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L’exigence de la protection d’un intérêt légitime suffisant

3. DEUXIÈME PARTIE Droits fondamentaux et Parquet européen

3.1. TITRE PREMIER Les droits fondamentaux en droit pénal européen

3.1.1. CHAPITRE PREMIER Les droits fondamentaux de droit pénal matériel

3.1.1.2. L’exigence de la protection d’un intérêt légitime suffisant

Dans les cas où le législateur européen se reconnaît une compétence en matière pénale, il ne peut exercer cette compétence qu’en vue de protéger des intérêts fondamentaux. Le contrôle de l'existence d'un intérêt légitime suffisant est donc fondamental afin de vérifier si l'adoption de l'instrument pénal est nécessaire pour réglementer et sanctionner ces infractions.

Cette exigence, qui n'est réglementée ni dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ni dans la CEDH, découle, en droit européen, du principe de proportionnalité́313. Il y a été affirmé que ce n’est que « lorsqu’une disposition pénale tend à protéger un tel intérêt, particulièrement important, qu’elle peut poursuivre un objectif légitime et être conforme aux exigences de proportionnalité́ ». Le législateur européen pourrait donc exercer sa compétence en matière pénale seulement dans le cas où il vise a protéger des intérêts fondamentaux (1) reconnus par le droit primaire de l’Union, (2) qui ne sont en contradiction ni avec les traditions constitutionnelles des Etats membres ni avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, (3) et dont la méconnaissance cause un trouble particulièrement grave a la société́314. L'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne constitue, comme l'article 5 du TUE, le fondement juridique du principe. Le droit a la liberté personnelle, dont une personne peut être dépourvue a la suite d'une condamnation pénale, peut être limité seulement si sont respectées les conditions prévues a l'article 52, al. 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En particulier, il est établi que « Toute limitation de l'exercice des droits et 312Voy. CJUE, Silvio Berlusconi, Sergio Adelchi e Marcello Dell'Utri e a., C-387/02, C-391/02, C-403/02, du 3 mai 2005, cit., points 68-69. Voy. a cet égard également les conclusions de l'Avocat Général Mme Julian Kokott présentées le 14 octobre 2004, ECLI:EU:C:2004:624.

313Voy. EUROPEAN CRIMINAL POLICY INITIATIVE (éds.), Manifesto sulla politica criminale europea, Zeitschrift f ür Internationale Strafrechtsdogmatik, [disponible en ligne: http://www.zis-online.com/dat/artikel/2009_12_383.pdf], 2009, 8, p. 697.

314 Voy. a cet égard EUROPEAN CRIMINAL POLICY INITIATIVE (éds.), Manifesto sulla politica criminale europea, Zeitschrift für Internationale Strafrechtsdogmatik, [disponible en ligne: http://www.zis-online.com/dat/artikel/2009_12_383.pdf], 2009, 8, p. 738.

libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité́, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement a des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui »315.

Cette interprétation est aussi confirmée par la Commission dans la proposition de directive relative a la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal, où la Commission affirme que : « La présente proposition a des effets sur les droits et principes suivants de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne: le droit a la liberté́ et le respect de la vie familiale (en cas de condamnation de l'auteur d'une infraction a une peine d'emprisonnement), la liberté́ professionnelle et la liberté́ d'entreprise (en cas d'interdiction d'exercer imposée a la personne condamnée), le droit de propriété́ (en cas de condamnation a fermer l'entreprise a l'origine des infractions, d'amendes pénales a la suite d'une condamnation et de confiscation), la légalité́ et la proportionnalité́ des délits (du fait de nouvelles définitions d'infractions) et le droit à ne pas être jugé deux fois pour une même infraction (en raison de l'interaction avec les régimes de sanctions administratives). Ces interférences sont justifiées parce qu'elles visent à répondre a des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union (voir article 52, paragraphe 1, de la Charte) et, en particulier, a fournir des mesures effectives et dissuasives pour la protection des intérêts financiers de l'UE »316.

La définition des intérêts fondamentaux qui méritent protection au niveau européen au moyen du droit pénal, qui a été adoptée par les auteurs du Manifeste pour une politique criminelle européenne adhère a la théorie du « bien juridiquement protégé » (Rechtsgutslehre)317, selon laquelle l'objectif du droit est de protéger un bien juridique digne de protection pénale (Rechtsgut)318.

