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Le design de la recherche

2. Le choix de l’étude de cas pour décrire, expliquer et proposer

2.4. L’étude de cas à travers l’étude de situations de gestion comme unités d’analyses

S’intéresser aux questions de la coopération et de la coordination entre individus de sociétés partenaires nécessite, comme le souligne CONEIN et JACOPIN [1994, p.482], de mener « une analyse située du travail en équipe [conduisant] à modifier la notion même de

coopération et à montrer qu’il existe un continuum entre tâches individuelles et tâche menées à plusieurs qui passent par des modalités complexes de coordination liées à la dynamique des interactions ». La manière dont a été conduite l’étude de cas s’est fortement inspirée de

l’approche ethnosociologique définie comme « une démarche ethnographique de simple

observation participante des actes de la vie quotidienne, afin de percevoir et de révéler les procédures à l’œuvre, sans pour autant avancer des hypothèses préalables à l’étude de terrain » [DOSSE (1995) cité par WACHEUX, F., 2005, p.18]. Une telle démarche permet

d’accéder à l’expérience vécue par les acteurs en situation, de réintroduire l’histoire et ainsi de rendre intelligible les comportements. C’est pour cela que nos unités d’analyses sont constituées d’études de situations de gestion au sens de GIRIN [1990].

La notion de « situation de gestion » de GIRIN [1990] reprend les travaux en pragmatique et

en sociologie interactionniste52, en les prolongeant à l’analyse des entreprises et la question

centrale de la performance. Pour GIRIN, « une situation de gestion se présente lorsque des

participants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » [GIRIN, J., 1990, p.142,

soulignement de l'auteur]. Les participants sont ceux directement concernés par le jugement. Des individus peuvent intervenir dans la situation et jouer un rôle dans la réalisation de l’activité, sans pour autant être des acteurs de la situation. La réunion des participants peut se faire dans un espace physique donné (une salle de travail par exemple) mais peut également être davantage virtuelle par le biais de chaîne d’acteurs interconnectés par des médias (courrier, téléphone, système d’information). Le temps est celui du calendrier, de l’agenda, de l’échéance. Le résultat correspond au produit (au sens large) de l’activité des participants : c’est ce qui est jugé au terme du temps imparti à la réalisation de l’activité. C’est en quelque

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sorte la performance du travail qui est donc plurielle par définition (un chiffre, une qualité, un comportement, une relation, etc.). Enfin, le jugement du résultat est le fait d’une instance extérieure, ce qui pose la question de qui juge : la direction du transporteur ? le client ? le destinataire ? Et s’il s’agit du client, comment s’y prend-il ? Quels sont ses leviers d’action ? La situation de gestion doit être vue comme « une réaction collective à un impératif » [GIRIN, J., 1990, p.144]. Il faut également retenir que les situations de gestion sont nombreuses, emboîtées, sécantes et ses participants peuvent très bien intervenir dans plusieurs d’entre elles. On retrouve dans cet outil méthodologique la définition des collectifs entrevus dans la revue de la littérature sur les compétences collectives. Plus précisément c’est l’idée que l’événement va révéler un collectif qui variera en fonction des caractéristiques de la situation en cours. Selon ZARIFIAN [1995, p.30], « l’événement est donc un fait indécidable,

singulier, imprévisible, important en lui-même, et immanent à la situation, qui vient troubler un mouvement supposé linéaire et qui introduit à une nouvelle appréhension du temps ». Si la

standardisation du travail est bien présente, la transformation du travail est telle qu’elle ne peut suffire. L’auteur considère ainsi que le travail se réorganise autour de l’événement et conduit à modifier la manière de le réaliser puisqu’il place en son cœur la subjectivité des individus et ainsi, leur capacité à interagir pour le résoudre. L’événement crée la situation et révèle les mécanismes de coordination.

