Effet réversif de l’évolution vs. Désélection de la sélection naturelle

Tort, dans un souci de conciliation entre Marx et Darwin353, veut faire de ce dernier le penseur matérialiste de la morale354. Le mécanisme de l’effet réversif de l’évolution355, présent dans tous ses ouvrages mais auquel L’effet Darwin est consacré, représente l’instrument théorique lui permettant d’accomplir son programme de matérialisation de la morale à travers la figure de Darwin. Selon Tort, la théorie darwinienne est trop souvent dévoyée et accusée de toutes les dérives de la perspective éliminative356. Pour Tort, la raison en est simple, non seulement l’œuvre de Darwin, et notamment La filiation de l’homme, n’est que rarement lue, mais, en plus, lorsqu’elle est lue, ce n’est que sous le prisme de préjugés, d’attentes théoriques et/ou idéologiques357. Ainsi, La filiation de l’homme ne suffit pas à distinguer la théorie darwinienne de toutes les perspectives pouvant être grossièrement rattachée au darwinisme social initié par Spencer et ne permet pas non plus de faire apparaître clairement l’opposition, pourtant radicale, de Darwin à l’eugénisme de Greg et Galton358.

Nous adhérons complètement, jusqu’ici, à l’analyse historico-critique proposée par Tort.

Toutefois, il nous semble que l’instrument théorique de l’effet réversif de l’évolution est non seulement insuffisant pour éviter le dévoiement de la pensée de Darwin, mais qu’il repose de plus sur les mêmes bases ayant permis ce dernier. En effet, Tort affirme, d’une part, que Darwin n’a écrit qu’un seul livre, le Big Book, dont chacun de ses ouvrages de synthèse ne représente qu’un chapitre et dont L’origine des espèces est le résumé, et, d’autre part, que le naturaliste n’a prouvé qu’une seule thèse, à savoir le slogan du darwinisme, la descendance

352Tort (2008)

353Tort (2011), Darwinisme et marxisme

354Tort (2008) : 8-9, 86-87, 147-205 ; Id. (2010a [2005]) : 70-74 ; Id. (2010b) : 69-82 ; 160-162.

355Ce principe est prôné par Tort depuis 1980

356Tort (2008) : 29-31 ; Id. (2010a [2005]) : 67-86 ; Id. (2010b) : 63-152.

357Tort (2008) : 9, 29-31.

358 La question de l’eugénisme est à recouper avec celle des races et de la conviction monogéniste de Darwin.

Desmond & Moore (2010 [2009]) ; Tort (2008) : 54-74 ; Id. (2010b) : 101-152 ;

avec modification au moyen de la sélection naturelle359. En d’autres termes, Tort ne prend pas en considération le fait que L’origine des espèces ne représente qu’une strate restreinte de la pensée darwinienne et ce parce qu’il adhère, en définitive, à l’unification de la pensée darwinienne autour de la sélection naturelle. La mise en évidence de la perspective panchronique à travers l’éthologie darwinienne contredit l’orientation théorique générale privilégiée par Tort. L’effet réversif de l’évolution ne peut donc ni reconnaître l’importance du champ de l’inutile, ni mettre en évidence le caractère anti-adaptatif de son expansion, et préserve, nous le verrons, la sélection naturelle en postulant la possibilité d’un changement de mode opératoire de cette dernière.

La position de Tort concernant la sélection naturelle, et l’orientation de la théorie darwinienne de manière générale, présente le double avantage de ne pas reposer sur des principes contestés (et plus particulièrement le lamarckisme), ce qui permet un dialogue plus apaisé avec les scientifiques et les philosophes des sciences, ainsi que de ne pas imposer de rupture idéologique entre l’homme et l’animal360. A la logique de la rupture, Tort préfère celle de l’inversion, de l’effet de rupture :

[E]ntre animaux sociaux inférieurs (insectes) et animaux sociaux supérieurs (singes, hommes) s’opère une inversion significative : chez les premiers, la structure variante sélectionnée l’est pour l’avantage immédiat d’un agrégat communautaire peu différencié. La communauté ressemble à un individu, et l’individu à une partie non autonome de cet individu. Tandis que chez les seconds, chez lesquels l’individu est à la fois plus indépendant et plus autonome, la structure variante sélectionnée est porteuse d’un avantage immédiatement et principalement individuel, qui toutefois rejaillit secondairement sur la communauté par le biais de la génération et de la lutte externe. On en déduit qu’une société d’animaux supérieurs, pour survivre en tant que telle malgré l’individualité croissante de ses membres, devra inventer d’autres moyens de survie que la sélection d’avantages directement individuels (qui éloigneraient de la sociabilité) ou d’avantages immédiatement communautaires (qui rapprocheraient d’une société d’insectes). Ces moyens appartiendront au registre des « facultés mentales », dont nous verrons que l’avantage ne concerne plus directement l’individu naturel, mais la communauté sociale (…).

