• Aucun résultat trouvé

1. Cartographie des approches des relations interfirmes

1.2. La coopération comme mode de coordination des relations interfirmes

Les travaux de WIILIAMSON viennent en rupture des analyses classiques de la firme, notamment avec la prise en compte des capacités cognitives limitées des individus. À la différence des théoriciens de l’agence qui considèrent que le contrat constitue un système d’incitation permettant de prévenir les comportements opportunistes (dans le cas contraire, il serait fait appel à l’appareil judiciaire), WIILIAMSON pose les bases avec le contrat bilatéral à une véritable étude de la coordination des relations interorganisationnelles. Les travaux de RICHARDSON et d’AOKI viennent alors en complément. Ces auteurs s’intéressent davantage aux éléments organisationnels de la coordination.

1.2. La coopération comme mode de coordination des relations interfirmes

Depuis l’article fondateur de RICHARDSON [1972], toute une série de travaux tente d’imposer les relations interfirmes comme objet bien spécifique d’étude, en s’appuyant sur une approche dite organisationnelle. La régulation des échanges interfirmes n’est alors plus seulement expliquée par les mécanismes du prix ou de la confiance, mais par des mécanismes organisationnels. La première partie revient sur les travaux de RICHARDSON qui font de la coopération une forme à part entière de coordination des relations interfirmes aux côtés du marché et de la hiérarchie (1.2.1.). La seconde montre la manière dont cette forme de coordination peut être source d’une quasi-rente relationnelle (1.2.2.).

1.2.1. Richardson ou les débuts de l’étude de la coopération comme forme à part entière de coordination

RICHARDSON [1972], tout comme WILLIAMSON, s’est intéressé à la question de la répartition des activités dans une économie donnée. Dans cet article, il remet en cause la dichotomie marché/firme, proposée par COASE [1937] puis reprise par WILLIAMSON [1975, 1994] dans sa théorie des coûts de transaction. Pour RICHARDSON [1972], la coopération interentreprises constitue un mode de coordination alternatif au marché et à la firme, c'est-à-dire aux modes de coordination spontanée et planifiée, chers à l’école classique. RICHARDSON trouve deux limites à ces deux types principaux de coordination. Premièrement, cette dichotomie évince de l’analyse toute une partie des relations

interentreprises9 basées sur la coopération. Ensuite, RICHARDSON observe que le principe

central de la théorie standard de la firme qui sépare la coordination par le marché et la

coordination par la firme n’est pas expliqué10.

La théorie standard fait abstraction des rôles de l’organisation, du savoir, de l’expérience et des compétences dans son analyse de la coordination interentreprises. RICHARDSON [1972] construit son analyse sur les notions d’activité et de capacité. L’entreprise est constituée d’activités diverses représentant différentes phases du processus de production et s’appuie sur des capacités appropriées, c’est-à-dire des savoirs, des expériences et des compétences permettant le fonctionnement de l’entreprise. Selon Richardson, les entreprises se spécialiseront dans les activités pour lesquelles leurs capacités leur offrent des avantages comparatifs, s’appuyant sur la veille idée de RICARDO [1966] de la spécialisation des pays. L’auteur parle alors de similitude des activités. Mais RICHARDSON considère que des activités peuvent être complémentaires, c'est-à-dire des activités représentant différentes phases d’un processus de production nécessitant d’une manière ou d’une autre d’être coordonnées. Dans ce cas, les activités dites complémentaires doivent être coordonnées à la fois quantitativement et qualitativement. Trois types de coordination sont proposés : la direction, la coopération et les transactions de marché. Le mode de coordination requis dépend de la nature des activités examinées à l’aune des critères de similitude. La direction

9

“… the dense network of co-operation and affiliation by which firms are inter-related ” [RICHARDSON, G.B., 1972, p.883]

10 “Our simple picture of the capitalist economy was in terms of a division of labour between the firm and the

market, between coordination that is planned and coordination that is spontaneous. But what then is the principle of this division? ” [RICHARDSON, G.B., 1972, p.883]

sera requise pour coordonner des activités complémentaires et semblables. Elle est utilisée « quand les activités sont d’une part soumises à un contrôle unique et d’autre part intégrées

dans un plan cohérent » [FOURNIER, M., 1999, p.95]. Les activités complémentaires, mais

non semblables devront être coordonnées ex ante par des accords de coopération et ex post par des transactions de marché. La coopération consiste donc pour deux ou plusieurs organisations indépendantes à s’entendre en vue d’harmoniser leurs plans de production. Chez RICHARDSON, la coopération s’entend comme une relation stable entre au moins deux parties, qu’il s’agisse d’alliance (entre concurrents) ou de partenariat (de type client/fournisseur). Le marché sera le mode de coordination des activités qui n’ont pas besoin d’être harmonisées ex ante par une coordination délibérée des plans correspondants.

Au final, RICHARDSON considère bien trois formes de coordination : le marché, la firme et la coopération interentreprises. Pour autant, l’auteur semble indiquer, selon BAUDRY [1995], qu’il faudrait davantage parler « d’un continuum » entre ces trois types de coordination. Quoi qu’il en soit, s’il revient à COASE [1937] d’avoir imposé la firme comme objet d’étude pertinent pour l’analyse économique, on retiendra de RICHARDSON la reconnaissance de la coopération interfirmes comme objet d’étude.

