• Aucun résultat trouvé

Garanties procédurales des suspects et personnes poursuivies

3. DEUXIÈME PARTIE Droits fondamentaux et Parquet européen

3.2.2. CHAPITRE DEUXIÈME Garanties procédurales, protection des données à caractère personnel et contrôle juridictionnel

3.2.2.1. SECTION PREMIÈRE Garanties procédurales, protection des données à cara- cara-ctère personnel

3.2.2.1.1 Garanties procédurales des suspects et personnes poursuivies

L'adoption de règles spécifiques, ayant trait aux garanties procédurales des suspects et personnes concernées par les procédures du Parquet européen, demeure essentielle tant a la légitimité qu’a la compatibilité du règlement instituant ledit Parquet par rapport au droit européen. En effet, la protection des droits fondamentaux apparaît comme une condition essentielle pour tout instrument européen501. Par conséquent, même si l'article 86, al. 3 du TFUE n'établit pas expressément que le règlement instituant le Parquet européen doit fixer les règles concernant la portée des droits conférés aux suspects et aux personnes poursuivies, les garanties procédurales de ces personnes doivent être régies par le règlement instituant le Parquet européen502.

La proposition de règlement de la Commission de 2013 prévoit, en général, que le Parquet européen « veille à ce que ses activités respectent les droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »503 et consacre un chapitre complet aux garanties procédurales des suspects et des personnes poursuivies ainsi que d’autres personnes concernées504. Toutefois, la proposition de règlement ne traite pas expressément des garanties procédurales applicables a ces personnes, mais se contente d'un renvoi aux définitions inscrites dans d'autres instruments législatifs.

L'article 32 de la proposition de règlement de la Commission établit que « Les activités du Parquet européen sont exercées dans le respect total des droits des personnes soupçonnées consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Toute personne soupçonnée et poursuivie impliquée dans la procédure engagée par le Parquet européen jouit, au minimum, des droits procéduraux énumérés ci-après, tels 501Voy. a cet égard l'article 6 du TUE et la première partie de cette deuxième partie.

502Voy. l'article 86, al. 3 du TFUE, qui prévoit : « Les règlements vises au paragraphe 1 fixent le statut du Parquet

europeen, les conditions d'exercice de ses fonctions, les règles de procedure applicables à ses activites, ainsi que celles gouvernant l'admissibilite des preuves, et les règles applicables au controle juridictionnel des actes de procedure qu'il arrete dans l'exercice de ses fonctions ».

503Voy. article 11, al. 1 de la proposition de règlement de la Commission. Cette disposition précise un concept qui est évidente. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne elle-même précise que « Les dispositions de la

presente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarite, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En consequence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformement à leurs competences respectives et dans le respect des limites des competences de l'Union telles qu'elles lui sont conferees dans les traites » (article 51, al. 1).

qu’ils sont prévus dans la législation de l’Union et le droit interne de l’État membre »505. La disposition énumère les droits réservés a toute personne lorsque celle-ci est impliquée dans une procédure engagée par le Parquet européen. Cette énumération se réfère aux directives adoptées pour la mise en œuvre de la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales du 30 novembre 2009506. En dehors de ces droits, la Commission définit également de manière autonome d’autres droits sur lesquels l’Union n’avait pas encore légiféré́507. L'article 32, al. 5 de la proposition de règlement de la Commission établit également que sans « préjudice des droits prévus au présent chapitre, les suspects et les personnes poursuivies ainsi que les autres personnes concernées par les procédures du Parquet européen jouissent de tous les droits procéduraux que le droit interne applicable leur accorde »508.

Les droits procéduraux sont donc réglementés par renvoi a la législation interne de l'État membre. Ladite législation résulte a la fois de la transposition des directives relatives aux droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et par renvoi du droit interne régissant les droits procéduraux garantis a ces personnes.