Autrement dit, l’avantage communautaire supérieur exige la médiation croissante de l’intelligence et de la volonté réfléchie. (Tort 2008 : 52)

Tort identifie clairement le hiatus entre animaux sociaux inférieurs et animaux sociaux supérieurs. Ceux-ci sont considérés par Darwin dans La filiation de l’homme tandis que ceux-là ont été étudiés dans L’origine des espèces. La distinction de degré, et non d’essence, entre ces deux catégories du règne animal est illustrée par les différentes causes du comportement social. Ainsi, les animaux sociaux inférieurs sont entièrement déterminés par leur structure et leur comportement social peut être entièrement reconduit à la logique du two-step process, suivant alors l’argumentation synchronique du septième chapitre de L’origine des espèces. En revanche, les animaux sociaux supérieurs n’adoptent leur comportement social qu’à travers

359Tort (2008) : 9-10.

360 Tort pense ici aux thèses défendues par Conry et Lecourt qui reconnaissent une rupture entre la science de L’origine des espèces et l’idéologie de La filiation de l’homme. Conry (1983) ; Tort (2008) : 89.

une pression sélective sur les facultés mentales, la simple variation structurelle n’étant dès lors plus une cause suffisante. L’inversion évolutionnaire, l’effet de rupture, le changement de mode opératoire de la sélection naturelle s’initie donc à la jonction entre animaux sociaux inférieurs et animaux sociaux supérieurs :

Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportement sociaux anti-éliminatoires – donc anti-sélectifs au sens que revêt le terme de sélection dans la théorie développée par L’origine des espèces –, ainsi, corrélativement, qu’une éthique anti-sélectionniste (=anti-éliminatoire) traduite en principes, en règles de conduite et en lois. L’émergence progressive de la morale apparaît donc comme un phénomène indissociable de l’évolution, et c’est là une suite normale du matérialisme de Darwin et de l’inévitable extension de la théorie de la sélection naturelle à l’explication du devenir des sociétés humaines. Mais cette extension, que trop de théoriciens, abusés par l’écran tissé autour de Darwin par la philosophie évolutionniste de Spencer, ont interprétée hâtivement sur le modèle simpliste et faux du "darwinisme social" libéral (application aux sociétés humaines du principe de l’élimination des moins aptes au sein d’une concurrence vitale généralisée), ne peut en toute rigueur s’effectuer que sous la modalité de l’effet réversif, qui oblige à concevoir le renversement même de l’opération sélective comme base et condition de l’accessibilité à la "civilisation". C’est ce qui interdit définitivement qu’une sociobiologie triviale, qui défendrait au contraire, et à l’opposé de toute la logique anthropologique de Darwin, l’idée d’une continuité simple (sans renversement) entre nature et société, puisse à bon droit se réclamer du darwinisme.

L’opération réversive est ainsi ce qui fonde la justesse finale de la distinction entre nature et culture, en évitant le piège d’une "rupture" magiquement installée entre ses deux termes : la continuité évolutive, à travers cette opération de renversement progressif liée au développement (lui-même sélectionné) des instincts sociaux, produit de cette manière non pas une rupture effective, mais un effet de rupture qui provient de ce que la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des "faibles", l’emportant, parce qu’avantageuse, sur sa forme ancienne, qui privilégiait leur élimination. L’avantage nouveau n’est plus alors d’ordre biologique : il est devenu social. (Tort 1996 : 1335)

L’effet réversif de l’évolution apparaît comme une arme adaptationniste contre les excès de la perspective sélectionniste. La sélection naturelle s’applique aux sociétés morales humaines.

Toutefois, contrairement à ce que Tort qualifie de « sociobiologie triviale », le principe unificateur de l’évolution se transforme avec l’émergence et le développement de la morale.