Les intérêts fondamentaux qui sont protégés au niveau européen sont ceux qui ressortent de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou des traités et qui sont objets des politiques européennes, telles que l'environnement, les marchés de capitaux, les intérêts financiers européens, la sécurité au travail ou la propriété intellectuelle319.

315Voy. article 52, al. 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

316Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative a la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal, COM(2012) 363 final, le 11.7.2012, {SWD(2012) 195 final}, {SWD(2012) 196 final}, p. 8. Dans la proposition mentionnée, la Commission souligne également que « Compte

tenu de l'absence d'ameliorations en ce qui concerne les niveaux des fraudes et irregularites et de l'inefficacite des mesures actuellement en vigueur en vertu de la convention PIF, il est necessaire d'adopter des mesures de droit penal pour prevenir et combattre la fraude et les agissements illegaux qui s'y rapportent. On a soigneusement veille à ce que ces mesures n'excèdent pas ce qui est necessaire pour atteindre cet objectif et à ce qu'elles soient proportionnees ».

317Voy. M. BOSE, The Principle of Proportionality and the Protection of Legal Interests (Verhältnismäßigkeit und Rechtsgüterschutz), European Criminal Law Review, 2011, 1, p. 37.

318Voy. HASSEMER, NEUMANN, in Nomos Kommentar zum StGB, Vol. 1, 3 éd., 2010, du paragraphe 1 n° 108 et s., 146 et s.; ROXIN, C., Strafrecht Allgemeiner Teil Band I: Grundlagen. Der Aufbau der Verbrechenslehre, 4 éd., 2006, paragrafo 2 n. 1 et s.; RUDOLPHI, in Systematischer Kommentar zum StGB, 13 Supplement 1990, du paragraph 1 n° 2.

Dans la détermination des intérêts fondamentaux protégés au niveau européen, il faut établir, en premier lieu, si ces intérêts se limitent a ceux expressément réglementés dans les actes de droit primaire. A moins que la sanction par la voie du droit pénal englobe également comportements portant atteinte aux intérêts compatibles avec les intérêts prévus dans les Traités, mais ne sont pas expressément règlementés.

En deuxième lieu, il n'est pas toujours aisé de déterminer quels intérêts doivent être considérés comme fondamentaux et lesquels, au contraire, ne servent que d’instruments pour atteindre les objectifs des politiques européennes320.

En ce qui concerne la possibilité d'anticiper le seuil de protection des intérêts fondamentaux européens, le Conseil a établi que « Les dispositions pénales devraient se focaliser sur les comportements causant un préjudice réel ou menaçant gravement le droit ou l'intérêt essentiel qui fait l'objet de la protection, en d'autres termes, elles doivent éviter d'ériger en infraction un comportement a un stade trop précoce. Un comportement laissant seulement supposer l'existence d'un danger abstrait auquel serait exposé le droit ou l'intérêt protégé́ ne devrait être érigé́ en infraction que si cela est approprié́ compte tenu de l'importance particulière que revêt le droit ou l'intérêt faisant l'objet de la protection »321.

Les activités criminelles doivent donc être punies seulement si elles affectent concrètement le bien juridique protégé par la disposition pénale ; le danger abstrait de nuire au bien juridique protégé peut être puni seulement dans le cas où l'anticipation du seuil de protection soit nécessaire pour protéger l'important bien juridique qui est objet de protection.

La législation européenne a surtout prévu l'anticipation du seuil de protection a une phase antérieure, en prévenant la menace terroriste. Le législateur européen a donc favorisé l'adoption des mesures destinées a éviter les dommages, a détecter au plus tôt le risque et a intervenir pour l’éviter ou le limiter. Ces mesures ne visent pas a supprimer les causes mais a éviter la réalisation du risque. Ces mesures concernent la détection, la surveillance, et la prévention immédiate du risque ou des dommages qu’il peut constituer ; ces mesures agissent donc sur la capacité du risque a se réaliser. Les auteurs du Manifeste sur la politique pénale européenne estiment a ce propos que la

décision-atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal, COM(2012) 363 final, le 11.7.2012, {SWD(2012) 195 final}, {SWD(2012) 196 final}. Voy. aussi Ν. BITZILEKIS, M. KAIAFA-GBANDI, E. SYMEONIDOU-KASTANIDOU, Theorie der genuinen europäischen Rechtsgüter, in B. SCHUNEMANN (éd.), Ein Gesamtkonzept für die europäische Strafrechtspflege, 2006, pp. 222 et s.; R. HEFENDEHL, Europäisches Strafrecht: bis wohin und nicht weiter, Zeitschrift für Intrnationale Strafrechtsdogmatik, 2006, pp. 214 et s.; R. SICURELLA, Diritto penale e competenze dell’Unione europea. Linee guida di un sistema integrato dei beni giuridici sovrannazionali e dei beni giuridici di interesse comune, Milano, 2005.

