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Admissibilité des éléments de preuve présentés par le Parquet européen

3. DEUXIÈME PARTIE Droits fondamentaux et Parquet européen

3.2.1. CHAPITRE PREMIER Pouvoirs du Parquet européen et règles de procédure du Par- Par-quet européenPar-quet européen

3.2.1.2. SECTION DEUXIÈME Admissibilité des éléments de preuve présentés par le Parquet européen et enquêtes transfrontièresParquet européen et enquêtes transfrontières

3.2.1.2.1 Admissibilité des éléments de preuve présentés par le Parquet européen

La réglementation concernant l'admissibilité des preuves collectées par le Parquet européen est particulièrement importante puisque les règles de procédure pénale des autorités judiciaires qui statueront sur le cas seront différentes d'un État a l'autre et donc concourir a l’inadmissibilité des preuves collectées par le Parquet européen selon la législation de l'État du jugement477. Dans ce cas, toutes les enquêtes menées par le Parquet européen seront vaines.

Le législateur européen, en soulignant l'importance de tel aspect de la procédure, prévoit que les « règlements visés au paragraphe 1 fixent [...] les règles de procédure applicables a ses activités, ainsi que celles gouvernant l'admissibilité́ des preuves »478.

La proposition de règlement de la Commission du 2013 et du Conseil du 31 janvier 2017 établit donc des règles de procédure qui gouvernent l'admissibilité́ des preuves. Toutefois, a la différence du Corpus Juris ou des Règles Modèles de procédure, il n'est pas prévu un modèle de « preuve européenne »479. Les preuves collectées, conformément aux critères établis dans le Corpus Juris, devaient être admises dans les États membres480. À cet égard, une preuve doit être écartée en cas de violation : soit des droits fondamentaux consacrés par CESDH, soit des règles européennes posées par le Corpus Juris, « soit […] du droit national applicable, sans être justifiée par les règles européennes » prévues dans le Corpus Juris. La disposition du Corpus Juris précise également que la preuve obtenue doit être écartée qu’en cas d'admission portant atteinte aux principes du procès équitable481.

Le dispositif d'application de l'article 33 énonce que « en matière de preuve, les techniques 476L'article 36, al. 3 attribue a la Cour de justice seulement la compétence a statuer, a titre préjudiciel, « a) sur la

validite des actes de procedure du Parquet europeen, pour autant qu'une telle question de validite soit soulevee devant une juridiction d'un Etat membre directement sur la base du droit de l'Union; b) sur l'interpretation ou la validite de dispositions du droit de l'Union, y compris le present règlement; c) sur l'interpretation des articles 17 et 20 du present règlement en ce qui concerne tout conflit de competence entre le Parquet europeen et les autorites nationales competentes ».

477Voy. L. HAMRAN, E. SZABOVA, European public Prosecutor’s Office – cui bono?, New Journal of European Criminal Law, 2013, 4(1-2), p. 54 et s.

478Voy. article 86, al. 3 du TFUE.

479Voy. a cet égard les explications a l’article 32 contenues en M. DELMAS-MARTY, J.A.E. VERVAELE (éds.), La mise en œuvre du Corpus Juris dans les Etats Membres, Volume I, Antwerp, Groningen, Oxford, Intersentia, 2000, p. 101.

480Voy. a cet égard l’article 32 du Corpus Juris.

procédurales du droit national s'appliquent pour autant que les règles du Corpus Juris ne contiennent pas de dispositions spécifiques ». En considérant que les règles du Corpus Juris sont spécifiques s’agissant des critères de formation des preuves, le droit national aura dans ce cas effectivement une application marginale. Par exemple, les témoignages doivent être soit présentés a l'audience par une liaison audiovisuelle, soit recueillis par le Ministère Public européen sous la forme d'un « procès-verbal européen d'audition ». L'audition doit être faite devant un juge, la défense doit être présente et doit être accordée la possibilité de poser des questions. Enfin, toute l'opération doit être enregistrée par vidéo482. Des procédures spécifiques concernent aussi les interrogatoires de l'accusé : les documents présentés par un expert et ceux existants que l'accusé a été obligé de produire dans une enquête préliminaire administrative ou durant l'enquête pénale483. Les mesures d'enquête que le Parquet européen peut prendre se rangent dans trois catégories des Règles Modèles de procédure. Les différentes catégories de mesures d’enquête impliquent des conditions différentes, telles que détaillées dans les Règles. Dans les notes explicatives, il est précisé également que « les pouvoirs énoncés dans ces Règles sont exhaustifs ; les pouvoirs qui ne sont pas prévus dans les Règles ne sont pas a la disposition du Parquet européen »484. Cependant, les Règles Modèles ne contiennent pas une réglementation exhaustive s’agissant du régime d'admissibilité des preuves. En effet, l'article 19 se limite a énoncer que « Les juridictions nationales ne peuvent considérer les preuves collectées conformément a ces Règles comme ayant été́ illégalement ou irrégulièrement obtenues »485.