Les instincts sociaux sélectionnés selon le two-step process à travers le déplacement de la pression sélective du physique au mental, proposition reprise de Wallace par Darwin361, conduisent à la sélection de communautés unies pour lesquelles la protection des faibles a été substituée à la survie du plus apte. La sélection naturelle et la perspective adaptationniste subsistent, l’avantage au sein de la lutte pour l’existence a simplement changé, de l’égoïsme à l’altruisme, de la force à la faiblesse, du biologique au social. La sélection naturelle se soumet à elle-même, son mode opératoire éliminatoire est alors remplacé par un mode opératoire conservateur débouchant sur une « élimination de l’élimination »362. Bien qu’une simple continuité entre nature et société est infirmée, la dichotomie entre nature et culture n’est pas simplement réaffirmée. Il n’y a ni continuité simple, ni rupture. C’est ici que se joue toute la

361Darwin (1874) : 127

362Tort (2008) : 93

dialectique du renversement, représenté analogiquement par l’anneau de Möbius363. La distinction de degré entre l’animal et l’homme, nécessaire au continuisme gradualiste darwinien, trouve dans l’effet réversif de l’évolution une explication adaptationniste pouvant rendre compte du hiatus entre nature et culture.

Plusieurs aspects de la théorie de l’effet réversif de l’évolution sont en adéquation avec notre perspective anti-adaptationniste. Plus généralement, le résultat de l’effet réversif de l’évolution semble superposable à celui de la désélection de la sélection naturelle complétant l’expansion du champ de l’inutile364. En effet, l’élimination de l’élimination semble identique à la désélection de la sélection naturelle et conduit bel et bien à la généralisation des comportements anti-adaptatifs. Notre désaccord avec l’interprétation de Tort ne se joue pas sur le résultat obtenu mais sur le processus débouchant sur ce résultat. Afin de mettre en lumière la distinction entre l’effet réversif de l’évolution et la désélection de la sélection naturelle, il est nécessaire de suivre l’argumentation de Darwin dans La filiation de l’homme au sujet de l’émergence de la morale. Cette question est particulièrement importante puisqu’elle représente ce qu’il reste du propre de l’homme dans la perspective continuiste gradualiste darwinienne.

L’homme est la seule espèce morale car, selon Darwin, seul un être humain possède des facultés mentales suffisamment élevée lui permettant de comparer ses actions et ses motifs d’action passés et futurs ainsi que de pouvoir porter un jugement de valeur sur ceux-ci365. Cette logique du propre de l’homme, si elle doit s’inscrire dans la perspective continuiste gradualiste, n’est que temporaire, voire même illusoire. Temporaire puisque, Darwin l’affirme, tout animal doté d’instincts sociaux voyant ses facultés mentales se développer pourrait être capable de développer une morale, non nécessairement semblable à celle commune à l’espèce humaine366. Illusoire car, conformément à la zoologie anthropomorphique caractéristique de La filiation de l’homme, les animaux non-humains présentent tous les caractères nécessaires à l’émergence de la morale, certains se voyant même attribuer une certaine instance de morale par le naturaliste367. L’évolution ne se fait pas en direction de l’homme368, ce qui nous permet d’emblée de critiquer la nécessité, ressentie

363Tort (2008) : 93-108

364Tort (2008) : 100-101

365Darwin (1874) : 111

366Darwin (1874) : 98

367Il est intéressant de noter que cette morale animale concerne avant tout les chiens, ou les animaux ayant des rapports proches avec l’homme. A travers la zoologie anthropomorphique, seuls les comportements de tels animaux peuvent être jugés comme étant moraux. Darwin (1874) : 103 ; Townshend (2009)

368Rappelons à ce titre la méfiance de Darwin face à la figure de l’arbre. Hoquet (2009) : 151-158

par Tort, de conserver la dichotomie entre nature et culture, bien que cette dernière soit comprise dans la continuité à travers un effet de rupture. En effet, le comportement culturel, au sens entendu par Tort, à savoir le comportement non éliminatoire, nous semble toujours déjà présent dans le vivant animé, et est particulièrement bien illustré non pas par les instincts sociaux369, éventuellement reconductibles au two-step process et au modèle de l’insecte social, mais par d’autres qualités sociales identifiables chez de nombreuses espèces, à travers le prisme de la zoologie anthropomorphique, comme par exemple l’amour ou la sympathie.