Contrairement au Corpus Juris509 et aux Règles Modèles de procédure du Parquet européen510, les garanties procédurales assurées a toute personne concernée par la procédure du Parquet européen ne sont pas règlementées par la proposition de règlement, mais par la législation nationale. En effet, l'harmonisation prévue par les directives reste minimale ce qui suppose des législations nationales variant significativement d'un État a l'autre. Les droits procéduraux des suspects sont surtout a risque dans le cas des enquêtes transfrontières. Dans ce cas, dans un but de défendre adéquatement le suspect, un avocat devrait connaître la législation des différents États membres, a moins que les suspects obtiennent une défense par autant d'avocats que le nombre d’États dont les enquêtes ont été prises par le Parquet européen. L’autre risque consiste a la décision du Parquet européen de 505Voy. article 32 de la proposition de règlement de la Commission, qui énumère les droits suivants : « a) le droit à

l’interpretation et à la traduction, prevu dans la directive 2010/64/UE du Parlement europeen et du Conseil, b) le droit à l’information et à l’accès aux pièces du dossier, prevu dans la directive 2012/13/UE du Parlement europeen et du Conseil, c) le droit d’accès à un avocat et le droit de communiquer avec des tiers en cas de detention, prevu dans la [directive 2013/xx/UE du Parlement europeen et du Conseil du xx xxxx 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procedures penales et au droit de communiquer après l’arrestation], d) le droit de garder le silence et le droit d’etre presume innocent, e) le droit à l’aide juridictionnelle, f) le droit de presenter des elements de preuve, de designer des experts et d’entendre des temoins » .

506Résolution du Conseil du 30 novembre 2009 relative a la feuille de route visant a renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), JO C 295 du 4.12.2009, p. 1–3.

507Voy. article 32, al. 2, lett. d), e), f), article 33, article 34 et article 35 de la proposition de règlement de la Commission du 2013.

508Voy. article 32, al. 5 de la proposition de règlement de la Commission du 2013. 509Voy. l’article 29 du Corpus Juris.

510Les articles de 12 a 18 des Règles Modèles de procédure du Parquet européen (LIGETI, K. et al., Règles Modèles de procédure du Parquet européen, [disponibles en ligne : http://www.eppo-project.eu/index.php/EU-model-rules/french], régissent en manière uniforme les droits des personnes concernées par les procédures du Parquet européen.

conduire ses enquêtes sur le territoire de l'État membre où les garanties procédurales sont faibles. Ainsi, ledit Parquet européen conserve la possibilité de prendre des mesures d'enquêtes intrusives du point de vue des droits fondamentaux de l’individu concerné sans être obligé par le respect de règles strictes de procédure.

Dans la proposition de règlement de la Commission, figure une définition qui opère largement un renvoi au droit interne, de manière autonome a d’autres droits dépourvus d’un encadrement au niveau européen. La proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017 la supprime. La proposition dédie également un chapitre, le chapitre V, aux garanties procédurales des suspects et aux personnes poursuivies impliquées dans les procédures pénales du Parquet européen. Les garanties procédurales sont toutefois entièrement définies par renvoi aux directives concernant les droits des suspects et personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, « telles qu'elles ont été́ transposées en droit interne »511.

La disposition est similaire a celle prévue dans la proposition de règlement de la Commission du 2013 s’agissant de la prévision générale : les « activités du Parquet européen sont exercées dans le respect total des droits des suspects et personnes poursuivies qui sont consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment le droit à un procès équitable et les droits de la défense » et établi de même que sans « préjudice des droits prévus au présent chapitre, les suspects et les personnes poursuivies ainsi que les autres personnes concernées par les procédures du Parquet européen jouissent de tous les droits procéduraux que le droit interne applicable leur accorde »512. La disposition précise également que doit être garantie aux suspects et les personnes poursuivies ainsi que les autres personnes concernées par les procédures du Parquet européen « la possibilité́ de présenter des éléments de preuve, de demander la désignation d'experts ou une expertise et l'audition de témoins, et de demander que le Parquet européen obtienne de telles mesures au nom de la défense »513.

La portée des garanties procédurales dépendra donc de la législation pénale nationale applicable en l'espèce. Les directives énumérées dans la proposition de règlement assurent seulement une harmonisation minimale ce qui suppose des disparités compte tenu d’une transposition en droit interne propre a chaque État membre514.

511Article 35 de la proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017.

512Voy. article 35, al. 1 et 3 de la proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017. 513Voy. article 35, al. 3 de la proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017.