À première vue, il semble que les autorités judiciaires nationales ne peuvent écarter les preuves collectées par le Parquet européen même lorsqu’elle résulte de la violation des droits fondamentaux des suspects ou de l'équité de la procédure.

Toutefois, un examen, prenant en compte l'explication au-dessous de la disposition, montre que la disposition explicitée ne prévoit pas une telle règle puisque « dans la mesure où l’appréciation des éléments de preuve fait partie du procès, l’énoncé́ de dispositions relatives a l’admissibilité́ des preuves ne relève pas du champ d’application des Règles Modèles ». Cette Règle sert donc a garantir que les preuves ne soient « exclues sur le seul motif qu’elles ont été́ collectées en contrariété́ avec les dispositions nationales du pays où l’affaire est jugée, si les preuves ont été́ 482Voy. article 32 du Corpus Juris.

483Voy. article 32 du Corpus Juris.

484Voy. l'article 22 et la note explicative au-dessous de l'article 22 des règles modèles de procédure du Parquet européen. La note explicative précise également que « Cela peut conduire à une situation dans laquelle le Parquet

europeen pourrait faire moins qu’un procureur national (par exemple, le Parquet europeen est depourvu du pouvoir d’ordonner la perquisition en ligne dans un Etat Membre dans lequel le procureur national en est pourvu), ou faire davantage que le procureur national (par exemple, ordonner l’interception des contenus des communications là où le procureur ne le peut pas) ». La réglementation applicable est visée dans les Règles 23 (règle générale relative aux

mesures non coercitives), 31 (règles générales relatives aux mesures coercitives sans autorisation judiciaire préalable), et 47 (règles générales relatives aux mesures coercitives sur autorisation judiciaire préalable).

collectées conformément aux Règles Modèles »486.

Les autorités judiciaires nationales ne peuvent donc pas considérer les preuves collectées par le Parquet européen en conformité aux Règles de procédure, qu’elles soient obtenues de façon illégale ou irrégulière. Les autorités judiciaires nationales auront donc seulement la possibilité d'apprécier librement les preuves, mais pas celle de les déclarer inadmissibles487. Cependant, un tel modèle de preuves peut assurer de façon adéquate la protection des droits fondamentaux des personnes concernées par les enquêtes du Parquet européen lorsque la législation de procédure pénale européenne prévoie des garanties procédurales adéquates. Cette solution tend vers une efficacité des enquêtes du Parquet européen et, dans le même temps, vers la protection des droits des personnes concernées par la procédure du Parquet européen. Toutefois, l’ambiguïté de l’article entrave sa compréhension susceptible d’interprétations contradictoires, dont certaines ne permettent pas de considérer la disposition légitime.

La proposition de règlement de la Commission du 2013 et du Conseil du 31 janvier 2017, a la différence du Corpus Juris et des Règles Modèles, ne prévoit pas une réglementation commune en matière de collecte des preuves. L'article 30 de la proposition de règlement de la Commission établit que les « éléments de preuve présentés par le Parquet européen a la juridiction du fond, lorsque cette dernière considère que leur admission ne porterait pas atteinte a l’équité́ de la procédure ni aux droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont admis au procès sans validation ou processus juridique similaire même si la législation nationale de l’État membre dans lequel siège cette juridiction prévoit des règles différentes en matière de collecte ou de présentation de tels éléments de preuve. Une fois les éléments de preuve admis, il n’est pas porté atteinte a la compétence des juridictions nationales pour apprécier librement les éléments de preuve présentés lors du procès par le Parquet européen »488.

486Voy. la note explicative au-dessous de l'article 19 des Règles Modèles. La note explicative précise également que « Cette Règle ne prejuge pas, cependant, du droit de la juridiction de jugement d’apprecier librement les preuves ». 487Voy. a cet égard J. SPENCER, qui a affirmé que « [b]roadly speaking, it is surely up to each Member State to frame

its own rules as to the admissibility of evidence in criminal cases; and it is not the business of the EU to tell Member States what types of evidence should or should not be admissible in their criminal courts, unless there is some compelling practical reason to require this ». J.R. SPENCER, The Green Paper on obtaining evidence from one

Member State to another and securing its admissibility: The Reaction of one British Lawyer, Zeitschrift für Intrnationale Strafrechtsdogmatik, 2010, 9(5), p. 604-605. Voy. également M. LUCHTMAN, J.A.E. VERVAELE, European Agencies for Criminal Justice and Shared Enforcement (Eurojust and the European Public Prosecutor’s Office), Utrecht Law Review, 2014, 10(5), p. 147.