Dans sa thèse de doctorat, JOURNÉ [1999] propose de rapprocher la notion d’étude de cas telle que définie par YIN [2003] et celle d’étude de situations de gestion. JOURNÉ suggère en effet de considérer l’étude de situations comme une sous-catégorie de l’étude de cas [JOURNÉ, B., 1999, JOURNÉ, B. et RAULET-CROSET, N., 2004]. YIN définit l’étude de cas comme « une étude empirique qui poursuit l’étude d’un phénomène empirique

contemporain dans son contexte réel ; lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte ne sont pas évidentes ; et dans laquelle des sources multiples de preuves sont utilisées. » La

recherche menée, qui s’appuie sur l’analyse de situations de gestion, répond à ces différents critères puisqu’il s’agit d’une étude empirique (salles d’exploitation de transporteurs routiers) traitant d’un problème concret (la question de la coordination des relations interfirmes entre opérateurs). Le phénomène étudié est contemporain et a été observé dans son contexte réel sans recours à la simulation ou à l’expérimentation. Les frontières du phénomène sont également mal définies et ont fait l’objet de choix. Enfin, un croisement de données de différentes natures a été réalisé afin de saisir le phénomène.

Analyser le fonctionnement des relations interorganisationnelles à travers leurs dimensions langagières implique, comme le propose notamment WEICK, de travailler en plan rapproché et de creuser en profondeur (« getting closer », « digging deep »[cité par KOENIG, G., 2003]). La notion de « situation de gestion » proposée par GIRIN [1990] et développée par JOURNÉ et RAULET-CROSET [2004] constitue le concept méthodologique qui permet de centrer le travail de recueil de données et d’analyse. Pour JOURNÉ et RAULET-CROSET [2004], l’apport essentiel de GIRIN est d’avoir rapproché la notion de situation de gestion de celle de performance. Les participants sont réunis et la communication joue un rôle important dans la coordination entre les participants. Les situations s’opposent aux grandes bureaucraties traditionnelles où régularité et standardisation des tâches sont de mise. Les situations sont singulières, car en perpétuelle évolution et parce qu’elles renvoient à ce dont chacun, individuellement, est conscient à un moment donné. Dès lors, une situation ne sera pas forcément perçue de la même manière selon les individus. Cette singularité pose problème car elle se heurte à la rationalisation classique des organisations tournées vers la recherche de productivité. Cependant, elle peut permettre en même temps de trouver de nouvelles voies de rationalisation en termes de conception et d’innovation. Cette nouvelle rationalisation doit modifier les systèmes d’évaluation de la performance organisationnelle ainsi que la définition des responsabilités des acteurs. JOURNÉ et RAULET-CROSET [2004] introduisent un principe de rationalité contingente locale et interrogent ainsi le rôle de la communication dans l’acte productif. Malgré son caractère éphémère, la situation possède des caractéristiques de permanence et de continuité. Le dispositif organisationnel permet alors d’articuler la continuité et la rupture. La situation est par essence individuelle car elle renvoie à une prise de conscience par un individu d’un problème qui débouchera sur un processus d’enquête pour comprendre ce qui s’est passé. Pourtant, le concept de situation est lié à la notion d’intelligence collective et d’action collective. Comment alors penser et observer le passage de l’individuel au collectif ? En s’intéressant à l’activité communicationnelle des acteurs. Les pages qui suivent indiquent que la réponse à cette question ne peut faire l’économie d’un travail important d’observation en situation des échanges langagiers et des objets physiques et discursifs qui les cadrent, et de réalisation d’entretien pour comprendre les significations des événements suivis.

Conclusion de la section 2

Nous avons opté pour une stratégie de recherche basée sur l’étude de cas afin d’étudier en profondeur le phénomène empirique contemporain que constitue la question de la

coordination des relations interorganisationnelles. Un mode de raisonnement abductif a été privilégié pour étudier la qualité des interactions entre opérateurs sur le secteur de l’ameublement. L’étude de cas constitue ici une étude multiple intégrant plusieurs niveaux d’analyse : individu/objet, collectif, organisationnel et interorganisationnel. Le cas est

instrumental car il doit permettre de nourrir et d’affiner les recherches sur le fonctionnement

des relations interorganisationnelles ainsi que sur les théories de la communication, en les interrogeant à la lumière des observations effectuées. Il est également intrinsèque car il s’agit d’un secteur relativement clos, avec des règles de fonctionnement particulières, et qui fait face à des transformations importantes. L’étude repose sur l’analyse de situations de gestion comme unité d’analyse. La section suivante présente le dispositif de récolte des données empiriques.