C’est par ces qualités sociales, que Darwin ne reconduit pas systématiquement à l’instinct, que certains comportementaux sociaux, altruistes voire même sacrificiels, sont explicables370. De même, c’est avant tout pour cause de sympathie que l’opinion d’autrui est prise en considération dans le comportement social humain. Le parallèle entre une motivation du comportement social par la sympathie chez l’animal non-humain et chez l’homme permet de reconnaître l’importance du champ de l’inutile, lieu des comportements anti-adaptatifs, et plus précisément de la négociation, ouverte dans la sélection sexuelle371 et utilisée à travers le contrôle de l’expression des émotions. La possibilité d’une détermination culturelle, encore une fois comprise au sens de non éliminatoire donné par Tort, du comportement social est reconnue pour l’animal par Darwin au même titre qu’une détermination parfaitement éliminatoire, ou naturelle si nous reprenons les termes de Tort :

It is, however, impossible to decide in many cases whether certain social instincts have been acquired through natural selection, or are the indirect result of other instincts and faculties, such as sympathy, reason, experience, and a tendency to imitation; or again, whether they are simply the result of long-continued habit. (Darwin 1874 : 107)

Une objection subsiste cependant ; la perspective non éliminatoire peut être reconduite non pas au champ de l’inutile mais à l’effet réversif de l’évolution, restant ainsi dans le champ de l’utile, dans le programme adaptationniste.

La reconduction de la perspective non éliminatoire à la sélection naturelle, à l’instar de ce que propose Tort à travers l’effet réversif de l’évolution, repose sur une acception restreinte de la motivation et de la définition du comportement social. La possibilité du sentiment moral émerge, selon Darwin, lorsque des facultés mentales élevées rencontrent les instincts sociaux

369 Darwin donne toutefois une potentielle explication de l’origine des instincts sociaux, ces derniers provenant du plaisir reçu au nourrisson à travers l’amour parental dont l’origine est, cette fois, tout à fait mystérieuse mais reconductible à la sélection naturelle. Darwin (1874) : 105-106.

370Darwin (1874) : 103-104, 109-110

371 Soulignons que Tort a une lecture bien différente de la sélection sexuelle comme première instance de sacrifice altruiste voyant déjà se jouer l’effet réversif de l’évolution. Cf. Tort (2008) : 124-128

et permettent un véritable calcul conduisant à la satisfaction d’une tendance instinctive au détriment d’une autre :

A man cannot prevent past impressions often repassing through his mind; he will thus be driven to make a comparison between the impressions of past hunger, vengeance satisfied, or danger shunned at other men's cost, with the almost ever-present instinct of sympathy, and with his early knowledge of what others consider as praiseworthy or blameable. This knowledge cannot be banished from his mind, and from instinctive sympathy is esteemed of great moment. He will then feel as if he had been baulked in following a present instinct or habit, and this with all animals causes dissatisfaction, or even misery. (…)

At the moment of action, man will no doubt be apt to follow the stronger impulse; and though this may occasionally prompt him to the noblest deeds, it will more commonly lead him to gratify his own desires at the expense of other men. But after their gratification, when past and weaker impressions are judged by the ever-enduring social instinct, and by his deep regard for the good opinion of his fellows, retribution will surely come. He will then feel remorse, repentance, regret, or shame; this latter feeling, however, relates almost exclusively to the judgment of others. He will consequently resolve more or less firmly to act differently for the future; and this is conscience; for conscience looks backwards, and serves as a guide for the future. (Darwin 1874 : 113-114, nous soulignons)

