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Balance commerciale du meuble en milliards de francs

2.2. L’exemple des Meubles Gautier

2.2.2. L’Externalisation de la fonction transport

Jusqu’au début des années 80, la logistique était totalement intégrée. Chauffeurs et véhicules étaient la propriété de Gautier.

À l'époque, il n'y avait pas sur le marché, des structures de transporteurs fortes. Il y avait beaucoup de petits transporteurs, mais pas de structures d'un transporteur comme Girard ou Guisnel aujourd'hui qui effectivement aurait pu offrir une prestation globale à l'identique. Donc, nous étions maîtres de notre portefeuille de commandes, de notre logistique. Ça veut dire un poids commercial vis-à-vis de nos clients, une sûreté dans la réponse téléphonique client, une exactitude et une fiabilité logistique à toute épreuve. On en était totalement satisfait. Ça, c'était il y a 15-20 ans. Il y a eu beaucoup de révolutions dans le monde du transport qui ont fait que si les coûts logistiques étaient, disons, absorbables assez facilement autrefois, ils ont quand même

quelque part explosés. Non seulement les frais de personnels, mais également les frais de gasoil, de véhicules, et ainsi de suite.... donc, l'entreprise s'est recentrée sur son cœur de métier en disant « la logistique fait partie des choses qui peuvent sans

problème être externalisées ». Ça c'était dans les années 82-85.

Matériau 6 : Responsable Expéditions, GAUTIER, sur l'externalisation de l'activité transport

Le choix de l’externalisation résulte du coût considérable que représente la réalisation du transport en compte propre en termes d’achats de tracteurs et de semi-remorques qui venaient pénaliser la capacité d’investissement de l’entreprise à un moment où la mécanisation des machines de production était particulièrement importante pour relancer l’activité. La situation économique difficile, qui s’est traduite par le rachat de la société dans les années 80, aura finalement eu raison de l’argument commercial que constituait le contrôle de sa chaîne de distribution.

C'était un choix économique également puisque que nous, nos véhicules qui partent reviennent à vide. Alors qu'un transporteur, il reprend de la marchandise. Nous, on n'a pas le droit. Nous on revient à vide. Donc, ce sont des coûts tout de même bien supérieurs. Et un transporteur qui a une centaine de véhicules, va optimiser son parc beaucoup plus que nous. Donc, là aussi, chacun son métier. Après, quand on voit la législation du transport, le temps de travail des chauffeurs et tout ça, beh, c'est un autre métier. Ou alors, il faudrait avoir une société de transport, à l'intérieur du groupe. C'est un choix qui a été fait à l'époque, il est possible qu'un jour on reprenne des véhicules.

Matériau 7 : N. Paillat, directeur de la distribution physique, Meubles Gautier, à propos de l'externalisation

M. Paillat met l’accent ici sur les transformations qu’a connues le secteur de transport routier de marchandises. Ces transformations ont fait du métier de transporteur une activité spécifique demandant des compétences particulières, justifiant ainsi l’externalisation par des raisons techniques en plus des raisons purement économiques liées aux coûts engendrés par ce métier. L’activité transport de l’entreprise a été externalisée en deux fois : la première, au moment de la restructuration avec 50% du parc. La seconde moitié s’est faite de manière plus continue en fonction des départs des chauffeurs (démissions, retraites, reclassements…). Aujourd’hui, l’entreprise ne possède plus que trois véhicules pour une centaine expédiée chaque semaine. L’externalisation du transport a donc permis de basculer l’intégralité des investissements sur la modernisation de l’appareil productif. Toutefois, et afin de ne pas perdre le contrôle des livraisons, le choix de la location a été majoritairement privilégié. L’entreprise loue des véhicules et des chauffeurs à des sociétés locales spécialisées dans la location, dégageant ainsi Gautier de la recherche de fret pour les retours. Ce choix permet également de ne pas avoir à s’occuper du matériel tout en gardant la mainmise sur

l’organisation des flux de livraison. Ces transformations ont ainsi changé le métier du service Distribution Physique de l’entreprise :

Nous (le service distribution physique) ne sommes plus transporteurs. Notre rôle n'est pas d'être transporteur. Notre rôle, c’est l’organisation de la logistique, mais on n'est plus transporteur.

Matériau 8 : Directeur de la distribution physique, Meubles Gautier, sur le rôle du service distribution depuis l'externalisation

Aujourd’hui, Gautier expédie 15 000 colis par jour dans le monde entier et emploie une vingtaine de fournisseurs de transport. Parmi ces transporteurs, seulement deux ne sont pas des loueurs. Comme le précise ce responsable, le rôle de son service est aujourd’hui « d’organiser la logistique » avec ses transporteurs. Pour les loueurs, la problématique est relativement simple puisque, dès lors que Gautier loue un véhicule et un chauffeur, ceux-ci deviennent de manière indirecte « leur propriété» pour le temps de la livraison :

Nous avons deux types de transporteurs radicalement différents : Girard, est une entreprise de transport de meubles spécialisés dans le meuble. Girard, fait de la massification c'est-à-dire que lui va récolter les meubles fabriqués une semaine chez les différents fabricants de la région. Il massifie sur ses quais, organise des tournées, économiques pour lui, et redistribue. Avec des meubles effectivement à emballer, non emballés, sous couvertures… Donc, c'est un spécialiste du meuble, mais fait pour redistribuer du détail. Par contre, nous ce que l'on fait avec nos 19 autres transporteurs, on affrète un véhicule, un ensemble avec un chauffeur et on organise les tournées de livraison c'est-à-dire que nous prenons les rendez-vous chez les clients. On organise la tournée, et on suit les tournées de A à Z. On maîtrise totalement cette partie de notre logistique.