488Voy. article 30 de la proposition de règlement de la Commission. Le Considérant 32 de la même proposition de règlement prévoit : « Les elements de preuve presentes par le Parquet europeen à la juridiction du fond devraient

etre reconnus comme des elements de preuve recevables, partant etre presumes satisfaire à toutes les exigences pertinentes en matière de preuve imposees par le droit national de l’Etat membre dans lequel siège la juridiction du fond, pour autant que cette dernière considère que ces elements de preuve respectent l’equite de la procedure et les droits de la defense que la Charte des droits fondamentaux de l’Union europeenne confère au suspect. La juridiction du fond ne saurait exclure comme etant irrecevables les elements de preuve presentes par le Parquet europeen, au motif que les conditions et les règles permettant de recueillir ce type de preuve sont differentes en vertu du droit national qui leur est applicable ».

La Commission envisage donc un système de reconnaissance mutuelle des preuves, notamment de libre circulation des preuves489. Malgré l’apport significatif de la création d’un espace judiciaire commun de libre circulation des preuves, la solution envisagée par la Commission génère certains problèmes. A défaut d'une législation de procédure pénale commune au niveau européen, les autorités judiciaires nationales devraient reconnaître les preuves collectées par le Parquet européen conformément aux règles en matière de collecte des preuves d'un autre État membre, même si les preuves recueillies restent illégitimes dans ce système juridique. Les mêmes problèmes qui existent actuellement donc pourraient resurgir en raison du disfonctionnement de la reconnaissance mutuelle, fondée sur le principe de la lex loci, résultant de l'absence de règles de procédure pénale harmonisées. Les législations de procédure pénale des États membres sont en effet considérablement différentes entre elles490.

La proposition de règlement du Conseil du 31 janvier 2017 n'a guère amené d'amélioration. L'article 31 de la proposition de règlement prévoit en effet : « Les éléments de preuve présentés a une juridiction par les procureurs du Parquet européen ou par la partie défenderesse ne peuvent être déclarés inadmissibles au seul motif qu'ils ont été́ recueillis dans un autre État membre ou conformément a la législation d'un autre État membre. Le présent règlement ne porte pas atteinte au pouvoir dont dispose la juridiction du fond d'apprécier librement les éléments de preuve présentés par la partie défenderesse ou par les procureurs du Parquet européen »491.

Par rapport a la proposition de règlement de la Commission, la proposition de règlement du Conseil établit que les éléments des preuves sont présentés par les « procureurs du Parquet européen ou par la partie défenderesse » ; ce n'est plus le « Parquet européen » qui présente les preuves a la juridiction du fond. La proposition de règlement du Conseil a également ajouté la possibilité pour la partie défenderesse de présenter les preuves a une juridiction. La différence entre les deux versions n'est pas seulement terminologique. La nouvelle structure du Parquet européen, envisagée dans la proposition de règlement du Conseil, confère un rôle marginal au chef du Parquet européen, lequel 489Voy. a cet égard S. GLESS, Grenzüberschreitende Beweissammlung, Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, 2013. pp. 590-591. La Commission avait envisagé un système d'admissibilité des preuves se basant sur la reconnaissance mutuelle aussi dans le Livre Vert du 2001. Voy. a propos, le Livre vert, COM(2001) 715 final, 11 décembre 2001, sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen, point 6.3.4.1.

490Sur l'inaptitude a protéger les droits fondamentaux des personnes concernées par la clause énoncée dans l'article 30 de la proposition de règlement de la Commission, conformément a laquelle les preuve ne doivent pas être admises au procès lorsque la juridiction de fond considère que leur admission porterait « atteinte a l’équité de la procédure » ou « aux droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », voy. S. GLESS, Transnational Cooperation in Criminal Matters and the Guarantee of a Fair Trial: Approaches to a General Principle, in Utrecht Law Review, 2013, 9, p. 103; D. HELENIUS, Admissibility of Evidence and the European Public Prosecutor's Office, in P. ASP (éd.), The European Public Prosecutor's Office – Legal and Criminal Perspectives, cit., p. 196-202; I. ZERBES, Collecting and Usign Evidence: a Patchwork of Legal Orders, in P. ASP (éd.), The European Public Prosecutor's Office – Legal and Criminal Perspectives, cit., p. 223-228 ; J. INGHLERAM, Search and Seizure Measures and Their Review, in L. H. ERKELENS, A. W. H. MEIJ, M. PAWLICK (éds.), The European Public Prosecutor’s Office, An Extended Arm or a Two-Headed Dragon?, T.M.C. Asser Press, 2015, p. 126.

