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La méthodologie de recherche retenue traduit notre volonté de nous situer au plus près du terrain. Notre positionnement, de nature constructiviste, n’est pas neutre quant à la nature du design mis en œuvre tout au long de ce travail de thèse [ROYER, I. et ZARLOWSKI, P., 1999]. Cette première section développe l’équation personnelle du chercheur (1.1.), le parcours de recherche (1.2.) et enfin l’évolution de la problématique tout au long de ce dernier (1.3.).

1.1. L’équation personnelle du chercheur

« L’équation personnelle » de SARDAN [1995, p.79, cité par JOURNÉ, B., 1999, p.185] joue beaucoup dans les périodes d’imprégnation :

« Le chercheur de terrain observe et interagit sans y prêter attention, sans avoir

l’impression de travailler, et donc sans prendre de notes, ni pendant, ni après. […] Il mange, bavarde, papote, plaisante, drague, joue, regarde, écoute, aime, déteste. En vivant, il observe malgré lui en quelque sorte, et ces observations-là sont « enregistrées » dans son inconscient, son subconscient, sa subjectivité, son « je », ou ce que vous voudrez. Elles ne se transforment pas en corpus et ne s’inscrivent pas dans le carnet de terrain. Elles n’en jouent pas moins un rôle indirect mais important, dans cette « familiarisation » de l’anthropologue avec la culture locale, dans sa capacité à décoder, sans à la fin y prêter même attention, les faits et gestes des autres, dans la façon dont il va quasi machinalement interpréter telle ou telle situation. »

Si l’équation personnelle a joué un rôle important dans notre imprégnation du terrain, elle a également posé une difficulté importante : si la familiarisation au terrain tend à rendre les interprétations du chercheur « machinales », comment peut-il rester éveillé, surpris par ce qu’il observe ? Nous avons essayé de résoudre cette difficulté en nous confrontant à d’autres sociétés de transports et de fabrication de meubles, ainsi qu’en utilisant une méthodologie rigoureuse : l’étude de cas [YIN, R.K., 2003, p.17]. La méthodologie a en effet pour but d’annuler, ou en tout cas de limiter au maximum l’effet de cette équation personnelle. Le critère de reproductibilité des résultats suppose la parfaite substituabilité des chercheurs au

regard de la méthode et du terrain. L’objectif de ce chapitre est alors de fournir les moyens de la critique [JOURNÉ, B., 1999].

1.2. Parcours de recherche

Le travail de recherche effectué a consisté en de fréquents allers-retours entre les faits et les idées, entre le terrain et la théorie, nous éloignant d’un itinéraire séduisant organisé à l’avance avec une succession d’étapes planifiées et réalisées. Beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales nous ont mis en garde contre la tentation de suivre de trop près un design de recherche prévu à l’avance [BECKER, H.S., 2002, GIORDANO, Y., 2003, GIRIN, J., 1989, WACHEUX, F., 2005]. Ainsi GIRIN [1989] propose une métaphore en lien avec la navigation maritime pour illustrer le chemin « opportuniste » qu’est amené à suivre le chercheur en gestion :

« à la racine du mot opportunisme, se trouve le mot portus, port. Ce mot désigne

donc une manière d’arriver au port, pas toujours par le chemin que l’on prévoyait de suivre, pas toujours dans le temps prévu, et même, quelques fois, pas dans le port où l’on pensait se rendre. C’est une question de navigation, et le bon marin est opportuniste, tenant compte de ce qui se passe, acceptant de se dérouter, faisant parfois demi-tour, saisissant aussi les occasions d’aller plus vite lorsque le vent et la mer le permettent. Le marin, comme on sait, est aussi scrupuleusement méthodique, ne laissant rien au hasard que strictement sa part, et contrôlant tout ce qu’il peut contrôler. La navigation, en bref, ne se fie pas purement à l’intuition : c’est une technique perfectionnée, qui met en œuvre des instruments et des savoirs élaborés. »

Avec cette métaphore, GIRIN met l’accent sur deux éléments centraux des recherches de terrain : l’opportunisme et la méthode. Deux façons de mener une recherche, a priori opposées, mais qu’il s’agit justement d’arriver à articuler et à doser afin de conduire une recherche qui soit à la fois riche en données et rigoureuse dans son procédé.