Proposition 2 :

Il s’agit d’étudier cette « harmonisation » des plans de production. L’analyse des interactions langagières entre les opérateurs de firmes partenaires doit permettre de comprendre et de mettre à jour la construction de cette harmonisation, de ce cadre d’échanges. Étudier l’harmonisation des plans de chacun, c’est étudier le rôle de l’organisation dans le processus de coopération soit les outils, les procédures, les contrats, la constitution des équipes et toutes les parties du système de coopération.

1.2.2. La coopération, source de création de valeur

En comparant les caractéristiques des entreprises américaines et japonaises, AOKI [1991] considère non seulement que la coopération constitue un réel mode de coordination entre le marché et la firme, mais également que cette coopération est productrice d’une « quasi-rente relationnelle », c'est-à-dire des bénéfices économiques spécifiques à la firme J (pour Japonaise), résultant de la coordination et des modalités de la coopération entre l’entreprise productrice et son ou ses sous-traitant(s). C’est cela qu’AOKI appelle des quasi-rentes relationnelles. Elles naissent de l’efficacité spéciale, au plan de l’information, des relations

contractuelles et de la coopération des opérateurs au sein du groupe de sous-traitants [AOKI, M., 1988, p.218]. AOKI démontre ainsi la supériorité de la coopération interfirmes sur le marché et l’internalisation. S’il apparaît extrêmement pertinent de considérer l’organisation même de la relation – horizontale ou verticale -, son fonctionnement concret n’a été jusqu’alors que peu étudié en situation réelle de travail. C’est bien l’objectif de ce travail d’en proposer un éclairage.

Dans ces travaux, AOKI met en avant l’importance de la durée de la relation et de la mise en place d’un espace de coordination entre les parties à l’échange permettant aux individus de se mettre d’accord beaucoup plus rapidement, de manière horizontale, que dans le cadre d’une relation hiérarchique. Dans ce modèle, « les gains tirés de la spécialisation des activités

opérationnelles sont sacrifiés, car une partie du temps et de l’énergie des unités d’exécution doit être distraite pour permettre l’acquisition de nouvelles informations (par effet d’apprentissage) ainsi que pour communiquer et négocier dans le cadre des efforts de coordination » [AOKI, M., 1991, p.4]. BAUDRY [1995, p.36] traduit cette opposition en ces

termes : « cette idée revient à dire que la relation avec les fournisseurs n’est pas –

nécessairement – un jeu à somme nulle dans lequel l’un ne gagne qu’au dépend de l’autre, mais une relation ou les deux peuvent gagner ». Pour AOKI, dans une relation de long terme,

chacune des parties est amenée à disposer d’une bonne connaissance technologique de l’autre, et un marchandage sur le prix a moins de chance d’apparaître. Une relation sur la durée aurait pour conséquence d’installer un état de coopération entre les parties en évitant toute manifestation d’un quelconque comportement opportuniste de l’une des parties au motif qu’une telle conduite serait susceptible d’interrompre la relation entraînant ainsi une perte de savoir-faire et par là un coût non recouvrable pour les parties. D’autre part, la durée de la relation permet un processus d’apprentissage continu. Ainsi, parallèlement aux développements de compétences internes spécifiques, la firme J déploie des « compétences

relationnelles spécifiques » [ASANUMA, B., 1989] en co-développant des innovations. Il

s’agit de la compétence requise de la part du fournisseur pour répondre aux besoins spécifiques du client. Cette compétence, explique ASANUMA, est constituée de deux couches : un niveau de surface qui correspond aux connaissances accumulées à travers les différentes transactions avec une firme donnée, et un niveau basic qui correspond aux

capacités technologiques générales11. Toutefois, à la différence de WILLIAMSON qui se focalise sur l’investissement d’actifs particuliers, ASANUMA porte son attention sur l’accumulation de savoir-faire par les individus des parties menant la relation.

AOKI et ASANUMA sont rejoints par EVERAERE [1993, p.187, notre soulignement], qui considère que « partant de la nécessité d’un fonctionnement décloisonné, interactif ou

intégré, il nous semble essentiel de mettre l’accent sur les processus par lesquels les décisions doivent être prises en concertation avec les prestataires ou les acteurs concernés ». La thèse

de WILLIAMSON est ainsi renversée puisque la transaction, alors entendue comme l’élément central sur lequel repose la capacité d’initiative locale et la coordination horizontale entre les parties prenantes, devient la clé de voûte du fonctionnement de la relation interorganisationnelle. Il s’agit alors de la développer et de l’intensifier, et non pas de la considérer comme un coût à réduire. Cette interaction est de plus à la base « d’un processus

d’apprentissage collectif dans le sens où c’est la confrontation progressive des contributions de chacun qui permet à tous de découvrir des problèmes ou des opportunités dont aucun ne peut avoir une connaissance globale préalable au projet » [EVERAERE, C., 1993,

p.189-190].

La durée ne peut constituer une condition suffisante et sine qua non à l’apparition d’une quasi-rente. La durée d’une relation ne pourra en effet obliger les partenaires et les personnes constituant ce partenariat à s’impliquer dans la relation, et donc à développer ces transactions. Il est de la responsabilité du management, dans sa capacité à penser plus largement

l’organisation générale du travail et du fonctionnement de ces relations

interorganisationnelles, de le faire.

Proposition 3:

Il est possible de mettre en lumière les conditions d’existence d’une quasi-rente relationnelle avec certains clients à travers l’étude de l’implication des individus dans la construction quotidienne de la coopération.

11 “The skill always consists of two layers : the surface layer which corresponds to accumulated learning

acquired through transactions with a given core firm, one the on hand, and the basic layer which corresponds to general technological capabilities, on the other.” [ASANUMA, B., 1989, p.21]