320Voy. a cet égard, M. BOSE, The Principle of Proportionality and the Protection of Legal Interests (Verhältnismäßigkeit und Rechtsgüterschutz), cit., p. 38; M. KAIAFA-GBANDI, The Importance of Core Principles of Substantive Criminal Law for a European Criminal Policy Respecting Fundamental Rights and the Rule of Law, cit., p. 16.

321Conclusions du Conseil relatives a des dispositions types permettant d'orienter les négociations menées par le Conseil dans le domaine du droit pénal, 2979ème session du Conseil, Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 30 novembre 2009, point 5.

cadre relative a la lutte contre le terrorisme prévoit des incriminations, qui « recouvrent toutefois des comportements qui se trouvent très en amont de la réalisation d’actes de terrorisme. L’Union européenne contraint ainsi les Etats membres a adopter des dispositions pénales destinées exclusivement à prévenir certains risques. Des personnes pourront être poursuivies pour en avoir incité d’autres a concevoir un projet criminel ou pour avoir soutenu une telle conception. Cet élargissement en amont du champ de la répression, à un moment où il n’y a encore aucune mise ne danger (ni concrète ni abstraite) d’une personne ou d’un bien, n’est pas compatible avec le principe européen de proportionnalité́, en tant que principe directeur de la politique criminelle. Il est impossible de soutenir que la répression d’un comportement qui ne présente aucun danger présent pour un intérêt protégé́ est nécessaire »322.

Comme l'a souligné l'Avocat Général dans l'affaire Spasic, le législateur européen, en conclusion, pourra donc adopter une législation pénale qui limite le droit a la liberté personnelle des personnes seulement après avoir évalué si la législation pénale est la plus adéquate en l'espèce et si les mesures adoptées sont proportionnées aux objectifs qu'il veut atteindre323. En particulier, conformément a l'article 52, al. 1 de la Charte, en premier lieu, des limitations des droits fondamentaux consacrées par la Charte sont autorisées sous réserve qu’elles soient prévues par la loi et respectent le contenu essentiel des droits et libertés concernés.

En deuxième lieu, il est nécessaire de vérifier si ces limitations sont soumises a un critère de proportionnalité. À cet égard, « il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante de la Cour, que les actes des institutions de l’Union soient aptes a réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire a la réalisation de ces objectifs »324. En vertu du principe de l'ultima ratio, en effet, un acte juridique imposant le recours a la répression pénale peut être considéré́ comme « nécessaire » au sens du principe européen de proportionnalité́ seulement s’il n’y a pas d’autre moyen plus doux de protéger les intérêts fondamentaux325. Il convient a cet égard de rappeler que dans le cas où le législateur européen ne respecte pas ces principes, la Cour de justice pourra vérifier la conformité de l'acte européen adopté avec le droit européen et, en

322Voy. EUROPEAN CRIMINAL POLICY INITIATIVE (éds.), Manifeste pour une politique criminelle européenne, Zeitschrift für Internationale Strafrechtsdogmatik, [disponible en ligne: http://www.zis-online.com/dat/artikel/2009_12_383.pdf], 2009, 8, p. 720, a propos de la Décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative a la lutte contre le terrorisme, JO L 330 du 9.12.2008, p. 21–23.

323Voy. les conclusions de l’Avocat Général Niilo Jääskinen presentées le 2 mai 2014 n° C-129/14 PPU, Zoran Spasic, ECLI:EU:C:2014:739, paragraphes 79-109. L’arrêt de la Cour de justice est du 27 mai 2014. Voy. aussi a cet égard, CJUE, WebMindLicenses Kft. c. Nemzeti Adó- és Vamhivatal Kiemelt Adó- és Vam Főigazgatósag, n° C-419/14, 17 décembre 2015, ECLI:EU:C:2015:832, paragraphe 70, 80-82.

324Voy. les conclusions de l’Avocat Général Niilo Jääskinen présentées le 2 mai 2014 n° C-129/14 PPU, Zoran Spasic, ECLI:EU:C:2014:739, paragraphe 91.

particulier, avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne326.