514L'article 35, al. 2 se réfère aux directives déja adoptées au niveau européen. En particulier, je cite : « Tout suspect ou

personne poursuivie implique dans les procedures penales du Parquet europeen jouit, au minimum, des droits proceduraux prevus dans le droit de l'Union, y compris les directives concernant les droits des suspects et personnes poursuivies dans le cadre de procedures penales, telles qu'elles ont ete transposees en droit interne, comme: a) le droit à l'interpretation et à la traduction, prevu dans la directive 2010/64/UE du Parlement europeen et du Conseil, b) le droit à l'information et à l'accès aux pièces du dossier, prevu dans la directive 2012/13/UE du Parlement europeen et du Conseil, c) le droit d'accès à un avocat et le droit de communiquer avec des tiers et d'informer des tiers en cas de detention, prevus dans la directive 2013/48/UE du Parlement europeen et du Conseil, d) le droit de garder le silence et le droit d'etre presume innocent, prevus dans la directive (UE) 2016/343 du Parlement europeen

En outre, le degré d'harmonisation des directives est per se insuffisant a protéger adéquatement les droits procéduraux des personnes concernées515. Par exemple, la directive 2016/343 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence ne s'applique qu’aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Les personnes morales ne jouissent donc pas du droit a la présomption d'innocence et, comme susmentionné, la plupart des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne sont commises par des personnes morales516.

La directive n’envisage pas une réglementation spécifique dans le cas des enquêtes transfrontières. Elle n’évoque donc pas le caractère inutilisable des preuves collectées en violation de la présomption d'innocence, du droit de garder le silence ou du droit de ne pas s'incriminer soi-même517.

L'ample marge d'appréciation dont disposent les États membres, en assurant la mise en œuvre des directives sur les droits procéduraux, freine la mise en œuvre uniforme des directives et conduit a de profondes disparités entre les législations nationales518.

La proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017 ne contient pas une sanction en cas de preuves collectées par le Parquet européen en violation des droits fondamentaux des personnes concernées par les procédures dudit Parquet. A l’inverse du Corpus Juris, il ne figure aucune règle d'exclusion a propos de la collecte de preuves dans la proposition de règlement de la Commission. Les suspects ou les autres personnes concernées par les procédures du Parquet européen ne pourront donc pas être certains du caractère inutilisable des preuves en raison d’une violation de leurs droits

et du Conseil, e) le droit à l'aide juridictionnelle, prevu dans la directive (UE) 201x/xx du Parlement europeen et du Conseil ».

515Certaines auteurs se sont référé a cette situation en utilisant la métaphore d'une « difesa a uomo » puisque « l’azione

difensiva andrà calibrata con on riferimento ad ogni singola attività posta in essere dal Procuratore europeo, sfruttando volta per volta le possibilità di fungere da scudo nel corso delle indagini, di partecipare attivamente all’assunzione delle prove dichiarative sin dalla fase preliminare qualora il sistema nazionale di riferimento lo consenta, di attivare ogni meccanismo di controllo previsto dal diritto locale, ricorrendo alle impugnazioni consentite nel luogo di adozione e di esecuzione delle misure coercitive ». Voy. a cet égard S. ALLEGREZZA,

Pubblico Ministero europeo e posizione della difesa: nuovi scenari per la tutela delle garanzie della persona sottoposta alle indagini. Le questioni in gioco, in G. GRASSO, G. ILLUMINATI, R. SICURELLA, S. ALLEGREZZA (éds.), Le sfide dell'attuazione di una Procura europea: definizione di regole comuni e loro impatto sugli ordinamenti interni, Milano, Giuffrè Editore, 2013, p. 487.

516Voy. l'article 2 et les considérants 13-15 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister a son procès dans le cadre des procédures pénales, JO L 65 du 11.3.2016, p. 1–11.

517Pour les problèmes qui dérivent du fait que la directive est applicable seulement au procès pénal stricto sensu et dons elle ne s'applique pas aux enquêtes conduites par OLAF, voy. J. INGHELRAM, Garanzie procedurali nelle indagini OLAF: riflessioni sull’impatto della Carta dei Diritti Fondamentali dell’UE, in V. BAZZOCCHI (èds.), “L’ufficio del Procuratore Europeo e Le indagini di OLAF: Il controllo giurisdizionale e le garanzie procedurali, Fondazione Lelio e Lisli Basso Issoco, iBooks, 2014, pp. 291-293.

518Voy. le chapitre deuxième du premier titre de la deuxième partie pour l'analyse de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit a l’information dans le cadre des procédures pénales, JO L 142 du 1.6.2012, p. 1–10 ; Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès a un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, JO L 294 du 6.11.2013, p. 1–12.

devant la juridiction du fond519.

La seule méthode pour assurer une adéquate protection des droits fondamentaux des personnes concernées par les procédures du Parquet européen serait celle de prévoir une réglementation spécifique dans le règlement instituant le Parquet européen. Dans ce cas, le niveau de protection des droits devrait être le même que celui assuré par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, comme interprétée par la Cour de Justice, ainsi que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux520.