Matériau 9 : Directeur des Expéditions, sur les deux types de transporteurs

Un salarié du service expédition va plus loin :

Girard il ne roule pas sur la France pour nous.... enfin si, tout ce qu'on ne peut pas livrer. : L’Angleterre, l'Espagne ... Il fait tout ce que nous, on ne peut livrer avec nos camions.

Matériau 10 : Christophe, responsable des stocks depuis 30 ans, lapsus sur la location

Ces propos (« avec nos camions ») illustre merveilleusement le sentiment des salariés du service distribution quant à leur mainmise sur les flux de livraison avec la location. La location permet en effet la maîtrise quasi totale de leur distribution. On comprend que ce n’est pas le cas pour « le détail ». Ce « détail » contient ce qui ne rentre pas dans « leurs » propres tournées de livraison : le surplus pour des zones qu’ils livrent, des commandes pour des départements isolés et l’export dans les pays européens. Ce « détail » correspond aujourd’hui à près de 20 % des expéditions de la marque. En remettant cette marchandise à un spécialiste du meuble, leurs colis se retrouvent noyés parmi ceux d’autres clients, parfois concurrents.

L’entreprise perd alors le contrôle de sa logistique. La problématique est de récupérer un certain niveau de contrôle sur l’organisation logistique des livraisons à ses clients, de manière à être en mesure d’apporter des solutions aux différents problèmes rencontrés. Pour reprendre l’expression utilisée dans notre détour théorique, il s’agit in fine de construire un cadre d’échange favorisant les interactions. Le directeur de l’administration des ventes et de la distribution illustre notre propos :

On est en contact permanent parce que c’est toujours un problème commun. […] Parce qu’avoir des soucis en logistique, ça on sait très bien qu’on est obligé d’en avoir. Par contre, on souhaite avoir, de la part de nos partenaires, les moyens adéquats nous permettant ensemble de trouver une solution.

Matériau 11 : Directeur de l'Administration des ventes et de la distribution, sur les problèmes et solutions communs

Perdre le contrôle sur sa logistique/transport en l’externalisant implique alors de mettre en place les « moyens adéquats » permettant au chargeur et à son transporteur de travailler ensemble à la résolution des événements qui surviendront nécessairement. C’est tout l’enjeu de la relation entre les chargeurs et les transporteurs routiers spécialistes du meuble.

A l’origine, le recours aux Transports Girard (devenu depuis Groupe Girard) n’avait pour but que de résoudre un problème de tournées désoptimisées. Les Meubles Gautier livraient alors par le biais de la location de véhicules avec conducteurs (forme organisationnelle très proche du transport en compte propre) de faibles volumes dans des départements très éloignés comme la Corse. Le groupe Girard pratiquant le groupage à partir de 30 ou 40 fabricants par tournée, il était plus facile et surtout moins coûteux pour les Meubles Gautier de leur confier leur marchandise. Le réel développement de la relation avec les transports Girard remonte au moment de la reprise par P. Girard (le fils aîné de M. Girard, fondateur de la société TG dans les années 60) de l’entreprise Transport Girard à son père. Le fils aîné a développé l’entreprise de son père à un stade plus industriel avec, dans un premier temps, la recherche active de nouveaux clients puis les rachats de plusieurs de ses concurrents, permettant de développer la gamme de prestations proposées par le Groupe, de mettre en place le groupage et la massification ainsi que d’investir dans des outils informatiques modernes, notamment de suivi des marchandises. Les activités de chaque entreprise se développant parallèlement, les deux parties ont rapidement compris l’intérêt d’une collaboration plus étendue. Ainsi, l’entreprise Girard a saisi l’opportunité de se développer à l’international en accompagnant Gautier et d’autres fabricants dans leur développement à l’export en Espagne, au Portugal, en

Italie, au Benelux, en Suisse et en Angleterre. La pratique du groupage et des filiales situées aux quatre coins de la France ont par la suite facilité cette croissance. L’activité d’exportation représente aujourd’hui environ 20% des expéditions du Groupe Girard et devrait augmenter à l’avenir avec l’internationalisation de la production et des flux. Dans ces transformations, les questions de transport et de logistique continueront à représenter des enjeux centraux du fonctionnement de ces systèmes de plus en plus éclatés.