a principalement une fonction de représentation et d'organisation du bureau du Parquet européen. Les procureurs européens délégués sont responsables des enquêtes et des poursuites qu'ils engagent au nom du Parquet européen dans leurs États membres respectifs, et dans le même temps, peuvent exercer les fonctions de procureur national. Le droit national, applicable aux enquêtes et aux poursuites, est celui de l'État auquel ils appartiennent. L'article 31 précité souligne donc la dimension nationale du Parquet européen, en remarquant que les preuves ont été recueillies conformément a la législation nationale du procureur délégué chargé de l'affaire. La seule affirmation, contenue dans l'article 31 de la proposition de règlement du Conseil, relève que les preuves « ne peuvent être déclarés inadmissibles au seul motif qu'ils ont été́ recueillis dans un autre État membre ou conformément a la législation d'un autre État membre », cela n'empêche pas des preuves d’être conformes a la législation d'un État membre, et, au contraire, compatibles avec la juridiction devant laquelle elles ont été présentées. En l'absence de confiance entre États membres et d'une harmonisation a niveau européen, ressurgissent les mêmes problématiques exposées précédemment.

En deuxième lieu, la proposition de règlement du Conseil ne prévoit plus la possibilité aux autorités nationales de refuser l'admission des preuves lorsque la juridiction du fond considère que leur admission porterait « atteinte a l’équité́ de la procédure » ou « aux droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Il résulte toutefois de l'examen des considérants que l'intention du législateur ne puisse pas éliminer cette possibilité492. Reste peu compréhensible la suppression, par le législateur, de toute référence a la possibilité d'exclure les preuves obtenues en violation de l'équité de la procédure ou des droits de la défense consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En l'absence d'une réglementation européenne, organisant des garanties adéquates pour les personnes concernées par les procédures du Parquet européen, les droits fondamentaux de ces personnes sont compromis. En effet, ils pourraient faire l'objet des mesures d'enquêtes collectées dans un système où les garanties procédurales pour l'accusé sont prévues dans la phase du jugement et être jugés par une juridiction où telles garanties sont prévues dans la phase préparatoire du 492 Le considérant 70 de la proposition de règlement du Conseil établit : « Les elements de preuve presentes par le

Parquet europeen à la juridiction ne devraient pas etre declares inadmissibles au simple motif qu'ils ont ete recueillis dans un autre Etat membre ou conformement au droit d'un autre Etat membre, pour autant que la juridiction du fond considère que leur admission respecte l'equite de la procedure et les droits de la defense que la Charte des droits fondamentaux de l'Union europeenne confère au suspect ou à la personne poursuivie. Le present règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes inscrits à l'article 6 du traite sur l'Union europeenne et dans la Charte, notamment son titre VI, dans le droit international et les accords internationaux auxquels l'Union ou l'ensemble des Etats membres sont parties, y compris la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, et dans les constitutions des Etats membres dans leur champ d'application respectif. Conformement à ces principes et dans le respect des differents systèmes et traditions juridiques des Etats membres en vertu de l'article 67, paragraphe 1, du TFUE, aucune disposition du present règlement ne saurait etre interpretee comme interdisant aux juridictions d'appliquer les principes fondamentaux du droit national relatifs à l'equite de la procedure qui s'appliquent dans les systèmes nationaux, y compris les systèmes de "common law" ».

procès. Les personnes concernées ne bénéficieraient donc jamais de ces garanties procédurales et les droits de la défense seraient irrémédiablement enfreints.

La seule méthode pour protéger les droits fondamentaux de ces personnes serait de prévoir une réglementation européenne comme organisée par le Corpus Juris ou les Règles Modèles. Elle énoncerait des règles précises s’agissant des modalités de collecte de la preuve et des garanties procédurales des personnes concernées par les procédures du Parquet européen. Dans ce cas, les autorités judiciaires nationales admettraient les preuves collectées par le Parquet européen en raison de l’uniformité des modalités de collecte de la preuve sur le territoire des États membres liés par le règlement instituant le Parquet européen. Aux accusés sera également garanti le respect des droits de défense selon le degré de protection prévu au niveau européen.