Le premier contact avec les Transports Girard remonte au mois de mars 2003 [ARNAUD, N., 2003] lorsque nous recherchions une entreprise afin de réaliser notre mémoire de Diplôme d’Etudes Approfondies. Nous nous sommes alors tournés vers le secteur du transport routier de marchandises pour trois raisons : tout d’abord, parce que nous avions réalisé un stage de maîtrise de deux mois au sein d’une filiale d’un grand groupe européen de logistique et de

transport frigorifique en remplacement du contrôleur de gestion ; ensuite, car ce stage a constitué une véritable découverte d’un univers spécifique, ayant subi de profondes mutations ces dernières années ; enfin, parce que le secteur du transport était encore un domaine d’activité peu étudié alors même qu’il constitue un secteur en plein développement. Dans le cadre de ce mémoire de DEA, nous nous sommes intéressés à l’évolution des modes de contrôle et de coordination au sein d’un terrain d’étude concret, constitué par l’entreprise Transports Girard, durant près de trois mois. En étudiant, de façon exploratoire, les modes de contrôle et de coordination du travail au sein de la salle d’exploitation d’une entreprise de transport routier de marchandises, nous nous étions volontairement concentrés sur les mécanismes internes à l’entreprise sans réellement prendre en compte l’influence de l’extérieur (principalement des clients fabricants et destinataires) sur le comportement de l’exploitant et sa manière de rationaliser son action. L’exploitant se trouve en interaction avec de nombreux individus ayant des statuts divers, que ce soit au sein de l’entreprise (personnel des différents services) ou en dehors (destinataires, fabricants, sous-traitants). Ces interactions sont apparues prépondérantes et semblaient fortement structurer le comportement des exploitants. Ainsi, le rôle joué par la médiation de l’échange entre opérateurs internes et opérateurs externes est apparu comme un facteur de coordination du travail, non seulement au sein même de la salle d’exploitation, mais également avec l’extérieur. Ces résultats avaient fait l’objet d’une restitution auprès de membres du service exploitation national et de leur directeur d’exploitation. Il semblait donc intéressant d’étudier dans le prolongement de ce travail de DEA la réelle influence jouée par les opérateurs externes sur la rationalisation du travail des exploitants, afin d’atteindre les buts de rentabilité et de qualité assignés par l’entreprise. Nous avons observé que cette relation était potentiellement porteuse de contrôle sur le comportement des exploitants, et que, dès lors, une partie du contrôle organisationnel à la charge de la direction était en quelque sorte transférée vers les clients, puisque ceux-ci valident et contrôlent les actions des exploitants. Suite à ce constat, il semblait important de se tourner vers les questions de coordination des relations interorganisationnelles. Le fait que l’entreprise étudiée venait d’installer un système d’information interorganisationnel visant à simplifier l’échange de données avec ses clients, renforçait l’intérêt pour ce terrain de recherche.

1.3. Evolution de la problématique et design de la recherche

Le projet de recherche présenté au sein de notre laboratoire en début de thèse, avait pour première formulation la question de recherche suivante : De quelle manière la coordination

interfirmes se réalise-t-elle dès lors qu’elle est de la responsabilité quotidienne des opérateurs ? L’hypothèse centrale sur laquelle nous nous appuyons alors était de considérer

que, loin d’avoir absorbé toutes interactions humaines, les TIC, les avaient modifiées, les rendant d’autant plus complexes qu’elles se seraient recentrées sur les situations les plus ambiguës et les plus incertaines, donc les plus délicates à gérer. Dès lors, la communication interpersonnelle doit être analysée comme un élément essentiel à la gestion quotidienne des relations interfirmes, et il revient à l’organisation de la promouvoir. Les présentations ultérieures réalisées devant le Cercle Doctoral Européen de Gestion (CDEG) ou au sein de notre laboratoire, le Centre de Recherche en Gestion de Nantes Atlantique (CRGNA), ont participé à l’évolution de la réflexion. Loin d’avoir oublié notre point de départ, nous l’avons développé, en ne nous limitant pas à une position centrée sur le rôle d’un système d’information interorganisationnel, mais au contraire en élargissant notre réflexion sur le rôle coordinateur de la parole, et plus largement à la dimension organisante de la communication. Il s’agissait alors de montrer son rôle dans la construction d’un cadre commun d’échange permettant le bon fonctionnement des relations interorganisationnelles selon une dynamique temporelle. A la lueur de cette analyse, il est dès lors permis de discuter le rôle du SIIO et de le considérer davantage comme un support de l’action collective. Le design de la recherche est ainsi résumé dans le tableau ci-dessous.

Tableau 5 : Le design de la recherche [adapté de DEMERS, C., 2003, p.186]