Deux catégories d’instincts s’opposent. D’une part les instincts égoïstes, immédiats ; d’autre part les instincts sociaux, durables. Or, la satisfaction d’un instinct procure du plaisir tandis que son insatisfaction est accompagnée d’un sentiment désagréable372. Lorsque deux instincts contraires s’affrontent, le plus pressant est certainement privilégié. Darwin ne voit dès lors aucune raison pour que les instincts sociaux soient préférés aux instincts égoïstes de subsistance, excepté dans deux cas bien distincts. Le premier est celui, développé dans le septième chapitre de L’origine des espèces, de la sélection communautaire applicable dans le cadre de la perspective synchronique. Le second est, semble-t-il, réservé à l’homme et réclame le calcul des instincts avant tout influencé par la prise en considération de l’opinion d’autrui issue de l’importance que revêt la qualité sociale de sympathie. Certes, la préférence donnée à la satisfaction des instincts sociaux peut être instinctivée373 ; toutefois, le problème principal auquel Darwin est confronté est de rendre compte de l’émergence d’une telle habitude. C’est sur ce point précis que la perspective adaptationniste conduit à commettre deux erreurs, ou du moins deux simplifications. Ainsi, Tort semble-t-il réduire la morale à l’interdiction de « l’élimination violente du semblable »374 et affirmer que la supériorité morale garantit le succès dans le cadre de la lutte intercommunautaire. L’avantage adaptatif de la morale serait ainsi prouvé. La perspective non éliminatoire rentrerait dès lors, grâce à l’effet réversif de l’évolution, sous le giron de la sélection naturelle. Il est aisé de trouver des passages du cinquième chapitre de La filiation de l’homme confirmant, à première vue, une telle interprétation. Toutefois, cette dernière est bien trop réductrice et ne tient pas compte

372Darwin (1874) : 98, 100, 104-105, 113, 116, 120-121, 125, 611

373Darwin (1874) : 115-116

374Tort (2008) : 72

d’importantes subtilités de l’argumentation darwinienne. La lutte entre les communautés humaines est abordée par Darwin dans deux cas distincts. Premièrement, des luttes interviennent entre les communautés proto-humaines débouchant, puisque le sens moral définit l’homme, sur l’hominisation375. Soulignons que, dans ce cas, ce ne sont que les instincts sociaux les plus basiques, permettant l’altruisme, le sacrifice, qui sont sélectionnés.

Deuxièmement, des luttes intercommunautaires interviennent après l’hominisation, entre des communautés qui peuvent donc déjà être considérées comme morales. L’histoire regorge d’exemples et la disparition de nombreux peuples autochtones sous la pression colonisatrice est contemporaine à Darwin. Or, contrairement à ce qu’affirme Tort, le sens moral ne semble pas être la cause de la domination des colons et, s’il intervient, ce n’est que parce qu’il a rendu possible, dans sa forme la plus rudimentaire, le développement des communautés unies pouvant atteindre un niveau avancé d’arts et techniques376. De même, face à l’histoire, la sélection naturelle, basée sur l’état du développement du sens moral, semble perdre de sa toute-puissance explicatrice377. L’acquisition du sens moral, passé le stade rudimentaire de l’hominisation, n’est donc pas déterminante dans la lutte entre les différentes communautés humaines.

Le rattachement d’une perspective non éliminatoire au programme adaptationniste, à travers l’effet réversif de l’évolution, subit ici un premier revers. Une seconde erreur inhérente à une telle perspective, et d’ailleurs commune à toute explication adaptationniste, est constatable dans la trop grande importance conférée à la sélection de groupe comme cause du développement, initial, du sens moral dans la théorie darwinienne. Il est alors étonnant de voir Richards, qui a si bien illustré les différentes strates de la pensée darwinienne, s’accorder avec Ruse sur l’importance de la sélection de groupe dans l’émergence des sociétés morales378. Privilégier la sélection de groupe comme cause de l’origine et du développement du sens moral revient à penser l’homme, et avec lui tout le vivant animé, sur le modèle de l’insecte social, moyennant un passage de la sélection communautaire (les individus

Le rattachement d’une perspective non éliminatoire au programme adaptationniste, à travers l’effet réversif de l’évolution, subit ici un premier revers. Une seconde erreur inhérente à une telle perspective, et d’ailleurs commune à toute explication adaptationniste, est constatable dans la trop grande importance conférée à la sélection de groupe comme cause du développement, initial, du sens moral dans la théorie darwinienne. Il est alors étonnant de voir Richards, qui a si bien illustré les différentes strates de la pensée darwinienne, s’accorder avec Ruse sur l’importance de la sélection de groupe dans l’émergence des sociétés morales378. Privilégier la sélection de groupe comme cause de l’origine et du développement du sens moral revient à penser l’homme, et avec lui tout le vivant animé, sur le modèle de l’insecte social, moyennant un passage de la sélection communautaire (les individus